Chirurgie de la main 25 (2006) 111–118 http://france.elsevier.com/direct/CHIMAI/
Mise au point
Anatomie comparée de la main Comparative anatomy of the hand C. Oberlin Service d’orthopédie traumatologie, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France
Résumé Le schéma pentadactyle est commun à tous les tétrapodes, même en cas de phénomènes adaptatifs (le schéma à cinq doigts est retrouvé au cours de l’ontogénèse) ou en cas de convergence fonctionnelle. Le schéma carpien à deux rangées est également commun, à la disparition près des os centraux chez l’homme mature. La forme sellaire de l’articulation trapézométacarpienne, trop souvent attribuée à l’homme et à son seul pouce, est en fait présente sur toutes les articulations carpométacarpiennes et chez des primates fossiles primitifs. Certains caractères discontinus chez l’homme (canal entépicondylien) sont la règle dans d’autres espèces (carnivores). Rarement présents chez l’homme, ils peuvent déterminer exceptionnellement une pathologie réelle. © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract The pentadactyl scheme is common to all tetrapods, even in case of adaptative phenomenon (five digits are observed during ontogenesis), or in case of functional convergence The carpal organization with two rows is common too, if we take into account the desappearing of the central bones in mature man. The sellar shape of the trapeziometacarpal joint of the thumb, to often attributed to Man and his only thumb, is in fact the regular shape of all carpometacarpal articulations and present in very ancient primitive primate fossils. Some discontinuous caracters in Man (entepicondylar tunnel) are present in all individuals of some species (carnivors). Rarely present in Man, it can exceptionally produce a real pathology. © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Main ; Anatomie compared ; Phylogenie ; Arcade de Struthers Keywords: Hand; Comparative anatomy; Phylogeny; Struthers arcuade
Avant d’envisager la morphologie évolutive de la main, quelques notions concernant la classification des espèces et la chronologie doivent être rappelées. 1. Classification des espèces animales : les quatre phylums Chez les 20 000 espèces de vertébrés tétrapodes (amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères), le schéma d’organisation général du membre antérieur (ou supérieur), dérive du même schéma général qui est celui du membre « chiroptérygien », c’est-à-dire dérivé d’une nageoire. Ainsi, aux modifications adaptatives près, on retrouve chez tous les vertébrés tétrapodes, passés ou présents, les structures correspondantes dites homologues, au niveau de n’importe quelle partie constituant le membre antérieur. 1297-3203/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.main.2006.08.001
Les espèces animales actuelles entrent dans quatre principaux groupes ou phylums (Mayr 1969). Les protozoaires et les métazoaires constituent les deux premiers phylums. Le troisième phylum regroupe les protostomiens qui sont des êtres à orifice buccal primitif. Ceux-ci sont de deux types : ● certains n’ont pas de cavité viscérale (acœlomates), regroupant les vers plats et ronds ; ● d’autres possèdent une cavité viscérale (cœlomates) regroupant 230 espèces de brachiopodes, 100 000 mollusques, 8000 annélides et surtout le groupe de loin le plus vaste : celui des arthropodes, avec plus d’un million d’espèces connues.
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Le quatrième phylum est celui des vertébrés, qui regroupe 20 000 espèces de poissons (essentiellement les téléostéens), et 20 000 espèces de tétrapodes. Et tous les tétrapodes ont la même organisation anatomique.
Selon Vialleton (1924), le membre chiridien ou chiroptérygien, caractéristique des vertébrés tétrapodes, comprend un certain nombre de pièces distribuées dans trois segments consécutifs :
2. Chronologie ancienne [5]
● le stylopode, pièce unique répondant au squelette du bras ou de la cuisse, qui s’articule avec la ceinture correspondante ;
Il y a cinq cents millions d’années environ, au milieu de l’ère primaire (570–280 millions d’années B.P. [Before Present]), la forme la plus élaborée de la vie sur notre planète était constituée par les vertébrés marins avec deux types de poissons : les poissons agnathes, poissons sans mâchoire, et les poissons à mâchoire dits poissons gnathostomes. Ces poissons étaient munis primitivement de nageoires axiales, dorsale et ventrale. Ces nageoires, armées de bâtonnets cartilagineux, étaient au nombre d’une à trois dorsales, deux ventrales pectorales et anales, et une caudale. Chez les chordés primitifs du silurien et du dévonien vont apparaître progressivement des replis cutanés latéraux, ébauche de nageoires paires, antérieures et postérieures. À l’intérieur de ces nageoires vont se constituer progressivement une pièce proximale, proche de l’axe squelettique, une pièce basale et des rayons latéraux (Vandebroek 1969). Deux catégories de poissons vont alors s’individualiser selon la constitution de leurs nageoires :
● le zeugopode, formé de deux os parallèles entre eux (avantbras ou jambe), s’articulant d’un côté avec le stylopode et de l’autre avec le troisième segment ;
● les poissons actinoptérygiens, à nageoires rayonnées, dont les rayons divergent ; ce type de poisson est à l’origine des teléostomes, poissons de loin les plus nombreux actuellement ; ● les poissons crossoptérygiens, à nageoires frangées, dont les rayons vont s’individualiser et être à l’origine, au niveau du membre antérieur, d’une pièce proximale, scapulaire, d’une pièce humérale, de deux pièces radiale et ulnaire, de pièces carpiennes et enfin de rayons, au nombre de cinq. L’Eusthénoptéron, était un poisson crossoptérygien possédant des ébauches de membre antérieur. C’est ensuite au dévonien (395–345 millions d’années B.P.) que s’effectue la sortie des eaux. Progressivement les nageoires pectorales vont se transformer en membres antérieurs de sustentation notamment par torsion squelettique axiale, tandis que les nageoires anales se transformeront en membres postérieurs de propulsion. Ainsi, apparaissent les premiers tétrapodes dont le plus ancien connu actuellement est l’Ichthyostega. Eryops constitue également un bel exemple de la morphologie massive du membre antérieur des très anciens tétrapodes. 3. Structure générale du membre chiridien On peut donc constater, dès la fin de l’ère primaire, une organisation du membre antérieur du tétrapode tout fait caractéristique.
● l’autopode (main ou pied), formé lui-même de trois parties : ○ une double rangée d’os courts (os du carpe ou du tarse constituant le basipode) ; ○ cinq os allongés en baguette et jamais segmentés (métacarpiens, métatarsiens ou, plus généralement, métapodiaux) formant le métapode ; ○ l’acropode représenté par cinq rayons ou doigts et subdivisé eux-mêmes chacun en un nombre variable de phalanges. 4. De l’ère secondaire à nos jours L’ère secondaire s’étend sur une période allant de 225 à 65 millions d’années B.P. Elle comporte trois périodes : le trias (225–190 B.P.), le jurassique (190–136 B.P.) et le crétacé (136–65). C’est la grande période des dinosauriens bien que les mammifères aplacentaires apparaissent très tôt suivis des mammifères placentaires. Ce n’est qu’à la suite de la grande extinction crétacée que le vide écologique ainsi créé permettra la véritable explosion de la diversification des mammifères, comportant un grand nombre de schémas adaptatifs différents, dont notamment le retour à la vie marine des cétacés et siréniens. Les limites de l’ère tertiaire ont été fixées entre 65 millions d’années (grande extinction de la fin du crétacé) et deux millions d’années (apparition supposée du genre Omo). Nous allons voir dans les lignes qui suivent les différentes modalités adaptives de la main chez les différents groupes de tétrapodes, anciens et actuels, en les envisageant dans l’ordre chronologique de leur apparition et de leur diversification, jusqu’à nos jours. Nous nous attacherons particulièrement à suivre les transformations de certaines caractéristiques morphologiques de la main dont on peut raisonnablement penser qu’elles ont une signification mécanique et fonctionnelle, sans jamais oublier que c’est le cerveau qui valorise la main, étend ses capacités. Ainsi, la main de l’homme, capable des fonctions les plus diverses et les plus élaborées, est typiquement une structure non spécialisée, non adaptée à une fonction particulière, mais au contraire susceptible de capacités fonctionnelles larges, sous l’autorité du système nerveux.
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5. La main des amphibiens 5.1. Urodèles Le carpe des urodèles (Necturus) présente la structure habituelle des tétrapodes avec une rangée proximale à trois os, un os central et une deuxième rangée à quatre os. 5.2. Anoures Chez les anoures, radius et ulna s’accolent ainsi que semilunaire et triquetrum. Les os centraux distaux ont disparu ainsi que le cinquième doigt, (tandis que l’on retrouve parfois un prépollex). 6. La main des reptiles 6.1. Chéloniens Chez la tortue marine, l’articulation zeugoautopodique (radio-ulnocarpienne) est profondément modifiée du fait de l’inégalité des deux os de l’avant-bras avec un radius nettement plus long que l’ulna, semblant s’articuler avec la partie distale du scaphoïde. L’ulna s’articule avec le semi-lunaire et le triquetrum. Trapèze et trapézoïde s’articulent avec les premier et deuxième métacarpiens comme habituellement. Par contre, un seul os carpien distal s’articule avec les troisième, quatrième et cinquième métacarpiens tandis qu’un volumineux os central s’intercale entre la première et la deuxième rangée. Enfin, le crochet (hamulus), particulièrement développé, est séparé de l’os crochu (hamatum). Globalement, l’emboîtement de surfaces articulaires assez planes évoque un carpe peu mobile, d’avantage encore chez la tortue terrestre (Testudo graeca). 6.2. Crocodiliens Le carpe des crocodiliens (archosauriens actuels) comme l’alligator se caractérise par la présence de deux os en forme de sablier rétrécis à leur partie moyenne, à direction longitudinale. Le plus gros, radial, s’articule proximalement avec le zeugopode et du côté ulnaire avec le triquetrum, comme s’il avait incorporé le semi-lunaire. Le plus petit, ulnaire, s’articule distalement à la fois avec le troisième métacarpien et l’hamatum.
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Le cinquième rayon est, comme le pouce, très divergent, donnant à la main un aspect de symétrie autour des rayons centraux. Les reptiles de l’ère secondaire sont à l’origine non seulement des ancêtres des mammifères (reptiles thérapsidés), mais aussi d’animaux s’adaptant au vol aérien (reptiles diapsides), ou même retournant à la vie marine (sauroptérygiens ou plésiosauriens). 6.4. Reptiles marins Au cours de l’ère secondaire, plusieurs groupes de reptiles s’adaptent à nouveau à la vie marine. Les ichthyosauriens (exemples : Ichthyosaurus quadricissus) du trias sont un premier exemple. Toutes les pièces squelettiques du membre chiridien, stylopode, zeugopode etc… sont présentes. Mais leur forme se simplifie tandis que se multiplient les phalanges et parfois le nombre des doigts. Ainsi, au niveau de l’autopode, toutes les pièces squelettiques prennent un aspect nummulaire ou discoïde semblable, et la main prend l’aspect d’une palette natatoire. Plus tard, les sauroptérygiens ou plésiosauriens et les placodontes du crétacé suivront la même évolution avec là aussi une multiplication du nombre des phalanges. 7. La main des oiseaux Au jurassique vont apparaître les premiers reptiles volants avec le fameux archaeoptéryx, fossile présentant des caractéristiques communes aux reptiles et aux oiseaux. Chez l’archéoptérix, comme les oiseaux, la main mature est centrée sur le troisième métacarpien, tandis que le deuxième est vestigial et que les quatrième et cinquième sont absents. L’étude de l’embryologie nous montre en fait que les cinq rayons sont présents au début de l’ontogenèse, tandis que les rayons latéraux disparaissent rapidement, par les phénomènes de mort cellulaire programmée bien connus actuellement. La main de l’oiseau reste donc fondamentalement fidèle au schéma pentadactyle (Fig. 1). Au crétacé, les archosauriens vont conquérir les airs pour la seconde fois avec les ptérosauriens type ptéranodon. Celui-ci ressemblait d’avantage à une chauve-souris qu’à un oiseau car son aile était une palmure cutanée (patagium) sous-tendue par l’extraordinaire développement d’un seul rayon digital, le cinquième. Chez toutes ces espèces, au coude, la perte de l’appui au sol et l’adaptation au vol se soldent par une disparition complète de la saillie olécrânienne.
6.3. Dinosauriens 8. La main des mammifères Chez le célèbre iguanodon (diapside archosaurien), dinosaurien herbivore du crétacé, le carpe présente typiquement la morphologie des carpes adaptatifs d’appui. Il suggère que l’Iguanodon, contrairement à l’imagerie traditionnelle, ne se levait que rarement sur ses membres postérieurs.
Le carpe des mammifères pentadactyles est constitué habituellement d’une dizaine d’os : une rangée proximale à quatre os, scaphoïde, semi-lunaire, triquetrum et pisiforme, un os central unique ou multiple, un prépollex situé au bord interne de la
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Fig. 1. Squelette de main du pélican. Chez lui comme chez tous les oiseaux, le squelette de la main est axé sur le troisième métacarpien. Mais les cinq doigts sont toujours présents au début de l’ontogenèse (collection du muséum national d’histoire naturelle, Paris).
Fig. 2. La main du guépard. Notez la présence d’une synostose scapholunaire, ainsi que d’une articulation triple ulnopisotriquetrale (collection du muséum national d’histoire naturelle, Paris).
rangée proximale ; enfin une rangée distale avec trapèze, trapézoïde, capitatum et hamatum. Ainsi le carpe mammalien ne diffère de celui du tétrapode type que par la réduction du nombre des os centraux et la soudure des carpiens distaux 4 et 5, soudure déjà réalisée chez la plupart des reptiles [3]. Chez de nombreuses espèces néanmoins, le semi-lunaire fusionne avec le scaphoïde pour former un os scapholunaire (Fig. 2). C’est le cas chez certains mammifères primitifs comme les monotrèmes ou les marsupiaux mais également chez les herbivores, de nombreux insectivores, rongeurs, carnivores, dermoptères, et chiroptères.
Fig. 3. Le « canal entépicondylien », caractère atavique des mammifères primitifs. a : le canal « entépicondylien » du chat. Chez de nombreux carnivores, le nerf médian et l’artère brachiale passent dans un tunnel osseux du pilier médial de la palette humérale (dissection en collaboration avec le Dr Jean-Marie Hennebelle) ; b : le tubercule supraépicondylien médial. Chez l’homme, exceptionnellement, il peut exister un tubercule osseux prolongé d’un ligament, qui peut comprimer nerf médian et artère brachiale. Il s’agit probablement d’un caractère atavique (collection personnelle).
À ce complexe peut s’adjoindre l’os central (monotrèmes, pinnipèdes et ursidés), voir exceptionnellement le triquetrum chez certains chiroptères (Lessertisseur et Saban). Le triquetrum tend à se souder au semi-lunaire chez les bradypodidés (paresseux). Le pisiforme a des aspects très variés et présente un développement particulier chez les espèces qui appuient fortement sur leurs membres antérieurs Fig. 3). Il est particulièrement développé chez les pandas (aeluropoda) ainsi que chez les chiroptères. Il manque chez les siréniens. Saban et Lessertisseur [3] reprennent les controverses nombreuses à propos de la signification du pisiforme : pour beau-
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coup d’auteurs (Flower, Mivart, Testut), c’est un sésamoïde développé dans le tendon du cubital antérieur. Pour d’autres, il s’agit d’un élément carpien authentique. On le considère alors soit comme :
double chez certains cétacés. Il est atrophique chez les siréniens (Lessertisseur et Saban). Nous allons voir maintenant à titre d’exemple quelques aspects morphologiques de la main chez certains mammifères.
● détaché de l’unité carpienne cubitale, homotype de toute ou partie du calcanéum (Halbrecht, Retterer, Olivier) ; ● représentant le postminimus (équivalent du prépollex sur le bord cubital) [Bardeleben] ; ● élément provenant de la rangée centrale (Gillies) ; ● élément détaché de l’ulna (Eaton).
8.1. Mammifères aplacentaires
Les études sur le développement du pisiforme ont montré que cet os se « forme comme les autres os carpiens avant le développement des muscles. Il présente deux centres d’ossification. Ces observations paraissent infirmer l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un sésamoïde ». Son assimilation au postminimus, vestige d’un sixième doigt cubital n’est pas établie. Chez la taupe marsupiale notoryctes, il est accolé au cinquième métacarpien et avec lui, coiffé par un ongle. L’os central est généralement unique chez les mammifères ; il peut disparaître comme chez les monotrèmes (ornithorhynque), les marsupiaux, les édentés (tatou), les fissipèdes (chien), certains primates comme les panidés (chimpanzé, gorille) et l’homme, soit par involution, soit par fusion avec le scaphoïde ou le scapholunaire. À l’inverse, deux et parfois trois os centraux ont été rencontrés chez les cétacés. Le prépollex peut lui aussi être considéré comme un sésamoïde ou comme un vestige d’un rayon typique de l’autopode primitif. Il a généralement un aspect petit, arrondi, situé au bord radial du carpe entre trapèze et scaphoïde (chiens, ours, primates). Il est par contre très développé chez le panda aeluropoda, stigmatisé par Gould, et forme alors une pince puissante avec le pouce fixe. Exceptionnellement, le prépollex est double et son élément distal peut porter une griffe. Il prend chez le chien et le chat l’aspect de l’os dit phacoïde. Chez les talpinés (taupe), c’est l’os falciforme des insectivores fouisseurs. Le trapèze a un développement en rapport avec celui du pouce et la fonction d’opposition. Il est typiquement en selle mais présente parfois une conformation originale que nous verrons plus loin. Le trapèze peut manquer chez les animaux sans pouce comme le cheval ou les ruminants. Il est toujours présent chez le porc et les cervidés en dépit de l’absence du premier métacarpien. Chez l’éléphant, il s’unit au premier métacarpien (Lessertisseur et Saban). Le trapézoïde, est généralement distinct, mais peut parfois fusionner avec le grand os comme chez certains ruminants. Le capitatum, généralement le plus grand de la rangée distale peut se souder rarement au trapézoïde ou à l’hamatum (ruminants, édentés). L’hamatum correspond à la soudure déjà présente chez de nombreux reptiles entre les carpiens 5 et 4. Ceci est confirmé par l’embryologie mais aussi par le fait que l’os demeure
8.1.1. Monotrèmes Les monotrèmes sont des mammifères primitifs dont une des caractéristiques est la ponte d’œufs. La forme actuelle, l’ornithorynque, possède une main pentadactyle et plantigrade. La première rangée des os du carpe comprend un os scapholunaire et un pyramidal. Du côté radial, il existe un petit os sésamoïde articulé avec le scapholunaire. Nous retrouverons cette fusion scapholunaire chez les carnivores. 8.1.2. Marsupiaux Le carpe du kangourou actuel présente une disposition tout à fait particulière. La première rangée du carpe est stabilisée à la fois en dehors avec une synostose scapholunaire et surtout en dedans avec une très particulière synostose entre triquetrum et hamatum. L’os scapholunaire s’articule avec le trapèze, tandis que, du fait de l’absence de trapézoïde, le deuxième métacarpien vient s’encastrer dans le carpe. Une articulation ulnocarpienne est toujours présente avec un processus ulnaire s’articulant avec l’os triquétrohamatal. 8.2. Mammifères placentaires [9] 8.2.1. Non primates 8.2.1.1. Carnivores. La synostose scapholunaire est le fait (mais non l’apanage) de tous les carnivores. On la retrouve chez amphicyon major, carnivore ursidé de l’oligomiocène (30 millions d’années) retrouvé dans la faune de la grotte de Sansan (Gers, France). Trapèze trapézoïde et capitatum sont séparés, tandis que les quatrième et cinquième carpiens distaux forment comme chez tous les mammifères l’hamatum. Chez les canidés actuels ou chez le guépard (Fig. 2), la même disposition est retrouvée. La synostose scapholunaire entraîne une importante diminution de la mobilité intracarpienne dont atteste également l’aplatissement de la surface triquétrohamatale. L’ulna, toujours long, s’articule avec le triquetrum et un pisiforme particulièrement développé. Chez certains carnivores, en particulier le chat (Fig. 4), le coude présente une caractéristique très intéressante : le « canal entépicondylien ». Ce canal, mal nommé, est constitué par un pont osseux, prenant son origine sur la face antéromédiale de l’extrémité distale de l’humérus, se prolongeant jusqu’à l’épicondyle médial. À l’intérieur de ce canal passent, d’arrière en avant le nerf médian et l’artère brachiale. Ce pont osseux constitue une sorte de rétinaculum. Pour Godinot ce canal serait présent chez tous les mammifères primitifs. Il serait perdu chez les mammifères coureurs (ongulés). Il s’agirait
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limite alors en dedans cette boutonnière, et se prolonge jusqu’en bas sur l’épicondyle médial. On comprend alors que, lors de reprises chirurgicales après certaines transpositions antérieures du nerf ulnaire, des compressions hautes aient été notées par certains auteurs. Il s’agit d’une compression acquise secondairement après chirurgie, le nerf chevauchant le bord médial du ligament brachial interne du fait de la transposition. Il ne s’agit pas de la soi-disant « arcade de Struthers » entité définie par Spinner et non Struthers, et reposant à mon sens sur une erreur d’interprétation. Et le schéma classique de l’« arcade de Struthers » est en fait un schéma interprétatif de Spinner, Struthers n’ayant publié aucun dessin dans son travail anatomique initial. 8.2.1.2. Ongulés. Avec l’adaptation de plus en plus exclusive du membre cranial à la course, la main évolue depuis la plantigradie (ursidés) vers la digitigradie (la plupart des fissipèdes) puis l’onguligradie. Le nombre des rayons diminue tandis que les os du carpe évoluent vers une plus grande stabilité avec des surfaces articulaires plus planes et moins mobiles. Les ongulés sont répartis en deux groupes : ● les artiodactyles (paraxoniens) où l’axe du membre passe entre le troisième et quatrième rayons ; ● et les périssodactyles (mésaxoniens) où l’axe passe par le troisième rayon bientôt unique. L’adaptation évolutive a été bien étudiée chez les hippomorphes dont les formes fossiles sont abondantes. Il est intéressant de constater que la réduction du nombre des doigts à la main retarde souvent sur celle du pied. Contraintes mécaniques moins importantes et transformation moins rapide semblent donc liées. Fig. 4. Radiographie et dissection de l’articulation radiocarpienne du macaque (main droite, vue palmaire). Notez la présence d’une articulation cartilagineuse ulnocarpienne (collection personnelle).
chez l’homme d’un caractère atavique, manifestation d’un caractère primitif. Ce qui est intéressant, c’est de savoir que 1 % environ des hommes actuels (Laburthe-Tolra a retrouvé vingt tubercules sur une série de 3000 dissections personnelles) possèdent un vestige de ce canal sous la forme d’un tubercule osseux (le tubercule supraépicondylien médial) prolongé d’un ligament s’insérant sur l’épicondyle médial [2]. Ce reliquat est susceptible de comprimer le nerf médian et l’artère brachiale. Il a été parfaitement décrit par Struthers. À ce propos, Struthers a également décrit, sans le dessiner, ce qu’il a appelé le « ligament brachial interne » : c’est un épaississement du bord médial du septum intermusculaire médial qui n’existe, d’après notre propre étude [11], que dans les cas (75%) où le nerf ulnaire, à la partie haute du bras, est situé en avant de la partie haute du septum. Il passe alors nécessairement en arrière de lui en le traversant dans une boutonnière : le ligament brachial interne
8.2.1.3. Cétacés. À la fin du crétacé, un second retour à la vie marine a lieu, avec l’adaptation à la nage de certains mammifères : les cétacés (exemple : dauphin) et les siréniens (exemple : phoque). Par un phénomène de convergence, le membre pectoral évoque une nageoire, mais sa structure est celle du membre antérieur d’un tétrapode. Chez le phoque, il existe deux rangées, la première rangée comportant une synostose scapholunaire et un triquetrum, tandis que la deuxième rangée est constituée par le trapèze, le trapézoïde, le capitatum et l’hamatum. Les cinq rayons sont encore bien individualisés, de taille analogue. Par contre, chez le dauphin (Tursiops tursio), les premier et cinquième rayons sont vestigiaux, et les deuxième et troisième sont prédominants. La forme des os du carpe s’uniformise et se simplifie comme chez les plésiosaures. 8.2.2. Primates [6] Le plus ancien primate connu à ce jour est le purgatorius (70 millions d’années), primate qui n’est connu que par ses dents et ses mâchoires.
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Les primates se répartissent en fait en deux groupes : ● le premier est constitué par les strepsirhiniens, à narines externes qui comprennent les adapiformes et les lémuriformes : ● le deuxième groupe est constitué par les happlorhiniens, à narine interne, comprenant eux-mêmes les platyrhiniens (narines orientées en dehors), les catarhiniens (narines orientées vers le bas [Fig. 5]), et les hominoïdea (singes anthropoïdes et hominidés). Notharctus, du grès du Wyoming, puis adapis, découvert par Cuvier en 1821 dans les carrières du gypse de Montmartre, sont des primates primitifs remontant à l’éocène (38–55 millions d’années) et connus par de nombreux restes. Le carpe de ces espèces a fait l’objet d’une étude particulière. 8.2.2.1. Notharctinés. La plus ancienne main de primate actuellement connue est la main de smilodectes gracilis, datant de l’éocène moyen. Cette espèce fait partie des notharctinés du Wyoming découverts à partir de 1920 (Gregory). Une demi douzaine de spécimens a été retrouvée, permettant de reconstituer un carpe presque entier (à l’exception du trapézoïde et du prépollex). Ce carpe est formé, comme nous le verrons chez adapis, de dix os, incluant un prépollex et un os central. L’articulation entre la styloïde ulnaire, le triquetrum et le pisiforme, est typiquement primate. L’articulation scapholunaire est très mince, vraisemblablement mobile, mais le semi-lunaire est très étroit transversalement, de sorte que le contact radiocarpien est surtout radioscaphoïdien. La surface hamatale proximale est concavoconvexe, et présente donc déjà la forme spirale que nous connaissons. De même la selle trapézienne est déjà présente. Malgré l’absence de spécimen du trapézoïde, la forme triangulaire très accentuée du trapèze suggère un pouce déjà bien
Fig. 5. Main gauche de babouin (Papioporcaris). Main et pied des tétrapodes sont constitués selon le même schéma anatomique. Notez la correspondance entre le pisiforme et la grosse tubérosité du calcanéum (collection du musée Orfila, institut d’anatomie de Paris).
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divergeant par rapport aux doigts longs (Beard et Godinot 1988). L’étroitesse transversale du semi-lunaire évoque les lémuriformes et les tarsiers actuels, contrairement aux anthropoïdes où cette surface s’élargit. 8.2.2.2. Adapis. Ce primate, plus récent que Smilodectes gracilis (Notharctiné), remonte à la fin de l’éocène. La main a fait l’objet d’une étude remarquable par M. Godinot. La hauteur du carpe par rapport à la main, par rapport aux métacarpiens, et surtout par rapport aux doigts, augmente nettement comparativement à smilodectes. Le lunaire est légèrement plus large transversalement que chez smilodectes. L’articulation trapézométacarpienne est plus aplatie, et n’est pas de type sellaire. La mise en place du premier métacarpien sur le trapèze, en position de stabilité, donne un angle de divergence de 35 à 38 degrés. La surface spirale de l’hamatum est plus verticale, avec un triquetrum quadrangulaire. Ces caractères évoqueraient pour Godinot un carpe plus mobile que chez smilodectes, avec notamment d’avantage de pronosupination médiocarpienne. Le capitatum s’articule uniquement avec le troisième métacarpien, comme chez smilodectes, tarsiers et lémuriformes actuels. Ceci est en opposition avec les anthropoïdes où le capitatum s’articule également avec le quatrième métacarpien. Enfin, le développement vertical du capitatum reste faible par rapport à la hauteur prédominante de l’hamatum. 8.2.2.3. Proconsul. Le carpe du proconsul (Driopithecus africanus et Driopithecus nianze) est connu par la découverte entre 1984 et 1985 de 49 os sur le site de Rusinga Island au Kenya (Beard 1986). Cette espèce remonte à 20 millions d’années. La deuxième rangée des os du carpe a été totalement reconstituée avec notamment la découverte finale d’un trapézoïde, donnant une idée très précise sur la forme de la gouttière carpienne et la projection palmaire de la colonne du pouce. L’articulation trapézométacarpienne a une conformation en selle. 8.2.2.4. Singes anthropoïdes [8]. Les hylobatidés (Gibbon, Siamang) sont des singes brachiateurs à suspension arboricole type. Outre des phalanges et des métacarpiens recourbés caractéristiques, ils possèdent un carpe original à plus d’un égard. La surface articulaire proximale de l’hamatum n’a pas la forme hélicoïdale présente chez l’homme mais une forme plus régulièrement convexe poursuivant celle du capitatum et constituant avec lui un véritable condyle médiocarpien. L’hamatum est prédominant. L’articulation ulnocarpienne s’ouvre dans le même temps progressivement avec interposition d’un ménisque articulaire. L’os central, toujours présent, s’emboîte en arrière du scaphoïde. L’articulation trapézométacarpienne présente surtout un très curieux condyle trapézien en regard de la base du premier métacarpien cupuliforme.
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Chez les pongidés (Orang outang), brachiateurs intermittents, les panidés (gorille, chimpanzé) et les hominidés, le capitatum a un développement plus important que l’hamatum. Chez les panidés et les hominidés , l’os central se fusionne avec le scaphoïde. Ces modifications des conformations osseuses entraînent parallèlement un déplacement de l’axe du carpe qui devient oblique chez les panidés et l’homme: l’extension est automatiquement associée à une inclinaison radiale, et la flexion à une inclinaison ulnaire. Il s’agirait pour Lewis d’un caractère synapomorphique, c’est à dire un caractère dérivé et spécialisé, impliquant un ancêtre commun [1]. 8.2.2.5. Hominidés. Peu de pièces sont connues. Les spécimens AL333 appartenant à un australopithèque (3 millions d’années) de l’Afar en Éthiopie comprennent un trapèze en forme de selle, un capitatum (prédominant) et un hamatum.
La surface articulaire proximale de ces deux os a une forme spirale et non plus condylienne. Lucy (Johanson), spécimen AL288-1 (trois millions 600 000 ans), n’a de son carpe qu’un capitatum gauche, de même que l’australopithèque de Sterkfontein en Afrique du Sud (Broom et Le Gros-Clark). Citons le semi-lunaire du sinanthrope (Homo erectus, 500 000 ans). 8.2.2.6. Homme de néandertal. Il est très proche de nous (100 000–35 000 ans) et il ne doit pas être considéré comme un intermédiaire entre nos lointains ancêtres et nous même, mais plutôt comme un oncle extrêmement proche. Pourtant, outre le squelette crânien bien connu, le squelette postcrânien et singulièrement la main [10] montre des particularités constituant de véritables critères néandertaliens retrouvés aussi bien chez les spécimens d’Europe que du ProcheOrient. L’articulation trapézométacarpienne est très aplatie (La Ferrassie), voir même condylienne (La Chapelle aux Saints, Kiik Koba). Le carpe est relativement massif. Par ailleurs, nous avons eu la chance de décrire avec M. Sakka [7] en 1989, un cas de synostose lunotriquetrale chez un néandertalien (Fig. 6), nous permettant de reconstituer le seul carpe néandertalien complet actuellement connu [4]. Remerciements L’auteur tient à remercier vivement le Dr Jean-Marie Hennebelle, médecin vétérinaire, pour sa participation à la réalisation des Figs. 3 et 4. Références
Fig. 6. La synostose lunotriquetrale de La Ferrassie. a : vue osseuse ; b : radiographie en place.
[1] Guero S. Anatomie comparée de l’ostéologie des os du carpe des hominoïdea. Mémoire pour l’obtention du DEA préhistoire–ethnologie– anthropologie, option anthropologie biologique, morphologie évolution (Pr M. Sakka), université Paris-I, Panthéon Sorbonne, France 1993. [2] Laburthe-Tolra Y. Le tubercule supraépicondylien médial. ÀA propos de 3000 dissections personnelles chez l’Homme. Anatomie comparée, tentative d’approche mécanique et phylogénétique. Comm. Pers. Société Anatomique de Paris; 2001. [3] Lessertisseur J, Saban R. Traité de zoologie, anatomie, systématique, biologie, Grassé P.P., Tome XVI Mammifères, téguments et squelette. Paris: Masson; 1967. [4] Oberlin C, Sakka M. Le plus ancien cas de synostose du carpe : la synostose pyramidolunaire de La Ferrassie. Ann Chir Main 1989;8:269–72. [5] Oberlin C. Phylogenèse du membre supérieur. In: Manuel de chirurgie du membre supérieur. Paris: Elsevier; 2000. p. 1–31. [6] Preuschoft H, Chivers DJ. Hands of primates. Wien New York: SpringerVerlag; 1993 (421p). [7] Sakka M. Homme, société, évolution. Paris Amsterdam: Éditions des archives contemporaines; 1999 (233 p). [8] Senut B. Le coude des primates hominoïdes. Anatomie, fonction, taxonomie, évolution. Cahiers de paléoanthropologie. Éditions du CNRS Paris; 1989. [9] Szunyoghy A. Grand Cours d’anatomie artistique. Homme, animaux, anatomie comparée. Könemann Köln; 1996 (603 p). [10] Vilmeur I. La main des néandertaliens. Comparaison avec la main des hommes de type moderne, morphologie et mécanique. Cahiers de Paléoanthropologie. Paris: Éditions du CNRS; 1994. [11] Wehrli L, Oberlin C. The internal brachial ligament versus the arcade of Struthers: an anatomical study. Plast Reconstr Surg 2005;115(2):471–7.