Hémostase et grossesse

Hémostase et grossesse

pratique |hémostase Hémostase et grossesse © highwaystarz La grossesse est un état physiologique très particulier, qui adapte de nombreuses constan...

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Hémostase et grossesse

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La grossesse est un état physiologique très particulier, qui adapte de nombreuses constantes le temps nécessaire à la gestation, avec dans la très grande majorité des cas, un retour « à la normale » après la naissance. Les examens de routine d’hémostase en sont le témoin, et le rôle du biologiste est alors d’aider le clinicien à faire la part des choses entre variations gestationnelles et complications pathologiques.

aussi de rassurer la femme enceinte. Il est physiologiquement normal que le fibrinogène augmente, pour protéger des risques d’hémorragie au moment de la délivrance ; une valeur à 6 g n’a donc rien d’inquiétant. En fait, tous les facteurs sont augmentés, sauf le facteur V qui peut atteindre 50 %, sans que cela ait de conséquence clinique du fait de la compensation par l’élévation des autres facteurs. La normalisation du fibrinogène prend généralement plus de 2 semaines, expliquant alors le risque thromboembolique en post-partum.

Les différentes étapes de l’hémostase Les inhibiteurs de coagulation

L'hémostase primaire Les plaquettes

Il existe une thrombopénie modérée, toujours supérieure à 70 000 chez environ 10 % des femmes enceintes. L’important est ici de rassurer la future maman, et l’équipe médicale. Ce taux modérément abaissé, l’absence d’antécédent, sa survenue lors du 2e trimestre (donc non précoce) sont en faveur d’une thrombopénie gestationnelle, bénigne, due à une consommation accrue. Elle se normalise naturellement et rapidement après l’accouchement, et n’induit de risque hémorragique ni pour le fœtus ni pour la mère. Si l’abaissement du taux est beaucoup plus sévère, il faut penser à la survenue d’un PTI, ou à un signe d’appel d’une complication vasculaire. Le facteur Willebrand

Il s’élève dès le premier trimestre et peut aller jusqu’à 3 fois la valeur dite normale. Le facteur VIII augmente également, expliquant des TCA courts, mais dans des proportions différentes, ce qui entraîne une modification parfois très spectaculaire du ratio Willebrand/VIII. La normalisation du facteur Willebrand se fait dans les 2 semaines après l’accouchement, celle du facteur VIII est plus tardive, pouvant aller jusqu’à 8 semaines.

Les inhibiteurs principalement touchés lors de la grossesse sont l’antithrombine et la protéine S. La baisse de l’antithrombine est modérée, environ 15 %, cependant, si la valeur initiale avant grossesse est de l’ordre de 85 %, le résultat peut évoquer à tort un déficit. La relation entre clinique et biologie est primordiale : le renseignement clinique de grossesse évitera un diagnostic trop hâtif de déficit. La normalisation de l’antithrombine se fait en 7 à 10 jours. La protéine S en revanche s’effondre littéralement durant la grossesse. Habituellement supérieure à 60 %, elle est ici de l’ordre de 40 % et peut aller jusqu’à 20 % au moment de l’accouchement. Là encore, la connaissance de l’état de grossesse permet au biologiste d’éviter une interprétation erronée du taux bas de protéine S, physiologiquement habituel durant la gestation. Il est nécessaire d’attendre 2 mois après le post-partum pour vérifier la normalisation. L’activation de la coagulation

Hors grossesse, le taux de D-Dimères est généralement inférieur à 200-300 ng/mL, alors que durant la grossesse il va passer schématiquement de 300 au 1er trimestre, à 600 au 2e trimestre et 900 au 3e trimestre, pour atteindre un pic au moment de l’accouchement. Ce pic peut persister jusqu’à 48 h après le post-partum.

La coagulation Les facteurs de coagulation et le fibrinogène

Tous les facteurs de coagulation subissent des variations importantes, et il est important là

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La fibrinolyse La grossesse induit une baisse du tPA (activateur tissulaire du plasminogène), une hausse du PAI 1

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(inhibiteur de l’activateur du plasminogène) et la production du PAI 2 par le placenta. Le placenta sécrète également de l’urokinase qui va partiellement compenser la baisse de tPA mais dans l’ensemble on assiste à une hypofibrinolyse qui favorise l’augmentation des D-Dimères.

Les complications Si l’on considère l’hémostase durant la grossesse comme un état de « coagulopathie à bas bruit », celle-ci rentre dans l’ordre dans la plupart des cas durant les 2 mois qui suivent l’accouchement. Cependant il peut survenir des complications et la difficulté, pour le clinicien, est alors de faire la différence entre un état physiologique gestationnel et la survenue de pathologies.

L’hémorragie du post-partum Son caractère d’urgence et ses conséquences en font la principale des complications. Elle représente en France : • 25 à 30 % des morts obstétricales, soit environ 10/an, • 20 % des admissions de péripartum en réanimation, • une morbidité maternelle liée au choc hémorragique de 7 femmes pour 1 000 naissances. Dans le monde, ce risque hémorragique provoque 140 000 décès par an (soit une femme toutes les 4 minutes), dont la moitié dans les 24 h après l’accouchement. L’accouchement représente un traumatisme physiologique majeur, au cours duquel différentes causes mécaniques peuvent provoquer une hémorragie. C’est la raison pour laquelle on ne dispose pas, avant l’accouchement lui-même, de signe biologique d’appel. L’état d’hypercoagulabilité lié à la grossesse et indépendamment de toute pathologie constitutionnelle, évolue le plus souvent favorablement, cependant pour certaines femmes, il conduit à un tableau dramatique d’hémorragie par décompensation en quelques heures. Lorsque le laboratoire reçoit en extrême urgence un bilan à faire parce que la parturiente saigne lors de la délivrance, le dosage le plus pertinent à réaliser est celui du fibrinogène.

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En effet le fibrinogène est considéré actuellement comme le seul paramètre biologique indépendant pour évaluer le risque d’hémorragie : • un taux supérieur à 4 ng/L a une valeur prédictive négative d’hémorragie du post-partum allant de 70 à 90 %, • un taux inférieur à 2 ng/L a une valeur prédictive positive d’hémorragie du post-partum de 100 %. Ce dosage en urgence permet alors la décision d’apport de fibrinogène à la patiente, afin de ne pas descendre en dessous du seuil de 2 ng/L, évitant ainsi cette hémorragie de délivrance.

Les déficits congénitaux Maladie de Willebrand

Parmi les trois formes de maladies, le type I est le plus difficile ici car s’agissant d’une forme frustre, il est souvent non diagnostiqué avant la grossesse (c’est l’interrogatoire durant la grossesse qui alerte…). L’augmentation du facteur durant la grossesse entraîne généralement une normalisation du taux. La vigilance doit cependant être de mise en post-partum, du fait du retour parfois brutal au taux d’avant maternité. Idéalement (si les déficits sont connus), les taux de facteurs VIII et Willebrand sont suivis dès le début de la grossesse, avec prise en charge thérapeutique spécifique au moment de l’accouchement. Femme conductrice d’hémophilie

Il n’existe pas de risque hémorragique pour la mère, toutefois c’est le diagnostic de l’enfant à la naissance qu’il est important de prendre en compte. Les autres déficits congénitaux

Ils font l’objet le plus souvent de découverte fortuite durant la grossesse. L’interprétation du déficit en terme d’impact clinique doit être pruTableau I. Facteurs de risque de MTEV. Facteurs liés à la grossesse, avec un risque maximum au 3e trimestre • Augmentation du volume sanguin • Ralentissement veineux • Diminution du tonus veineux • Poids de l’utérus • Alitement pendant la grossesse et prise de poids Facteurs à l’accouchement • Césarienne en urgence Facteurs liés à la personne • Âge : le risque augmente avec l’âge au moment de la grossesse • Antécédents de MTEV personnels ou de 1er degré • Thrombophilies : risque variable selon la thrombophilie

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dente car souvent l’interrogatoire révèle que les patientes, lors de précédentes grossesses, n’ont pas eu d’épisode de saignement. Si le déficit est important, l’objectif sera de ramener le taux entre 20 et 40 %, sans dépasser 30 % pour le facteur XI afin d’éviter le risque de CIVD.

La maladie thromboembolique veineuse ou MTEV Le risque thromboembolique lors de la grossesse est nettement moindre que sous pilule. La thrombose va essentiellement apparaître durant le 3e trimestre. Le risque embolique est surtout représenté par l’embolie pulmonaire, cause non négligeable de décès maternel en post-partum. Ce diagnostic d’embolie pulmonaire est difficile : pas de signe d’appel spécifique, un taux de D-Dimères très élevé mais non spécifique, c’est généralement l’imagerie qui donnera la réponse. Les facteurs de risque de MTEV sont nombreux, susceptibles de s’additionner dès le début ou au décours de la grossesse (cf. tableau I). Risques liés aux thrombophilies

La prise en charge varie selon le risque propre à chaque thrombophilie. Le déficit en antithrombine présente un risque thromboembolique majeur, de l’ordre de 1 sur 3 personnes atteintes de ce déficit. La femme enceinte sera systématiquement sous traitement anticoagulant durant toute la grossesse et le postpartum, et sera très régulièrement suivie. Dans le cas de déficit en protéine C (risque 1/113) ou facteur V Leyden hétérozygote (risque 1/447), idéalement il sera proposé un traitement en postpartum et éventuellement en fin de grossesse si un autre facteur vient s’ajouter, comme l’alitement et/ou une prise de poids importante. Cette prise en charge est parfois difficile car certaines femmes refusent le traitement ; il faut alors bien expliquer le risque auquel elles s’exposent. Pour mémoire, dans la population générale, le risque thromboembolique chez la femme enceinte est inférieur à 1/1 000.

Le dépistage de pathologies vasculaires gravidiques Il s’agit essentiellement de pré-éclampsie, retard de croissance, hématome rétroplacentaire, mort fœtale in utero. Ce sont des complications tardives, c’est-à-dire qui peuvent survenir durant les 2e et 3e trimestres, et toujours dans un contexte d’urgence car il n’existe pas de marqueur prédictif. Les pathologies à risque de perte fœtale,

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c’est-à-dire avant 10 semaines d’aménorrhée, ne sont pas évoquées ici. La pré-éclampsie

Ses mécanismes physiopathologiques sont les mieux connus : des anomalies de formation des artères spiralées surviennent précocement, entraînent une ischémie placentaire qui s’accentue au 2e trimestre, responsable de signes cliniques d’hypoperfusion à partir du 2e trimestre. Le risque de pré-éclampsie touche 3 à 10 % des grossesses, est la cause de mort maternelle et fœtale et correspond à environ 40 % des accouchements prématurés. Elle survient plutôt chez les femmes primipares, d’ethnie noire, présentant de l’hypertension, du diabète, du surpoids. Sans antécédent, il n’existe pas de signe prédictif de pré-éclampsie. En revanche, s’il existe un antécédent de pré-éclampsie ou devant une femme lupique, il faut rechercher les SAPL de manière très rigoureuse. Pourquoi ? Parce que les SAPL participent aux malformations vasculaires et que si la recherche de SAPL est positive (techniques d’hémostase et recherches d’autoanticorps, avec confirmation à 12 semaines), un traitement peut être proposé et la femme peut poursuivre sa grossesse, et/ou envisager une grossesse ultérieure. Lors de l’accouchement, devant un tableau de pré-éclampsie en phase aiguë, le biologiste doit absolument attirer l’attention du clinicien sur le risque important de CIVD toujours spectaculaire et qui se dégrade très vite.

Les mots du biologiste Disposer du renseignement clinique sur la grossesse, tenir compte des impacts de cette grossesse dans l’interprétation des tests de routine en hémostase, et enfin orienter le clinicien vers les examens les plus adaptés, notamment devant l’urgence d’une hémorragie post-partum ou d’un tableau de pré-éclampsie, tels sont les atouts du biologiste pour contribuer au mieux à la prise en charge de la femme enceinte. Pour cela, comme toujours, la relation clinicobiologique est un point central de l’apport optimum de la biologie médicale. | Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

ROSE-MARIE LEBLANC Consultant biologiste, Bordeaux [email protected] source D’après la communication de Françoise Dignat-George (Inserm/ Laboratoire d’hématologie, Hôpital La Conception, Marseille). 43e Colloque national des biologistes des hôpitaux, Marseille, novembre 2014.

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