Agression au travail et protection fonctionnelle

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ARTICLE IN PRESS Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect Droit Déontologie & Soin xxx (2014) xxx–xxx

Chronique

Agression au travail et protection fonctionnelle Nadir Ouchia ARAMIS, 11, avenue Camille-Rousset, 69500 Bron, France

Résumé Un agent public victime d’une agression sur son lieu de travail dispose de deux régimes d’indemnisation : en se constituant partie civile lors du procès pénal, et en demandant le bénéfice de la protection fonctionnelle. L’examen de la jurisprudence montre les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre ces procédures. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Être victime est double épreuve : parce que l’on est agressé. . . et parce qu’il faut ensuite faire valoir ses droits. Un agent public victime d’une agression sur son lieu de travail dispose de deux régimes d’indemnisation : en se constituant partie civile lors du procès pénal, et en demandant le bénéfice de la protection fonctionnelle. Une affaire récemment jugée par la Cour administrative de Nantes (27 février 2014, no 12NT01026), montre les difficultés pratiques à mettre en œuvre ces procédures. Au titre de la protection fonctionnelle1 , l’agent agressé à l’occasion de ses fonctions a droit la réparation du préjudice subi, cette réparation incombant à la personne publique qui l’emploie. Le montant de cette réparation ne dépend pas de l’évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige opposant la victime des violences à son auteur, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu de l’obligation de la collectivité publique vis-à-vis de son agent, et compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public.

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Adresse e-mail : [email protected] Circulaire FP no 2158 du 05 mai 2008 relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l’État.

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011 1629-6583/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Ouchia, N. Agression au travail et protection fonctionnelle. Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011

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1. Une agression au SMPR Une psychologue exerc¸ant au CHS de Caen, a été victime, le 24 juin 2009, d’une agression sexuelle par un patient détenu qu’elle suivait dans le cadre du service médico-psychologique régional (SMPR) fonctionnant au sein du centre pénitentiaire de Caen. Alors que sont disponibles bip de sécurité, adaptés pour les entretiens avec les détenus, la psychologue ne disposait pas d’un tel dispositif d’alerte. De plus, ce détenu avait été condamné pour des faits d’agression sexuelle. L’agresseur a été condamné en décembre 2009 par le tribunal correctionnel de Caen. Statuant sur les intérêts civils par un jugement du 23 mai 2013, le tribunal correctionnel de Caen a admis la constitution de partie civile du CHS de Caen. L’établissement a pris en charge les frais d’avocat pour la défense de son agent à hauteur de 5949,17 euros. La psychologue a ensuite adressé le 6 septembre 2010 au CHS de Caen ainsi qu’à l’administration pénitentiaire, une demande visant à obtenir de chacun de ces deux services une somme de 8000 euros en réparation du préjudice moral subi dans l’exercice de ses fonctions résultant pour elle des fautes distinctes qui auraient été commises par chacune de ces deux administrations. 2. Le droit applicable 2.1. Textes Aux termes du 3◦ l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ». Ces dispositions instituent à la charge de l’État ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général. Il appartient également à la collectivité publique, saisie d’une demande en ce sens, d’assurer une juste réparation du préjudice subi du fait des violences dirigées contre son agent. 3. Jurisprudence L’administration ne peut refuser cette protection à un agent lorsque les conditions en sont remplies2 . En application de l’article 11 alinéa 3 de la loi du 13 juillet 1983, l’agent public bénéficie de la protection de l’administration contre les attaques dont il fait l’objet à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. La jurisprudence considère que dès lors que les conditions d’octroi de la protection sont réunies, il appartient à l’administration « non seulement de faire cesser ces attaques, mais aussi d’assurer à l’agent une réparation adéquate des torts qu’il a subis »3 .

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CE, 17 janvier 1996, Melle Lair, no 128950. CE, 18 mars 1994 Rimasson, no 92410.

Pour citer cet article : Ouchia, N. Agression au travail et protection fonctionnelle. Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011

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Ainsi, l’administration est tenue d’accorder sa protection à un agent public victimes d’attaques, même si le comportement de celui-ci n’a pas été entièrement satisfaisant4 , ou si les faits remontent à trois années et sont survenus à l’occasion de fonctions exercées sur un poste que l’agent n’occupe plus5 . Si les circonstances de l’espèce ayant justifié l’octroi de la protection ont eu pour effet de mettre en évidence l’existence d’une faute disciplinaire commise par l’agent ou tout autre agent de la collectivité publique concernée, l’obligation de protection n’exclut pas l’engagement de poursuites disciplinaires contre lui6 . Si les conditions d’octroi de la protection juridique sont réunies, seul un intérêt général dûment justifié, dont la jurisprudence retient une conception particulièrement restrictive, peut fonder un refus de protection7 . Le refus de protection illégal engage la responsabilité de l’administration si l’agent subit, de ce fait, un préjudice8 . Le Conseil d’État a estimé que l’administration pouvait valablement ne pas donner suite à une demande lorsque, compte tenu de l’ancienneté des faits, aucune démarche de sa part, adaptée à la nature et à l’importance des faits, n’était plus envisageable9 . Sans se substituer à l’auteur du préjudice, l’administration, saisie d’une demande en ce sens, doit assurer à l’agent une juste réparation du préjudice subi du fait des attaques. Il lui appartient alors d’évaluer le préjudice, sous le contrôle du juge administratif. L’administration n’est pas liée par le montant des dommages-intérêts fixé par le juge pénal10 . Divers préjudices sont susceptibles d’être indemnisés sur ce fondement. La jurisprudence reconnaît notamment la réparation des préjudices matériels, moraux ou corporels11 . 4. Procédure 4.1. Le tribunal administratif de Caen, 17 février 2012 La psychologue soutient que : • le CHS de Caen qui l’emploie aurait commis une faute en ne mettant pas en œuvre la protection fonctionnelle à la suite de l’agression dont elle a été la victime ; • en particulier, son établissement s’est abstenu d’engager l’action directe dont il dispose contre l’auteur de cette agression, au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Selon le tribunal : • il ne ressort d’aucun élément du dossier que la psychologue ait saisi son employeur d’une telle demande de protection fonctionnelle ;

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CE, 24 juin 1977, Dame Deleuse, no 94489-93481-93482. CE, 17 mai 1995, Kalfon, no 141635. 6 CE, 28 octobre 1970, Delande, no 78190. 7 CE, 14 février 1975, Teitgen, no 87730 ; CE, 18 mars 1994, Rimasson, no 92410. 8 CE, 17 mai 1995, Kalfon, no 141635. 9 CE, 21 décembre 1994, Mme Laplace, no 140066 ; CE, 28 avril 2004, M. D., no 232143. 10 CE, 17 décembre 2004, Barrucq, no 265165. 11 CE, Sect. 28 mars 1969, Jannès, no 73250 ; CE. 21 décembre 1994, Mme Laplace no 140066, CE, 8 décembre 2004, no 265166 et 265167. 5

Pour citer cet article : Ouchia, N. Agression au travail et protection fonctionnelle. Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011

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• il résulte des termes du jugement du 23 mai 2013 du tribunal correctionnel de Caen statuant sur les intérêts civils de l’instance pénale, que le CHS de Caen s’est constitué partie civile dans l’instance introduite contre son agresseur ; • l’établissement a pris en charge les frais d’avocat pour la défense de son agent à hauteur de 5949,17 euros. Aussi, l’action directe dont dispose l’administration ne tendant qu’à récupérer les sommes versées pour la défense des intérêts de son agent, celui-ci doit établir que des frais relatifs à sa défense seraient restés à sa charge ou n’auraient pas été remboursés par l’administration. Il ne résulte pas des pièces versées au dossier que des frais de procédure seraient restés à la charge de la victime. Dans ces conditions, celle-ci n’est pas fondée à soutenir que le CHS de Caen aurait manqué à l’obligation d’assistance qu’elle invoque à son égard. Dans ces conditions, le tribunal administratif de Caen, le 17 février 2012, a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHS de Caen. 4.2. Cour administrative de Nantes, 27 février 2014 4.2.1. Principe de la responsabilité Il résulte des termes même de la demande indemnitaire préalable adressée par la victime au CHS de Caen le 6 septembre 2010, que contrairement à ce qu’a jugé le TA de Caen, la psychologue avait explicitement sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 en demandant expressément à être indemnisée des troubles dans les conditions d’existence résultant de l’agression qu’elle avait subie le 24 juin 2009 alors qu’elle était en service. Dès lors, le CHS de Caen était tenu d’assurer, au titre du 3◦ de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, une juste réparation du préjudice subi par la psychologue du fait des violences dont elle a été victime dès lors qu’aucun motif d’intérêt général ne s’y opposait. En ne donnant pas suite à la réclamation indemnitaire présentée par son agent, le CHS de Caen a méconnu la portée de l’obligation posée par ces dispositions. 4.2.2. Évaluation L’agression de la psychologue par un patient qu’elle suivait a eu lieu dans le cadre de ses fonctions. Il en est résulté pour elle une incapacité temporaire de travail de six jours, des arrêts de travail en lien avec cette agression du 24 juin 2009 de sept semaines, et cette agression a eu des retentissements sur son activité professionnelle. Il ressort des termes du jugement du TGI de Caen du 23 mai 2013 statuant sur les intérêts civils, que l’ensemble de ces préjudices économiques ont été indemnisés dans le cadre de l’instance judiciaire engagée par Mme A. contre son agresseur. L’agresseur a été condamné à lui verser la somme de 1500 euros en réparation de son préjudice moral. Cependant, la nature et l’étendue de la juste réparation de l’agent agressé à l’occasion de ses fonctions incombant à la personne publique qui l’emploie ne dépendent pas de l’évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige opposant la victime des violences à son auteur, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu de l’obligation qui pèse sur la collectivité publique au titre de la protection fonctionnelle qu’elle doit à son agent, et compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public. Pour citer cet article : Ouchia, N. Agression au travail et protection fonctionnelle. Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011

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En application de ces règles, la cour a fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d’existence subis par la victime du fait de l’agression dont elle a été victime en lui allouant la somme de 3000 euros qui sera mise à la charge du CHS de Caen, en sa qualité d’employeur. 5. Responsabilité de l’État 5.1. Action directe de l’agent Dès lors qu’elle est indemnisée de l’intégralité de son préjudice au titre des troubles dans les conditions d’existence, selon les modalités précisées au point précédent, la psychologue ne peut se voir reconnaître un droit à l’indemnisation du même préjudice qui serait mise à la charge de l’État en se prévalant de ce que la responsabilité de cette autre personne publique est également engagée à raison de la même agression dont elle a été victime. Aussi, et en l’absence de tout préjudice distinct dont elle demanderait l’indemnisation, il n’y a pas lieu d’examiner son argumentation tendant à établir cette responsabilité. 5.2. Appel en garantie du CHS de Caen dirigé contre l’État 5.2.1. En droit Aux termes de l’article D. 373 du CPP : « L’administration pénitentiaire assure la sécurité des personnes concourant aux missions de santé dans l’enceinte de l’établissement pénitentiaire. Des personnels de surveillance sont affectés par le chef d’établissement pénitentiaire dans les structures médicales visées au premier alinéa de l’article D. 368, et au deuxième alinéa de l’article D. 372, après avis des médecins responsables de celles-ci. ». L’État est soumis à une obligation de moyens en matière d’organisation du service pour assurer la sécurité des personnels de santé assurant des consultations à l’intérieur de ses établissements pénitentiaires. 5.2.2. En fait En faisant valoir que des surveillants spécialement formés sont chargés d’assurer la sécurité de ces personnels au sein du service médico-psychologique du centre pénitentiaire de Caen, l’État n’apporte pas la preuve qu’il aurait satisfait à l’obligation qui pesait sur lui puisqu’il résulte de l’instruction que les psychologues peuvent se trouver seuls avec les détenus dans les bureaux d’entretien sans être systématiquement munis d’un bip de sécurité. La psychologue ne disposait pas d’un tel dispositif d’alerte alors que le patient qui l’a attaqué avait été condamné pour des faits d’agressions sexuelles et de viols sur femmes majeures en récidive ; que, par suite, la responsabilité pour faute de l’État est établie. Dès lors que le préjudice subi par l’agent, survenu dans l’exercice de ses fonctions, trouve son origine dans un manquement de l’État dans l’organisation du centre pénitentiaire de Caen où la victime a été agressée par un patient détenu, et le CHS de Caen est fondé à soutenir que l’État doit être condamné à le garantir intégralement de la somme mise à sa charge en réparation du préjudice subi par son agent.

Pour citer cet article : Ouchia, N. Agression au travail et protection fonctionnelle. Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.04.011