Revue du rhumatisme monographies 78 (2011) 231–238
Alcaptonurie, ochronose et arthropathie ochronotique Alkaptonuria, ochronosis and ochronotic arthropathy Aicha Ladjouze-Rezig a , Robert Aquaron b,∗ a b
Service de rhumatologie, hôpital Ben Aknoun, route des deux-bassins, 16300 Alger, Algérie Laboratoire de biochimie et biologie moléculaire, faculté de médecine, université de la Méditerranée, 27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille, cedex 5, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Accepté le 4 mars 2011 Disponible sur Internet le 27 août 2011 Mots clés : Alcaptonurie Acide homogentisique Homogentisate 1,2-dioxygénase Ochronose Arthropathie ochronotique
r é s u m é Les auteurs décrivent les aspects biochimiques, tissulaires et cliniques des trois stades chronologiques de la maladie, alcaptonurie, ochronose et arthropathie ochronotique. Pour l’ochronose au niveau des surfaces articulaires ou arthropathie ochronotique qui se développe vers 40 ans, troisième stade de l’affection, ils détaillent les signes cliniques et radiologiques devant permettre au rhumatologue de porter le diagnostic ainsi que les examens cliniques et paracliniques à réaliser. L’évolution de l’affection, les possibles complications rénales et cardiaques, les éléments de diagnostic positifs et différentiels ainsi que les possibles traitements sont passés en revue. L’alcaptonurie ou « maladie des urines noires » est une maladie métabolique qui affecte la voie du catabolisme hépatique des acides aminés aromatiques, la l-phénylalanine et la l-tyrosine. C’est une maladie héréditaire de transmission autosomique récessive, due à l’absence d’activité de l’homogentisate 1,2-dioxygénase (HGD). La conséquence est l’accumulation du substrat, l’acide homogentisique (AHG) dans le foie. L’AHG est un acide-phénol incolore soluble dans l’eau qui va passer dans le sang, baigner tous les tissus de l’organisme et s’éliminer par les urines. Dans les urines, l’AHG va s’oxyder sous l’effet de l’oxygène de l’air en benzoquinone acétate (BQA), puis se polymériser en pigments brun-noirs d’où le nom d’alcaptone donné à l’AHG et d’alcaptonurie à la maladie. C’est le premier stade, décelable dès la naissance. Le processus d’oxydation de l’AHG, de production de pigments brun-noirs et de leur dépôt dans les tissus conjonctifs de l’organisme conduit à l’ochronose, visible au niveau de la conque des oreilles et de la sclère de l’œil. C’est le deuxième stade de la maladie qui apparaît au cours de la troisième décade de la vie. © 2011 Société franc¸aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Alkaptonuria Homogentisate 1,2-dioxygenase Homogentisic acid Ochronosis Ochronotic arthropathy
Authors describe biological, tissular and clinical aspects of the three disease’s stages: alkaptonuria, ochronosis and ochronotic arthropathy. For ochronotic arthropathy, which appears around the fourth decade of life, they portray clinical and radiological findings valuable to establish diagnosis by the rheumatologist. They list clinical and paraclinical examinations to perform. Evolution, complications mainly of renal and cardiac systems and treatment options are also reviewed. Alkaptonuria (AKU) or “black urine disease”, is a rare autosomal recessive inborn error of metabolism concerning the hepatic catabolism of aromatic aminoacid, l-phenylalanine and l-tyrosine. AKU results in lack of activity of the enzyme, homogentisate 1,2-dioxygenase (HGD) in the liver, which leads to storage of homogentisic acid (HGA), a colorless diphenolic acid. Hepatic HGA diffuses into blood, flood all connective tissues of organism, then is excreted by urines. In urines, HGA oxidizes to form benzoquinone acetate (BQA), and then form brownblack melanin-like pigments polymers, hence the name of alcaptone. This is the first stage of the disease, evidenced since birth. The same steps occur in tissues but more slowly than in urines, with deposition of pigments in connective tissues leading to visible ochronosis, mainly in ear and sclera. This is the second disease’s stage occurring during the third decade of life. © 2011 Société franc¸aise de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail :
[email protected] (A. Ladjouze-Rezig),
[email protected] (R. Aquaron).
L’alcaptonurie ou « maladie des urines noires » est une maladie héréditaire rare qui se transmet suivant le mode autosomique récessif (Mac Kusick OMIM 203500). Elle se caractérise
1878-6227/$ – see front matter © 2011 Société franc¸aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.monrhu.2011.06.005
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biologiquement par la présence d’une molécule anormale, l’alcaptone, à présent identifiée à l’acide homogentisique (AHG) dans le sang et les urines. Les urines conservées quelques heures au contact de l’oxygène de l’air prennent alors une teinte brune-noire caractéristique de l’affection. Ce phénotype particulier permet de réaliser le diagnostic dès les premiers jours de la vie et a été décrit au début du xxe siècle par Garrod [1–3]. C’est le premier stade de l’affection. L’AHG est un catabolite normal de la dégradation hépatique des acides aminés aromatiques, la phénylalanine et la tyrosine. La présence d’AHG dans les urines est due à l’inactivation d’une enzyme, l’homogentisate 1,2-dioxygénase (HGD) causée par des mutations du gène correspondant [4–6]. Cliniquement, cette affection se caractérise par une ochronose qui représente le deuxième stade évolutif de l’affection décelable entre 20 et 30 ans : apparition d’une coloration bleuâtre au niveau de la conque des oreilles et d’une coloration brunâtre de la sclère de l’œil. Cette pigmentation est suivie par un rhumatisme dit alcaptonurique ou ochronotique qui représente le troisième stade évolutif entre 40 et 60 ans : il touche principalement les grosses articulations : épaules, genoux, hanches et le rachis dorsolombaire. Nous allons passer en revue les trois stades de l’affection en mentionnant les différents aspects biochimiques, génétiques, cellulaires, tissulaires, cliniques et radiologiques d’après notre propre expérience et les données de la littérature.
Fig. 1. Voie catabolique normale de la l-tyrosine dans les hépatocytes et voie anormale dans l’alcaptonurie avec formation de pigments brun-noirs d’AHG-mélanine. Lieu d’action de la nitisinone ou NTBC, un inhibiteur de l’enzyme p-HPPH. Comparaison avec la voie biosynthétique de la DOPA-mélanine dans les mélanocytes à partir de la l-tyrosine. TAT : tyrosine amino transférase qui transforme la ltyrosine en l’acide ␣-cétonique correspondant, le p-hydroxyphénylpyruvate avec perte du caractère asymétrique du carbone ␣ ; p-HPPH : p-hydroxyphénylpyruvate hydroxylase ; HGD : homogentisate dioxygénase ; AKU : alcaptonurie ; AHG : acide homogentisique ; BQA : benzoquinone acétate ; DOPA : dihydroxyphénylalanine ; DOPA-Q : DOPA-quinone.
2. Alcaptonurie 2.1. Aspects chimiques et biochimiques Ils seront abordés après avoir brièvement résumé cinq dates historiques. 2.1.1. Historique En 1859–1861, Bödeker [7,8] crée le terme d’alcaptonurie qui correspond à la présence d’alcaptone dans les urines (de l’arabe « al » alcali et du grec « ␣´ » capter), une substance anormale qui a la propriété de capter avec avidité l’oxygène moléculaire de l’air, spécialement en milieu alcalin, et qui conduit à la formation de pigments brun-noirs. En 1891, Wolkow et Baumann [9] élucident sa structure chimique : c’est l’acide 2,5- ou p-dihydroxyphenylacétique qu’ils nommèrent acide homogentisique (AHG), en raison de son analogie de structure avec l’acide gentisique, l’acide 2,5- ou pdihydroxybenzoïque, isolé de la gentiane, qui possède un radical méthylène–CH2 de moins (Fig. S1, voir le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne de cet article). C’est à la fois un paradiphénol, possédant des propriétés réductrices et un acide faible de pK = 4,4 qui existe dans les tissus ou milieux biologiques dans lesquels le pH est voisin de 6–7, principalement à l’état ionisé d’homogentisate (Fig. S2, matériel supplémentaire). Malgré cette identification, les termes d’alcaptonurie et d’alkaptonuria (AKU) en anglais sont toujours utilisés pour désigner la maladie. En 1909 puis en 1928, Neubauer [10,11] détermine l’origine de l’AHG. C’est un métabolite intermédiaire du catabolisme normal des acides aminés aromatiques, la l-phénylalanine et de la l-tyrosine qui se situe dans le foie des mammifères (Fig. 1). Toutes les étapes de cette voie métabolique sont bien connues à présent. Dans l’alcaptonurie, l’enzyme HGD est inactive et conduit à l’accumulation d’AHG. En 1958, La Du et al. [12] mettent en évidence le déficit enzymatique en HGD dans un homogénat de foie préparé chez un patient souffrant d’alcaptonurie. En 2000, Titus et al. [13] établissent la structure active de l’HGD par une étude de diffraction aux rayons X. L’enzyme actif possède
une structure quaternaire. C’est un hexamère formé par un dimère de trimères. Le site actif contient un atome de Fe3+ situé dans l’interface entre les deux trimères. 2.1.2. Aspects chimiques Le diagnostic d’alcaptonurie peut être porté dès la naissance par l’observation d’urines de coloration normale recueillies dans un collecteur qui brunissent après exposition à l’air pendant quelques heures ou par la coloration jaune puis rouge et brune prise par les langes imprégnées d’urines [14–16]. Cette coloration persiste et s’accentue au lavage avec le savon de Marseille qui possède un pH alcalin. Le diagnostic d’alcaptonurie doit être confirmé par le dosage de l’AHG urinaire et/ou sanguin. La coloration jaune, rouge puis brune des langes est due à l’oxydation par l’oxygène moléculaire de l’air de l’AHG en 2,5-ou p-benzoquinone acétate (BQA) qui possède une coloration jaune [17]. Cette molécule est très réactive et va réagir avec des petites molécules présentes dans l’urine possédant soit un groupement aminé libre R-NH2 comme les acides aminés, soit un groupement thiols R-SH comme la cystéine pour donner des produits d’addition de coloration rose-rouge pour les amines et jaune-verte pour les thiol (Fig. S3, matériel supplémentaire) [18,19]. La BQA peut également se polymériser pour former des pigments brun-noirs [20] de structure inconnue, ressemblant à des eu-mélanines [21] et appelés AHG-mélanine (Fig. 1). On constate cette évolution de la coloration du jaune au rose-rouge puis au brun-noir sur les couches car on est en milieu solide. En milieu liquide, la coloration jaune normale des urines masque ce phénomène et seule l’apparition de la couleur brun-noire est observée. Assez souvent, le diagnostic d’alcaptonurie n’est porté qu’au deuxième stade de la maladie, l’ochronose ou au troisième stade, l’arthropathie ochronotique. 2.1.3. Aspects génétiques Ils sont résumés en cinq étapes principales : • Garrod en 1901, 1902, 1908 [1–3] développe le concept d’erreur innée du métabolisme à propos de quatre maladies génétiques : l’alcaptonurie, l’albinisme, la pentosurie et la cystinurie. Il note
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également l’importance de la consanguinité dans ces trois affections suggérant une transmission récessive. À ce propos, il faut noter que l’un des patients, AP, décrit par Garrod en 1901[1] a été observé de nouveau en 1958, ce qui réalise deux observations à 57 ans d’intervalle soit un cas assez exceptionnel [22] ; Hogben en 1932 [23] confirme la fréquence élevée de l’alcaptonurie dans les familles consanguines (12 sur 45) et le caractère récessif de la transmission ; Pollack et al. en 1993 [24], Janocha et al. en 1994 [25] localisent le gène humain de l’HGD sur le chromosome 3q2 ; le groupe de Penalva, en 1995, à Madrid identifie le gène humain de l’HGD [5], décrit les premières mutations de ce gène dans deux familles espagnoles alcaptonuriques en 1996 [6] et décrit la structure du gène en 1997 [26]. Ce gène comprend 54 363 paires de bases (bp) soit environ 60 kilobases (kb). Il est formé de 14 exons et code pour un ARN messager (ARNm) de 1715 nucléotides (nt) soit 1,8 kb qui est traduit en une protéine de 445 acides aminés. Cet ARNm est fortement exprimé dans le foie et dans les reins comme attendu mais aussi dans la prostate ; depuis 1996, de nombreuses publications ont décrit divers types de mutations responsables d’alcaptonurie dans divers pays, en particulier ceux des auteurs, l’Algérie et la France [27,28], dont la liste peut être consultée sur le site initialement développé par l’équipe de Madrid mais arrêté en 2000 (www.cib.csic.es/akudb) et réactivé en janvier 2011 par l’équipe du Dr A. Zatkova à Bratislava (www.hgddatabase.cvtisr.sk).
3. Ochronose C’est Virchow en 1866 [29] qui crée le terme d’ochronose, du grec « óó » ocre et « óó » maladie pour désigner un pigment de couleur ocre examiné au microscope et qui était macroscopiquement gris-noirâtre. Il provenait de l’étude des tissus d’un homme atteint d’alcaptonurie lors d’une autopsie. Ce n’est qu’en 1902 qu’Albrecht [30] puis en 1904 qu’Osler [31] font le lien entre ochronose et alcaptonurie.
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• les pigments brun-noirs d’AHG-mélanine vont se déposer par adsorption sur le principal constituant des tissus conjonctifs et de sa matrice extracellulaire (MEC), le collagène fibrillaire, présent dans la peau [36]. Ce phénomène a été démontré « in vitro » sur du collagène extrait de la peau d’animal et il aboutit à un durcissement de la peau correspondant à un phénomène de tannage. Les trois actions combinées des espèces réactives dérivées de l’O2 , de la BQA et du dépôt de l’AHG-mélanine aboutissent à une réaction inflammatoire et à un phénomène dégénératif étendu du cartilage et de nombreux tissus conjonctifs. On sait actuellement que les collagènes fibrillaires de type I, II et III représentent environ 90 % des protéines de la MEC entouré de 10 % de glycosylaminoglycanes (GAG) sulfatés et non sulfatés comme l’acide hyaluronique, de protéoglycannes et d’autres protéines comme l’élastine, la fibronectine et la laminine. Au cours de la synthèse intracellulaire des chaînes de procollagène ␣, des réactions d’hydroxylation de certains résidus de lysine en 5hydroxylysine se produisent sous l’effet de la lysyl-hydroxylase. Après leur sécrétion dans la MEC, les molécules de collagène ␣ s’assemblent pour former des fibrilles dont la résistance est considérablement augmentée par la formation de liaisons transversales covalentes ou pontages ou cross-links à l’intérieur et entre les molécules de collagène. Ces liaisons covalentes sont formées à partir de deux résidus de 5-hydroxylysine. L’inhibition de la lysyl-oxydase conduit à une diminution de la 5-hydroxylysine, des cross-links et donc de la résistance des molécules de collagène. Murray et al. [37] ont démontré l’inhibition de la lysyl-hydroxylase par l’AHG chez les embryons de poulet in vitro ce qui pourrait, en partie, expliquer le phénomène dégénératif du tissu conjonctif chez les sujets alcaptonuriques. Une autre partie serait due à l’action de la BQA qui est capable de bloquer les groupements -NH2 des résidus de lysine des collagènes. L’ochronose est un phénomène biochimique concomitant de la production d’AHG (Fig. 2), qui débute dès la naissance. Il est très lent et invisible par les moyens d’exploration actuels car il touche principalement les tissus conjonctifs internes.
3.1. Aspects biochimiques
3.2. Aspects tissulaires
L’AHG produit dans le cytosol des hépatocytes est une molécule soluble dans l’eau qui passe dans la circulation sanguine et va baigner de nombreux tissus avant de s’éliminer par les urines. On peut également le retrouver dans le sperme, le cérumen et dans la sueur, en particulier dans les aisselles où elle tache les sous-vêtements [32]. Dans les tissus, l’AHG va subir les mêmes phénomènes d’oxydation que dans les urines à savoir sa transformation en BQA puis sa polymérisation en pigments brun-noirs. Mais entre le sang, les tissus et les urines, il faut noter trois différences essentielles :
Le pigment ochronotique se dépose quelquefois dans les cellules (chondrocytes) mais principalement dans la MEC des divers tissus conjonctifs denses orientés (tendons, ligaments, aponévrose, cornée) des cartilages hyalins (articulaires), des cartilages élastiques (ailes du nez, pavillon des oreilles) et des fibrocartilages (disques intervertébraux, ménisques articulaires, tendon d’Achille). Il se dépose aussi dans les vaisseaux sanguins, les valves cardiaques et les reins [38,39]. Dans la peau, le pigment est présent dans le derme, à l’extérieur des cellules sous forme d’amas de taille importante de type vermiforme et de banane, coloré en ocre, et le long de la membrane basale ainsi qu’à l’intérieur des cellules endothéliales, des macrophages et des cellules sécrétant la sueur.
• au cours de la réaction d’oxydation de l’AHG par l’oxygène moléculaire O2 , trois espèces réactives sont produites : l’eau oxygénée (O2 H2 ) et deux radicaux libres, l’ion superoxyde (O2 −.) et l’oxhydryle (OH. ) qui conduisent à un stress oxydatif. Ces trois espèces réactives vont modifier et/ou annuler l’activité biologique de diverses molécules membranaires, circulantes ou intracellulaires comme les lipides par peroxydation, les protéines par carbonylation et l’ADN par oxydation [33–35] ; • la BQA formée peut réagir avec les fonctions amines primaires libres R-NH2 des acides aminés et les groupements thiols libres R-SH comme le glutathion, la cystéine mais aussi avec les résidus d’acides aminés des protéines comme les groupements -NH2 de lysine et/ou -SH de la cystéine donnant naissance à des protéines modifiées dont l’activité biologique est diminuée ou annulée ;
3.3. Aspects cliniques Les signes cliniques de l’ochronose ne sont décelables qu’à la troisième décade se manifestant principalement soit, par des taches brunes ou marron foncées de la sclérotique au niveau temporal et/ou nasal (Fig. 2A) soit, par une coloration bleuâtre des cartilages de la conque des oreilles (Fig. 2B) qui est due à l’effet Tyndall1 [40].
1 L’effet Tyndall ou diffusion de Rayleight est dû à la dispersion plus importante des longueurs d’onde faibles du spectre visible, comme le bleu, par des petites particules.
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A. Ladjouze-Rezig, R. Aquaron / Revue du rhumatisme monographies 78 (2011) 231–238 Tableau 1 Tableaux cliniques devant alerter le rhumatologue et évoquer le diagnostic d’arthropathie ochronotique. Stade 1 : Alcaptonurie Coloration brun-noire des urines si le diagnostic pédiatrique n’a pas été fait Stade 2 : Ochronose Coloration bleue de la conque des oreilles et/ou brun-noire de la sclère si le diagnostic n’a pas été porté par un dermatologue et/ou un ophtalmologue Stade 3 : Arthropathie ochronotique Signes cliniques Rachialgies dorsolombaires de type mécanique Radiculalgies sciatique ou crurale Enraidissement douloureux du rachis Anomalies des courbures physiologiques du rachis dorsolombaire Diminution de la taille de plus de 3 cm Compression médullaire lente ou syndrome de la queue de cheval Mono- et oligoarthrite des grosses articulations Signes radiologiques Pincements discaux étagés irréguliers Calcifications discales irrégulières sur discopathies érosives Phénomène du vide discal Étroitesse du canal rachidien Arthropathie érosive
(émission d’urines brunissant à l’air libre ou couches colorées), par le dermatologue (coloration bleue de la conque des oreilles) ou l’ophtalmologue (coloration brun-noire de la sclère).
Fig. 2. Signes cliniques de l’ochronose. A. Taches brunes nasale et temporale des sclérotiques. B. Coloration bleue du cartilage du pavillon de l’oreille. C. Coloration bleuâtre de la paume de la main.
Cette même coloration bleuâtre peut être observée au niveau du cartilage nasal, celui des ongles [27], au niveau des paumes des mains (Fig. 2C) [27,41,42] et des plantes des pieds [43], au niveau de toutes les zones de pression de frottement comme le creux axillaire, le tour de taille, les talons, les doigts et les orteils, les plis inguinaux, et toutes les régions du corps : visage, thorax, nuque [27,41,42]. Une coloration bleuâtre du voile du palais a été observée chez deux de nos patients algériens [27], avec une atteinte des gencives qui deviennent brunes et des dents souvent fragiles qui sont le siège de « darmous » souvent lié à la fluorose. Le tympan peut être le siège d’une coloration bleue foncée mise en évidence par l’otoscope lors de l’exploration d’une hypoacousie. 4. Arthropathie ochronotique ou rhumatisme alcaptonurique C’est le troisième stade de la maladie et déjà Garrod en 1923 [44] avait noté le risque particulier des personnes atteintes d’alcaptonurie et d’ochronose à développer des lésions d’arthrose plus tard dans leur vie [45]. La symptomatologie varie d’un patient à un autre au début mais après plusieurs années, nous retrouvons les mêmes altérations articulaires sur le plan clinique, radiographique et histologique avec les différents stigmates de l’ochronose.
4.1.1. Interrogatoire L’interrogatoire permettra en outre de mettre en évidence des antécédents de lithiase vésicale, de lithiase des voies urinaires, de prostatite avec lithiase, de néphrectomie, d’insuffisance rénale [46], de calcifications prostatiques [27], d’hypertension artérielle, d’insuffisance ou de sténose aortique [27,47,48], d’insuffisance mitrale, d’infarctus du myocarde, de bronchopneumopathie à répétition, d’insuffisance rénale surtout chez les sujets âgés. Tous ces signes ont une importance capitale afin de faire un bilan des atteintes et de leur sévérité. 4.1.2. Examen clinique L’examen clinique orienté va mettre en évidence : • des signes d’ochronose au niveau des zones sus-citées ; • un rachis douloureux et enraidi dans toutes les directions, avec modification des courbures naturelles : une hypercyphose dorsale, une perte de la lordose physiologique ou inversion, une projection de la tête en avant ; • une arthropathie des épaules, des poignets, des hanches et des genoux d’allure arthrosique : aspect globuleux des genoux qui peuvent être le siège d’épanchement synovial, une limitation des mouvements des différentes articulations touchées rendant la marche difficile et altèrant la qualité de vie des patients ; • l’examen neurologique est important car il peut mettre en évidence les signes d’irritation médullaire, d’un syndrome de la queue de cheval ; • un examen général doit être effectué chez le sujet dévêtu afin de mettre en évidence toute anomalie clinique.
4.1. Tableaux cliniques et radiologiques
4.1.3. Examens paracliniques à visée diagnostique 4.1.3.1. Clichés radiographiques. Les clichés radiographiques sont essentiels car ils orientent souvent le diagnostic vers l’ochronose avec des images caractéristiques du rachis :
Les situations clinico-radiologiques, les plus fréquemment observés par le rhumatologue et devant évoquer le diagnostic d’ochronose arthropathique, sont rassemblés dans le Tableau 1 si ce diagnostic n’a pas été établi par le pédiatre dans l’enfance
• discopathies étagées avec pincement discal, irrégularité des plateaux vertébraux, calcifications discales épaisses, irrégulières avec en leur sein au niveau antérieur le phénomène du vide discal (Fig. 3A). Parfois, il existe des blocs vertébraux à la
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trapézo-métacarpiennes observées chez l’un de nos patients algériens. 4.1.3.2. Échographie. L’échographie est un examen utile non invasif et peu coûteux et qui peut nous apporter beaucoup de renseignements concernant la présence d’épanchement, les érosions osseuses, les tendinites, la possibilité de rupture tendineuse partielle ou totale et la possible réaction inflammatoire grâce au doppler puissance.
Fig. 3. A. Radiographie de profil des vertèbres dorsolombaires : grosses calcifications remplac¸ant les disques intervertébraux. Bloc intervertébral. B. Radiographie de l’épaule gauche : pincement de l’interligne gléno huméral, ostéophyte inférieur de la tête humérale, ostéoporose régionale, érosion du trochiter.
charnière dorsolombaire, des ostéophytes exubérants irréguliers, une condensation des articulations inter-apophysaires postérieures (AIAP). Les déformations des courbures rachidiennes sont mises en évidence tant sur le plan sagittal (perte de la lordose lombaire, accentuation de la cyphose dorsale) que frontal (scoliose en S). Une hyper-transparence osseuse diffuse avec corticales très amincies et tassements vertébraux (aspect des os en verre) a été observée chez une de nos patientes et l’ostéodensitométrie a confirmé une masse osseuse très basse avec un T-score à −3,3 ; • au bassin, l’atteinte sacro-iliaque est souvent bilatérale avec condensation des berges prédominant au niveau iliaque, irrégularité des interlignes et atteinte de la symphyse pubienne avec érosions et condensation (Fig. 4) ; • des signes d’enthésopathie sont observés au niveau des calcanéums avec irrégularités, érosions et épines postérieure et inférieure, au niveau des trochanters, des trochiters, des rotules, des tibias et des crêtes iliaques [27] ; • aux articulations périphériques, l’aspect radiographique est celui d’une arthropathie dégénérative (arthrose) avec un pincement de l’interligne articulaire, une condensation des surfaces articulaires et des érosions de l’os sous-chondral aboutissant à l’image d’arthropathie destructrice surtout au niveau des coxofémorales et des épaules. Aux genoux, l’atteinte intéresse le compartiment fémoro-tibial externe contrairement à la gonarthrose qui souvent porte sur le compartiment interne, et nous avons constaté des désaxations articulaires par rupture tendineuse et ligamentaire. Il n’y a pas d’ostéophytes marginaux ; Les articulations les plus souvent atteintes sont par ordre décroissant les genoux, les épaules (Fig. 3B), les articulations coxofémorales, les poignets, les chevilles, coudes, les articulations
4.1.3.3. Arthroscopie. L’arthroscopie est contributive car elle peut montrer des lésions cartilagineuses importantes, des lésions du ménisque et permet la récupération de fragments pour la lecture macroscopique (cartilage bleuté avec des ulcérations assez larges) et histologique des tissus prélevés : • l’histologie met en évidence une surface fibrillée avec une coloration du pigment moins importante dans la couche superficielle et prédominant dans les couches profondes avec des granulations de pigment ochronotique dans les chondrocytes et dans toute la MEC. L’arthroscopie constitue aussi un moyen thérapeutique par la toilette qu’elle réalise en débarrassant la cavité articulaire de débris cartilagineux qui sont phlogogènes, source d’épanchement, de douleurs intenses et de gêne fonctionnelle ; • la ponction articulaire en cas d’épanchement permet le retrait de liquide synovial de type mécanique brunissant à l’air libre et son analyse biochimique pouvant montrer des cristaux d’acide homogentisique et d’urate de sodium en cas de goutte secondaire [27,41]. 4.1.3.4. Imagerie par résonance magnétique et tomodensitométrie. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) et la tomodensitométrie (TDM) ont permis de mettre en évidence les anomalies médullo-rachidiennes chez les patients présentant des complications neurologiques. L’étroitesse du canal rachidien est mesurée avec précision avec la mise en évidence de saillies discales à développement antérieur mais aussi postérieur donnant une image en chapelet. Les ostéophytes postérieurs et les calcifications discales refoulent la moelle épinière au niveau cervical, dorsal ou lombaire ou l’ensemble. Ces deux examens permettent de guider le chirurgien pour une intervention de décompression afin de préserver le pronostic fonctionnel de ces patients qui peuvent devenir grabataires. L’IRM est plus intéressante pour montrer l’ensemble du rachis et les différents niveaux de sténose, les blocs vertébraux, les calcifications discales et les signes de myélopathie. 4.1.3.5. Électromyogramme. L’électromyogramme (EMG) et les potentiels évoqués sensitifs (PES) ont été contributifs chez l’un de nos patients algériens qui avait fait une compression médullaire lente. 4.2. Évolution et complications
Fig. 4. Pincement et calcifications des articulations sacro-iliaques.
Les arthropathies périphériques évoluent progressivement vers la destruction du cartilage articulaire entraînant une gêne fonctionnelle considérable justifiant la mise en place de prothèse totale du genou, de hanche et de l’épaule. Parfois, c’est au cours de l’intervention que l’arthropathie ochronotique est découverte par la constatation d’une altération cartilagineuse intense avec noircissement à l’air libre de la pièce opératoire [49]. L’enraidissement total du rachis avec hypercyphose dorsale, perte de la lordose physiologique et projection de la tête en avant aboutit à une gêne fonctionnelle considérable pour la réalisation des gestes de la vie courante. La douleur qui devient quasi permanente entraîne une altération de la qualité de vie de ces patients
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et en fait de grands handicapés. Les calcifications intramédullaires constituent une complication redoutable sur le plan fonctionnel. Les ruptures tendineuses peuvent être observées au niveau du tendon quadricipital et rotulien, du tendon d’Achille, des fascias plantaires et de différents tendons périarticulaires [50]. L’échographie avec doppler puissance est un examen très contributif pour mettre en évidence les anomalies caractéristiques des tendons périphériques au cours de l’ochronose. Seul le tendon du long biceps brachial parmi ceux comportant une gaine synoviale peut présenter les mêmes modifications.
l’insuffisance aortique, la sténose des artères coronaires à l’origine d’infarctus du myocarde ou de coronaropathie [47,48]. Sont également concernées par l’incrustation des pigments, les artères pulmonaires ainsi que la trachée et les bronches qui aboutissent à des pathologies chroniques de type bronchopneumopathies obstructives. Les explorations actuelles (scanner cardiopulmonaire, IRM cardiaque, cathétérisme cardiaque) sont très contributives car elles mettent en évidence toutes les anomalies artérielles et veineuses et leur retentissement. 7.2. Atteinte rénale
5. Diagnostic positif Le diagnostic d’alcaptonurie le plus simple est basé sur l’examen des urines exposées à l’air libre et par le dosage de l’AHG dans les urines et/ou le sang. Le diagnostic d’ochronose peut être fait par le dermatologue consulté pour une coloration anormale des téguments et cartilages superficiels ou par l’ophtalmologue qui est sollicité pour un avis concernant les taches au niveau des sclérotiques. L’otorhinolaryngologiste peut être aussi consulté pour une hypoacousie et la présence de cérumen foncé. Les atteintes valvulaires, les lésions cardiovasculaires et pulmonaires sont en général recherchées dans le cadre d’un bilan d’extension de l’ochronose mais elles ont dans certaines circonstances permis de faire le diagnostic. L’atteinte rachidienne est évocatrice par l’installation progressive de rachialgies avec raideur et sur la constatation de modifications radiographiques très particulières : discopathies étagées avec calcification et phénomène du vide discal chez des personnes relativement jeunes, la TDM et l’IRM ont beaucoup apporté à l’appréciation de la gravité de l’atteinte et de son étendue. Les atteintes articulaires ne sont pas pathognomoniques de l’ochronose et c’est la raison pour laquelle il faut toujours examiner les oreilles, la peau, les ongles et les yeux en rhumatologie.
Il faut rappeler qu’à l’état normal, l’activité HGD est présente dans les tubules du rein normal mais absente dans ceux des sujets alcaptonuriques ce qui conduit à un deuxième site de formation d’AHG. Les reins des sujets alcaptonuriques excrètent à la fois l’AHG du sang circulant et l’AHG produit par les tubules rénaux comme en témoigne sa clairance qui est de 400 à 500 mL/min, voisine du flux rénal. Ces deux processus maintiennent une concentration basse d’AHG dans le sang et probablement dans les tissus. La composante sécrétoire rénale apparaît comme un régulateur physiologique primordial du phénotype métabolique et peut, en partie, expliquer pourquoi le début du phénotype clinique (ochronose et arthropathie ochronotique) est souvent retardé de plusieurs années chez certains patients alcaptonuriques [54]. Si la clairance rénale de l’AHG diminue par atteinte rénale, l’AHG dans le sang augmente et va favoriser l’ochronose sanguine et/ou tissulaire. L’atteinte rénale peut donc constituer un mode de révélation de la maladie et va se manifester par : • une lithiase rénale ou urétérale qui est rarement responsable de coliques néphrétiques et souvent découverte par l’urologue ; • des prostatites à répétition et des lithiases prostatiques ; • une néphropathie pouvant aboutir à une insuffisance rénale chronique (IRC) [27,40,41,46]. La goutte peut être secondaire à l’IRC ou être associée en cas de fonction rénale normale.
6. Diagnostic différentiel 7.3. Atteinte neurologique Plusieurs affections peuvent être discutées et le diagnostic d’arthropathie ochronotique n’est posé qu’après élimination de pathologies diverses qui peuvent revêtir la même symptomatologie : • l’arthrose rachidienne est un diagnostic souvent posé mais il y a un pincement irrégulier des disques intervertébraux avec au début de discrètes calcifications ; • chondrocalcinose vertébrale ; • chondrocalcinose des hanches et épaules dans le cadre des arthropathies destructrices • coxarthrose, gonarthrose, omarthrose ; • coxite tuberculeuse ; • la maladie de Scheuermann est souvent évoquée du fait du pincement et de l’irrégularité de plusieurs disques intervertébraux ; • la spondylarthrite ankylosante [51] devant la raideur rachidienne, l’atteinte sacro-iliaque et les enthésopathies [52] ; • l’hyperostose vertébrale ankylosante ; • ochronose exogène induite par l’hydroquinone et par la prise de minocycline [53]. 7. Signes extra-articulaires 7.1. Atteinte cardiaque Les atteintes cardiovasculaires sont dominées par l’atteinte valvulaire qui se traduit par la sténose de la valve aortique,
Elle se manifeste tardivement par complication des lésions discovertébrales aboutissant à des radiculalgies sciatiques, crurales, intercostales ou cervicobrachiales [55]. Lorsque les lésions sont plus sévères, c’est la myélopathie qui s’installe avec des conséquences fonctionnelles sévères [27]. Les calcifications intramédullaires [56] sont à l’origine de myélopathie, lorsque le canal rétréci siège au niveau lombosacré, c’est le syndrome de la queue de cheval qui s’installe avec une vessie neurologique. Une association avec la maladie de Parkinson a été décrite [57]. 8. Traitement La prise en charge et le traitement des patients atteints d’ochronose est très difficile et doit être adaptée en fonction de la présentation clinique. Après une information sur cette maladie rare et ses aspects génétiques, les diverses possibilités sont résumées dans le Tableau 2 avec quelques particularités : • l’acide hyaluronique en infiltration intra-articulaire peut améliorer la fonction articulaire pour une courte période mais il n y a pas eu d’étude pour évaluer son efficacité. Ce traitement s’est révélé efficace récemment chez une jeune femme franc¸aise de 39 ans ; • les ponctions suivies de lavage articulaire et d’infiltration de corticoïdes retard peuvent juguler une poussée congestive ; • la place des chondroprotecteurs n’a pas été étudiée ;
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Tableau 2 Possibilités de traitement en fonction des signes biologiques et cliniques. Signes cliniques et biologiques
Traitements
Diminution de la production d’AHG et de son produit d’oxydation, la BQA
Régime alimentaire pauvre en phénylalanine et tyrosine, précurseurs de l’AHG, obtenu par une diète protéique Nitisinone, NTBC, orfadin, inhibiteur de l’enzyme responsable de la production d’AHG
Diminution de la production de BQA et des espèces réactives dérivées de O2
Molécules possédant des groupements thiols R-SH douées de propriétés réductrices : glutathion, cystéine et N-acetylcystéine
Remplacement de l’enzyme déficient, HGD
Transplantation hépatique [58] Thérapie génique
Diminution de la douleur
Antalgiques niveaux 1,2 : les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en respectant les règles de prescription et en tenant compte de la possibilité d’atteinte rénale et cardiaque Rééducation fonctionnelle Repos
Diminution de l’incapacité physique
Infiltration intra-articulaire d’acide hyaluronique Prothèses : genou, épaule, hanche
Ostéoporose
Bisphophonates [59]
• la nitisinone ou NTBC, orfadin, [60,61] a fait l’objet d’essais cliniques chez des sujets au stade d’arthropathie ochronotique mais sans apporter d’amélioration ni clinique ni radiologique. Cette molécule qui est un inhibiteur de l’enzyme p. HPPD (Fig. 1) qui conduit à l’AHG est efficace pour diminuer le taux d’AHG hépatique, tissulaire sanguin et urinaire. Cette molécule devrait être théoriquement utilisée avant l’apparition de l’ochronose et des lésions cartilagineuses donc dès le jeune âge et pendant toute la vie. Cela pose le problème des effets secondaires et la justification d’un traitement au long cours eu égard aux bénéfices attendus ; • la kinésithérapie n’entraîne qu’un soulagement transitoire et la mise en place de corset permet d’éviter les déformations rachidiennes ; • la suture des tendons rompus ou lésés. La laminectomie de décompression médullaire au niveau des trois segments du rachis selon la localisation de la sténose canalaire doit être réalisée le plus tôt possible avant que les dégâts ne soient irréversibles ; • la thérapie génique reste le seul espoir pour cette maladie rare. 9. Conclusion On peut résumer d’une fac¸on simple l’évolution des divers symptômes biologiques et cliniques exprimés d’après leur intensité en pourcentage en fonction de l’âge sous forme de quatre courbes et de deux grandes phases (Fig. 5). Nous avons choisi arbitrairement l’âge de 90 ans d’après les données de la littérature qui signalent quelquefois des patients octogénaires et notre expérience personnelle à Marseille où nous suivons régulièrement deux femmes âgées de 82 et 86 ans, familles 8c et 12 [28]. La courbe « A » est relative à l’alcaptonurie, c’est-à-dire la présence dès la naissance et jusqu’au décès dans les urines de l’alcaptone c’est-à-dire de l’AHG à qui nous attribuons la valeur de 100 %. La courbe « B » indique que le phénomène d’ « ochronose biologique » est concomitante de la présence d’AHG dès la naissance et il évolue en s’intensifiant, de 0 à 100 %, d’une manière régulière tout au long de la vie. La courbe « C » relate le phénomène d’ « ochronose clinique » qui se manifeste aux environs de 30 ans, qui lui aussi s’intensifie de 0 à 100 % lorsque le patient vieillit. La courbe « D » traduit l’apparition des signes cliniques les plus importants à type de douleurs et des signes radiologiques, l’arthropathie ochronotique, qui vont en s’aggravant d’environ 40 ans jusqu’au décès.
Fig. 5. Représentation schématique des trois stades de la maladie, l’alcaptonurie, l’ochronose et l’arthropathie ochronotique d’après l’intensité des symptômes biologiques et cliniques exprimés en pourcentage et de leurs évolutions en fonction de l’âge, de la naissance à 90 ans. A. Alcaptonurie c’est-à-dire présence d’AHG dans les urines. B et C. Ochronose biologique puis clinique. D. Arthropathie ochronotique. On peut également distinguer deux grandes phases cliniques : une phase asymptomatique ou préochronotique de 0 à 30 ans environ et une phase symptomatique ochronotique de 30 à 90 ans.
Bien que théoriques, ces courbes s’appuient sur de nombreuses données rapportées dans la littérature et dans notre expérience personnelle. On peut également diviser l’évolution de cette affection en deux grandes phases : une phase clinique asymptomatique ou préochronotique de la naissance à 30 ans et une phase clinique symptomatique de 30 ans à la mort du patient. Bien que considérée comme une affection relativement bénigne, en raison de l’apparition des signes cliniques d’arthropathie ochronotique vers 40–50 ans, l’alcaptonurie doit être diagnostiquée et suivie régulièrement en raison des complications graves cardiaques et/ou rénales qui peuvent survenir d’une fac¸on inopinée. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Remerciements Nous présentons nos vifs remerciements à M. Patrick Verrando pour l’aide à la réalisation des figures et des tableaux, aux techniciennes du laboratoire de biologie de l’hôpital d’enfants de la Timone du Pr. R. Aquaron à Marseille pour la recherche et le dosage de l’AHG urinaire, à l’équipe du Dr Penalva du CSIC de Madrid (D. Beltran Valero de Barnabé, S. Rodriguez de Cordoba et B. Granadino) pour la réalisation de l’étude génétique, à l’ALCAP, l’association franc¸aise (www.alcap.org) et à l’AKU Society, l’association anglaise de lutte contre l’alcaptonurie (www.alkaptonuria.info) pour leur soutien constant à la recherche fondamentale et appliquée, en particulier par l’organisation de la quatrième table ronde dédiée à cette pathologie à Cambridge, UK, les 10 et 11 janvier 2011, et bien sûr aux patients qui n’ont pas hésité à nous aider dans l’accomplissement de notre travail et de notre recherche. Annexe A. Matériel complémentaire Du matériel complémentaire (Figures S1–S3) accompagnant cet article est disponible sur http://www.sciencedirect.com et doi:10.1016/j.monrhu.2011.06.005. Références [1] Garrod AE. About alkaptonuria. Lancet 1901;ii:1484–6. [2] Garrod AE. The incidence of alkaptonuria: a study in clinical individuality. Lancet 1902;ii:1616–20. [3] Garrod AE. The croonian lectures on inborn errors of metabolism, lecture II: alkaptonuria. Lancet 1908;2:73–9. [4] La Du BN, Zannoni VG, Laster L, et al. The nature of the defect in tyrosine metabolism in alkaptonuria. J Biol Chem 1958;230:251–60. [5] Fernandez-Cannon JM, Penalva MA. Molecular characterization of a gene encoding a homogentisate dioxygenase from Aspergillus nidulans and identification of its human and plant homologues. J Biol Chem 1995;270:21199–205. [6] Fernandez-Canon JM, Granadino B, Beltran Valero de Bernabé D, et al. The molecular basis of alkaptonuria. Nat Genet 1996;14:19–24. [7] Böedeker C. Ueber das Alkapton, ein neuer Beitrag zur Frage: welche Stoffe des Harns können Kupferreduction bewirken? Z Rat Med 1859;7:130–45. [8] Böedeker C. Das Alkapton; ein Beitrag zur Frage: welche Stoffe des Harns können aus einer alkalischen Kupferoxydlösung Kupferoxydul reduciren? Ann Chem Pharma 1861;17:98–106. [9] Wolkow M, Baumann E. Ueber das Wesen der Alkaptonurie. Z Physiol Chem 1891;15:228–85. [10] Neubauer O. Uber den Abbau der Aminosäuren in gesunden und kranken Organismus. Dtsch Arch Klin Med 1909;95:211. [11] Neubauer O. Intermediärer Eiweisstoffwechsel. Handb Norm Pathol Physiol 1928;5:671. [12] La Du BN, Zannoni VG, Laster L, et al. The nature of the defect in tyrosine metabolism in alcaptonuria. J Biol Chem 1958;230:251–60. [13] Titus GP, Mueller HA, Burgner J, et al. Crystal structure of human homogentisate dioxygenase. Nat Struct Biol 2000;7:542–6. [14] Bouchard R, Rudler J, Castaing N. L’alcaptonurie. Med Infantil 1968;5:365–72. [15] Dieterlen M, Jobert J, Rambaud P, et al. À propos d’un cas d’alcaptonurie chez l’enfant. Grenoble Med Chirur 1969;7:403–5. [16] Sutherland DA, Nicol AD, Williams AJ. Pink napkins-presenting feature in a case of alkaptonuria. J Inher Metab Dis 1984;7:56. [17] Berger S, Rieker A. Identification and determination of quinones. In: Patai S, editor. “The chemistry of the quinoïd compounds”. Wiley Sons; 1974. p. 195. [18] Finley KT. The addition and substitution of quinones. In: Patai S, editor. “The chemistry of the quinoïd compounds”. Wiley Sons; 1974. p. 881, 900. [19] Lustberg TJ, Schulman JD, Seegmiller JE. The preparation and identification of various adducts of oxidized homogentisic acid and the development of a new sensitive colorimetric assay for homogentisic acid. Clin Chim Acta 1971;35:325–33. [20] Lindsey AS. Polymeric quinones. In: Patai S, editor. “The chemistry of the quinoïd compounds”. Wiley Sons; 1974. p. 813. [21] Ito S. A chemist’s view of melanogenesis. Pigment Cell Res 2003;16:230–6. [22] Watts RW, Watts RA. Alkaptonuria: a 60-year follow-up. Rheumatology 2007;46:358–9. [23] Hogben RL, Worral RL, Zieve I. The genetic basis of alkaptonuria. Proc R Soc Edinb [Biol] 1932;52:264–95. [24] Pollack MR, Chou YH, Cerda JJ, et al. Homozygosity mapping of the gene for alkaptonuria to chromosome 3q2. Nature genetics 1993;5:201–4. [25] Janocha S, Wolz W, Srsen S, et al. The human gene for alkaptonuria (AKU) maps to chromosome 3q. Genomics 1994;19:5–8.
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