Agents hémostatiques et transfusion sanguine

Agents hémostatiques et transfusion sanguine

Le Praticien en anesthésie réanimation (2018) 22, 298—304 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com RUBRIQUE PRATIQUE Agents hém...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2018) 22, 298—304

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

RUBRIQUE PRATIQUE

Agents hémostatiques et transfusion sanguine Haemostatic agents and blood loss replacement Pauline Deras ∗, Xavier Capdevila Département d’anesthésie-réanimation Lapeyronie, centre régional d’accueil des traumatisés sévères et réanimation polyvalente, CHU Montpellier, 371, avenue Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex, France ut 2018 Rec ¸u le 11 avril 2018 ; accepté le 23 aoˆ Disponible sur Internet le 21 septembre 2018

MOTS CLÉS Hémorragie massive ; Transfusion ; Traumatologie ; Post-partum ; Périopératoire



Résumé L’utilisation des agents hémostatiques comme adjuvants de la transfusion sanguine au cours des hémorragies massives a fait l’objet d’un regain d’intérêt. L’administration ciblée de concentrés de fibrinogène est recommandée lorsqu’il existe un déficit fonctionnel ou quantitatif < 1,5 g/L au cours d’une hémorragie grave. De larges études sont encore nécessaires pour valider son efficacité et son profil de sécurité. L’administration de concentrés de complexes prothrombiques à la dose 25 UI/kg est recommandée pour pallier le déficit quantitatif ou fonctionnel en facteurs vitamine K dépendant au cours des hémorragies importantes ou des interventions urgentes sous AVK, ou pour se substituer au facteur Xa au cours des hémorragies ou des interventions urgentes sous xabans (rivaroxaban et apixaban). L’utilisation du facteur XIII comme agent hémostatique n’est pas validée. L’efficacité de l’acide tranexamique est largement démontrée en traumatologie, en obstétrique, en chirurgie hémorragique urgente ou programmée avec une réduction significative des pertes sanguines, de la transfusion et même de la mortalité. Aucun risque accru d’événements thromboemboliques n’a été prouvé. Le rapport bénéfice/risque/coût est largement en faveur d’une utilisation systématique, large et précoce de l’acide tranexamique lors d’hémorragies ou de chirurgies à risque hémorragique. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Deras).

https://doi.org/10.1016/j.pratan.2018.08.003 1279-7960/© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Agents hémostatiques et transfusion sanguine

KEYWORDS Blood transfusion; Trauma; Postpartum haemorrhage; Peri-operative haemorrhage; Massive haemorrhage

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Summary A focus has been recently made on the use of haemostatic agents, in addition to blood transfusion, during massive haemorrhage. During severe haemorrhage, the administration of fibrinogen concentrates targeted on functional or quantitative deficit (< 1.5 g/L), is recommended. However, extensive studies are required to validate effectiveness and safety profile. Prothrombin Complexes Concentrates (25 IU/kg) are recommended when there is a deficit in vitamin K factors during haemorrhage, in patients under VKA scheduled for surgery in emergency, or for factor Xa substitution during haemorrhage or urgent surgical procedure in patients under xabans (rivaroxaban and apixaban). Factor XIII has also been introduced as a haemostatic agent but is not validated to date. The efficacy of tranexamic acid is clearly demonstrated in trauma, obstetrics, urgent or programmed haemorrhagic surgery, with a significant reduction in blood loss, transfusion and even mortality. No increased risk of thromboembolic events has been demonstrated. Consequently, the benefit/risk/cost ratio favours a systematic, and early use of tranexamic acid during obstetrical and haemorrhagic surgery. © 2018 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Points pratiques • Il est recommandé d’administrer 40 mg/kg de concentrés de fibrinogène au cours d’une hémorragie grave si la concentration de fibrinogène ≤ 1,5 g/L ou en cas d’anomalies aux tests viscoélastiques. • Les concentrés de complexe prothrombinique (CCP) sont administrés sans preuve formelle au cours des chocs hémorragiques d’origine traumatique. Certaines équipes européennes les utilisent en complément des concentrés de fibrinogène pour éviter l’administration de plasmas frais congelés (PFC). D’autres équipes les utilisent en dose unique pour palier à l’attente inhérente à la décongélation des PFC lors du déclenchement d’une transfusion massive : un PHRC national multicentrique prospectif randomisé est en cours pour valider cette stratégie. • L’administration de CCP au bloc opératoire doit pour l’instant être réservée à la réversion des traitements anticoagulants oraux (antivitamines K et xabans) au cours d’une hémorragie ou d’une chirurgie urgente. • L’administration précoce d’acide tranexamique diminue les pertes sanguines per- et postopératoires et réduit la mortalité en traumatologie lourde et en obstétrique sans majoration du risque thrombotique.

Introduction La compensation d’une hémorragie massive associe la transfusion de concentrés globulaires (CGR), de plasmas frais congelés (PFC) et des concentrés plaquettaires. La littérature en traumatologie lourde est en faveur d’un apport précoce de plasma et de plaquettes avec des ratios élevés plasma/plaquettes/concentrés érythrocytaires proches de 1/1/1. Pour des raisons physiopathologiques, il semble

cependant difficile de transposer ces résultats à la prise en charge d’une hémorragie au bloc opératoire. L’apport de concentrés de facteurs de coagulation et l’administration d’agents hémostatiques suscitent un intérêt croissant. L’utilisation de chaque élément (concentrés de fibrinogène, concentrés de complexe prothrombinique [CCP], facteur XIII, acide tranexamique) doit être pesée en fonction des bénéfices et des risques, et doit être considérée en fonction de son mode d’action et du type d’hémorragie considérée.

Concentrés de fibrinogène Rationnel Le fibrinogène joue un rôle clé dans la constitution d’un caillot de fibrine ferme et stable. Au cours d’une hémorragie, le fibrinogène est le premier élément à passer sous une valeur seuil critique (concentration limite de 1 g/L dès la perte de 142 % de la masse sanguine vs > 200 % pour plaquettes < 50 G/L et les autres facteurs de coagulation V et VII notamment). La survenue d’un déficit précoce en fibrinogène est un facteur de risque indépendant de mortalité en traumatologie et un marqueur de sévérité lors d’une hémorragie du post-partum ou périopératoire. De plus, l’augmentation du taux de fibrinogène in vitro accroît de manière dose-dépendante la fermeté du caillot de fibrine, même en cas de thrombopénie sévère < 10 G/L. Ces arguments plaident en faveur d’une administration précoce de concentrés de fibrinogène lors de ces processus hémorragiques.

Quelles sont les indications ? En traumatologie lourde Certaines équipes, essentiellement germaniques, ont développé des stratégies transfusionnelles restrictives sur

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P. Deras, X. Capdevila

les PFC, remplacées par l’administration de concentrés de facteurs de coagulation guidée par thromboélastométrie. Cette pratique associe donc le diagnostic précoce de déficits de facteurs de coagulation et l’administration ciblée des facteurs déficitaires, les concentrés de fibrinogène étant les plus utilisés. Les premiers travaux étaient prometteurs : parmi 131 patients traumatisés sévères transfusés de ≥ 5 CGR en 24 h, analysés rétrospectivement, 128 ont rec ¸u des concentrés de fibrinogène et 98 des CCP après interprétation des tests viscoélastiques réalisés pendant leur prise en charge. Seuls 12 patients ont nécessité une transfusion de PFC et 29 ont rec ¸u des concentrés plaquettaires. Cette même équipe a publié récemment l’analyse intermédiaire

Tableau 1

Études prospectives en cours sur les effets de l’administration de fibrinogène au cours d’une hémorragie.

Études en cours Traumatologie

FEISTY NCT02745041

FiiRST NCT02203968

PRooF-iTH NCT02344069

FGTW NCT01475344

Obstétrique

PERFECT PPH NCT02528708 FIDEL NCT02155725

Chirurgie

d’une étude prospective randomisée monocentrique en ouvert comparant ces stratégies d’administration de PFC versus facteurs de coagulation chez des traumatisés sévères [1] : les auteurs suggèrent que l’administration de facteurs de coagulation, dont le fibrinogène, pourrait permettre de réduire le risque de transfusion massive. Néanmoins aucune différence de mortalité n’a été montré entre les deux stratégies étudiées, et les résultats ne permettent pas non plus de conclure sur l’efficacité des concentrés de facteurs pour réduire l’apparition des défaillances multiviscérales en raison de limites méthodologiques (analyse post-hoc ou per-protocole, faible gravité de la population étudiée, dose de PFC insuffisante, effectif insuffisant pour conclure sur

FIBRES NCT03037424 Chirurgie cardiaque FIBRORAAS NCT03183479 Chirurgie de scoliose

Caractéristiques

Objectifs

Début

Randomisée, double insu Comparaison entre concentré Fg vs cryoprécipité Fg guidé sur le ROTEM Multicentrique Randomisée, double insu Contrôlée avec placebo Monocentrique

Faisabilité Efficacité par analyse ROTEM Besoins transfusionnels Mortalité

n = 100 Décembre 2016

Faisabilité et morbi-mortalité Efficacité par analyse ROTEM Analyse des besoins transfusionnels Evénements thromboemboliques Efficacité par analyse TEG Evénements thrombo-emboliques Mortalité

n = 50 Octobre 2014

Faisabilité et morbi-mortalité Analyse ROTEM pour efficacité Analyse des besoins transfusionnels Evénements thrombo-emboliques Analyse du FIBTEM pour efficacité

n = 67 Septembre 2011

Randomisée, double insu Contrôlée avec placebo Monocentrique Fg 60—70 mg/kg en préventif Randomisée, double insu Contrôlée avec placebo Multicentrique Administration préhospitalière

Randomisée, double insu Contrôlée avec placebo Monocentrique Randomisée Double insu Contrôlée avec placebo Multicentrique Randomisée, double insu Contrôlée avec placebo Multicentrique Phase 3 non infériorité Randomisée Double insu Contrôlée avec placebo Monocentrique

n = 40 Février 2015

n = 40 Septembre 2016

Analyse des besoins transfusionnels Morbi-mortalité Evénements thrombo-emboliques Besoins transfusionnels Evénements thrombo-emboliques

n = 412 Avril 2014

Pertes sanguines Besoins transfusionnels

n = 104 Mai 2017

n = 1200 Février 2017

Agents hémostatiques et transfusion sanguine la mortalité. . .). D’autres pratiques émergent, notamment en France, qui associent les facteurs de coagulation en complément de la transfusion de PFC lors de la prise en charge des traumatisés en choc hémorragique. Quatre études randomisées en double insu sont en cours et devraient permettre de valider ces pratiques (Tableau 1).

En obstétrique La concentration en fibrinogène à l’accouchement n’est pas corrélée avec le risque de survenue d’une hémorragie du post-partum, ce qui va à l’encontre d’une administration prophylactique de concentrés de fibrinogène lors d’un accouchement. L’apport préemptif et précoce de fibrinogène a été également proposé lors d’une hémorragie du post-partum sans démontrer d’efficacité sur les pertes sanguines ou sur les besoins transfusionnels. Ces résultats négatifs peuvent être expliqués par des taux normaux de fibrinogène (> 2 g/L) chez les parturientes au moment de leur randomisation. Des études complémentaires de haut niveau de preuve sont en cours pour démontrer l’efficacité des concentrés de fibrinogène en cas de déficit au cours d’une hémorragie du post-partum.

Au bloc opératoire Des centres scandinaves et germanophones utilisent les concentrés de fibrinogène comme traitement hémostatique, et non pour corriger un déficit. Les études en chirurgie cardiaque montrent des résultats contradictoires et le bénéfice de l’administration préemptive de fibrinogène semble être étroitement lié à la sévérité de l’hémorragie et aux pratiques transfusionnelles associées. De même, aucun bénéfice sur les pertes sanguines ou les besoins transfusionnels n’a été démontré lors de l’administration prophylactique de fibrinogène dans les résections transurétrales de prostate, les cystectomies radicales ou les prothèses totales de hanche. Au total, ces expériences ne sont pas convaincantes dans l’utilisation de concentrés de fibrinogène de manière préventive en chirurgie programmée.

Quels sont les risques ? Des interrogations persistent concernant le risque thromboembolique après administration de concentrés de fibrinogène. À ce jour, aucune étude n’a assez de puissance pour estimer avec fiabilité les effets secondaires et le risque thrombotique de ces concentrés. Il faut d’ailleurs garder à l’esprit qu’un taux de fibrinogène > 4 g/L est un facteur de risque indépendant de thromboses veineuses ou artérielles. Chez la souris, l’hyperfibrinogénémie augmente en effet la formation et stabilité du caillot, tout comme sa résistance à la fibrinolyse physiologique. D’ailleurs, un état d’hypercoagubilité a été constaté dans les 6 jours suivant l’administration de concentrés de fibrinogène chez des patients traumatisés, sans pour autant avoir pu mettre en évidence un risque accru d’événement thrombotique.

À quelle dose administrer le fibrinogène ? Il semble raisonnable de monitorer les concentrations de fibrinogène au cours d’une hémorragie afin de dépister

301 et d’anticiper la survenue d’une hypofibrinogénémie qui nécessiterait une substitution. À ce jour, la dose optimale de fibrinogène n’est pas connue. Les recommandations sur la réanimation du choc hémorragique proposent l’administration de concentrés de fibrinogène en cas de déficit ≤ 1,5 g/L ou de déficit fonctionnel de fibrinogène sur les tests thromboélastométriques, et suggèrent une dose initiale de 40 mg/kg soit 3 g pour un adulte de 70 kg [2].

Concentrés de complexe prothrombinique Rationnel Les CCP associent 4 facteurs vitamine-K dépendants : les facteurs II, VII, IX et X. Des quantités variables de protéine C, S, et Z, et d’antithrombine y sont associées dans les préparations disponibles en France. La principale indication des CCP est l’antagonisation en urgence des anticoagulants oraux (antivitamine K et xabans) [3,4]. Plusieurs arguments plaident pour une utilisation élargie des CCP dans les hémorragies massives. Les CCP apportent des facteurs de coagulation sous forme de concentrés, faciles à reconstituer sans nécessité de décongélation. Leur disponibilité immédiate, y compris dans des centres éloignés des sites de transfusion ou en préhospitalier, est un atout incontestable. Plusieurs études expérimentales sur des modèles de coagulopathie par dilution, chez le porc et le lapin, menées par des laboratoires commercialisant des CCP, ont montré une diminution des pertes sanguines et une hémostase plus rapide après une lésion osseuse ou viscérale lors de l’administration de CCP. Toutefois, ces résultats positifs n’ont pas été confirmés dans une étude réalisée par une équipe indépendante.

Quelles sont les indications ? Au cours des hémorragies massives Les données sont encore peu nombreuses. En traumatologie, plusieurs stratégies d’administration de CCP s’opposent. Celle portée par les équipes germaniques, déjà mentionnée plus haut, prône une administration de CCP en seconde intention après des concentrés de fibrinogène, guidée par des tests viscoélastiques. Les besoins transfusionnels et la survenue de défaillance multiviscérale semblent être diminués mais les nombreux biais méthodologiques déjà évoqués ne permettent pas de tirer de conclusion quant à l’impact des CCP dans cette indication. D’autres équipes européennes et franc ¸aises notamment, proposent plutôt d’utiliser les CCP en dose unique dès le déclenchement d’un protocole de transfusion massive pour éviter le délai lié à la décongélation des PFC. Ce mode d’administration permet un apport précoce de facteurs de coagulation et la normalisation plus rapide des tests de coagulation chez les traumatisés en choc hémorragique [5]. Une étude franc ¸aise randomisée et multicentrique est en cours pour valider cette pratique (PROCOAG NCT03218722). En raison du faible niveau de preuve, les recommandations actuelles en traumatologie privilégient la transfusion précoce de PFC universel de groupe AB, et non l’administration de CCP.

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Au bloc opératoire Au bloc opératoire, aucune étude n’a montré à ce jour de bénéfice à l’administration de CCP quel que soit le type de chirurgie : ni sur les pertes sanguines, ni sur les besoins transfusionnels, ni sur la mortalité. Ces données s’opposent à la généralisation de l’utilisation des CCP dans les hémorragies massives : les CCP n’apportent qu’une partie des facteurs de coagulation car ils ne contiennent ni fibrinogène, ni facteur V, ni facteur XIII. Leur faible volume après reconstitution peut être un avantage indéniable dans la réversion des anticoagulants mais devient un inconvénient dans la prise en charge de ces hémorragies massives. Considérant l’hémodynamique des patients et le risque de coagulopathie de dilution par remplissage avec des cristalloïdes, la transfusion de PFC qui apporte du volume et tous les autres facteurs de coagulation (y compris de faible quantité de fibrinogène) parait plus pertinente.

Quels sont les risques ? Les complications thromboemboliques associées à l’administration de CCP lors de la réversion des anticoagulants sont bien connues. Les effets prothrombogènes potentiels des CCP ont été discutés dans plusieurs études portant sur des saignements majeurs en traumatologie et au bloc opératoire, sans que l’augmentation de ce risque n’ait été démontrée en raison d’un manque de puissance et de l’absence d’études ayant ce sujet comme objectif principal. La notion de risque thrombotique pose donc question : des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer l’efficacité et la sécurité des stratégies d’hémostase incluant les CCP afin de définir une place raisonnée dans la gestion des coagulopathies.

À quelle dose administrer les CCP ? Aucune société savante ne recommande à ce jour l’utilisation de CCP dans la prise en charge d’une hémorragie massive traumatique ou périopératoire, en dehors du cas spécifique d’une hémorragie sous anticoagulants. L’utilisation de CCP à la dose 25 UI/kg en association à 5 à 10 mg vitamine K a été codifiée par l’HAS en 2008 pour la réversion des antivitamines K en cas de chirurgie urgente ou d’hémorragie grave [3]. En attendant la mise sur le marché d’agents de réversion efficaces, une substitution par des CCP est recommandée chez les patients traités au long cours par des anti-Xa spécifiques (rivaroxaban ou apixaban) : les CCP seront administrés à la dose 25 à 50 UI/kg en cas d’hémorragie grave ou de chirurgie urgente à risque hémorragique élevé selon les recommandations du GIHP [4].

Facteur XIII Le facteur XIII (FXIII) est activé par la thrombine et participe à la stabilisation du caillot de fibrine par polymérisation. Chez les patients ayant un déficit constitutionnel, on considère qu’un taux FXIII < 5 % correspond à un risque hémorragique majeur. La substitution en FXIII est préconisée pour des taux < 15 % afin de prévenir les saignements majeurs spontanés.

P. Deras, X. Capdevila Depuis les années 2000, certaines équipes s’intéressent aux conséquences d’un déficit acquis en FXIII en neurochirurgie et en chirurgie cardiaque. En 2002, une étude rétrospective portant sur 910 procédures neurochirurgicales a suggéré qu’un taux de FXIII < 80 % constituait un facteur de risque indépendant de survenue d’un hématome intracrânien postopératoire. L’administration de FXIII a donc été évoquée au bloc opératoire pour prévenir et traiter les hémorragies périopératoires : une étude pilote, publiée en 2009, a inclus 22 patients en préopératoire de chirurgie gastro-intestinale majeure considérés comme à haut risque hémorragique [6]. Après randomisation, les patients ont rec ¸u 30 UI/kg de FXIII ou un placebo : les auteurs ont constaté une diminution des besoins en concentrés de fibrinogène, une diminution de 30 % des pertes sanguines et une meilleure préservation de la fermeté du caillot chez les patients ayant rec ¸u le FXIII. Cependant, ces travaux préliminaires ne permettent pas de valider l’utilisation de FXIII au cours des hémorragies massives.

Acide tranexamique Rationnel L’acide tranexamique (ATX) est une molécule de synthèse qui se lie de fac ¸on réversible aux sites de liaison lysine du plasminogène et de la chaîne lourde de la plasmine, inhibant ainsi la fibrinolyse. L’ATX possède aussi un effet protecteur plaquettaire indirect en diminuant la génération des D-dimères et en bloquant en partie l’activation plaquettaire par la plasmine. Enfin, cette molécule exerce des propriétés anti-inflammatoires par blocage des sites du plasminogène et donc par blocage de l’initiation d’un certain nombre de récepteurs cellulaires de l’inflammation (monocytes, macrophages, neutrophiles, cellules endothéliales, plaquettes).

Quand et pour quels patients ? L’efficacité de l’ATX sur la mortalité, les pertes sanguines et les besoins transfusionnels a largement été démontrée par de grands essais multicentriques randomisés en traumatologie et en obstétrique [7,8]. Au bloc opératoire, les données en faveur de l’ATX sont de plus en plus nombreuses et pour tous types de chirurgie (cardiaque, orthopédique, hépatique, urologique, vasculaire, neurochirurcale et maxillofaciale) [9] (Tableau 2). L’efficacité semble être d’autant plus marquée que l’administration est précoce. Administré dans les 3 premières heures d’une hémorragie post-traumatique ou du post-partum, l’ATX réduit la mortalité, ce qui n’est plus le cas au-delà des 3 heures. En périopératoire, l’épargne transfusionnelle est maximale lorsque le bolus initial d’ATX est administré avant l’incision chirurgicale. Tous ces travaux soulignent l’intérêt d’initier précocement le traitement par ATX.

Quels sont les risques ? D’après le Vidal, une vigilance est nécessaire avant administration de l’ATX chez les patients à risque thromboembolique. Pourtant aucune étude n’a montré un risque

Bénéfices et risques de l’utilisation de l’acide tranexamique. Bénéfices Mortalité

Étude CRASH2 Réduction 0,91 (0,85—0,97) Lancet 2010 Traumatologie p < 0,01 n = 20 201 Étude WOMAN Réduction Lancet 2017 0,60 (0,41—0,88) Hémorragie du p = 0,085 postpartum n = 20 060 NC Méta-analyse Ker et al., BJS 2013 Chirurgie cardiaque (n = 4114) Chirurgie orthopédique (n = 1881) Chirurgie tête et cou (n = 325) Gynécologieobstétrique (n = 1330) Chirurgie vasculaire (n = 19) NC Analyse rétrospective Poeran et al., BMJ 2014 Chirurgie prothétique orthopédique n = 872 416

Risques Pertes sanguines

Besoins transfusionnels

NC

Réduction 0,81 (0,65—1,00) p = 0,045

Syndrome coronarien aigu

Accident vasculaire cérébral

Thrombose veineuse profonde

Embolie pulmonaire

Pas de différence Pas de différence Réduction 0,98 (0,96—1,01) 0,64 (0,42—0,97) 0,86 (0,61—1,23) NS p = 0,04 NS

Pas de différence 0,98 (0,63—1,51) NS

Pas de différence 1,01 (0,73—1,41) NS

NC

Pas de différence Pas de différence 0,66 (0,11—3,97) 1,33 (0,46—3,82) NS NS

Pas de différence 0,43 (0,11—1,65) NS

Pas de différence 0,90 (0,38—2,13) NS

Réduction p < 0,05 0,64 (0,63—0,65) 0,64 (0,62—0,67) 0,75 (0,68—0,82) 0,72 (0,59—0,87) 0,58 (0,34—0,99)

NC

NC

NC

NC

NC

NC

Réduction 7,7 % vs 20,1 % p < 0,001

Réduction 0,1 % vs 0,2 % p < 0,001

Pas de différence 0,1 % vs 0,1 % NS

Pas de différence 0,4 % vs 0,5 % NS

Réduction 0,2 % vs 0,4 % p < 0,004

Agents hémostatiques et transfusion sanguine

Tableau 2

NS : non significatif ; NC : non coté. Étude CRASH2 [7], étude WOMAN [8] méta-analyse de Ker [9] : résultats exprimés en odds ratio et intervalle de confiance (IC) de 95 %. Analyse rétrospective (Poeran et al., BMJ 2014 ;349 :g4829) : comparaison des pourcentage de transfusion ou de complications dans le groupe des patients ATX versus patients sans ATX.

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304

P. Deras, X. Capdevila

accru de thromboses artérielles ou veineuses, que ce soit en traumatologie, en obstétrique ou en périopératoire. La puissance des essais prospectifs randomisés réalisés en obstétrique et en traumatologie est indiscutable (n = 20 000) et permet de confirmer que l’ATX n’est pas prothrombogène sur ces populations pourtant réputées à risque (Tableau 2). En périopératoire, on observe même une diminution de l’incidence des embolies pulmonaires, pouvant être expliquée par les propriétés anti-inflammatoires de l’ATX. Enfin, même en étudiant une population de plus de 400 patients en périopératoire, ayant des comorbidités sévères (ASA 3 ou 4) et au moins un facteur de risque thromboembolique avéré (antécédents de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire, de syndrome coronarien aigu, d’accident vasculaire cérébral, de stent ou de pontage coronaire, de thrombophilie), aucune augmentation du risque thromboembolique n’a été prouvée [10]. De très rares effets indésirables ont été décrits, essentiellement en cas d’administration trop rapide (nausées, vomissements, diarrhées) ou de surdosage (hypotension artérielle, convulsion).

À quelle dose ?

En cas d’hémorragie grave, l’ATX est administré le plus précocement possible selon le schéma suivant : 1 g en 10 minutes, puis 1 g en 8 h [7,8]. En périopératoire, on observe une grande disparité des doses et des schémas d’administration en fonction des études et du type de chirurgie. Il est en général admis d’administrer une dose minimale de 15 mg/kg par bolus en 10 minutes avant l’incision chirurgicale. Si la durée de l’intervention est > 3 h, un nouveau bolus ou une perfusion continue de 2 mg/kg/h sont proposés. Au cours de la chirurgie du rachis, l’efficacité de l’ATX nécessiterait une augmentation importante de la dose du bolus initial (100 mg/kg). De plus, en chirurgie prothétique orthopédique, la prolongation de l’ATX avec un bolus supplémentaire à H5 postopératoire pourrait s’avérer nécessaire pour limiter le pic de fibrinolyse et donc diminuer les saignements postopératoires.

Conclusion Les rapports bénéfice/risque/coût sont largement en faveur d’une utilisation précoce et systématique de l’ATX lors d’hémorragies graves ou d’interventions chirurgicales à risque hémorragique. En revanche, aucune étude n’a prouvé le bénéfice lié à l’administration de CCP en dehors des cas de déficits fonctionnels ou quantitatifs < 1,5 g/L au cours des hémorragies massives. L’administration prophylactique de fibrinogène semble à proscrire devant l’absence d’efficacité prouvée et le risque thrombotique potentiel.

À l’heure actuelle, les CCP sont uniquement recommandés pour la substitution de facteurs vitamine-K au cours des hémorragies ou des interventions urgentes sous AVK, ou pour la substitution de facteur Xa au cours des hémorragies ou des interventions urgentes sous xabans (rivaroxaban et apixaban).

Déclaration de liens d’intérêts Pauline Deras réalise des enseignements post-universitaires pour les laboratoires LFB et a rec ¸u une bourse de recherche clinique par CSL-Behring. Xavier Capdevila déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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