Acide urique et arthrose : données en faveur d’une relation réciproque

Acide urique et arthrose : données en faveur d’une relation réciproque

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ARTICLE IN PRESS Revue du rhumatisme xxx (2019) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Mise au point

Acide urique et arthrose : données en faveur d’une relation réciproque夽 Tuhina Neogi a , Svetlana Krasnokutsky b,c , Michael H. Pillinger b,c,d,∗ a

Service de médecine, unités d’épidémiologie clinique et de rhumatologie, Boston University School of Medicine, Boston, MA 02118, USA Service de médecine, unité de rhumatologie, New York Harbor Health Care System, New York Campus, US Department of Veterans Affairs, New York, NY, 10003 USA c Service de médecine, groupe de travail des maladies cristallines, unité de rhumatologie, New York University School of Medicine/NYU Langone Health, New York, NY, 10016 USA d NYU Langone Orthopedic Hospital, 301, East 17th Street, Suite 1410, New York, NY 10003, USA b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Accepté le 9 novembre 2018 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Goutte Hyperuricémie Arthrose Cartilage Pathogenèse

r é s u m é L’hyperuricémie est une maladie courante qui, chez un certain nombre de patients, peut se compliquer de goutte. L’arthrose est la plus fréquente des arthropathies et coexiste fréquemment avec la goutte chez un même patient. La relation entre ces deux entités doit cependant être clarifiée, en particulier l’impact de l’arthrose sur le développement de la goutte et l’impact de la goutte sur l’initiation de l’arthrose. Par ailleurs, le rôle de l’hyperuricémie dans la survenue de l’arthrose en l’absence de goutte n’est pas établi. Nous passons en revue les données qui permettent de faire le lien entre la goutte et l’arthrose, en s’attachant tout particulièrement à déterminer le rôle de l’hyperuricémie avec ou sans manifestation clinique de goutte. Compte tenu de la disponibilité des traitements de l’hyperuricémie et de la goutte mais pas celui de l’arthrose, l’implication de l’acide urique dans la pathogenèse de l’arthrose pourrait avoir des répercussions cliniques majeures. ´ e´ Franc¸aise de Rhumatologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS au nom de Societ

1. Introduction L’arthrose est la forme d’arthrite la plus répandue dans le monde, touchant 10 à 15 % des adultes, avec un risque au cours de la vie s’élevant à 50 % [1]. L’arthrose affecte 30 millions de personnes aux E.U. [2] et 302 millions à l’échelle mondiale [3]. La prévalence de l’arthrose ne cesse d’augmenter et pourrait atteindre 78 millions d’adultes aux E.U. en 2040 [4]. L’arthrose est actuellement à la 12e place des maladies les plus invalidantes au niveau mondial [5]. Si le rôle du stress biomécanique et des réponses cellulaires dans la physiopathologie de l’arthrose est désormais mieux compris [6], la prise en charge médicamenteuse de l’arthrose demeure symptomatique, et nous ne disposons d’aucun traitement permettant de prévenir l’initiation ou la progression de cette maladie. La goutte est la forme d’arthrite inflammatoire la plus courante, touchant 3,9 % des adultes aux E.U. (8,3 millions de personnes)

DOI de l’article original : https://doi.org/10.1016/j.jbspin.2018.11.002. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais la référence anglaise de Joint Bone Spine avec le doi ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. NYU Langone Orthopedic Hospital, 301, East 17th Street, Suite 1410, New York, NY 10003, USA. Adresse e-mail : [email protected] (M.H. Pillinger).

[7]. Définie par une concentration d’acide urique > 6,8 mg/dL, la limite de solubilité de l’urate monosodique (UMS) à un pH de 7,4, l’hyperuricémie est une condition nécessaire (mais non suffisante) à l’apparition d’une goutte. L’hyperuricémie est une entité bien plus fréquente que la goutte, avec une prévalence de 21,4 % aux E.U. (∼43 millions de personnes) [7]. La prévalence de l’hyperuricémie asymptomatique, définie par une hyperuricémie sans signes cliniques de goutte, s’élève à 17,5 % (∼35 millions de personnes). L’hyperuricémie asymptomatique peut être considérée comme une condition biochimique/métabolique, la survenue de la goutte représentant, chez certains patients, une évolution vers une maladie inflammatoire en réponse au dépôt des cristaux d’UMS. Dans environ 25 % des cas, l’hyperuricémie asymptomatique s’accompagne de dépôts de cristaux d’UMS dans les tissus comme mis en évidence par les récentes techniques d’imagerie [8,9]. L’évolution du stade d’hyperuricémie asymptomatique à celui de goutte est liée à une importante accumulation de cristaux d’UMS, comprenant la formation de tophus, des structures complexes biologiquement actives reflet de la réponse inflammatoire chronique granulomateuse ou fibrotique aux cristaux d’UMS [10]. Si l’expérience clinique montre que la goutte et l’arthrose peuvent survenir de manière concomitante chez un même individu, la relation physiopathologique potentielle qui unit l’arthrose

https://doi.org/10.1016/j.rhum.2019.11.001 ´ e´ Franc¸aise de Rhumatologie. 1169-8330/Publie´ par Elsevier Masson SAS au nom de Societ

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Fig. 1. Association physique entre les dépôts de cristaux sur le cartilage et l’arthrose, lors d’une étude cadavérique ayant porté sur des talus. Quatre exemples illustrant des dépôts de cristaux (flèches blanches) à proximité des zones de dénudation de l’os sous-chondral (flèches noires). Dans les cas plus grave, les dépôts de cristaux encerclent les lésions cartilagineuses. Grade 1 = fibrillation, fragmentation, fissures ou érosions superficielles et/ou petites ulcérations touchant le cartilage ; Grade 2 = fibrillation et fissures profondes, fragmentation, larges érosions et/ou ulcérations. Reproduit avec la permission de Muehleman et al. [19].

et la goutte ou l’hyperuricémie reste à définir. L’implication de l’hyperuricémie ou de la goutte dans l’initiation et la progression de l’arthrose pourrait avoir des répercussions thérapeutiques, car, contrairement à l’arthrose, l’hyperuricémie et la goutte bénéficient de traitements efficaces. Nous passons ici en revue la relation entre l’arthrose et la goutte et entre l’arthrose et l’hyperuricémie.

2. Goutte et arthrose : caractéristiques cliniques communes et associations épidémiologiques D’un point de vue épidémiologique, la goutte et l’arthrose partagent un certain nombre de facteurs de risques tels que le vieillissement et l’obésité. Tout antécédent de lésion articulaire constitue un facteur de risque important d’arthrose tandis qu’une atteinte articulaire aiguë est associée à la survenue de crises de goutte. La goutte et l’arthrose sont toutes deux associées à la présence de dépôts de pyrophosphate de calcium [11] selon des relations complexes qui dépassent le cadre de cette revue. En revanche, il existe plusieurs facteurs de risque divergents tels que le sexe (les hommes sont plus à risque de développer une goutte et les femmes une arthrose) et l’insuffisance rénale (facteur de risque de goutte mais non d’arthrose). Tandis que ces deux affections peuvent résulter d’une prédisposition génétique [12,13], les associations génétiques de ces maladies diffèrent, la génétique de l’arthrose étant généralement liée à la biologie du cartilage articulaire et à l’indice de masse corporelle (IMC) et la génétique de la goutte largement associée à la gestion de l’acide urique par le rein. De plus, l’arthrose a été associée aux gènes de l’IL-1␤ [14], qui présentent un intérêt dans la goutte puisqu’ l’IL-1␤ est un médiateur central de l’inflammation goutteuse [15]. À ce jour, les variations des gènes de l’IL-1␤ n’ont pas été associées au risque de goutte, mais doivent

être soigneusement évaluées chez les patients goutteux comparativement à ceux souffrant d’hyperuricémie asymptomatique. L’arthrose et la goutte partagent une prédilection commune pour certaines articulations, comme les doigts (atteinte des interphalangiennes distales), les orteils (en particulier la 1re métatarso-phalangienne) et les genoux. À titre d’exemple, chez les patients atteints d’arthrose interphalangienne distale, l’arthrite goutteuse n’est pas rare et a été associée à l’utilisation de diurétiques et à l’insuffisance rénale, probablement du fait de leur impact sur l’hyperuricémie. [16] Des différences sont cependant retrouvées dans d’autres articulations, la hanche étant une localisation plus fréquente dans l’arthrose que dans la goutte, et la goutte siégeant plus volontiers que l’arthrose au poignet (à l’exception des patients ayant subi un traumatisme au poignet). Plusieurs études ont examiné les localisations arthrosiques et celles de la goutte. Chez 164 sujets goutteux évalués par Roddy et al. pour la présence d’une arthrose, les articulations ayant été le siège de crises de goutte avaient 7 à 8 fois plus de risque d’être arthrosiques que celles n’ayant jamais été le siège d’un accès goutteux [17]. Au cours d’une autre étude menée par Dalbeth et al., les articulations au sein desquelles le scanner double-énergie (DECT) objectivait des dépôts de cristaux d’UMS avaient 5 à 10 fois plus de risque de présenter une arthrose radiographique avec mise en évidence d’une ostéophytose, d’une sclérose sous-chondrale et d’un pincement articulaire – caractéristiques non typiques de la goutte [18]. De manière similaire, une large étude cadavérique ayant porté sur des chevilles humaines, articulations souvent épargnées dans l’arthrose (à l’exception des cas de trauma), a mis en évidence une corrélation entre les lésions chondrales arthrosiques et les dépôts d’UMS [19] (Fig. 1). C’est pourquoi, l’arthrose des articulations individuelles semble être corrélée à l’existence d’une goutte cliniquement active et la présence de cristaux d’UMS. Ces

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observations n’établissaient toutefois pas de lien de causalité. La survenue concomitante de ces deux conditions s’explique probablement par leurs facteurs de risques communs tels que l’obésité (IMC), l’âge et le sexe. En effet, le lien entre la goutte ou la concentration sérique d’urate et l’arthrose est souvent controversé en raison d’un ajustement inadéquat pour ces facteurs. D’un point de vue clinique, la goutte est caractérisée par des poussées d’arthrite aiguë. À l’inverse, les crises douloureuses d’arthrose sont moins intenses et de fréquence plus variable, et sont alimentées par la présence de lésions au niveau de la moelle osseuse de l’os sous-chondral et l’existence d’une synovite. [20] Si l’arthrose a longtemps été considérée comme une affection « non inflammatoire », une synovite et un épanchement articulaire sont clairement visibles à l’imagerie, notamment l’IRM ou l’échographie, et un gonflement articulaire est souvent détecté à l’examen clinique. La synovite dans la gonarthrose est associée à la présence de cytokines pro-inflammatoires mais également à la sévérité et à l’évolution de l’arthrose [21,22], et ses variations dans le temps reflètent les variations de l’intensité de la douleur [23]. Si la synovite est une manifestation reconnue dans l’arthrose, les raisons de son apparition font débat. Une des hypothèses serait que la synoviale réagit aux fragments de cartilage et autres débris en produisant des médiateurs de l’inflammation après activation des cellules de l’immunité innée [24]. D’autres données indiquent que les cristaux de calcium, également observés chez les patients arthrosiques, pourraient contribuer à la réponse inflammatoire dans l’arthrose. [25,26] Les motifs moléculaires associés aux dégâts/aux pathogènes (DAMP, PAMP) activent les cellules de l’immunité innée et déclenchent la réponse inflammatoire par interaction avec les récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires tels que les récepteurs de type NOD (NLR) et Toll (TLR). Les cristaux d’UMS, identifiés comme des DAMP, stimulent l’assemblage de l’inflammasome et l’activation de nombreuses voies de signalisation intracellulaire [15] ; Il reste cependant à déterminer si l’effet des cristaux d’UMS dans la maladie arthrosique présente un intérêt. Par ailleurs, il est possible que les variations de l’intensité de la douleur dans l’arthrose soient liées à la présence des cristaux d’urate. La prédisposition de la goutte à l’arthrose ou de l’arthrose à la goutte n’a fait l’objet que de rares études. Dans une étude castémoins menée au Royaume-Uni et portant sur 39 111 patients goutteux et autant de sujets témoins appariés [27], les dossiers médicaux ont été analysés pour la survenue de comorbidités au cours des 10 ans suivant la date de référence et la présence de comorbidités préexistantes au cours des 10 ans précédant cette date. Comparativement aux témoins, le risque de survenue d’une arthrose était supérieur chez les patients atteints de goutte (hazard ratio 1,45 [IC 95 %, 1,35-1,54]). Les sujets goutteux montraient également un risque plus élevé d’avoir déjà rec¸u un diagnostic d’arthrose (OR 1,27) que les témoins. L’IMC n’ayant pas pu être pris en compte dans la totalité des cas, il n’est pas exclu que les facteurs de confusion résiduels soient à l’origine de l’association observée. Néanmoins, ce rapport indique que la goutte et l’arthrose peuvent chacune constituer un facteur de risque pour l’autre. 3. Hyperuricémie et arthrose : épidémiologie et associations L’association de l’hyperuricémie avec l’arthrose devrait être idéalement étudiée chez des patients souffrant d’hyperuricémie asymptomatique, puisqu’il est presque impossible de distinguer les effets de l’urate des effets de l’inflammation chez les patients atteints de goutte. Dans de nombreux pays, le taux d’acide urique n’est malheureusement pas évalué en routine ce qui

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limite les données cliniques disponibles permettant d’étudier cette question. Nous avons analysé les données de 75 patients masculins issus du service de soins primaires d’un hôpital de vétérans aux E.U. et classés comme étant normouricémiques, hyperuricémiques asymptomatiques et goutteux (25 sujets dans chaque groupe) [28]. Nos analyses incluaient un bilan radiographique standardisé du genou en « fixed flexion » utilisant un cadre de positionnement. Quelle que soit la classification utilisée, critères cliniques ou critères cliniques/radiographiques de l’ACR pour le diagnostic de la gonarthrose, la prévalence de la gonarthrose chez les patients goutteux était plus de deux fois supérieure à celle des sujets témoins (ex., 68 % vs 28 % selon les critères cliniques/radiologiques). La prévalence de la gonarthrose chez les patients ayant une hyperuricémie asymptomatique était intermédiaire entre celle des normouricémiques et celle des sujets goutteux (52 % selon les critères cliniques/radiographiques), soulignant un possible effet dose-réponse de l’hyperuricémie et de l’évolution vers la goutte sur le risque d’arthrose. L’association avec l’hyperuricémie asymptomatique n’a pas été retrouvée dans la sous-population de patients obèses, suggérant que l’obésité est un facteur de risque d’arthrose pouvant dépasser les effets spécifiques à l’hyperuricémie. Des observations similaires ont été rapportées par Teng et al. selon lesquels des patientes minces atteintes de goutte étaient plus à risque de subir une arthroplastie du genou pour arthrose sévère que des femmes minces sans goutte, mais une telle relation n’a pas été retrouvée chez des femmes de poids plus élevé [29]. En outre, nous avons constaté que l’hyperuricémie asymptomatique était associée à une plus grande sévérité de la gonarthose et que la goutte était associée à des gonarthroses de sévérité encore plus élevée que la simple présence d’une hyperuricémie asymptomatique, ce qui là encore indique un effet dose [28]. Contrairement à nos observations, Bevis et al. n’ont retrouvé aucune corrélation entre la goutte et la gonarthrose, malgré une association rapportée entre la goutte et l’arthrose du pied ; dans ce cas, l’impact de l’hyperuricémie n’a pas été étudié [30]. Afin d’explorer davantage l’association entre l’hyperuricémie et la sévérité de la gonarthrose, nous avons examiné les genoux et les articulations MTP bilatérales de patients, à la recherche d’un signe du double contour (traduisant la présence de dépôts de cristaux d’UMS à la surface du cartilage) [31] et de dépôts tophacés à l’échographie musculo-squelettique. Dans ces petites études, les dépôts de cristaux d’UMS étaient associés à une prévalence plus élevée de gonarthrose (prévalence de 60 % vs 27 % p = 0,04). Soulignons cependant que les dépôts d’urate localisés dans la première MTP ont été associés à une prévalence plus élevée de gonarthrose que ceux siégeant dans les genoux (pour les dépôts d’UMS dans les MTP, prévalence de la gonarthrose de 62,5 % vs 29 %, p = 0,03 ; pour les dépôts d’UMS dans les genoux, prévalence de la gonarthrose de 50 % vs 38,6 %, p = 0,6) [28]. Ces données indiquent que les dépôts de cristaux d’UMS retrouvés dans d’autres localisations peuvent servir de marqueurs de sévérité pour l’atteinte du genou liée à l’hyperuricémie. À noter toutefois que le nombre d’études était restreint et l’âge de notre échantillon élevé et que les effets de l’IMC n’ont pas été totalement pris en compte. D’autres études ont également retrouvé un lien entre hyperuricémie et arthrose. À titre d’exemple, Ding et al. ont utilisé une base de données regroupant 4685 patients en Chine (où les taux d’urate sont évalués en routine) et ont observé que la présence d’ostéophytes, caractéristiques de l’arthrose, a été associée à l’hyperuricémie chez les femmes mais pas chez les hommes, même après ajustement sur des facteurs tels que l’IMC [32]. Les critères d’inclusion ne faisant pas la distinction entre l’hyperuricémie avec ou sans goutte, l’hyperuricémie asymptomatique seule n’a pas été évaluée, ce qui constitue une limite de cette étude.

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Fig. 2. Interactions possibles entre l’urate et l’arthrose. Panel A, l’hyperuricémie et l’arthrose sont favorisées de manière indépendante par des facteurs de risque communs tels que l’obésité et le vieillissement ; Panel B, en présence de concentrations élevées d’acide urique dans l’articulation, la dégradation du cartilage au cours de l’arthrose favorise la cristallisation et les dépôts d’urate impliqués dans la goutte aiguë. Panel C, les taux élevés d’acide urique dans l’articulation contribuent à la cristallisation et aux dépôts d’acide urique sur le cartilage, causant des lésions pouvant initier une arthrose. Adapté de Roddy et al. [33].

4. Urate et arthrose : causalité et pathogénie La relation épidémiologique rapportée entre l’hyperuricémie et l’arthrose soulève la question d’une possible relation biologique entre ces deux entités. Quatre possibilités méritent d’être examinées : • l’association entre hyperuricémie et arthrose est due à leurs facteurs de risque communs (ex. l’obésité), plutôt qu’à un lien direct entre ces deux entités ; • l’arthrose peut favoriser la cristallisation de l’acide urique au sein d’une articulation, un effet susceptible d’être exacerbé dans un contexte d’hyperuricémie et pouvant induire une goutte ; • les dépôts de cristaux d’UMS sur/dans le cartilage peuvent entraîner des lésions mécaniques et/ou inflammatoires locales favorisant l’initiation de l’arthrose ; • l’urate peut contribuer étroitement à l’initiation et/ou l’évolution de l’arthrose [33] (Fig. 2). Ces nombreuses possibilités ne s’excluent pas mutuellement. 4.1. L’arthrose comme facteur favorisant les dépôts d’UMS De nombreuses études ont recherché si la progression de l’arthrose au sein de l’articulation pouvait prédisposer à la formation de cristaux d’UMS [34]. Plusieurs d’entre elles ont souligné le fait que la cristallisation nécessite une surface de nucléation et que le cartilage arthrosique pourrait offrir une telle surface. Selon Pascual et al., les dépôts de cristaux d’UMS sont orientés parallèlement aux fibres de surface du cartilage ce qui indique que la structure régulière des fibres de collagène pourrait servir de support pour les dépôts d’urate [35]. D’autres se sont attaché à étudier le rôle de la chondroïtine sulfate (CS), un ensemble de molécules naturellement présentes dans la matrice du cartilage et pouvant être exposées ou libérées en cas de dégradation du cartilage dans un contexte d’arthrose [36–39]. Parmi les multiples formes de la CS, la relation entre la CS4 et la CS6 présente un intérêt majeur. La CS4 favorise la précipitation de l’acide urique tandis que la CS6 retarde ce phénomène. La dégradation du cartilage articulaire hyalin peut conduire à la dispersion de la CS6, retrouvée principalement au

niveau de la couche superficielle, et à l’exposition de la CS4, située dans les couches plus profondes du cartilage, ce qui augmente le ratio CS4/CS6 et accroît le risque de précipitation de l’urate. Ces processus sont probablement aggravés par l’hyperuricémie, le liquide synovial étant un ultrafiltrat du plasma sanguin. À noter cependant que la CS peut également atténuer l’activation des macrophages [40], et ainsi réduire la réponse inflammatoire aux cristaux tout en favorisant la cristallisation de l’urate. Pour finir, au moins une étude suggère que dans un contexte d’arthrose, la membrane synoviale pourrait contribuer à accroître les taux d’urate dans l’articulation puisque la synoviale arthrosique est plus perméable à l’eau qu’à l’urate. Dans ce modèle, la résorption de l’eau du liquide synovial vers le sang survient plus rapidement que la résorption de l’urate lorsque l’articulation est au repos (la nuit par exemple) ce qui augmente la concentration d’urate. Les auteurs soulignent que cette augmentation nocturne transitoire de la concentration d’urate dans le liquide synovial pourrait expliquer le déclenchement typique de la crise de goutte durant la nuit [41]. 4.2. L’urate comme facteur favorisant l’arthrose L’urate peut également promouvoir l’apparition d’une arthrose. Puisque la plupart des lésions cartilagineuses peuvent favoriser la progression de l’arthrose, il semble probable que les lésions mécaniques secondaires à et/ou les réponses inflammatoires aux dépôts d’UMS et à la formation de tophus contribuent au développement de l’arthrose. Aucune étude n’a cependant évalué de manière officielle l’impact des lésions mécaniques ou inflammatoires des cristaux d’UMS/de la goutte sur la progression de l’arthrose. L’urate pourrait également jouer un rôle biochimique dans la physiopathologie de l’arthrose. Longtemps considérée comme une maladie de l’usure, l’arthrose est désormais reconnue comme étant une maladie impliquant tous les éléments constitutifs de l’articulation, d’origine mécanique, mais à propagation biochimique et cellulaire, au cours de laquelle l’expression des médiateurs de l’inflammation est une caractéristique centrale et déterminante [42]. Sous l’effet des stress mécanique et inflammatoire, on observe une modification du phénotype des chondrocytes qui sécrètent des médiateurs de l’inflammation comme l’IL-1␤, le TNF-␣, la PGE2 , l’oxyde nitrique (NO) et d’autres encore [43,44].

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L’importance de l’IL-1␤ peut être souligne par le fait que les polymorphismes du récepteur antagoniste de l’IL-1␤ sont associés à la sévérité de l’arthrose [45]. Par ailleurs, les chondrocytes arthrosiques acquièrent un phénotype procatabolique caractérisé par une augmentation de la production des métalloprotéinases matricielles (MMP) telles que les MMP-3 et 13 et des aggrécanases dont l’ADAMTS-4 et l’ADAMTS-5 [46]. Ce phénomène est suivi d’une diminution du nombre de chondrocytes qui résulte de leur mort par apoptose et nécrose [47]. Ces réponses sont associées à des réponses parallèles au niveau de la synoviale, conduisant à une synovite de bas grade, marqueur de sévérité de l’arthrose [22], et à des modifications osseuses comme la sclérose, la formation d’ostéophytes et des lésions au niveau de la moelle osseuse de l’os sous-chondral, objectivées à l’IRM [48]. La nature inflammatoire de l’arthrose est également mise en évidence par des taux élevés d’IL-1Ra et de PGE2 dans le plasma et l’expression accrue de cytokines dans les leucocytes périphériques, phénomènes associés à une aggravation de l’arthrose [21,49]. Des études in vitro ont démontré des réponses chondrocytaires vis-à-vis de l’UMS remarquablement similaires à celles observées dans l’arthrose. D’après Liu et al., l’exposition des chondrocytes à l’urate induit une régulation à la hausse de l’IL-1␤ [50], phénomène également retrouvé dans d’autres types cellulaires au sein desquels les cristaux d’UMS activent l’inflammasome NLRP3, activateur enzymatique de l’IL-1␤ et IL-18 [15]. L’exposition aux cristaux d’UMS entraîne aussi la régulation à la hausse des MMP3 et la régulation à la hausse de la NO synthase inductible (NOSi) et la production de l’oxyde nitrique [50]. Chhana et al. ont retrouvé des résultats similaires et ont également rapporté que la présence de cristaux d’UMS stimulait l’expression d’ADAMTS-5 et diminuait la production de collagène par les chondrocytes, et favorisait la mort cellulaire de ces derniers par un processus non-apoptotique [51], à l’inverse du processus d’apoptose attendu dans l’arthrose [52]. Cette observation a été confirmée et élargie par Huang et al. selon lesquels la mort des chondrocytes induite par l’urate n’est pas déclenchée par l’apoptose ou la nécrose mais par l’autophagie [53]. Décrit pour la première fois par Shi et al., le constat selon lequel l’urate est généré par les cellules mourantes comme signal de danger visant à alerter le système immunitaire [54] indique que la mort cellulaire des chondrocytes en réponse aux cristaux d’urate pourrait à son tour induire la production d’urate, selon une boucle d’amplification régulatrice. Ces réponses n’ont toutefois été observées qu’en présence de concentrations élevées d’UMS, qui correspondent à la formation de microcristaux d’UMS. Cependant, l’exposition à l’acide urique ne constitue pas systématiquement un danger pour les chondrocytes. D’après Lai et al., de faibles concentrations d’urate, inférieures à 6,8 mg/dL, pourraient protéger les chondrocytes et prévenir le développement d’un phénotype arthrosique, notamment en supprimant l’expression de COX, MMP-13 et NOS dans les chondrocytes et en favorisant la sécrétion de collagène [55]. L’urate pourrait ainsi jouer un double rôle dans le cartilage, à savoir protéger contre l’arthrose à de faibles concentrations mais favoriser l’arthrose à des taux plus élevés. Conformément à cette hypothèse, plusieurs études ont mis en évidence les propriétés à la fois anti-oxydantes et pro-oxydantes de l’urate en fonction de son environnement [56]. Ces observations in vitro sont-elles retrouvées dans les articulations arthrosiques chez l’humain ? Peut-etre. Denoble et al. ont examiné le liquide synovial de 69 patients souffrant d’arthrose du genou mais sans signe de goutte. Selon leurs observations, il existait une très forte corrélation entre les concentrations d’acide urique dans le liquide synovial et les concentrations d’IL-1␤ et d’IL-18 dans l’articulation, ce qui semble indiquer que la présence d’urate dans l’articulation active l’inflammasome NLRP3 et que les concentrations de ces 3 analytes, ainsi que du TNF-␣, étaient fortement associées à la gravité de la gonarthrose. Les auteurs ont donc

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conclu que des taux élevés d’acide urique dans le liquide synovial pourraient favoriser l’arthrose [57]. Le taux d’acide urique étant un indicateur majeur de la concentration d’urate dans le liquide synovial, nous avons étudié la possibilité de prédire l’aggravation de la gonarthrose en se basant sur la mesure du taux d’acide urique dans le sang. À partir des données de 88 sujets gonarthrosiques souffrant d’arthrose médiale du genou et chez qui le taux d’urate a été mesuré à l’inclusion [21,58], nous avons observé que le taux d’acide urique permettait de prédire la progression du pincement articulaire médial. Des taux élevés d’acide urique ont été associés à une accélération du pincement de l’interligne avec un effet de seuil lorsque la concentration sérique d’urate avoisinait 6,8 mg/dL – ce qui confirme la possibilité d’un effet de microcristallisation et de non-solubilité de l’urate. L’IRM des genoux, disponible pour 25 de ces sujets, a permis de noter un lien entre le taux d’acide urique et le volume synovial, qui pourrait confirmer l’impact de l’urate sur la synovite dans un contexte d’arthrose [59].

5. Modélisation des interactions entre l’urate et l’arthrose Si les observations ci-dessus nécessitent d’être confirmées, elles indiquent un modèle dans lequel l’existence de facteurs de risque traditionnels (âge, génétique, obésité, traumatismes articulaires ou sur-utilisation, etc.) conduit à la survenue initiale des lésions du cartilage articulaire, au moins au niveau du genou (Fig. 3). À ce stade, les protéases libérées par les chondrocytes contribuent à la dégradation du cartilage et les médiateurs proinflammatoires générés favorisent l’inflammation, notamment de la synoviale. Au même moment, la mort cellulaire des chondrocytes entraîne la production d’urate, qui, à des taux élevés, pourrait favoriser les dépôts de cristaux sur le cartilage à l’échelle macroscopique, induisant possiblement des lésions mécaniques et/ou des processus/réponses inflammatoires aux cristaux d’urate qui rend l’articulation plus à risque de progression de l’arthrose. La formation des cristaux au sein de l’articulation arthrosique pourrait être encouragée par les mécanismes moléculaires de l’arthrose en soi (ex. collagène et CS issus du cartilage). La cristallisation de l’acide urique à l’échelle microscopique, probablement dans la région des chondrocytes mourants, pourrait activer davantage la production de protéases et de cytokines par les chondrocytes adjacents, et promouvoir la mort cellulaire, en agissant comme signal DAMP. Il s’agit d’un cercle vicieux au sein duquel la progression de l’arthrose favorise la production d’urate qui à son tour entraîne une aggravation de l’arthrose. Dans un contexte d’hyperuricémie, le liquide synovial arthrosique présente des taux d’urate plus élevés qui peuvent contribuer directement aux processus locaux de l’arthrose induite par l’urate en augmentant le risque de cristallisation. Chez les patients ayant une goutte franche, le risque de dépôts macroscopiques d’UMS dans l’articulation est augmenté (ex. sous forme de dépôts articulaires d’UMS et/ou de tophus), l’inflammation chronique et aiguë liée à la présence de l’urate/tophus exacerbe le processus inflammatoire déjà constitué dans l’articulation arthrosique, et vient s’ajouter aux possibles effets mécaniques indésirables des dépôts de cristaux d’UMS. Un tel modèle propose de nombreuses hypothèses vérifiables et suggère plusieurs points d’intervention possibles utilisant les traitements actuellement disponibles. La visualisation des dépôts de cristaux à l’imagerie chez les patients souffrant d’hyperuricémie asymptomatique nécessite que des études longitudinales soient menées afin de déterminer si ces dépôts constituent un facteur de risque de développement de l’arthrose, en plus d’examiner les effets longitudinaux de l’hyperuricémie indépendamment des dépôts de cristaux d’UMS asymptomatiques.

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Fig. 3. Mécanismes potentiels selon lesquels l’acide urique favorise la survenue de l’arthrose. Les processus les plus étroitement liés à l’arthrose sont colorés en jaune ; les processus les plus étroitement liés aux effets de l’urate sont colorés en vert ; les caractéristiques communes sont colorées en rose. Pour de plus amples détails, consulter le texte. Modification de la version de Denoble et al. [57].

6. Conclusions Le vieux dogme, selon lequel l’arthrose est une maladie dégénérative passive a mené inévitablement à un nihilisme thérapeutique qui n’offrait que des solutions chirurgicales. L’arthrose est aujourd’hui considérée comme un processus complexe et actif impliquant tous les tissus de l’articulation ce qui permet désormais d’envisager une prise en charge biologique pour prévenir ou ralentir le processus catabolique et inflammatoire. Le chevauchement entre l’arthrose et la goutte – et plus particulièrement entre l’arthrose et l’hyperuricémie – suggère que la co-occurrence de ces affections observée en clinique pourrait ne pas être uniquement fortuite. Grâce à la meilleure compréhension de l’arthrose et de la biologie de l’urate acquise ces dix dernières années, il est désormais acquis que certains des mécanismes propres à chaque maladie seraient communs aux deux, selon une relation réitérative au sein de laquelle chaque condition pourrait exacerber l’autre. Compte tenu du caractère incurable de l’arthrose structurale, et considérant les nombreux traitements disponibles pour la prise en charge de l’hyperuricémie et de l’inflammation goutteuse, l’efficacité des agents hypouricémiants dans l’arthrose devient une hypothèse vérifiable. Au cours d’une étude rétrospective, les patients goutteux ont montré un risque plus élevé d’arthroplastie totale de la hanche ou du genou que les patients non goutteux mais les patients goutteux sous traitement hypouricémiant n’ont pas été moins à risque d’arthroplastie totale que ceux qui ne recevaient pas ce traitement.

Cette étude présente toutefois des limites notamment si l’on considère que les indications d’arthroplastie n’ont pas été clairement définies, que le degré de réduction du taux d’urate n’a pas été correctement établi et que les sujets de l’étude étaient atteints d’une goutte confirmée (avec une accumulation probable de lésions significatives contrairement aux cas d’hyperuricémie asymptomatique). [60] Des recherches supplémentaires seront nécessaires. Quels que soient les résultats de ces recherches, l’étude de l’arthrose et de ses interactions avec l’hyperuricémie et la goutte a déjà permis de recueillir des informations précieuses concernant la biologie et les intersections entre ces deux maladies.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Remerciements TN a en partie bénéficié des subventions K24AR070892 et P60AR47785, et MHP a en partie bénéficié de la subvention 1UL1TR001445 du National Institutes of Health. SK a en partie rec¸u une subvention de recherche de la Rheumatology Research Foundation. Nous remercions le Dr. Pascal Richette pour son aide dans le révision du manuscrit.

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