J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 : 600-605.
Travail original Appendicite aiguë et grossesse À propos de 21 cas R. Lebeau*, B. Diané*, E. Koffi**, E. Bohoussou*, A. Kouamé*, Y. Doumbia*** * Service de Chirurgie Générale et Digestive, CHU de Bouaké, BP 139, Abidjan 22, Côte-d’Ivoire. ** Service de Chirurgie Générale et Digestive, CHU de Cocody, Côte-d’Ivoire. *** * Service de Gynécologie-Obstétrique, CHU de Bouaké, BP 139, Abidjan 22, Côte-d’Ivoire. RÉSUMÉ Objectifs. Préciser les caractéristiques épidémiologiques, les difficultés diagnostiques et les moyens thérapeutiques des appendicites aiguës chez la femme enceinte. Matériel et méthodes. Il s’agit d’une étude rétrospective d’une série de 21 appendicites sur grossesse opérées au cour de la période de janvier 1997 à juin 2001. Résultats. L’association appendicite aiguë et grossesse a été notée chez 0,2 % des femmes enceintes. Dix patientes étaient au 1er trimestre de leur grossesse, 10 au 2e trimestre et une au 3e trimestre. Une douleur abdominale a été notée chez toutes les patientes, avec un siège variable en fonction de l’âge gestationnel. L’échographie abdominale a contribué au diagnostic dans les 20 cas où elle a été réalisée. Les diagnostics retenus étaient : une appendicite aiguë non compliquée (n = 18), un plastron appendiculaire (n = 1) et une péritonite aiguë diffuse (n = 2). Le traitement a consisté en une appendicectomie dans tous les cas. Une réanimation médicale, une toilette péritonéale et un drainage ont été associés dans les péritonites. Dans le plastron appendiculaire, le traitement a été d’abord médical puis l’appendicectomie a été faite après l’accouchement. Une tocolyse a été instituée dans tous les cas. La mortalité maternelle a été nulle. Douze grossesses ont été suivies jusqu’à l’accouchement : il y a eu une mort fœtale, un accouchement prématuré et 10 accouchements à terme avec enfant vivant. Conclusion. La grossesse rend difficile le diagnostic de l’appendicite. Un haut indice de suspicion clinique et échographique doit conduire à une appendicectomie menée de préférence par voie cœlioscopique afin d’éviter l’évolution vers des complications plus graves qui mettent en jeu le pronostic materno-fœtal. Mots-clés : Appendicite • Grossesse • Pronostic materno-fœtal. SUMMARY: Appendicitis and pregnancy: 21 cases. Objective. Describe the epidemiological, diagnostic and therapeutic features of acute appendicitis in pregnant women. Material and methods. Retrospective analysis of a series of 21 cases of appendicitis in pregnant women who underwent surgery between January 1997 and June 2001. Results. The association of acute appendicitis with pregnancy was noted in 0.2% of the pregnant women. Ten patients were in the first trimester of pregnancy, ten in the second and one in the third. Abdominal pain was noted in all patients. The localization varied with gestational age. Abdominal ultrasound contributed to the diagnosis in twenty patients who underwent the examination. Diagnoses retained were: acute uncomplicated appendicitis (n=18), acute appendicitis with focal induration (n=1) and acute diffuse peritonitis (n=2). Appendectomy was performed in all cases. Intensive care, peritoneal cleaning and drainage were associated in cases with appendicitis. In cases with focal induration, medical treatment was followed by appendectomy performed after delivery. Tocolysis was instituted in all cases. Twelve pregnancies continued to delivery: one fetal death, one premature delivery and ten term deliveries of live infants. Conclusion. Pregnancy makes it difficult to confirm the diagnosis of appendicitis. Appendectomy should be performed in patients presenting a highly suggestive clinical and ultrasonographic picture, preferably by laparoscopy in order to avoid more severe complications which could be life-threatening for the mother or infant. Key words: Appendicitis • Pregnancy • Maternofetal prognosis.
L’appendicite aiguë est l’urgence chirurgicale non obstétricale la plus fréquente pendant la grossesse [13]. Il s’agit d’une association grave qui met en jeu les
pronostics maternel et fœtal. Les signes d’appel sont polymorphes et trompeurs, source d’erreur diagnostique et de retard thérapeutique [4, 5]. Les objectifs de
Tirés à part : R. Lebeau, à l’adresse ci-dessus. Reçu le 17 mai 2004. Avis du Comité de Lecture le 28 octobre 2004. Définitivement accepté le 26 mars 2005.
© MASSON, Paris, 2005.
Travail original • Appendicite aiguë et grossesse
ce travail étaient d’identifier les aspects épidémiologiques et les difficultés diagnostiques, de rapporter les modalités et les résultats du traitement des appendicites chez la femme enceinte.
Tableau I
Répartition des urgences digestives non traumatiques chez la femme enceinte. Distribution of non-traumatic digestive emergencies in pregnant women.
Urgence digestives
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Les femmes enceintes opérées pour une appendicite aiguë, quel que soit le stade évolutif, dans le service de chirurgie générale et digestive du CHU de Bouaké, ont fait l’objet d’une étude rétrospective qui a concerné la période du 1er janvier 1997 au 30 juin 2001. Les données épidémiologiques étudiées incluaient les âges maternel et gestationnel, la gestité ainsi que la parité. Les données diagnostiques retenues concernaient le délai de consultation, les signes cliniques en fonction de l’âge gestationnel et les signes paracliniques. Les modalités de la tocolyse, de l’antibiothérapie, du traitement chirurgical et les données anatomo-pathologiques ont été également revues. L’évolution postopératoire a été appréciée sur la mortalité et la morbidité materno-fœtales. Le suivi de grossesse et du post-partum a été effectué par le service de gynécologie-obstétrique. RÉSULTATS Aspects épidémiologiques
Au cour de la période d’étude, 9 822 femmes enceintes ont consulté à la maternité du CHU de Bouaké et 1 026 appendicectomies dont 505 dans la population féminine ont été réalisées au service de chirurgie générale et digestive du même hôpital. L’appendicite aiguë est survenue 1 fois pour 467 grossesses, soit 0,2 % et représentait 65,6 % des urgences digestives non traumatiques de la femme enceinte pendant cette période (tableau I). L’âge moyen des patientes était de 24,9 ± 5,4 ans (extrêmes : 16 et 40 ans). Elles avaient eu en moyenne 3 grossesses et avaient eu en moyenne 2 enfants vivants. On notait 16 multipares et 5 primipares. L’âge gestationnel se situait au 1er trimestre dans 47,6 % des cas (n = 10), au 2e trimestre dans 47,6 % des cas (n = 10) et au 3e trimestre dans 4,8 % des cas (n = 1). Aspects diagnostiques
Le délai de consultation était de 5,8 ± 8,1 jours (extrêmes : 6 heures et 30 jours). Une douleur abdo-
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Effectif
Pourcentage
Appendicite aiguë et ses complications
21
65,6
Cholécystite lithiasique
1
3,1
Abcès du foie
1
3,1
Péritonite par nécrose du jéjunum
1
3,1
Péritonite essentielle
1
3,1
Occlusion intestinale
5
15,7
Rectocolite caustique
2
6,3
Total
32
100
minale était notée chez toutes les gestantes. Au 1er trimestre, elle était soit diffuse à tout l’abdomen (n = 1), soit localisée dans la fosse iliaque droite (n = 4), soit localisée dans la fosse iliaque droite et le pelvis (n = 5) pouvant faire évoquer une menace d’avortement précoce. Elle s’accompagnait de nausées (n = 9), de vomissements (n = 5), et de fièvre (n = 2). Chez les 2 gestantes fébriles, il existait par ailleurs une masse mal limitée de la fosse iliaque droite (n = 1) et une défense abdominale diffuse (n = 1). Au 2e trimestre, la douleur était localisée soit dans le flanc droit (n = 8), soit dans l’hypochondre droit (n = 2), sans irradiation, sans signe de Murphy, sans fièvre. Chez la gestante au 3e trimestre, le tableau clinique était au début évocateur d’une menace d’accouchement prématuré avec une douleur de la fosse iliaque droite et du pelvis, des brûlures mictionnelles, des contractions utérines sans métrorragies ni anomalies du col avec des bruits du cœur fœtal réguliers. Progressivement, l’évolution s’est faite vers la diffusion de la douleur avec apparition d’une contracture abdominale avec fièvre et mort fœtale in utero. Au plan paraclinique, l’échographie abdominale n’a été réalisée que chez les gestantes au 1er et au 2e trimestres. Elle était en faveur d’une appendicite aiguë (n = 18), d’un plastron appendiculaire chez la gestante présentant une masse de la fosse iliaque droite, et d’une péritonite diffuse chez celle qui avait une défense abdominale. Les fœtus étaient vivants dans tous les cas et il n’y avait pas d’affection associée. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) réalisé 11 fois (8 fois au 1er trimestre et 3 fois au 2e trimestre) n’a pas montré de germes.
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R. Lebeau et collaborateurs
Les diagnostics retenus étaient une appendicite aiguë non compliquée (n = 18) chez des gestantes de 6 semaines à 19 semaines et 6 jours, un plastron appendiculaire chez une gestante de 11 semaines, une péritonite diffuse chez deux gestantes respectivement de 14 semaines et 5 jours et de 30 semaines. La répartition des formes cliniques en fonction de l’âge gestationnel indique que le diagnostic d’appendicite aiguë a été fait 8 fois au 1er trimestre et 10 fois au 2e trimestre, celui de plastron appendiculaire au 1er trimestre et les 2 péritonites respectivement au 1er et au 3e trimestres. Tous ces diagnostics ont été faits dans un délai moyen de 15 heures (extrêmes : 12 et 24 heures) chez 20 patientes et après un délai de 4 jours chez la patiente au 3e trimestre. Aspects thérapeutiques
Aux deux premiers trimestres, une tocolyse a été faite avec un anti-spasmodique le tiémonium à raison de 6 ampoules dans 500 ml de sérum glucosé isotonique, deux fois par jour. La tocolyse, débutée à l’induction de l’anesthésie, a été poursuivie en peropératoire et en postopératoire pendant 24 heures. Pour le plastron appendiculaire, nous n’avons pas fait de tocolyse. Au 3e trimestre, la tocolyse débutée avec le salbutamol a été arrêtée dès la constatation de la mort fœtale. L’antibiothérapie a été fonction du stade évolutif de l’appendicite (tableau II). Pour le plastron appendiculaire, le traitement a débuté par voie parentale et a été poursuivi par voie orale. Au plan chirurgical, toutes les patientes ont été opérées par laparotomie. Les gestantes étaient installées en décubitus dorsal au 1er trimestre et en léger décubitus latéral gauche aux deux premiers trimestres. La voie d’abord a été une incision de Mac Burney au 1er trimestre, une incision transversale à mi-hauteur entre l’épine iliaque antéro-supérieure et le rebord Tableau II
costal droit au 2e trimestre et une incision médiane à cheval sur l’ombilic en cas de péritonite appendiculaire diffuse. L’intervention chirurgicale a consisté en une appendicectomie dans tous les cas. Dans le plastron appendiculaire, elle a été faite 8 mois après l’accouchement. Elle a été associée à une toilette abdominale et à un drainage dans les péritonites appendiculaires diffuses. Tous ces gestes ont été précédés par une césarienne dans la péritonite au 3e trimestre. L’appendice était en position latéro-cæcale interne dans tous les cas, sur un cæcum situé dans la fosse iliaque droite (n = 10) au 1er trimestre, dans la fosse iliaque droite (n = 6) ou dans le flanc droit (n = 4) au 2e trimestre et dans l’hypochondre droit au 3e trimestre. Au plan macroscopique, l’appendicite était catarrhale (n = 16), phlegmoneuse (n = 2), perforée (n = 1), gangrenée (n = 1) et gangrenée et perforée (n = 1). L’étude anatomo-pathologique a porté sur 11 appendices catarrhales et a conclu à une appendicite aiguë (n = 9) et à une appendicite aiguë sur appendicite chronique (n = 2). Dans 5 cas, l’étude anatomopathologique n’a pas été jugée indispensable au diagnostic du fait de l’aspect macroscopique évocateur (phlegmoneux, perforé, gangrené) et dans les 5 cas restants, les frais d’examen à la charge des patientes n’on pas été honorés. Évolution postopératoire
La durée d’hospitalisation a été de 4,5 ± 3,9 jours (extrêmes : 3 et 9 jours). La mortalité maternelle a été nulle. La morbidité maternelle était représentée par un cas de suppuration pariétale observée dans la péritonite au 3e trimestre. Neuf patientes ont été perdues de vue après la première consultation postopératoire. Douze grossesses ont été suivies jusqu’à l’accouchement. Nous avons noté une mort fœtale chez la ges-
Traitement antibiotique. Antibiotic treatment.
Formes cliniques Appendicite aiguë non compliquée
Antibiotiques Céfuroxime
Effectif
Durée en jours (effectif)
11
3 (n = 8) 4 (n = 3)
Amoxicilline + acide clavulanique
7
3 (n = 4) 4 (n = 2) 5 (n = 1)
Plastron appendiculaire
Céfuroxime + Métronidazole
1
21
Péritonite aiguë diffuse
Ceftriaxone + Métronidazole
1
7
Ceftriaxone + Métronidazole + Nétilmicine
1
7
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Travail original • Appendicite aiguë et grossesse
tante au 3e trimestre, un accouchement prématuré à 32 semaines avec enfant vivant et 10 accouchements à terme avec enfant vivant. Pour l’accouchement prématuré, l’appendicectomie avait été faite à 11 semaines de grossesses et la prématurité était en rapport avec un accès palustre. Le prématuré pesait 1 800 g et son score d’Apgar à la 5e minute était de 6. Les nouveaunés à terme pesaient en moyenne 2 910 g (extrêmes : 2 800 et 3 400 g), leurs scores d’Apgar à la 5e minute étaient de 10. DISCUSSION
Dans cette étude, l’appendicite aiguë est l’urgence digestive non traumatique la plus courante durant la grossesse avec une fréquence de 65,6 %. Marret et al. [6] et Chambon et Quandalle [7] ont fait le même constat en rapportant des fréquences respectives de 33,3 % et 66,6 %. La prévalence de l’affection pendant la grossesse est faible, de l’ordre de 0,05 % à 0,1 % dans les séries occidentales [4, 8] ; elle a été de 0,2 % dans notre étude. Comme dans la série de Nouira et al. [3], nous avons observé que les deux premiers trimestres de la grossesse étaient les plus concernés. Il n’en est pas de même pour Halvorsen et al. [9] qui ont rapporté une série de 12 appendicectomies se répartissant avec une égale fréquence aux 2e et 3e trimestres de la grossesse. L’âge gestationnel ne semble donc pas avoir d’incidence sur la survenue de l’appendicite aiguë. Le diagnostic d’appendicite aiguë pendant la grossesse présente des difficultés variables en fonction de l’âge gestationnel [3, 4, 10, [11]. Au 1er trimestre, la séméiologie de l’appendicite n’est pas différente de celle observée chez la femme non enceinte [10]. La douleur abdominale est le signe le plus constant. Elle a été trouvée chez toutes les patientes de notre série. Cette douleur peut amener à discuter d’une menace d’avortement précoce ou d’une infection urinaire d’où l’intérêt de l’examen obstétrical et de l’ECBU [4, 11]. Dans notre étude, ces deux examens étaient normaux dans les cas où ils ont été réalisés. Les autres signes fonctionnels de l’appendicite (nausées, vomissements, constipation) sont habituels pendant la grossesse à cet âge gestationnel, ce qui leur enlève tout intérêt diagnostique [3, 11]. L’échographie abdomino-pelvienne confirme le diagnostic lorsqu’elle visualise un appendice incompressible de plus de 7 mm de diamètre, apéristaltique avec une épaisseur pariétale de plus de 3 mm et parfois une présence de liquide dans la lumière appendiculaire [11, 12]. Réalisé par un opéra-
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teur entraîné, l’échographie a une sensibilité de 100 % et une spécificité de 96 % à cet âge gestationnel [13]. Elle peut aussi mettre en évidence des signes indirects tels qu’un épanchement dans la fosse iliaque droite ou dans le cul-de-sac de Douglas. Son intérêt est également d’éliminer une pathologie annexielle ou obstétricale associée, de documenter la grossesse en précisant l’âge gestationnel et la vitalité fœtale. Chez nos patientes, l’échographie a été un excellent apport en confirmant le diagnostic d’appendicite au 1er trimestre dans tous les cas. Nous recommandons donc l’échographie du fait de la disponibilité des machines, des performances de l’examen en pathologie gynécologique et de l’absence d’irradiation. Nous n’avons pas l’expérience de la cœlioscopie dans le diagnostic des appendicites aiguës. Elle permet une approche diagnostique en ce qu’elle visualise l’appendice et précise sa localisation [11, 14]. Elle permet d’éviter une laparotomie blanche et peut diagnostiquer d’autres causes de douleur abdominale comme la grossesse extra-utérine [3, 6]. L’hémogramme est d’interprétation difficile en raison de l’hyperleucocytose physiologique de la grossesse [3], quant à la CRP, elle peut être normale [11]. Ces deux examens sont donc de peu d’intérêt dans le diagnostic de l’appendicite pendant la grossesse. Au cours des deux derniers trimestres de la grossesse, le diagnostic d’appendicite devient plus difficile du fait d’une modification des rapports de l’appendice et de l’utérus. L’appendice est refoulé en haut et en dehors et atteint le rebord costal au 8e mois [6]. La douleur est localisée dans le flanc ou l’hyponchondre droits. Elle peut s’accompagner de contractions utérines faisant évoquer une menace d’avortement tardif ou d’accouchement prématuré. Le diagnostic d’appendicite aiguë a été évoqué de parti pris dans notre étude ce qui nous a amené à prescrire une échographie abdominale. L’échographie peut être gênée aux deux derniers trimestres par le volume utérin [8]. L’appendice refoulé vers le haut est moins accessible aux ultrasons en position sous-hépatique que dans la fosse iliaque droite [2]. Cependant, l’échographie peut mettre en évidence des signes indirects tel un épanchement sous-diaphragmatique ; dans les formes évoluées, elle retrouve facilement comme au premier trimestre un épanchement péritonéal ; elle garde aussi un intérêt dans le diagnostic différentiel avec d’autres causes de douleurs abdominales pendant la grossesse. Quant la cœlioscopie diagnostique, elle est contreindiquée au-delà de la 20e semaine en raison du risque de plaie utérine et du risque fœtal en rapport avec l’hyperpression abdominale et le pneumopéritoine au dioxyde de carbone qui entraînerait une réduction du
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R. Lebeau et collaborateurs
débit sanguin utéro-placentaire [14]. Cependant, certains auteurs pensent que la cœlioscopie est possible au 2e trimestre et même au-delà en exploitant l’espace libre entre le fond utérin préalablement repéré et l’appendice xiphoïde [14, 15]. Les complications de l’appendicite aiguë pendant la grossesse sont les mêmes qu’en dehors de la grossesse [16]. Au 1er trimestre, toutes les complications de l’appendicite peuvent se voir. À cette date, l’utérus encore pelvien ne refoule pas les organes de voisinage qui peuvent former des adhérences autour du foyer appendiculaire et l’isoler de la cavité péritonéale réalisant un plastron appendiculaire. L’évolution de la crise appendiculaire peut aussi se faire vers la péritonite aiguë diffuse. Ces formes cliniques ont été observées au 1er trimestre de la grossesse dans cette étude. Aux deux derniers trimestres, rien ne s’oppose à la généralisation de l’infection appendiculaire. En effet, les contractions utérines gênent la formation d’adhérences et le cloisonnement de l’infection ; le taux élevé de stéroïdes diminue la réponse inflammatoire et l’augmentation de la vascularisation pelvienne facilite la diffusion de l’infection [2, 4, 8]. Toutes ces raisons expliquent l’évolution plus rapide vers la péritonite au 3e trimestre, comme observée dans un cas de notre étude. Sur le plan thérapeutique, toutes les patientes ont été opérées par laparotomie. L’installation des patientes en léger décubitus latéral gauche après le 2e trimestre vise à éviter la compression de la veine cave inférieure par l’utérus gravide. La voie d’abord est fonction de l’âge gestationnel et du stade évolutif de l’appendicite. Au 1er trimestre, une incision de Mac Burney au besoin élargie permet de pratiquer aisément l’appendicectomie tandis qu’aux deux derniers trimestres l’incision doit être plus haute, située dans le flanc droit. Ces incisions hautes permettent de résoudre les difficultés opératoires en rapport avec les migrations du cæcum au 2e et 3e trimestres. Pour certains auteurs, la région cæco-appendiculaire serait mieux exposée par une incision médiane sousombilicale au 2e trimestre et par une incision de Jalaguier aux 2e et 3e trimestres [4, 17]. Cependant, dans les péritonites appendiculaires diffuses, l’incision médiane à cheval sur l’ombilic permet un abord rapide et une exploration minutieuse de la cavité abdominale comme nous l’avons fait dans les 2 cas observés. Le traitement peut aussi se faire par cœliochirurgie au décours du geste diagnostique. La cœlioscopie réduit les manipulations utérines en rapport avec la nécessité d’explorer et dans les péritonites appendiculaires, préserve le capital pariétal
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abdominal et permet une meilleure toilette abdominale. L’appendicectomie est réalisée soit en intrapéritonéal soit en transpariétal après avoir sorti l’appendicite par une incision sus-pubienne légèrement agrandie [11]. La cœlioscopie qui est contreindiquée en cas d’abdomen cicatriciel du fait du risque d’adhérences [11], réduirait la durée d’hospitalisation et les doses de produits anesthésiques sans augmenter la morbidité [18]. Sur le plan chirurgical, le traitement de l’appendicite aiguë et de la péritonite appendiculaire ne présente aucune particularité chez la femme enceinte [16]. Cependant, nous avons fait une tocolyse systématique pour prévenir les contractions utérines que peuvent déclencher le traumatisme chirurgical, les douleurs appendiculaires et postopératoires. Nous n’avons noté aucun cas de menace d’accouchement prématuré ou d’avortement chez toutes les patientes qui ont eu ce traitement. Cette attitude qui est recommandée par Leroy [4] a été aussi celle de Halvorsen et al. [9]. Ces auteurs ont pratiqué avec succès une tocolyse préventive chez 3 gestantes opérées d’appendicite. Nous recommandons donc la tocolyse préventive pour réduire l’incidence des contractions utérines, des accouchements prématurés et des avortements. Une gestante a subi en plus une césarienne. Chez cette patiente, le volume utérin gênait l’exploration de la cavité abdominale. Ainsi, la césarienne a donné un jour meilleur sur le champ opératoire, a facilité l’appendicectomie et la toilette abdominale. Cependant, cette césarienne en milieu septique expose à l’infection de la plaie utérine, à l’endométrite et au risque de lâchage de l’hystéroraphie [7]. De plus, la cicatrice utérine transforme les grossesses ultérieures en grossesses à risque de rupture utérine. La césarienne ne doit donc être effectuée que pour des indications obstétricales telle la souffrance fœtale si l’âge de viabilité fœtale est atteint et si les structures hospitalières permettent une réanimation néonatale efficace. Le pronostic materno-fœtal est fonction de la gravité de l’affection et du retard thérapeutique [11, 17, 19]. La mort fœtale observée dans un cas de péritonite par perforation appendiculaire diagnostiquée et traitée 4 jours après l’admission de la gestante en est l’illustration. La mortalité fœtale s’élève à plus de 35 % en cas de péritonite appendiculaire [11, 20] et varie entre 1 et 8 % chez les femmes ayant une appendicite aiguë non compliquée [20, 21]. Nous avons noté un accouchement prématuré qui n’était pas en rapport avec l’affection appendiculaire. La prématurité et l’accouchement spontané sont les principaux risques fœtaux. Le taux de prématurité était de 22,2 %
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dans la série de Nouira et al. [3]. Ces risques sont particulièrement élevé au cours de la première semaine qui suit l’appendicectomie. Aucun décès maternel n’a été noté dans notre travail comme dans d’autres séries [1, 3, 9]. Ce fait est dû, selon Tshibangu et al. [17], à la précocité du diagnostic et du traitement. Dans notre série, en dehors du cas diagnostiqué 4 jours après l’admission, tous les diagnostics ont été faits avant la 24e heure d’admission et les gestantes opérées immédiatement. CONCLUSION
L’appendicite aiguë chez la femme enceinte est une affection rare et de diagnostic relativement difficile. Au 1er trimestre, le diagnostic est aisé, le traitement simple et le pronostic généralement bon. Aux 2 derniers trimestres, les difficultés du diagnostic sont responsables des formes graves et d’un traitement chirurgical agressif. L’échographie pelvienne et l’examen cytobactériologique des urines devraient être systématiques en cas de douleur abdominale chez la femme enceinte. Le doute diagnostique impose l’exploration chirurgicale. RÉFÉRENCES 1. Allen JR, Helling TS, Langenfeld M. Intra abdominal surgery during pregnancy. Am J Surg 1989; 158: 567-9. 2. Berthet-Badetti L, Tanti MC, Boimond H. Appendicite aiguë au troisième trimestre de la grossesse. Rev Fr Gynecol Obstet 1997; 92: 205-7. 3. Nouira M, Jerbi M, Sahraoui W, Mellouli R, Sakhri J, Bougnizane S et al. Appendicite aiguë chez la femme enceinte : à propos de 18 cas. Rev Fr Gynecol Obstet 1999; 94: 486-91. 4. Leroy JL. L’appendicite aiguë au cours de la gravido-puerpéralité : les difficultés du diagnostic et du traitement. Med Chir Dig 1981; 10: 143-7. 5. Touhami H. Appendicite et grossesse : les conditions du succès. Maghreb Médical 1984; 101: 51-3.
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