Anémie et cancer, les liaisons dangereuses

Anémie et cancer, les liaisons dangereuses

Actualités pharmaceutiques Ř n° 506 Ř Mai 2011 formation dossier 10 Anémie et cancer, les liaisons dangereuses Une anémie affecte la majorité des p...

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Anémie et cancer, les liaisons dangereuses Une anémie affecte la majorité des patients cancéreux, qu’ils soient ou non bénéficiaires d’un traitement cytotoxique. Elle est généralement suffisamment profonde pour avoir un retentissement clinique significatif, ce qui explique l’importance portée à son diagnostic.

S

elon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux physiologique d’hémoglobine (Hb) est de 12 g/dL chez la femme (avant sa ménopause) et de 13 g/dL chez l’homme et la femme post-ménopausée. Un taux < 11 g/dL signe l’existence d’une anémie, d’intensité plus ou moins sévère (tableau 1). Tableau 1 : Gradation des anémies selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Grades de l’anémie

Intensité de l’anémie

Hémoglobinémie

0

Nulle

> 110 g/L

1

Faible, légère

95-110 g/L

2

Modérée

80-94 g/L

3

Grave

65-79 g/L

4

Menaçante

< 65 g/L

Adapté d’après : Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC). Recommandations pour la pratique clinique. Standards, options et recommandations (SOR) pour l’indication de l’agent stimulant l’érythropoïèse (ASE) dans la prise en charge de l’anémie en cancérologie. 2007.

Une complication fréquente du cancer Observée dès le diagnostic de cancer dans 30 à 50 % des cas, l’anémie affecte plus d’un patient sur deux au cours de sa maladie, et ce quel que soit le traitement cytotoxique prescrit. À titre d’exemple, dans une enquête européenne1 ayant porté sur plus de 15 000 patients atteints de divers types de tumeurs solides ou d’hémopathies

© Fotolia.com/Ingor Normann

Ř L’anémie affecte plus d’un patient sur deux au cours de son cancer.

malignes, 39 % des patients présentaient, à l’inclusion, un taux d’hémoglobine < 12 g/dL. Après administration d’une chimiothérapie, 63 % d’entre eux étaient anémiés. Les études rétrospectives, conduites pour la plupart dans les années 1990, indiquent que la survenue d’une anémie est surtout fréquente chez les patients souffrant d’un lymphome ou encore d’un cancer pulmonaire, ovarien ou testiculaire : 50 à 60 % d’entre eux requéraient à cette époque au moins une transfusion pendant l’évolution de la maladie. Ces données mettent en évidence la double origine de l’anémie du patient cancéreux : la maladie cancéreuse elle-même, mais aussi les traitements cytotoxiques.

L’impact des cytokines pro-inflammatoires L’anémie du patient cancéreux a, comme celle qui accompagne d’autres affections chroniques, pour origine une rupture homéostasique de l’action des cytokines modulant les réponses immunes ou inflammatoires dans l’organisme. Les cellules néoplasiques et les cellules immunitaires colonisant le tissu tumoral

L’anémie chez le patient cancéreux, des causes multiples Les étiologies de l’anémie chez le patient cancéreux sont multiples et volontiers intriquées. Ř+«PRUUDJLHV VDLJQHPHQWVRFFXOWHVJ\Q«FRORJLTXHV RXGLJHVWLIVQRWDPPHQWVDLJQHPHQWVSRVWRS«UDWRLUHV  Ř'«ƂFLWHQFRIDFWHXUVLPSRUWDQWVSRXUOő«U\WKURSR±ªVH IHUDFLGHIROLTXHYLWDPLQH% OL«¢ODG«QXWULWLRQFRPPH ¢ODPDODEVRUSWLRQ Ř'LPLQXWLRQGHODSRSXODWLRQGHSURJ«QLWHXUV «U\WKURF\WDLUHVGHODPRHOOHRVVHXVHGXIDLWQRWDPPHQW de la progression métastatique et d’un envahissement P«GXOODLUHSDUOHVFHOOXOHVPDOLJQHVPDLVDXVVLGHOőDFWLRQ GHVF\WRNLQHVSURLQƃDPPDWRLUHVV\QWK«WLV«HVSDUODWXPHXU Ř'LPLQXWLRQGHODV\QWKªVHGő«U\WKURSR±«WLQH (32  Ř,QDGDSWDWLRQGHODG\QDPLTXHGHVWLPXODWLRQ GHOő«U\WKURSR±ªVHSDUOő(32¢ODV«Y«ULW«GHOőDQ«PLH

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libèrent, en effet, des cytokines pro-inflammatoires ayant des activités directement ou indirectement délétères sur l’érythropoïèse : – des interleukines (IL-6, IL-1), le TNF-alfa (facteur nécrosant des tumeurs) et d’autres cytokines augmentent le taux d’hepcidinea, ce qui contribue à diminuer l’absorption entérique du fer et à le séquestrer dans le tissu réticuloendothélial, avec donc réduction de l’érythropoïèse ; – le TNF-alpha joue un rôle central dans le développement de l’anémie. Il abrège la vie des globules rouges en participant à l’activation des macrophages ; il inhibe en partie la prolifération des progéniteurs érythroïdes et inhibe l’érythropoïèse ; – les autres cytokines altèrent les progéniteurs de la moelle osseuse – une action qui s’ajoute à la toxicité médullaire de la chimiothérapie ou de la radiothérapie chez les patients traités pour cancer. Ceci entraîne l’apoptose des progéniteurs et une down-regulation de l’expression des récepteurs à l’EPO sur leur membrane ; – les cytokines induisent la formation de radicaux libres labiles (oxyde nitrique ou ions superoxydes) toxiques sur la lignée rouge ; – l’IFN-γ inhibe la synthèse de l’EPO ; le taux de cette hormone, qui devrait augmenter du fait de l’anémie, reste, de ce fait, trop faible (il faut associer à cette action la néphrotoxicité de nombreux agents cytotoxiques contribuant à altérer encore plus la production de l’EPO).

Les facteurs iatrogènes Au-delà des causes propres à l’évolution de la maladie cancéreuse elle-même, les traitements cytotoxiques mis en œuvre contribuent par eux-mêmes à aggraver l’anémie. Ř Influence de la chimiothérapie L’incidence et la sévérité de l’anémie induite par la chimiothérapie dépendent de nombreux facteurs souvent associés : doses cumulées de médicaments, fréquence de leur administration, traitements associés, éventuelle radiothérapie concomitante, âge et état général du patient, notamment au plan cardiovasculaire et ventilatoire. L’importance de l’anémie peut ainsi être corrélée aux divers protocoles de traitements mis en œuvre (tableau 2). Les traitements actifs de façon non ciblée sur la moelle osseuse altèrent la maturation des hématies, d’où l’apparition ou l’aggravation d’une anémie. La mitomycine C, notamment si elle est associée à d’autres cytotoxiques, et la gemcitabine peuvent être à l’origine d’une anémie hémolytique. Le cisplatine et les autres dérivés du platine dominent par leur toxicité sur la lignée rouge (voir encadré) même si la fréquence des anémies de grades 3 et 4 varie selon le protocole de chimiothérapie mis en œuvre.

Dérivés du platine, des agents cytotoxiques puissamment anémiants /HVDJHQWVF\WRWR[LTXHVFRQWHQDQWGXSODWLQH FLVSODWLQHFDUERSODWLQHRXR[DOLSODWLQH (OR[DWLQH® SU«VHQWHQWXQHWR[LFLW«K«PDWRSR±«WLTXHSURQRQF«HTXRLTXHYDULDEOH VHORQOHG«ULY«FRQVLG«U«*OREDOHPHQWOőDGPLQLVWUDWLRQGHFLVSODWLQHLQGXLWXQHDQ«PLH TXLDIIHFWHMXVTXő¢GHVSDWLHQWVWUDLW«VODYDOHXUODSOXVEDVVHGXQDGLU GHOőK«PRJORELQ«PLH«WDQWFRUU«O«HDXFXPXOGHVGRVHVUH©XHV L’anémie induite par le platine résulte de la conjonction de plusieurs actions : ŎSXLVVDQWHDFWLRQP\«ORVXSSUHVVLYHTXLDOWªUHOHSURFHVVXVGHGLII«UHQFLDWLRQ des hématies ; ŎDFWLRQWR[LTXHGLUHFWHVXUOHVK«PDWLHVPDWXUHVSDULQKLELWLRQGHOőDFWLRQSURWHFWULFH GXJOXWDWKLRQTXLOHVSURWªJHGHVUDGLFDX[R[\GDQWV ŎDJUHVVLRQGHOőHQGRWK«OLXPS«ULWXEXODLUHDYHFSHUWXUEDWLRQGHODSURGXFWLRQORFDOHGő(32 3RXUDXWDQWOőDGPLQLVWUDWLRQGHSODWLQHUHVWHLQFRQWRXUQDEOHGDQVOHWUDLWHPHQW GHQRPEUHX[W\SHVGHFDQFHUVP¬PHVLOHVSURWRFROHVDFWXHOVWHQGHQW ¢VőHQDIIUDQFKLUDXSURƂWGőDJHQWVDQWLFDQF«UHX[PLHX[WRO«U«V

Ř Influence de la radiothérapie Une anémie est fréquemment associée à la radiothérapie : dans une étude menée en 20002, 48 % des patients présentant une tumeur solide se sont révélés anémiés (Hb < 12 g/dL), ce chiffre passant atteignant 57 % après les séances de radiothérapie.

Les symptômes d’anémie chez le patient cancéreux L’anémie du patient cancéreux est, sauf exception, hyporégénérative (hypoplasie de la lignée érythrocytaire médullaire avec diminution du nombre des réticulocytes ou réticulocytose), normocytaire et normochrome.

Tableau 2 : Incidence de l’anémie dans divers protocoles de chimiothérapie Molécule cytotoxique ou protocole 5-fluorouracile 5-FU + carboplatine Cisplatine

Anémie de grade 1 ou 2

Anémie de grade 3 ou 4

Type de cancer traité (dans le cadre de l’étude de l’anémie)

-

11 %

Tête et cou

42 %

14 %

Tête et cou

-

11 %

Tête et cou Ovaires

Cisplatine + cyclophosphamide

43 %

9%

Cisplatine + étoposide

59 %

16-55 %

Poumon à petites cellules

Cyclophosphamide + hydroxyrubicine + vincristine + prednisone (protocole CHOP)

49 %

17 %

Lymphome non-hodgkinien

Docétaxel

73-85 %

2-10 %

Paclitaxel

93 %

7%

Poumon non à petites cellules Bronches

Paclitaxel + carboplatine

10-59 %

5-34 %

Poumon non à petites cellules

Paclitaxel + daunorubicine

78-84 %

8-11 %

Bronches

Topotécan

-

32 %

Poumon à petites cellules

Vépéside + ifosfamide + cisplatine

-

52 %

Poumon à petites cellules

67-71 %

5-14 %

Vinorelbine

Bronches

Adapté et traduit d’après : Dicato M, Plawny L, Diederich M. Anemia in cancer. Annals of Oncology 2010;21(suppl7):vii67-72.

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La sidérémie est réduite (hyposidérémie) alors que la ferritine est normale ou augmentée (hyperferritinémie). Ses symptômes varient selon sa vitesse d’installation. ŘSi celle-ci est rapide, des épisodes de tachycardie, d’hypotension orthostatique et une dyspnée sont retrouvés. ŘSi elle est lente, les signes sont plus discrets. Ainsi, généralement, l’effondrement progressif du taux d’Hb en deçà de 8 g/dL (anémie de grade 3-4) induit une asthénie intense, un malaise systémique (lipothymie, céphalées, vertiges), une pâleur des téguments avec altération des phanères (cheveux, ongles) et abaissement de la température cutanée, une dyspnée (d’abord d’effort, puis de repos), une tachycardie et diverses complications cardiovasculaires, une splénomégalie, une oxygénation musculaire insuffisante entraînant l’incapacité à réaliser un exercice physique et donc à assumer les activités banales de la vie quotidienne, des troubles cognitifs, une irritabilité et des troubles de l’humeur à type de dépression, des troubles du sommeil, et, au plan biologique, une leuconeutropénie modérée ainsi qu’une thrombocytose. La redistribution du flux sanguin entérique au profit d’organes ayant des besoins prioritaires en oxygène induit une anorexie, des nausées et une malabsorption des nutriments aggravant encore la fatigue du patient. Les symptômes varient aussi selon le terrain, l’âge, l’insuffisance cardiaque, etc. Le patient cancéreux âgé manifeste des signes cliniques d’anémie à des taux d’Hb supérieurs à ceux requis pour observer les mêmes signes chez des sujets non cancéreux. L’anémie compte au nombre des symptômes limitant l’activité habituelle du patient, symptômes corrélés à un déclin physique accéléré et à une mortalité accrue.

Les conséquences de l’anémie sur la qualité de vie du patient Pour évaluer la qualité de vie des patients souffrant d’une anémie, l’oncologue a volontiers recours au Functionnal assessment of cancer therapy-anemia

Ř Figure 1 : Corrélation entre l’évolution du taux d’hémoglobine et les modifications de la qualité de vie quantifiée sur une échelle visuelle de 100 mm (FACT-An). Les valeurs positives traduisent une amélioration et les valeurs négatives une détérioration de la qualité de vie. Adapté d’après : Longueville J. Fatigue et anémie chez le patient cancéreux. Louvain Médical 2004 ; 123 : 112-9.



  

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(FACT-An), complétant deux autres questionnaires classiques : le Functionnal assessment of cancer therapy-general (FACT-G) et le Functionnal assessment of cancer therapy-fatigue (FACT-F). Le FACT-An est composé de sept questions spécifiques : plus le score obtenu est important, meilleure est la qualité de vie du patient (figure 1). L’anémie altère la qualité de vie quotidienne du patient cancéreux en ce qu’elle contribue au développement d’une fatigue intense qui intrique d’autres causes physiologiques (déshydratation, infection, cachexie, troubles métaboliques et endocriniens), iatrogènes (chimio- ou radiothérapie, traitements antalgiques), psychologiques (anxiété, dépression, douleur), environnementales (insuffisance d’exercice physique, immobilité) mais aussi l’anorexie, les nausées, les suites chirurgicales. La fatigue se traduit, chez un sujet cancéreux, par un besoin inhabituel de fréquents moments d’un repos qui reste inefficace. Elle a des répercussions nombreuses et quotidiennes, perturbant le travail, empêchant tout effort physique, réduisant les activités sociales, empêchant la réalisation de tâches cognitives simples (mémorisation, concentration, etc.) ou la prise de responsabilités contraignantes et, surtout, altérant profondément les relations affectives et familiales. Chez le sujet âgé notamment, anémie et fatigue associées induisent fréquemment des troubles cognitifs obérant l’autonomie. Or, il semble qu’un traitement anti-anémique correctement conduit permette à ce type de patient de conserver plus longuement une autonomie satisfaisante. Il n’est donc pas étonnant que la fatigue constitue l’une des conséquences les plus redoutées au quotidien par le patient atteint d’un cancer. Ce symptôme, le plus fréquemment rapporté, affecte entre 80 et 100 % des patients placés sous chimiothérapie.

Les conséquences de l’anémie sur le tissu cancéreux Même si une corrélation directe entre anémie aiguë et hypoxie tumorale est démontrée, l’effet d’une anémie chronique et insidieuse sur la maladie cancéreuse s’interprète plus difficilement. Une hypoxie est mise en évidence au sein de types de tumeurs diversifiés : elle constitue un facteur associé à une résistance au traitement, à l’expression de phénotypes agressifs et à un pronostic péjoratif dans l’évolution de la maladie. Cette hypoxie influence le devenir de la tumeur de deux façons : – soit elle agit comme un facteur de stress qui inhibe la croissance et peut occasionner une mort cellulaire (par apoptose ou nécrose) ;

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     – soit, au contraire, elle favorise la progression tumorale en raison de modifications du protéomeb ou du génome hypoxy-inductiblesc. Ř Impact des modifications protéomiques Des études suggèrent qu’un stress hypoxique, maintenu pendant plus de 6 à 8 heures, ou des fluctuations dans la pression partielle en oxygène avec un nadir < 7 mmHg peuvent perturber l’expression de certains gènes, avec stimulation ou, au contraire, inhibition, et induire, de ce fait, une modification du protéome. Ces modifications du protéome peuvent accélérer le cycle cellulaire ou, au contraire, l’inhiber, retarder la différenciation, induire une apoptose ou une nécrose. Ř L’arrêt du cycle cellulaire en phase G1/S peut résulter de l’impact de l’hypoxie sur l’activation des inhibiteurs de kinases cycline-dépendants p21 et p27 par le facteur HIF-1a (Hypoxia inductible factor 1a). Cette réponse est indépendante de la protéine p53d, même s’il est acquis que l’hypoxie induit une accumulation intracellulaire de cette dernière. L’hypoxie est ainsi à l’origine d’une apoptose, dépendante ou non du p53. Ř Des études expérimentales suggèrent aussi que l’hypoxie agit comme facteur morphogénique perturbant la différenciation terminale des cellules, avec dans ce cas mort par nécrose. Les modifications du protéome cellulaire permettraient aux cellules néoplasiques de s’accoutumer à la carence nutritive et favoriseraient leur migration et leur dissémination métastatique (qui pourrait être comprise comme une évolution leur permettant d’échapper au milieu défavorable que représente la tumeur hypoxique). L’un des promoteurs essentiels de l’adaptation de la cellule au stress hypoxique est le facteur de transcription HIF-1, qui s’accumule lorsque la pression partielle en oxygène dans la cellule diminue. HIF-1 active plus de trente gènes dont la plupart codent pour des protéines participant à la diffusion et à l’utilisation de l’oxygène dans les tissus (dont, en particulier, l’EPO), à l’angiogenèse (Vascular endothélial growth factor VEGF), à l’économie d’énergie (enzymes de glycolyse, protéines vectrices du glucose) et à d’autres processus essentiels à la survie des cellules tumorales, mais facilitant aussi leur dissémination métastatique. Précisément, l’angiogenèse constitue un processus fondamental dans la progression tumorale car une tumeur ne peut excéder environ un millimètre de diamètre sans bénéficier d’apports sanguins adéquats et répondant à ses besoins en oxygène. Ř Impact des modifications génomiques Des mutations dans les oncogènes et/ou les gènes suppresseurs des tumeurs participent de façon

     

        

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Ř Figure 2 : Rôle de l’hypoxie dans le développement d’une réponse phénotypique tumorale agressive et dans la progression maligne conduisant à une résistance au traitement cytotoxique et à un pronostic défavorable pour le patient. Adapté et traduit d’après : Vaupel P, Harrison L. Tumor Hypoxia: causative factor, compensatory mechanisms, and cellular Response. The Oncologist 2004;9(suppl5):4-9.

cruciale à l’agressivité tumorale. L’hypoxie (pO2 = 7 mmHg) est à l’origine d’une instabilité génomique expliquant une augmentation du nombre de mutations et de variants géniques. Elle exerce, de façon parallèle, une forte pression de sélection sur les lignées cellulaires en faveur des cellules les plus aptes à survivre en milieu hypoxique (celles ne répondant que peu ou pas au manque relatif en oxygène par une stase du cycle ou une apoptose et/ou une augmentation de l’angiogenèse). Ainsi, des lignées tumorales soumises à un stress hypoxique sélectionnent des populations cellulaires p53-mutées ayant perdu leur capacité apoptotique et rendues, de ce fait, plus résistantes aux agressions. Une sélection clonale est donc à l’œuvre dans le micro-environnement hypoxique que constitue une tumeur solide. Ce phénomène conduit à augmenter l’hypoxie (figure 2). Par exemple, du fait de l’imperfection de la néo-angiogenèse, les vaisseaux sanguins formés ne possèdent pas les caractéristiques des vaisseaux normaux et ne permettent pas de maintenir une perfusion tissulaire correcte, en raison, notamment, de pressions interstitielles élevées. Il s’ensuit un renforcement de la sélection et la constitution d’un cercle vicieux concourant à favoriser l’expansion maligne. Au plan clinique, ceci se traduit par un envahissement locorégional plus rapide et par la dissémination de métastases, mais aussi par une résistance accrue à la radiothérapie ou à certains protocoles de chimiothérapie.

Conséquences de l’anémie sur l’efficacité des traitements anticancéreux La participation de l’hypoxie à la résistance des tumeurs aux radiations ionisantes a été démontrée, il y a un siècle, avec les observations du radiologue allemand Gottwald Schwarz (1880-1959). De nombreux

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travaux ont été consacrés à cette question des années 1920 aux années 1950. En cancérologie, les rayonnements mis en œuvre induisent une radiolyse de l’eau avec formation in situ de radicaux libres cytotoxiques, l’ensemble étant étroitement lié à la concentration locale en oxygène (“facteur d’amplification de l’oxygène”). Cet effet “oxygène” est connu de tous les radiologistes : une faible tension partielle en oxygène (pO2) diminue la radiosensibilité. En effet, les cellules insuffisamment

L’oxygénation du tissu tumoral solide /HVGHVFULSWLRQVDQDWRPRSDWKRORJLTXHVGHOőDUFKLWHFWXUHGHVWXPHXUVU«YªOHQWXQH RUJDQLVDWLRQFRPSOH[HDVVRFLDQWGHV]RQHVGHQ«FURVHFHQWUDOHVHQWRXU«HVGHWLVVXVYLDEOHV VXELVVDQWXQHK\SR[LHF\FOLTXHOL«H¢ODYDVRFRQVWULFWLRQMXVTXő¢XQHGLVWDQFHGőHQYLURQ wPGHVFDSLOODLUHVGLVWDQFHDXGHO¢GHODTXHOOHOHVWLVVXVVRQWHQK\SR[LHFKURQLTXH /őR[\J«QDWLRQGXWLVVXWXPRUDOVROLGHFRQVWLWXHXQ«TXLOLEUHG«OLFDWHQWUHOőDSSRUWGőR[\JªQH HWVDFRQVRPPDWLRQ/DSOXSDUWGHVFRQQDLVVDQFHVDFWXHOOHVVXUOőR[\J«QDWLRQUHSRVHVXU Oő«WXGHGHFDQFHUVXW«ULQVORFDOHPHQWDYDQF«V$XWRWDOGHFHVWXPHXUVSU«VHQWHQWGHV ]RQHVK\SR[LTXHVYRLUHDQR[LTXHVHWODYDOHXUPR\HQQHHWP«GLDQHGHODSUHVVLRQSDUWLHOOH HQR[\JªQHGDQVODWXPHXUFRQVLG«U«HGDQVVDJOREDOLW«HVWLQI«ULHXUH¢FHOOHGHWLVVXV VDLQV UHVSHFWLYHPHQWHWPP+JversusHWPP+J /őR[\J«QDWLRQHWOőH[WHQVLRQ GHV]RQHVGőK\SR[LHQHVRQWSDVFRUU«O«HV¢Oő«YROXWLRQGHODWXPHXU¢VDWDLOOH¢VRQW\SH KLVWRORJLTXHHW¢VRQGHJU«GHPDOLJQLW«'HP¬PHOHWDX[GőR[\J«QDWLRQHVWLQG«SHQGDQW GHOő¤JHGXSDWLHQWGőXQHP«QRSDXVHU«DOLV«HRXQRQHWGőXQ«YHQWXHOWDEDJLVPH /őK\SR[LHSHXW¬WUHRFFDVLRQQ«HSDUGLYHUVIDFWHXUV ŎOőK\SR[LHDLJX­HVWOL«H¢XQHSUHVVLRQVDQJXLQHLQVXIƂVDQWHGDQVOHVWLVVXV/HVPLFUR YDLVVHDX[WXPRUDX[SU«VHQWHQWIU«TXHPPHQWGHVDQRPDOLHVVWUXFWXUHOOHVHWIRQFWLRQQHOOHV OHXUU«VHDXHVWLQRUJDQLV«,OVIRUPHQWXQV\VWªPHWRUWXHX[R»DOWHUQHQWGHV]RQHVGLODW«HV HWGőDXWUHVUHVVHUU«HV/őHQGRWK«OLXPHVWSDUIRLVSOXVRXPRLQVDEVHQWQőH[SULPHSDV WRXVOHVU«FHSWHXUVQRUPDOHPHQWSU«VHQWV'HSOXVODFRQVWLWXWLRQGHPLFURHPEROV\HVW IU«TXHQWH$XWRWDOOőREVHUYDWLRQGőXQHK\SR[LHLVFK«PLTXHHVWIU«TXHQWHPDLVVRXYHQW transitoire ; ŎOőK\SR[LHFKURQLTXHOL«H¢XQSUREOªPHGHGLIIXVLRQU«VXOWHGőXQHDXJPHQWDWLRQGHOD]RQH R»OőR[\JªQHGRLWGLIIXVHUORUVTXHODWXPHXUSUHQGGXYROXPH/HVFHOOXOHVGLVWDQWHVGHSOXV GHwPHQYLURQGőXQYDLVVHDXQXWULWLIQHUH©RLYHQWSDVDVVH]GőR[\JªQH8QSK«QRPªQH VHPEODEOHVőREVHUYHORUVTXHOHVDQRPDOLHVYDVFXODLUHVLQWUDWXPRUDOHVIRQWFRH[LVWHU GHID©RQSDUDOOªOHGHX[PLFURYDLVVHDX[R»OHVDQJFLUFXOHHQVHQVLQYHUVHOőR[\JªQH de l’un est alors directement capté par les hématies de l’autre ; ŎOőDQ«PLHK\SR[LTXHU«VXOWHTXDQW¢HOOHGőXQHLQDGDSWDWLRQGHODFDSDFLW«GHWUDQVSRUW HQR[\JªQHGXVDQJSDUGLPLQXWLRQGHVRQSRXYRLUR[\SKRULTXHFHWWHDQ«PLHSHXW¬WUH HVVHQWLHOOH DQ«PLHGHVPDODGLHVFKURQLTXHV RXLDWURJªQH LQGXLWHQRWDPPHQWSDUOHV GURJXHVF\WRWR[LTXHV /HV«WXGHVH[S«ULPHQWDOHVRQWPRQWU«TXHOőDQ«PLHVXUYLHQWORUVTXH OHWDX[Gő+EGDQVOHVDQJFKXWHHQGH©¢GH¢JG/HWFHGőDXWDQWSOXVTXőXQHIDLEOH FDSDFLW«GHWUDQVSRUWGHOőR[\JªQHFR±QFLGHDYHFXQIDLEOHWDX[GHSHUIXVLRQ 'DQVOHWLVVXVDLQXQHR[\J«QDWLRQDG«TXDWHHVWREWHQXHVLOőK«PRJORELQ«PLHHVW PDLQWHQXHDXGHO¢GHJG/HQWUHFHWDX[HWJG/OőR[\J«QDWLRQELHQTXHIRUWHPHQW U«GXLWHUHVWHDFFHSWDEOHHWSHXW¬WUHFRPSHQV«HSDUXQHDXJPHQWDWLRQGXG«ELWVDQJXLQ (QUHYDQFKHOHWLVVXWXPRUDOQHSHXWU«SRQGUH¢OőK\SR[LHSDUXQHDGDSWDWLRQFRK«UHQWH GXG«ELWVDQJXLQŎQRWDPPHQWFDULOQHSHXWPRGXOHUOHVU«VLVWDQFHVYDVFXODLUHVORFDOHVŎ HWVHWURXYHUDSLGHPHQWHQ«WDWGőK\SR[LHRXGőDQR[LH

oxygénées, situées notamment dans la périphérie tumorale, sont moins sensibles aux radiations ionisantes que les cellules correctement oxygénées, à savoir celles qui sont situées dans une zone suffisamment vascularisée de la tumeur. La plupart des tumeurs solides étant mal irriguées en raison de la néoformation anarchique de vaisseaux sanguins et l’hypoxie s’y trouvant accrue par l’anémie, elles sont souvent irrégulièrement sensibles à la radiothérapie. L’hypoxie tumorale s’est également révélé diminuer l’efficacité de certaines drogues cytotoxiques et notamment celle du cyclophosphamide, du carboplatine, de la carmustine et du melphalan.  Diane Lévy-Chavagnat Praticien hospitalier, vice-présidente du COMEDIMS, Centre hospitalier Henri Laborit, Poitiers (86) [email protected]

Références 1. Bréchot JM et al. Traitement de l’anémie et des métastases osseuses dans le cancer bronchique non à petites cellules. Une enquête française. Rev Pneumol Clin 2005 ; 61(1) : 23-9. 2. Demetri GD. Anaemia and its functionnal consequences in cancer patients : current challenges in management and prospects for improving therapy. Br J Cancer 2001;84(suppl1):31-7.

Notes a. L’expression de l’hepcidine, une hormone polypeptidique d’origine hépatique, augmente en cas de surcharge ferrique ou d’inflammation systémique ; elle diminue en cas de carence martiale ou d’augmentation de l’activité érythropoïétique. Elle provoque une diminution de l’absorption intestinale de fer, ainsi qu’une séquestration de ce métal dans les réserves : elle est donc hyposidérémiante. b. Protéome : ensemble des protéines exprimées dans une cellule, une partie d’une cellule ou un groupe de cellules dans des conditions données et à un moment donné. c. Les zones hypoxiques (pO2 = 2,5 mmHg), nombreuses au sein des tumeurs solides et souvent corrélées à un stade avancé de la maladie, sont distribuées de façon hétérogène et séparées par des zones où la pression partielle en oxygène est comparable à celle des tissus sains environnants. d. La fonction première de la protéine p53 est d’agir en tant que facteur de transcription. Elle se fixe de manière spécifique sur les régions régulatrices de gènes dont elle contrôle l’expression. Dans une cellule normale, en l’absence de stress, il n’y a que peu de protéine p53 car celle-ci n’est pas nécessaire à son fonctionnement. Cette absence de p53 est due à l’enzyme mdm2, une ubiquitine-ligase qui, en se fixant sur p53, induit sa destruction. Lorsque la cellule est stressée, par exemple en situation d’hypoxie, l’association entre p53 et mdm2 est abolie, ce qui conduit à une augmentation de la quantité de p53. Cette phase est dite d’activation. Dans un deuxième temps, la p53 subit de nombreuses modifications post-traductionnelles activant sa fonction de facteur de transcription : cette phase est dite de “modification”. Dans un troisième temps (phase dite de “réponse”), la p53 active la transcription d’un grand nombre de gènes. L’ensemble de ce programme peut conduire à deux résultats : l’arrêt du cycle cellulaire ou l’apoptose. L’arrêt du cycle cellulaire permet à la cellule de stimuler ses mécanismes de réparation (certains sont directement activés par p53). Lorsque la réparation est effectuée, le taux de p53 baisse et le cycle cellulaire reprend. Dans d’autre cas, quand les dommages ne sont pas réparables, la cellule se suicide par un mécanisme connu sous le nom d’apoptose et directement contrôlé par la p53 dont l’un des rôles est d’activer, entre autres, l’expression du gène de Bax. Bax, en se dimérisant, perfore la membrane mitochondriale et permet au cytochrome C de sortir : c’est, là, l’évènement central du processus apoptotique. On ignore pourquoi et comment certaines cellules s’orientent vers l’apoptose ou un arrêt de leur cycle (encyclopédie en ligne Wikipédia, version française, consultée le 22 février 2011).