Acquisition du langage chez l’enfant prématuré durant la première année de vie

Acquisition du langage chez l’enfant prématuré durant la première année de vie

ARCPED-4011; No of Pages 6 Rec¸u le : 4 mai 2015 Accepte´ le : 7 juillet 2015 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Mise ...

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ARCPED-4011; No of Pages 6

Rec¸u le : 4 mai 2015 Accepte´ le : 7 juillet 2015

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Mise au point

Acquisition du langage chez l’enfant pre´mature´ durant la premie`re anne´e de vie§ Language acquisition in preterm infants during the first year of life T. Nazzia,b,*, L.L. Nishibayashia, E. Berdasco-Mun ˜ oza, O. Baudc, V. Biranc, a,d N. Gonzalez-Gomez a

Universite´ Paris Descartes, Sorbonne Paris Cite´, 75006 Paris, France Laboratoire psychologie de la perception, CNRS, institut pluridisciplinaire des Saints-Pe`res, 45, rue des Saints-Pe`res, 75006 Paris, France c Service de re´animation et de pe´diatrie ne´onatales, hoˆpital Robert-Debre´, 75019 Paris, France d Department of Psychology, Oxford Brookes University, Oxford, Royaume-Uni b

Summary

Re´sume´

Previous studies have shown that preterm children are at a higher risk for cognitive and language delays than full-term children. Most of these studies have concentrated on the effects of prematurity during the preschool or school years, while the effect of preterm birth on the early development of language, much of which occurs during the first year of life, remains very little explored. This article focuses on this crucial period and reviews the studies that have explored early phonological and lexical development in preterm infants. The results of these studies show uneven proficiency in different language subdomains in preterm infants. This raises the possibility that different constraints apply to the acquisition of different linguistic subcomponents in this population, in part as a result of a complex interaction between maturation, experience, and language subdomains. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Des travaux ont montre´ que les enfants ne´s pre´mature´ment avaient un risque plus e´leve´ de de´lais cognitifs et langagiers que les enfants ne´s a` terme. La plupart de ces e´tudes se sont concentre´es sur les effets de la pre´maturite´ pendant les anne´es pre´scolaires et scolaires, alors que les effets d’une naissance pre´mature´e sur l’acquisition pre´coce du langage, dont une grande partie s’effectue pendant la premie`re anne´e, restent peu e´tudie´s. Ce chapitre se concentre sur cette pe´riode cruciale, et fait la revue des e´tudes qui ont explore´ le de´veloppement phonologique et lexical pre´coce chez les enfants pre´mature´s. Les re´sultats de ces e´tudes montrent des capacite´s non homoge`nes entre diffe´rents sous-domaines langagiers. Ceci soule`ve la possibilite´ que diffe´rentes contraintes s’appliquent a` l’acquisition de diffe´rentes composantes linguistiques dans cette population, re´sultant en partie d’une interaction complexe entre maturation, expe´rience et sous-domaines langagiers. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la sante´ (OMS), chaque anne´e 10 % des naissances (soit plus de 15 millions) sont pre´mature´es dans le monde. L’incidence de la pre´maturite´ a augmente´ de fac¸on spectaculaire au cours § Travail pre´sente´ aux 45es Journe´es nationales de ne´onatalogie 2015 (JNN 2015), Paris 26 et 27 mars 2015. * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (T. Nazzi).

des 20 dernie`res anne´es dans plusieurs pays de´veloppe´s, tels la France, le Royaume-Uni et les E´tats-Unis [1]. Compte tenu du nombre important de ces naissances pre´mature´es, de nombreuses e´tudes ont porte´ sur les conse´quences de la pre´maturite´ sur le de´veloppement cognitif. Ces e´tudes convergent pour montrer que les enfants pre´mature´s, meˆme en bonne sante´, c’est-a`-dire n’ayant aucun proble`me neurologique, ont un risque accru d’avoir des troubles du langage, de l’attention ou de la motricite´ au cours des anne´es scolaires [2–13]. Concernant le langage, une naissance pre´mature´e a

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2015.07.002 Archives de Pe´diatrie 2015;xxx:1-6 0929-693X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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e´te´ lie´e a` une augmentation du risque d’avoir des retards ou des troubles a` diffe´rents niveaux de traitement pendant les anne´es pre´scolaires et scolaires (pour une revue de la litte´rature re´cente, voir [8]). Au niveau perceptif, les enfants pre´mature´s montrent des capacite´s de discrimination auditive, de me´moire et de lecture infe´rieures aux enfants ne´s a` terme [4,6,9–11]. Ils pre´sentent aussi des de´ficits dans la compre´hension et la production de la parole, refle´te´s par un vocabulaire moins riche, un retard spe´cifique dans le traitement et le raisonnement verbal, et un langage expressif moins complexe que les enfants ne´s a` terme [4,6,9–11]. Cependant, il reste difficile de savoir si ces de´ficits sont dus a` un retard cognitif ge´ne´ral lie´ a` l’immaturite´ [12] ou s’ils sont dus a` des de´ficiences dans des capacite´s linguistiques spe´cifiques [9,13]. Des capacite´s ine´gales dans les diffe´rents sousdomaines linguistiques sont attendues seulement dans ce dernier cas. Au cours des dernie`res de´cennies, la plupart des e´tudes en psycholinguistique de´veloppementale se sont concentre´es sur les effets de la pre´maturite´ au cours des anne´es pre´scolaires ou scolaires. L’effet de la pre´maturite´ sur le de´veloppement pre´coce de la perception de la parole, dont une grande partie se produit au cours de la premie`re anne´e de vie (cette pe´riode e´tant cruciale pour l’acquisition du langage, voir [14]), reste tre`s peu explore´. Dans ce qui suit, nous allons passer en revue les quelques e´tudes ayant explore´ l’impact pre´coce de la pre´maturite´ chez les nourrissons, en les pre´sentant en fonction du niveau de traitement langagier qu’elles explorent.

2. Acquisition de la prosodie Re´cemment, trois e´tudes ont explore´ l’acquisition par les enfants pre´mature´s de la prosodie, a` savoir la « musique » de la langue qui comprend, entre autres, le rythme, l’accentuation et l’intonation de la parole. Deux de ces e´tudes portent sur la reconnaissance de la langue maternelle en fonction du rythme des langues [15,16]. Afin d’e´tudier les capacite´s de discrimination entre deux langues similaires (espagnol versus italien) ou diffe´rentes (espagnol versus japonais) au niveau rythmique et prosodique, Pen ˜ a et al. [15], utilisant l’e´lectroence´phalographie (event-related potentials [ERP]), ont teste´ des enfants hispanophones ne´s a` terme ou environ 3 mois avant le terme (dans toutes les e´tudes pre´sente´es ci-apre`s, a` l’exception de [17], les enfants pre´mature´s e´taient ne´s entre 26 et 30 semaines de gestation). Les enfants a` terme ont e´te´ teste´s a` 3 et 6 mois d’aˆge civil (AC) et les enfants pre´mature´s a` 6 et 9 mois d’AC. Les enfants pre´mature´s de 6 et 9 mois e´taient donc apparie´s aux enfants ne´s a` terme de 3 et 6 mois sur la base de leur aˆge de maturation (AM). Les donne´es ont montre´ qu’a` 3 mois le cerveau des enfants ne´s a` terme re´agissait diffe´remment au japonais et a` l’espagnol, mais il fallait attendre l’aˆge de 6 mois pour observer des re´ponses ce´re´brales diffe´rentes pour l’italien et l’espagnol. Chez les enfants pre´mature´s,

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une discrimination entre l’italien et l’espagnol au niveau ce´re´bral e´mergeait entre 6 et 9 mois d’AC, sugge´rant donc un de´lai d’acquisition chez les enfants pre´mature´s, cale´ sur l’AM plutoˆt que l’AC. La capacite´ des enfants pre´mature´s a` distinguer leur langue maternelle d’une langue au rythme similaire ou diffe´rent a aussi e´te´ e´tudie´e avec une me´thode comportementale de regard pre´fe´rentiel (le headturn preference procedure [HPP] [16]). Dans cette e´tude, ont e´te´ teste´s des enfants pre´mature´s a` 4 et 6 mois d’AM (donc 7 et 9 mois d’AC). A` 4 mois d’AM, les enfants pre´mature´s et a` terme e´taient capables de faire la distinction entre leur langue maternelle et une langue de rythme diffe´rent. Deux mois plus tard (6 mois d’AM), ils e´taient capables de distinguer une langue avec un rythme similaire, les enfants pre´mature´s ayant alors 9 mois d’AC. Ces donne´es comportementales corroborent donc les donne´es ERP obtenues par Pen ˜ a et al. [15]. Des difficulte´s de traitement prosodique se retrouvent aussi au niveau des mots. Herold et al. [18] ont e´tudie´ la capacite´ d’enfants germanophones a` distinguer diffe´rents types d’accentuation en utilisant l’HPP. Les participants de cette e´tude entendaient des re´pe´titions d’une se´quence bisyllabique accentue´e en premie`re syllabe (type pre´dominant en allemand : /GAba/) ou en dernie`re syllabe (/gaBA/). Les re´sultats ont montre´ que les enfants pre´mature´s de 4 et 6 mois d’AC ne pouvaient pas distinguer les deux types d’accentuation, alors que ceux ne´s a` terme pouvaient le faire a` 4 mois d’AC, sugge´rant un de´lai d’acquisition lie´ a` la pre´maturite´. Ces trois e´tudes ont conclu que l’acquisition de la prosodie de la langue maternelle par les enfants pre´mature´s e´tait affecte´e au cours de la premie`re anne´e de la vie, et qu’elle e´tait indexe´e sur l’AM, plutoˆt que sur l’AC. Alors que certains ont postule´ un roˆle de la maturation neuronale dans le retard observe´ chez les enfants pre´mature´s [15], d’autres ont avance´ l’hypothe`se d’un manque d’exposition intra-ute´rine a` la prosodie [18], celle-ci e´tant l’une des seules composantes de la parole a` eˆtre perc¸ue dans le ventre maternel. En effet, les structures anatomiques de base du syste`me auditif sont de´ja` de´veloppe´es a` 23 semaines d’aˆge gestationnel. En outre, entre la 24e et la 28e semaines de gestation, les fœtus pre´sentent leurs premie`res re´ponses comportementales aux stimuli auditifs [19,20]. Quelques semaines plus tard, ils sont capables de distinguer, sur la base d’indices prosodiques, des notes musicales aigue ¨s et graves, la voix d’une femme de celle d’un homme, et des changements dans l’organisation prosodique des stimuli [21–24]. Par conse´quent, on ne sait pas si le retard dans l’acquisition prosodique des enfants pre´mature´s est duˆ a` une de´te´rioration du traitement prosodique, a` la ne´cessite´ de plus de temps pour apprendre les caracte´ristiques prosodiques en raison des diffe´rences de maturation, ou s’il est lie´ a` des diffe´rences dans la dure´e d’exposition, au meˆme aˆge chronologique, a` la prosodie maternelle (e´tant donne´e la perte de l’expe´rience pre´natale prosodique chez les enfants pre´mature´s).

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Afin de re´pondre a` ces questions, il e´tait important d’e´valuer si ces de´lais d’acquisition prosodique de la parole se retrouvaient dans des sous-domaines du langage ne faisant pas intervenir la composante d’exposition in utero, telle que la phone´tique et la phonotactique [25,26].

3. Acquisition de la phone´tique et de la phonotactique La phone´tique fait re´fe´rence aux sons (les consonnes et les voyelles) d’une langue, la phonotactique aux combinaisons possibles de ces sons dans une langue. Contrairement a` la prosodie, informations phone´tiques et phonotactiques ne sont pas entendues avant la naissance. Une e´tude par ERP re´cente a compare´ la discrimination d’un contraste phone´tique natif (pre´sent dans la langue maternelle) et non natif (absent dans la langue maternelle) entre des enfants pre´mature´s et a` terme de meˆme AM [25]. Les re´sultats ont montre´ une plus faible sensibilite´ a` un contraste non natif qu’a` un contraste natif, signe de l’acquisition des cate´gories de consonnes de la langue maternelle, a` 12 mois d’AC pour les enfants ne´s a` terme mais a` seulement 15 mois d’AC (12 mois d’AM) pour les enfants pre´mature´s. Ces re´sultats sugge`rent que les enfants pre´mature´s n’avaient pas be´ne´ficie´ de leur exposition extra-ute´rine au langage plus pre´coce ; pour ces auteurs, les premie`res e´tapes dans l’acquisition du langage sont de´termine´es par l’AM ou par une diffe´rence de trajectoire d’acquisition, en tout cas au niveau ce´re´bral. Toutefois, cette e´tude montre e´galement qu’aux deux aˆges, enfants ne´s a` terme comme enfants pre´mature´s peuvent distinguer le contraste phone´tique natif, sugge´rant que les difficulte´s pourraient eˆtre plus lie´es au traitement de sons non pertinents dans la langue maternelle que de sons pre´sents dans cette langue. Afin d’e´tudier le roˆle diffe´rentiel de la maturation sur le de´veloppement pre´coce du traitement de l’information prosodique et phone´tique, une seconde e´tude ERP [17] a examine´ les re´ponses ce´re´brales d’enfants ne´s a` terme a` celles de pre´mature´s, aˆge´s de 6 mois versus 10 mois d’AC, pour deux types de contrastes : un changement phone´tique natif et un changement prosodique (accentuation lexicale). Les re´sultats n’ont pas montre´ de diffe´rence de traitement pour le changement de phone`me en fonction du statut a` terme ou pre´mature´ ou de l’AC, mais des diffe´rences significatives de traitement pour le changement d’accentuation lexicale entre enfants a` terme et enfants pre´mature´s (le cerveau de ces derniers ayant une re´action fortement atte´nue´e). Pris ensemble, ces deux e´tudes sur le traitement phone´tique sugge`rent que, si la trajectoire de´veloppementale des enfants pre´mature´s est en partie affecte´e (notamment pour le traitement de contrastes non natifs), l’impact de la pre´maturite´ y serait moindre que pour l’acquisition prosodique, confirmant le roˆle probable de l’exposition intra-ute´rine sur le de´veloppement du traitement de la prosodie.

Pour e´tudier l’effet de la pre´maturite´ sur le de´veloppement phonotactique, une e´tude re´cente a explore´ l’e´mergence du biais labial-coronal (LC) [26]. Ce biais fait re´fe´rence au fait qu’en franc¸ais, il existe plus de mots LC (comme « bateau ») commenc¸ant par une consonne labiale (articule´e avec les le`vres, comme les sons /b/, /p/, /f/. . .) suivie d’une consonne coronale (articule´es dans la re´gion derrie`re les dents, comme les sons /t/, /d/, /n/. . .), que de mots coronal-labial (CL, comme « tube »). E´tant donne´ que les enfants a` terme commencent a` pre´fe´rer e´couter les mots LC par rapport aux mots CL entre 6 et 10 mois [27,28], les enfants pre´mature´s ont e´te´ teste´s a` 10 mois d’AC et compare´s a` des enfants a` terme de meˆme AC ou AM (7 mois AC). Un questionnaire d’e´valuation du niveau du babillage des enfants (d’apre`s [29]) a e´te´ e´galement collecte´. Les re´sultats ont montre´ qu’a` 10 mois d’AC, les enfants pre´mature´s et les enfants ne´s a` terme avaient acquis le biais LC, sugge´rant une absence de de´lai dans l’acquisition phonotactique chez les enfants pre´mature´s. Cependant, les re´sultats du questionnaire de babillage sugge`rent que la production des enfants pre´mature´s de 10 mois est au meˆme niveau, voire meˆme infe´rieur a` celui des enfants a` terme de 7 mois AC. Ces e´tudes sur l’acquisition phone´tique et phonotactique montrent qu’il n’existe pas un de´calage ge´ne´ral dans le de´veloppement du langage chez les enfants pre´mature´s et sugge`rent plutoˆt qu’il pourrait exister diffe´rentes contraintes selon le sous-domaine linguistique e´tudie´, l’acquisition prosodique semblant plus affecte´e que l’acquisition phone´tique et phonotactique. Ces re´sultats soulignent donc l’importance d’explorer d’autres capacite´s linguistiques, y compris des niveaux plus inte´gre´s, tels que le traitement lexical ou syntaxique.

4. Segmentation de la parole continue en mots La parole est constitue´e d’une succession de sons qui, mis bout a` bout, forment des mots et des phrases ve´hiculant un sens. Pour comprendre ces phrases, il est indispensable d’extraire les mots de ce flux continu, une capacite´ appele´e segmentation de la parole continue en mots. De fac¸on cruciale, les mots e´tant rarement produits hors contexte phrastique, l’acquisition de mots par les enfants ne´cessite qu’ils de´tectent leurs frontie`res dans le flux continu de parole. Plusieurs indices permettent de de´tecter le de´but et la fin des mots, dont certains (comme les unite´s rythmiques [30– 32]) rele`vent de la prosodie (pouvant donc commencer a` eˆtre traite´s in utero) et d’autres non (probabilite´s de transition [33] ou indices phonotactiques [34,35]). De ce fait, l’e´mergence de la segmentation de la parole chez les enfants pre´mature´s pourrait eˆtre retarde´e (du fait de l’implication de la prosodie) ou pas (du fait de la possibilite´ d’utiliser d’autres indices non prosodiques).

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Les capacite´s de segmentation de jeunes enfants pre´mature´s ont d’abord e´te´ e´tudie´es chez des monolingues espagnols ou catalans, ou bilingues espagnols/catalans, de 8 mois d’AM (11 mois d’AC) [16]. Utilisant HPP, ces enfants ont e´te´ familiarise´s avec des histoires contenant deux mots monosyllabiques cibles puis teste´s avec des listes de mots re´pe´te´s. Ces mots e´taient contenus (mots cibles) ou pas (mots controˆles) dans les histoires de familiarisation. Les enfants pre´mature´s ont e´coute´ autant les mots controˆles que les mots cibles, un re´sultat e´chouant a` montrer que ces enfants e´taient capables de segmenter la parole continue, alors que les enfants a` terme y arrivaient ge´ne´ralement vers 8 mois. Cette premie`re e´tude va dans le sens d’un retard d’e´mergence de la capacite´ de segmentation chez les enfants pre´mature´s. Toutefois, une e´tude en cours chez des enfants pre´mature´s francophones sugge`re des re´sultats tre`s diffe´rents [36]. Ces enfants sont teste´s a` 6 mois d’AC sur la capacite´ a` segmenter des mots monosyllabiques, 6 mois e´tant l’aˆge auquel cette capacite´ est trouve´e chez les enfants francophones ne´s a` terme [32]. A` cette fin, ils sont familiarise´s avec des histoires puis teste´s sur des mots cibles versus controˆles. Les re´sultats pre´liminaires sur 15 enfants montrent qu’ils e´coutent plus longuement les mots cibles que les mots controˆles, sugge´rant qu’ils reconnaissent les mots monosyllabiques pre´sente´s en contexte phrastique lors de la phase de familiarisation, et donc qu’ils ont e´te´ capables de les segmenter. Ce type de pre´fe´rence a e´te´ observe´ chez 14 des 15 enfants teste´s. Si ces donne´es se confirmaient, elles sugge`reraient, contrairement a` Bosch [16], une absence de de´lai dans l’acquisition de la capacite´ de segmentation. Comment expliquer les diffe´rences de re´sultats entre les deux e´tudes ? Outre des divergences me´thodologiques, il est possible qu’elles soient dues au fait que les diffe´rences de langues apprises par les enfants donnent lieu a` des trajectoires de´veloppementales diffe´rentes (qui devraient alors aussi se retrouver chez les enfants ne´s a` terme). Une autre possibilite´ est une interaction entre pre´maturite´ et langue maternelle, qui ne´cessiterait de comparer les effets de la pre´maturite´ sur l’acquisition d’un meˆme niveau langagier dans diffe´rentes langues. Il est e´galement envisageable que des diffe´rences de prise en charge des enfants pre´mature´s selon les pays induisent des diffe´rences de trajectoires de´veloppementales. Toutes ces hypothe`ses devront eˆtre explore´es.

5. Assembler les pie`ces du puzzle Tous ces re´sultats sugge`rent que l’effet de la pre´maturite´ sur le de´veloppement pre´coce du langage est plus complexe qu’un simple retard ge´ne´ralise´. Notre tour d’horizon de la litte´rature sur ce sujet, qui reste encore assez limite´e, fait apparaıˆtre que diffe´rents sous-domaines montrent diffe´rents mode`les d’acquisition. Tandis que le traitement prosodique et la production semblent affecte´s de fac¸on marque´e, les donne´es sur le traitement phone´tique et phonotactique

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sugge`rent un moindre impact de la pre´maturite´, alors que les deux seules e´tudes sur la segmentation de la parole montrent des re´sultats contradictoires. Si plus de donne´es sont clairement requises, comment pouvons-nous a` ce jour interpre´ter ces re´sultats ? E´tant donne´ que le traitement prosodique de´bute in utero mais que le de´veloppement phone´tique/phonotactique ne peut commencer qu’a` partir de la naissance, le retard de prosodie pourrait s’expliquer par diffe´rentes hypothe`ses. Une premie`re possibilite´, compatible avec les interpre´tations et les conclusions propose´es par les e´tudes sur le de´veloppement prosodique des enfants pre´mature´s [15,16,18] et par des donne´es montrant que les informations prosodique ou phone´tique et phonotactique sont traite´es par diffe´rents re´seaux neuronaux de´ja` dans la petite enfance [37], serait l’existence de trajectoires d’acquisition diffe´rentes pour la prosodie ou la phone´tique et la phonotactique. Dans cette perspective, l’immaturite´ neuronale affecterait diffe´rents niveaux de langage de diffe´rentes fac¸ons en fonction des proprie´te´s des re´seaux neuronaux implique´s dans l’acquisition de chaque niveau. Une deuxie`me explication serait que les diffe´rences observe´es entre diffe´rents sous-domaines sont dues au fait qu’a` la naissance les enfants pre´mature´s ont un acce`s direct et simultane´ a` l’information prosodique, phone´tique et phonotactique, due a` la perte d’exposition intra-ute´rine a` la prosodie. Cette synchronie, plutoˆt que l’exposition graduelle a` la prosodie puis a` la phone´tique et a` la phonotactique du de´veloppement normal, pourrait entraıˆner chez les enfants pre´mature´s une re´partition diffe´rente des ressources cognitives pour le traitement de ces diffe´rents sous-domaines, qui pourrait entraıˆner un retard spe´cifique pour la prosodie, ou une re´organisation plus ge´ne´rale de l’acquisition langagie`re. En effet, certaines the´ories stipulent que le cerveau typique a un rythme particulier de de´veloppement et que, lorsque certaines sous-composantes ne se de´veloppent pas dans la pe´riode typique ou a` la vitesse typique, il y a des effets en cascade (voir par exemple [38]). Ainsi, la trajectoire de de´veloppement des enfants pre´mature´s pourrait eˆtre affecte´e de fac¸on complexe, depuis les bas niveaux perceptifs (e´tudie´s dans les e´tudes rapporte´es ici) jusqu’a` des niveaux de traitement plus e´leve´s (le lexique, la syntaxe), et ce depuis la premie`re anne´e jusqu’a` la pe´riode scolaire. Une troisie`me possibilite´ est que les diffe´rences de de´veloppement de diffe´rents sous-domaines seraient dues a` des diffe´rences sur l’impact de la quantite´ d’exposition a` l’input linguistique suivant la dimension linguistique conside´re´e. Pour la prosodie, au meˆme AC les enfants ne´s a` terme ont eu environ 9 a` 12 semaines d’exposition de plus que les enfants pre´mature´s, ce qui pre´dit un retard d’acquisition chez les enfants pre´mature´s. Cependant, comme l’information phone´tique et phonotactique n’est perc¸ue qu’apre`s la naissance, les enfants pre´mature´s et les enfants a` terme ont la meˆme expe´rience extra-ute´rine, pre´disant une absence de retard. Ces pre´dictions sont confirme´es par les donne´es obtenues sur le

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traitement prosodique et phonotactique, mais seulement partiellement par les donne´es en phone´tique (montrant un retard sur la perception de contrastes non natifs non pre´dit par la pre´sente hypothe`se). S’il est encore trop toˆt pour choisir parmi ces hypothe`ses (qui ne sont pas force´ment incompatibles entre elles), il reste que certaines des proce´dures utilise´es par les enfants pre´mature´s pour acque´rir le langage diffe`rent de ce qui est utilise´ dans le de´veloppement typique ou se de´veloppent a` un rythme diffe´rent. On notera aussi que l’acquisition du langage de´pend e´galement du traitement d’autres modalite´s perceptives, notamment de certains aspects du traitement visuel, comme la capacite´ a` fixer les le`vres ou les yeux de la personne qui parle, et l’attention jointe (entre un enfant, l’adulte qui lui parle et l’objet qui est par exemple de´signe´ par l’adulte). Ainsi, les similitudes et les diffe´rences observe´es dans le de´veloppement du traitement visuel entre enfants ne´s a` terme et enfants pre´mature´s [39,40] devraient aussi contribuer a` moduler les trajectoires d’acquisition langagie`re dans ces deux populations.

6. Conclusions Pris ensemble, ces re´sultats sugge`rent que l’immaturite´ neuronale n’affecte pas de la meˆme manie`re l’acquisition de tous les sous-domaines linguistiques chez les enfants pre´mature´s en bonne sante´, soulignant la possibilite´ que diffe´rentes contraintes s’appliquent a` l’acquisition de diffe´rents sousdomaines linguistiques. Mais surtout, ils montrent l’importance de mener plus d’e´tudes sur l’acquisition pre´coce du langage afin de pre´ciser, a` diffe´rents temps du de´veloppement, le degre´ d’affectation par la pre´maturite´ de chaque sous-domaine langagier, de comprendre les causes de ces diffe´rences, et de pouvoir a` terme mettre en place des proce´dures spe´cifiques d’accompagnement ou de reme´diation des enfants pre´mature´s.

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De´claration d’inte´reˆts

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Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

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Remerciements Ce travail a e´te´ possible graˆce au financement de l’ANR-13-BSH2-0004 a` Thierry Nazzi et Olivier Baud, et au LABEX EFL (ANR-10-LABX-0083) a`

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Thierry Nazzi.

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Re´fe´rences [22] [1]

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