Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

DOSSIER MISE AU POINT Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses C. Jacquot Consultant, Service de néphrologi...

2MB Sizes 6 Downloads 190 Views

DOSSIER

MISE AU POINT

Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

C. Jacquot Consultant, Service de néphrologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris [email protected]

L

e cœur a été considéré longtemps comme le centre de la vie, tout particulièrement par les cardiologues… La physiologie et les néphrologues ne manquent pas de leur rappeler que c’est en bonne partie le rein, 5 % du poids du corps captant 20 % du débit cardiaque, qui maintient les conditions de son fonctionnement idéal par un dialogue très élaboré et de tous les instants entre ces deux organes vitaux et interdépendants. Mais que l’un ou l’autre ou les deux viennent à défaillir, leur alliance parfaite se transforme en une guerre sans merci, l’amélioration de la fonction cardiaque ne survenant bien souvent qu’au prix d’une détérioration de la fonction rénale et inversement. C’est l’objectif d’une collaboration étroite entre cardiologues et néphrologues que de réussir à faire naviguer leurs malades « cardio-rénaux » le plus longtemps possible entre ces deux écueils, le néphrologue ayant à sa disposition lorsque la situaNe pas méconnaître tion n’est plus tenable l’épuune cause curable ration extrarénale (EER) plus d’insuffisance cardiaque facile à mettre en œuvre que ou rénale. l’assistance circulatoire temporaire, la greffe et le cœur artificiel… D’un point de vue épidémiologique, 3 % de la population seulement, mais 30 % des plus de 70 ans, souffre d’insuffisance cardiaque (IC) et plus de 5 % d’insuffisance rénale (IR). Près de 40 % des insuffisants cardiaques et des coronariens ont une altération de la fonction rénale. La maladie rénale chronique de stade IV (15 < débit 20

de filtration glomérulaire < 29 ml/mn) et de stade V (DFG < 15 ml/mn) augmente le risque d’événements cardiovasculaires d’un facteur 10 et 16 (figure 1) respectivement, ce qui la met largement en tête des facteurs de risque. Il s’y ajoute que 50 % des IRC arrivant au stade de l’épuration EER ont au moins une comorbidité cardiovasculaire (figure 2). Enfin, les trois quart des diabétiques de type II insuffisants rénaux décèdent de causes cardiovasculaires avant d’atteindre le stade de l’EER et les patients traités par une méthode de remplacement rénal ont davantage de chances de décéder de causes cardiovasculaires que de l’IR ellemême. La prévalence des maladies cardio-rénales ne pourra qu’augmenter avec la prévalence de l’obésité, du diabète de type II, de l’athérosclérose et l’allongement de l’espérance de vie. Leurs traitements sont d’ores et déjà un problème majeur de santé publique et reposent idéalement sur une prise en charge cardiologique, diabétologique et néphrologique intégrée. Ils nécessitent une bonne compréhension de la physiopathologie du syndrome cardiorénal malgré les progrès restant à faire dans ce domaine.

Rappel physiologique Rappel sur la physiopathologie de l’IC Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) circulant (actions hémodynamiques à AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

court terme) et tissulaire (actions à long terme sur les structures) La baisse du débit cardiaque entraîne une baisse du débit dans l’artériole afférente du glomérule et une stimulation du SRAA qui conduit à une rétention hydrosodée, une augmentation de la précharge et donc une

aggravation de l’IC. Mais ceci n’est qu’une vision très parcellaire du phénomène. L’angiotensine II augmente également la postcharge et les besoins en oxygène du myocarde. Il active la NADPH-oxydase des cellules endothéliales, des cellules musculaires lisses, des cellules tubulaires et des

MISE AU POINT

DOSSIER

C. Jacquot

Figure 1. L’IRC est un facteur de risque majeur d’événements cardiovasculaires. Survenue d’événements cardiovasculaires selon l’âge et le débit de la filtration glomérulaire chez 1 120 295 adultes ambulatoires (selon Go AS et al, N Engl J Med 2004;351:1296-305).

Figure 2. IRC terminale : calcifications et rétrécissement de l’artère coronaire droite.

AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

21

DOSSIER

MISE AU POINT

Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

cardiomyocytes entrainant une diminution de la biodisponibilité du NO, une inflammation des parois vasculaires, une hyperproduction d’anions superoxydes et, in fine, une aggravation de la fibrose rénale, artériolaire et myocardique. L’angiotensine II stimule également la synthèse d’endothéline. Plus récemment, le rôle propre de l’aldostérone sur l’hypertrophie et la fibrose myocardique est devenu une cible primordiale du traitement. Des arguments expérimentaux suggèrent qu’il en sera de même pour le rein. Le système nerveux sympathique (SNS) Au cours de l’IC, l’activation du SNS est destinée à maintenir le débit cardiaque par son effet chronotrope et inotrope. Mais à la longue, elle aboutit à une réduction de la densité des béta-adrénorécepteurs myocardiques et à une diminution de la sensibilité des adrénorécepteurs myocardiques et rénaux. Si bien qu’à terme, ne persistent que les effets délétères de l’activation du SNS : hypertrophie et apoptose des cardiomyocytes, sécrétion de neuropeptide Y vasoconstricteur et facteur de croissance vasculaire et d’artériosclérose. L’augmentation de la pression veineuse et de la pression intra-abdominale Ce facteur est insuffisamment pris en compte et pourtant la pression de perfusion rénale est égale à la pression artérielle moyenne – la pression auriculaire gauche, reflet de la pression veineuse rénale. Ainsi, l’augmentation de la pression intra-abdominale, de la pression veineuse rénale et de la pression dans l’oreillette droite entraine une diminution du DFG et une rétention hydrosodée. Il en est de même en cas de compression extrinsèque des veines rénales. La distension de l’OD induit une sécrétion d’ANP, hormone vasodilatatrice et natriurétique, dont l’utilisation en thérapeutique semble comporter plus de risques que d’avantages. L’hypovolémie « efficace » Très fréquente dans l’IC grave, elle est un stimulus de production de l’ADH qui, par l’activation de son récepteur V2 sur le tube collecteur rénal, induit une réabsorption

22

d’eau et d’urée responsable d’une hyponatrémie si on ne prévient pas celle-ci.

Rappel sur la physiopathologie de l’IRC Le SRAA L’IRC, sauf dans de rares cas de néphropathies interstitielles chroniques, entraîne une stimulation du SRAA avec hypertension artérielle plus ou moins sévère et une rétention hydrosodée. Ces deux phénomènes s’aggravent au fil du temps, la balance entre augmentation de la précharge et de la postcharge étant variable en fonction de nombreux facteurs dont la cause et le stade de la néphropathie mais aussi les apports sodés et l’état myocardique. L’ensemble explique l’extrême fréquence des cardiopathies associées et leur nature : hypertrophie simple du ventricule gauche avec une fraction d’éjection (FE) normale mais des troubles de la compliance parfois majeurs, hypertrophie dilatation, dilatation sans hypertrophie avec abaissement de la FE, IC globale avec dilatation biventriculaire et biauriculaire, cardiopathie rythmique, cardiopathie ischémique très fréquente et parfois silencieuse en particulier chez le diabétique et lorsque l’asthénie réduit l’activité physique. L’anémie L’IRC entraîne, mais seulement à un stade avancé (IVb et V), une anémie par carence en érythropoïétine (EPO). Toutefois, l’anémie peut s’installer plus tôt dans l’évolution. Il faut alors chercher une autre cause dont une carence en fer, en folates ou en vitamine B12 à corriger avant d’envisager un traitement par EPO. Par ailleurs, l’hypervolémie, habituelle au cours de l‘IRC et de l’IC grave, est associée à une hémodilution, ce qui peut expliquer une hémoglobine basse, par exemple 10,5 g/100 ml, alors que la masse globulaire est normale. La mortalité et la morbidité cardiovasculaires ne sont pas affectées par une anémie modérée (Hb>9,5 g/dl). Les troubles hydroélectrolytiques liées à l’IRC Ils sont générateurs d’anomalies fonctionnelles myocardiques. Si, sur le court terme AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

et à apports hydrosodés stables, le bilan sodé est nul et les entrées égales aux sorties, le rein est incapable d’éliminer une augmentation brutale et souvent « accidentelle » des apports sodés (par exemple, repas de fête, perfusion de volumes inconsidérés,…) qui générera une aggravation de l’HTA et une poussée d’insuffisance ventriculaire gauche. L’hyperkaliémie, outre les troubles de la conduction et du rythme qu’elle induit, peut provoquer une IC aiguë sans qu’il y ait de corrélation étroite entre le niveau de la kaliémie et la gravité de cette IC. En revanche, l’hyperkaliémie est d’autant moins tolérée que le myocarde est davantage pathologique. Mais, en règle, une kaliémie comprise entre 4 et 5,5 mmol/l n’entraîne aucun trouble. La survenue brutale d’une défaillance cardiaque chez un insuffisant rénal terminal doit faire évoquer en priorité une hyperkaliémie et administrer rapidement par voie intraveineuse en attendant le résultat de l’ionogramme, deux ampoules de gluconate de calcium. L’hypocalcémie profonde peut également aggraver une IC. Le risque de surdosage des molécules à élimination rénale L’IRC s’accompagne d’une accumulation des drogues à élimination partiellement ou totalement rénale et expose à un risque de surdosage parfois méconnu… Ceci est vrai pour certains IEC et bétabloquants.

Comment gérer un syndrome cardio-rénal ? Il existe une grande diversité de situations allant de l’IR principalement fonctionnelle liée à une IC stade IV, à l’IRC avancée et principalement organique responsable d’une IC par le biais de l’association diverse d’une HTA sévère, d’une coronaropathie et d’une inflation hydrosodée majeure. Cette gestion repose sur quatre principes simples : • ne pas méconnaitre une cause curable d’insuffisance cardiaque ou rénale, AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

• la sauvegarde de la fonction cardiaque prime sur celle de la fonction rénale qu’on peut toujours remplacer, • cardiologues et néphrologues se servent des mêmes outils mais doivent mieux harmoniser leur utilisation, • dans les impasses thérapeutiques, penser à l’EER.

MISE AU POINT

DOSSIER

C. Jacquot

Penser aux causes aisément curables d’IC ou/et d’IR L’association FEVG inférieure à 40 % IR chez un polyvasculaire est provoquée dans 7 % des cas par des sténoses serrées (> 70 %) bilatérales des artères rénales ou unilatérales sur rein unique fonctionnel dont le traitement par angioplastie fait régresser spectaculairement l’IC et partiellement l’IR (figures 3 et 4) Sur ce terrain, la répétition d’œdème aigu pulmonaire flash et l’augmentation de plus de 30 % de la créatinine sérique à l’introduction d’un traitement par IEC ou Sartan – qui ne soit pas expliquée par une déplétion hydrosodée – sont très évocatrices. Il est facile de passer à côté de ce diagnostic : la défaillance cardiaque peut être d’une sévérité telle que la pression artérielle s’est normalisée, les signaux Doppler atténués ou inexistants en raison de la baisse du débit cardiaque et l’angio IRM ininterprétable. Ainsi, faut-il savoir décider une artériographie directe lorsque l’IC est réfractaire à un traitement médicamenteux maximum, que l’IR est arrivée au stade terminal et que le diagnostic de SAR bilatérales et serrées est plausible. Il ne faut pas refuser cette dernière chance à un patient qui n’a plus rien à perdre. Les œdèmes chez un cardiaque ne sont pas toujours expliqués par l’IC Ils exigent comme tous les œdèmes la recherche par bandelette-réactive de protides et de sang dans les urines au moins une fois dont on peut déplorer la disparition des pratiques quotidiennes. Ainsi, l’association protéinurie, hématurie, hypertension artérielle, œdèmes avec insuffisance ventriculaire gauche et IR, signe un syndrome néphritique aigu traduisant une glomérulonéphrite proliférative d’origine bactérienne tout particuliè23

DOSSIER

MISE AU POINT

Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

Figure 3. Œdème aigu pulmonaire flash et IR par sténose serrée des deux artères rénales.

Figure 4. Insuffisance cardiaque réfractaire : sténose supérieure à 70 % de l’artère rénale gauche, thrombose de l’artère rénale droite ; anurie sous IEC.

rement au cours des endocardites, des pneumonies à pneumocoque et des surinfections de troubles trophiques chez le diabétique… et plus rarement une cryoglobulinémie de type I ou II (figure 5). Il est arrivé qu’on procède à un remplacement valvulaire en urgence pour défaillance cardiaque alors que celle-ci était provoquée par une glomérulonéphrite et non par une fuite valvulaire… 24

Ne pas oublier que les sujets âgés sont perclus de rhumatismes et s’auto-médiquent avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens transcutanés dont il n’est pas du tout exclu qu’ils puissent avoir des effets systémiques dont une majoration de la pression artérielle et une aggravation de la rétention hydrosodée s’ils sont appliqués sur de larges surfaces AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

MISE AU POINT

DOSSIER

C. Jacquot

Figure 5. Syndrome néphritique aigu avec IR et œdème aigu pulmonaire par cryoglobulinémie de type II. Biopsie rénale : glomérulonéphrite (GN) proliférative endocapillaire.

Sauvegarder la fonction cardiaque est prioritaire par rapport à la fonction rénale Il est regrettable que les explorations et les traitements cardiovasculaires soient sousutilisés chez les patients souffrant d’IR, alors qu’ils sont à risque considérablement accru de morbi-mortalité cardiovasculaire. Il faut encore insister sur le fait les IEC/sartans, même s’ils peuvent provoquer une aggravation fonctionnelle d’une IR, ne sont pas néphro-toxiques mais qu’ils ont au contraire un effet néphro- et cardio-protecteur propre que ne possèdent ni les diurétiques, sauf les antialdostérones, ni la plupart des autres vasodilatateurs. Les statines ne sont pas non plus néphro-toxiques. Surtout, il ne faut pas priver les insuffisants rénaux de coronarographie et d’angioplasties lorsqu’elles sont susceptibles d’améliorer leur qualité ou leur espérance de vie. En pratique, il est plutôt rare d’observer une dégradation durable de la fonction rénale à la suite d’une coronarographie si la quantité produit de contraste est limitée au strict nécessaire, à condition d’une hydratation suffisante et compatible avec la situation cardiaque et d’une suspension des IEC/sartans dans les 24 heures précédant et le matin de l’examen. AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

Les outils communs aux cardiologues et néphrologues Les IEC/sartans peuvent être utilisés quelle que soit la fonction rénale, en tenant compte du DFG, en maîtrisant une éventuelle hyperkaliémie par une résine échangeuse d’ions et en acceptant une augmentation de 20 à 30 % de la créatinine sérique qui ne signifie pas pour autant une majoration des lésions anatomiques rénales. Ces molécules doivent être introduites à posologie prudemment croissantes en surveillant après chaque augmentation de posologie la créatinine et le ionogramme sanguins avec dosage de la réserve alcaline. La postcharge doit être réduite au maximum et la pression artérielle ramenée dans les valeurs basses de la normale sans hypotension orthostatique. Il peut être nécessaire dans les myocardiopathies les plus sévères d’abaisser la pression artérielle systolique vers 90-100 mm Hg. La précharge doit être également abaissée pour diminuer la pression dans les veines rénales et améliorer entre autres le DFG. Toutefois, une déplétion hydrosodée trop vigoureuse peut entrainer une diminution du débit cardiaque et de la fonction rénale. Il s’agit de trouver dans chaque situation particulière le meilleur compromis possible 25

DOSSIER

MISE AU POINT

26

Insuffisance rénale et insuffisance cardiaque avancée : les liaisons dangereuses

entre l’abaissement de la précharge et celui de la postcharge, c’est-à-dire entre vasodilatateurs et diurétiques. Les sténoses des artères rénales ne sont une contrindication aux IEC/sartans que si très serrées et bilatérale. Il faut alors envisager une angioplastie. L’IC sévère est habituellement associée à une résistance relative aux diurétiques. Les plus puissants sont les diurétiques de l’anse, le furosémide et le bumetamide (moins utilisé car parfois responsable de myalgies intenses). Le furosémide per os ou IV doit être titré progressivement et pour la forme per os administré à jeun en 2 prises au minimum, sa demi-vie étant courte. La voie IV, à la seringue électrique pour les plus fortes doses (risque de surdité), permet de contourner une éventuelle malabsorption. Pour les deux voies, la posologie maximale est de 1 000 mg/j (il existe des comprimés sécables de 500 mg). Pour la voie IV, il ne faut pas et il n’y a pas intérêt à dépasser 250 mg sur 30 min à renouveler 4 fois par jour. La perfusion continue ne donne pas de résultats clairement meilleurs que la discontinue. La résistance aux diurétiques de l’anse doit être prouvée par l’absence de perte de poids lors des pesées quotidiennes, une natriurèse basse et une inversion de Na/K sur un ionogramme effectué sur un échantillon d’urines. Elle peut souvent être levée par l’addition d’un deuxième diurétique agissant sur un autre segment du néphron, en pratique un thiazidique à posologie prudemment croissante (jusqu’à 50 mg/j pour l’hydrochlorothiazide) et cela quelle que soit la fonction rénale. L’adjonction de sels de potassium ne doit pas être automatique en cas d’IR. Elle expose au risque d’hyperkaliémie. En cas d’échec, il faut tenter d’ajouter la spironolactone (Aldactone® 12,5 à 50 mg/j) en gardant en mémoire que son action est retardée de 24 à 48 heures et prolongée jusqu’à 4 jours après son arrêt. Elle a le double intérêt de corriger, parfois trop, l’alcalose hypokaliémique induite par les autres diurétiques et d’avoir des effets anti-inflammatoires et anti-fibrosants sur le myocarde. Un DFG inférieur à 30ml/mn en

contrindique l’utilisation. L’association aux IEC/sartans et aux autres classes de diurétiques nécessite une surveillance hydroélectrolytique étroite et doit être réservée à des équipes familiarisées à ces pratiques. Dans l’IC grave l’utilisation de fortes doses de diurétiques n’est pas sans dangers. Elle aggrave dans la majorité des cas l’IR. Cela peut être accepté tant qu’elle est bien tolérée par le patient et si la situation cardiaque est significativement améliorée par le traitement. Mieux vaut pouvoir faire des efforts modérés avec une urée sanguine à 40 mmol/l que d’être confiné au lit, dépendant de l’oxygène et incapable du moindre effort avec une urée à 20 mmol/l ! L’IC grave provoque un hyper-ADH et expose au risque d’hyponatrémie et ce d’autant plus qu’il est courant de recommander des boissons abondantes aux insuffisants rénaux. Cette pratique doit être combattue. L’hyponatrémie doit être traitée par une restriction hydrique (750 ml/j, toutes boissons comprises). Le tolvaptan, non utilisé en routine en France, n’améliore pas la survie des patients. Les fortes doses de diurétiques induisent une hyperuricémie parfois considérable, génératrice de crises de goutte. Nombreux sont les néphrologues qui prescrivent un hypo-uricémiant sous couvert d’un mois de colchicine (1 mg/j) lorsque l’uricémie dépasse 600 μmol/l. Enfin, les traitements par vasodilatateurs et les fortes posologies de diurétiques éventuellement associés empêchent toute adaptation rénale à une déperdition hydroélectrolyte accidentelle (troubles digestifs, fièvre élevée, canicule, etc.). Le patient doit être éduqué à surveiller étroitement ses variations de poids et dans ces circonstances, suspendre tout ou partie de son traitement en attendant de consulter son médecin d’urgence. Mais, progressivement, l’équilibre entre fonction rénale et fonction cardiaque est de plus en plus précaire, le patient oscillant entre d’un côté l’anasarque avec œdème pulmonaire, et de l’autre l’hypotension artérielle avec IR majeure et mal tolérée. Les hospitalisations sont de plus en plus fréquentes et prolongées jusqu’au décès s’il AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

n’y pas de perspective de transplantation cardiaque…

Les outils propres au néphrologue lorsque toutes les possibilités thérapeutiques sont épuisées : l’épuration extrarénale (EER) En cas d’anasarque, la dialyse péritonéale continue ambulatoire à domicile permet souvent d’assécher l’ascite, de réduire les œdèmes et d’améliorer considérablement l’état général et le confort des patients dont certains vont pouvoir récupérer une qualité de vie correcte pendant plusieurs mois, voire années et attendre dans de bonnes conditions une éventuelle transplantation. Elle a de plus un intérêt économique en réduisant le nombre et la durée des hospitalisations. Si la dialyse péritonéale n’est pas possible, l’hémofiltration ou l’hémodiafiltration sans acétate intermittente (1 à 5 séances par semaine) peuvent être tentées et aboutir au même résultat mais au prix d’une instabilité hémodynamique et ionique hasardeuse. L’EER ne doit pas être mise en œuvre trop tard pour que le malade en tire le maximum de bénéfice.

Il semble que ses performances soient sous estimées ou mal connues.

Conclusion

MISE AU POINT

DOSSIER

C. Jacquot

Le développement chez un même malade d’une IC et d’une IR graves est un challenge de plus en plus courant pour le cardiologue et le néphrologue qui doivent mettre en commun leurs outils thérapeutiques. Ces 15 dernières années, de nouveaux modes d’utilisation de produits anciens et l’extension aux insuffisants rénaux des bénéfices des explorations cardiologiques notamment des coronarographies ont permis une amélioration significative de leur espérance et de leur qualité de vie. Symétriquement, les insuffisants cardiaques au stade terminal peuvent bénéficier de l’EER. Mais il faut veiller à ce que le grand nombre de traitements à mettre en œuvre chez ces malades à haut risque et la crainte, justifiée, de complications iatrogènes n’aboutissent pas à un nihilisme thérapeutique. Conflits d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

En pratique : La fonction cardiaque est prioritaire par rapport à la fonction rénale.

AMC pratique „ n°229 „ juin 2014

27