Angio-œdème acquis induit par les IEC : traitement aux urgences par concentré de C1 inhibiteur

Angio-œdème acquis induit par les IEC : traitement aux urgences par concentré de C1 inhibiteur

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com La Revue de médecine interne 29 (2008) 516–519 Cas clinique Angio-œdème acquis induit par les IEC : t...

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La Revue de médecine interne 29 (2008) 516–519

Cas clinique

Angio-œdème acquis induit par les IEC : traitement aux urgences par concentré de C1 inhibiteur Angiotensin-converting enzyme inhibitor-related angioedema: Treatment in an emergency room with complement C1 inhibitor concentrate B. Gelée a,∗ , P. Michel a , R. Haas b , F. Boishardy b b

a SAMU 95/SMUR Pontoise, centre hospitalier René-Dubos, avenue île-de-France, 95303 Cergy-Pontoise, France Accueil urgence SMUR, centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers–Val-de-Reuil, rue du Docteur-Villers, 76410 Elbeuf, France

Disponible sur Internet le 21 d´ecembre 2007

Résumé Un homme sans antécédent atopique, traité par un inhibiteur de l’enzyme de conversion, a été pris en charge pour un œdème atteignant la face et la langue avec dyspnée, dysphagie mais sans prurit ni érythème, résistant aux corticoïdes, antihistaminiques et à l’adrénaline. Le traitement par concentré de C1 inhibiteur (1000 u) a fait disparaître les signes en 20 minutes. Cet angio-œdème acquis induit semble lié au métabolisme de la bradykinine qui ne serait plus correctement métabolisée par l’enzyme de conversion qui l’inactive habituellement à 75 %. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract A man with no atopic antecendent, but who was being treated with a Angiotensin-converting enzyme inhibitor (ACE), was admitted to hospital for an edema affecting the face and tongue. The symptoms included dyspnea and dysphagia but not pruritus or dermal erythema. The patient was resistant to corticoid treatment, antihistaminic drugs and epinephrine. Treatment with C1 inhibitor concentrate (1000 u) made the clinical symptoms disappear within 20 minutes. The resulting angioedema induced seems to be linked to the bradykinin metabolism, which would not be any better served by the angiotensin-converting enzyme, which normally inactivates about 75% of it. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Angio-œdème ; Inhibiteur de l’enzyme de conversion ; Concentré de C1 inhibiteur Keywords: Angioedema; Angiotensin-converting enzyme inhibitor; C1 inhibitor concentrate

1. Observation Un homme de 73 ans a été pris en charge par le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) pour un œdème de la face, des lèvres et de la langue. Les lésions étaient installées depuis cinq heures et s’accompagnaient d’une dysphonie et d’une dyspnée modérée. Il prenait depuis plusieurs années 20 mg de lisinopril par jour pour une hypertension artérielle et avait rec¸u une chimiothérapie quelques mois auparavant pour un adénocarcinome bronchique. Il n’avait jamais présenté de manifestation allergique. L’œdème s’installa progressivement



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Gelée).

0248-8663/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.09.038

sans facteur déclenchant et se localisa aux lèvres et à la partie inférieure de la face, sans érythème ni prurit (Fig. 1). La langue était le siége d’un volumineux œdème sous tension avec protrusion du tiers antérieur. Une dysphagie totale, une hypersialorrhée et une dysphonie se sont installées ensuite. Le reste de l’examen clinique était sans particularité, le patient ne présentait pas d’éruption cutanée. L’hémodynamique était conservée. Le diagnostic d’œdème anaphylactique de Quincke fut suspecté et un traitement par antihistaminique, corticoïde et adrénaline débuté par voie veineuse. Pendant le transport vers les urgences, les lésions ont progressé et la protrusion linguale s’est accentuée. Le patient a alors rec¸u un deuxième bolus associant corticoïde et antihistaminique. En l’absence de réponse une heure après ce deuxième bolus, un angiœdème acquis induit par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) est évoqué et une

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voies respiratoires y est associée dans 15 à 20 % des cas, elle est annoncée par l’hypersialorhée, la dysphonie, puis la dyspnée et impose avec une fréquence non publiée l’intubation ou la trachéotomie d’urgence [2]. Des décès par asphyxie secondaire à l’obstruction des voies aériennes ont été rapportés [6]. Les localisations n’intéressant pas la sphère ORL sont moins fréquentes et de diagnostic plus difficile. Parmi cellesci : • les atteintes digestives révélées par des douleurs abdominales, parfois associées à un syndrome pseudo occlusif et un épanchement péritonéal facilement détectable par échographie. Ces tableaux cliniques font évoquer une urgence abdominale chirurgicale ; • les atteintes des organes génitaux externes. Fig. 1. Œdème clinique.

demande d’autorisation temporaire d’utilisation pour du concentré de C1 inhibiteur (Berinert® ) est faite. Quatre heures plus tard, l’aspect clinique paraissait inchangé mais la dyspnée s’était aggravée et la dysphonie devenue franche. Une dose de 1000 u de concentré C1 inhibiteur (Berinert® ) fut administrée à dix heures du début des signes et a été suivie de la régression totale de l’œdème et des symptômes en moins de 20 minutes. La biologie montrait une anémie microcytaire isolée. Les fractions C3 et C4 du complément, les dosages qualitatifs et quantitatif du C1 inhibiteur étaient normaux. Les taux de kallicréines prélevés à distance de l’accident et après l’arrêt des IEC étaient aussi normaux. Le patient a été hospitalisé en surveillance deux jours pendant lesquels il ne présenta pas de récidive et quitta l’hôpital, les suites étant simples. 2. Discussion Les IEC sont utilisés depuis plus de 25 ans et constituent un apport thérapeutique reconnu dans le traitement de l’hypertension artérielle, de l’insuffisance cardiaque, les suites de l’infarctus du myocarde et la néphropathie diabétique. Ils sont habituellement bien tolérés, la toux est l’effet secondaire le plus fréquemment rapporté. L’angio-œdème acquis induit par les IEC est une complication peu fréquente, maintenant bien documentée et susceptible d’engager le pronostic vital par atteinte obstructive des voies aériennes [1,2]. L’incidence de l’angioœdème acquis induit par les IEC serait de 0,6 à 0,8 % des patients traités [3,4]. Le délai de survenue des lésions est de quelques jours à quelques années après le début du traitement. Le diagnostic est habituellement porté après plusieurs épisodes, avec une latence moyenne de quelques semaines à quelques mois, voire plus de dix ans [4,5]. Les facteurs de risque individualisés sont la race noire, l’âge supérieur à 65 ans et les antécédents de rush médicamenteux [5]. L’aspect clinique ne se différentie pas des autres angio-œdèmes non histaminiques : la lésion élémentaire est l’œdème sous-cutané ou sous muqueux, non prurigineux et non érythémateux. Les localisations préférentielles sont la face, les paupières, les lèvres et la langue et peuvent être asymétriques [5]. L’atteinte des

L’évolution naturelle de ces œdèmes se fait vers la régression spontanée en 24 à 72 heures. La biologie ne comporte aucune spécificité : les taux de C4, les dosages quantitatif et fonctionnel du C1 inhibiteur sont normaux. Les taux de bradykinine sont élevés en dehors des crises, et peuvent atteindre dix fois la normale pendant les crises [1,2,5,7,8]. Il n’est pas remarqué de parallélisme entre ces valeurs et l’intensité de la crise. La bradykinine et ses dérivés ont un rôle déterminant. Le kininogéne est transformé en bradykinine sous l’action de la kallicréine. La bradykinine exerce son action vasodilatatrice proinflamatoire par l’intermédiaire de ses récepteurs B2, puis est dégradée selon trois voies : • l’une prédominante, dans laquelle l’enzyme de conversion joue un rôle prépondérant ; • le deuxième, accessoire dépend de l’Amino Peptidase P ; • la troisième représente une voie mineure en l’absence d’inhibition de l’enzyme de conversion. Elle repose sur la Carboxy Peptidase N et aboutit à la formation d’un métabolite, la DesArg9bradykinine, qui lors de son interaction avec le récepteur B2 présente des effets biologiques comparables à la bradykinine. Ses effets sont brefs, et son catabolisme passe par l’enzyme de conversion ou par l’Amino Peptidase P (Fig. 2). Les patients ayant présenté un angio-œdème induit par les IEC expriment le variant XNPEP2 associé à une diminution de l’activité de l’Amino Peptidase P. L’inhibition de l’enzyme de conversion associée à cette modification de l’activité de l’Amino Peptidase P aboutit à une accumulation tissulaire de DesArg9bradykinine et de la bradykinine, à l’origine de l’œdème [1,4–6,8,9]. Le traitement de ces angioœdèmes n’est pas codifié. Les formes sans atteinte respiratoire ne présentent pas de critère de gravité. L’arrêt du traitement IEC est impératif et met à l’abri des récidives toujours plus sévères. [2,4,5]. Un traitement symptomatique par l’acide tranexamique peut être proposé, mais n’a pas fait preuve de son efficacité dans cette indication. Les formes avec atteinte respiratoire représentent une urgence vitale. Les corticoïdes et les anti-histaminiques sont sans

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Fig. 2. Métabolisme de la bradykinine.

effet, l’adrénaline a un effet très limité [2,10]. L’œdème rend l’intubation difficile, voire impossible. L’efficacité du concentré de C1 inhbiteur a déjà été rapportée à la dose de 1500 u [10] ; notre observation où la régression des lésions se fait en moins de 20 minutes après l’injection de seulement 1000 u de concentré de C1 inhibiteur est un argument supplémentaire en la faveur de l’efficacité du produit dans cette indication. Le mécanisme pharmacologique du concentré de C1 inhibiteur dans cette indication n’est pas élucidé. Le contrôle qu’il exerce sur les kallicréine et le facteur XIIa pourrait avoir un rôle favorable sur les taux de bradykinine et leurs dérivés dans les tissus [10]. La tolérance et la sécurité du produit, étant donnée la gravité du pronostic respiratoire, pourraient en faire une alternative intéressante dans cette indication. 3. Conclusion L’angio-œdème acquis induit par les IEC est un accident aujourd’hui documenté qui pourrait intéresser jusqu’à 1 % des

patients traités. Le diagnostic est difficile et la poursuite du traitement met en jeu le pronostic vital de fait de la récurrence des crises d’intensité croissante. Nous rapportons une deuxième observation où le traitement par concentré de C1 inhibiteur permet la régression rapide des signes respiratoires et des lésions. Références [1] Ducroix JP, Outurquin S, Benabes-Jezraoui B, Gras V, Chab G, Strunski V, et al. Angio-œdèmes et inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine : à propos de 19 cas. Rev Med Int 2004;25:501–6. [2] Wong DT, Gadsden JC. Acute upper airway angioedema secondary to acquired C1 esterase inhibitor deficiency: a case report. Can J Anaesth 2003;50:869–74. [3] Molinaro G, Cugno M, Perez M, Lepage Y, Gervais N, Agostini A, et al. Angiotensin-converting enzyme inhibitor-associated angioedema is characterized by a slower segradation of des-arginine9-bradykinin. J Pharmacol Exp Ther 2002;303:232–7. [4] Kostis JB, Kim HJ, Rusnak J, Casale T, Kaplan A, Corren J, et al. Incidence and Characteristics of angioedema associated with enalapril. Arch Intern Med 2005;165:1637–42.

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