Ann Otolaryngol Chir Cervicofac, 2004; 121, 6, 334-345 © Masson, Paris, 2004.
ARTICLE ORIGINAL
Apport des thérapies cognitives et comportementales dans la prise en charge des acouphènes Implication de l’anxiété et de la dépression A. Londero (1), Ph. Peignard (1), D. Malinvaud (1), C. Nicolas-Puel (2), P. Avan (3), P. Bonfils (1) (1) Laboratoire de Recherche sur l’Audition, Formation Associée Claude Bernard, Unité CNRS UPRESSA 7060, Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale, Faculté Necker-Enfants Malades, Université René Descartes, Hôpital Européen Georges Pompidou, 25 rue Leblanc, 75015 Paris (2) Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale, INSERM unité 583, CHU Gui de Chauliac, Montpellier (3) Laboratoire de Biophysique et de Biostatistiques, Unité de Recherche sur l’Audition, Faculté de Médecine, Unité d’Auvergne, Clermont-Ferrand. Tirés à part : P. Bonfils, adresse ci-dessus. E-mail :
[email protected] Reçu le 26 mars 2004. Accepté le 10 septembre 2004. Contribution of Cognitive and Behavioral Therapy for Patients with Tinnitus: Implication in Anxiety and Depression A. Londero, Ph. Peignard, D. Malinvaud, C. Nicolas-Puel, P. Avan, P. Bonfils Ann Otolaryngol Chir Cervicofac, 2004 ; 121, 6 : 334-345
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Objectives : Tinnitus is a common otologic symptom but, despite important advances in the evaluation and management of such symptom, ENTs often fail to address tinnitus properly. Some tinnitus patients report that tinnitus interferes with activities of daily living, such as reading, social interactions, sleep, concentrating on complex tasks. Anxiety and depression are current major disorders associated with tinnitus. Many theories exist regarding mechanisms of tinnitus origin. A number of publications favors the theory of discordant dysfunction of inner or outer hair cells of the organ of Corti. Nevertheless, some authors insist on the possible role of the central auditory pathways. Multiple functional connections between auditory system, limbic system, autonomic nervous system seem crucial in the development of tinnitus. The aim of this paper is to present a new approach in France of tinnitus treatment by cognitive-behavioral therapy (CBT). Material and methods : 96 patients with chronic and intense tinnitus were included in the study (38 females, 36 males, mean age 48 years). A CBT was developped after a clinical evaluation based on standardized questionnaires. Results : The two main results are: (i) the importance of anxiety and depression in this population, (ii) the amelioration of tinnitus perception in 75% of the included patients. Conclusion : CBT shows promise as a treatment of tinnitus-related distress. Key words: Inner ear, cochlea, deafness, tinnitus, cognitive and behavioral therapy. Apport des thérapies cognitives et comportementales dans la prise en charge des acouphènes Objectifs : Les acouphènes sont un symptôme fréquent en clinique ORL pour lesquels les traitements demeurent encore insuffisants. Or, les patients acouphéniques se plaignent d’un fort retentissement de ce symptôme sur leur vie quotidienne : sommeil, activité intellectuelle, relations sociales. L’anxiété et la dépression sont souvent associées à l’acouphène. L’origine des acouphènes est encore mal connue. Si l’origine périphérique est citée par la plupart des auteurs (dysfonction des cellules ciliées de l’organe de Corti), le rôle du système nerveux central auditif pourrait être important. Il existe de nombreuses connections entre ce système et les systèmes limbique ou autonome. Cet article présente la première approche française du traitement des acouphènes par une thérapie cognitive et comportementale (TCC). Matériel et méthodes : Une TCC a été réalisée sur une population de 96 patients après une évaluation de l’acouphène par des questionnaires standardisés. Résultats : Les deux principaux résultats sont : (1) l’importance de l’anxiété et de la dépression chez les patients acouphéniques, et (2) l’amélioration de la perception de l’acouphène et du handicap qui lui est lié chez 75 % des sujets traités par TTC. Conclusion : La TCC est une voie d’avenir dans le traitement des acouphènes.
Mots-clés : oreille interne, cochlée, surdité, acouphènes, thérapie cognitive et comportementale.
INTRODUCTION L’objet de ce travail a été d’évaluer, dans un groupe de patients suivis en consultation ambulatoire spécifiquement dédiée à l’acouphène, l’importance des facteurs anxio-dépressifs et l’intensité du handicap ressenti face au symptôme ainsi que l’amélioration de ces différents paramètres obtenue après Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC). Les personnes souffrant d’acouphènes décrivent le plus souvent ces derniers comme la perception de sifflements ou de bourdonnements, dans une oreille ou dans les deux, alors qu’il n’y a pas de stimulation sonore extérieure. Dans les pays industrialisés, les personnes souffrant d’acouphènes représentent 8 à 10 % de la population. Au Royaume-Uni, 10 % de la population adulte perçoivent un acouphène. Environ 7 % de la population adulte les jugent suffisamment sévères pour consulter un médecin [1]. En Allemagne, 5 % des adultes interrogés déclarent avoir des acouphènes gênants, 1 % des adultes les considèrent handicapants et environ 0,5 % ne peuvent plus avoir une vie normale [2]. Au moment de l’enquête, 50 % des patients souffrant d’acouphènes les qualifiaient de sérieux à insupportables. Une enquête
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réalisée en France et portant sur la qualité de vie de 603 sujets souffrant d’acouphènes a clairement montré que 26 % des patients souffrant d’acouphènes avaient des altérations importantes de la qualité de vie au quotidien [3]. La présence d’acouphènes entraîne des modifications notables du comportement et une détérioration très nette de la qualité de vie. Irritabilité, tension, inquiétude, dégradation du sommeil sont fréquemment décrites par les patients eux-mêmes et par leur entourage [3]. Les acouphènes affectent également la vie professionnelle ou familiale des patients. Les acouphènes exercent notamment un impact délétère sur les relations intra-familiales, en particulier à cause des difficultés de compréhension du problème par l’entourage [4]. Paradoxalement, malgré les enjeux majeurs que représentent les acouphènes en terme de santé publique, ce symptôme n’a jusqu’à présent généré que peu d’intérêt de la part de la communauté scientifique, et des ORL. Ainsi en matière d’acouphène chronique et malgré des progrès récents [5], les modèles animaux d’acouphènes chroniques sont très rares, ce d’autant que les plaintes alléguées par les patients (retentissements sur le tonus physique, l’humeur, les fonctions intellectuelles, la vie familiale et professionnelle) sont difficilement reproductibles chez l’animal. Le nombre de laboratoires travaillant sur ce sujet est étonnamment restreint. Ce désintéressement relatif explique en partie la faiblesse des connaissances fondamentales concernant les processus physiopathologiques de génération des acouphènes [3] et le manque d’efficacité des prises en charges thérapeutiques conventionnelles. L’échec de ces traitements, en particulier médicamenteux, a conduit certaines équipes à proposer des thérapeutiques fondées sur des concepts différents. Si la plupart des auteurs estiment que l’origine des acouphènes est périphérique, notamment liée, par exemple, à une souffrance de l’oreille interne après un traumatisme sonore ou à une presbyacousie [5], la gêne qui en résulte dépend de processus centraux, en particulier cognitifs [6], pour l’essentiel constitués d’attributions péjoratives au symptôme et d’un état d’hypervigilance globale et élective pour les perceptions auditives. Les patients développent un réflexe conditionné d’attention dirigé vers l’acouphène et/ou les bruits environnants en cas d’hyperacousie associée [4]. Plusieurs études épidémiologiques montrent que l’anxiété et la dépression aggravent la gêne engendrée par la présence des acouphènes [7]. Le rôle attribué au système limbique ou au système nerveux autonome dans le vécu de l’acouphène, est à l’origine du développement des techniques d’habituation largement utilisées dans les thérapies cognitives et comportementales [8] ou dans la « Tinnitus Retraining Therapy » (TRT®) [9]. L’utilisation des thérapies cognitives et comportementales (TCC) appliquées au traitement des acouphènes a été initialement développée par Sweetow [7, 8, 10-12] et
Mac Leod Morgan [13] dès le début des années 1980 après des expérimentations fragmentaires de différentes procédures (travail en imagination, exposition à certains contextes sonores, bibliothérapie, …). La relaxation est une constante dans les procédures utilisées. Ces thérapies ont pour but de modifier les comportements et les pensées corollaires en utilisant des techniques de déconditionnement et de questionnement dit « socratique » c’est-à-dire impliquant la coopération active du sujet dans la définition du traitement et sa mise en œuvre. Le déconditionnement se déroule en deux phases. La première phase est centrée sur « le problème » décrit par le patient, la seconde tend à la généralisation de modes de pensée et de comportements permettant une régulation émotionnelle optimale. Il passe par une information aussi actualisée et exhaustive que possible quant aux connaissances acquises tant au plan physiopathologique que des possibilités thérapeutiques : ceci permet de corriger en partie le dysfonctionnement cognitif. Cette étape est confortée par une collaboration étroite entre l’ORL et le psychothérapeute dont les propos sont complémentaires et convergents. C’est ensuite par un réinvestissement progressif d’activités redoutées sans justification objective, grâce à une exposition graduée, planifiée et encadrée, mettant en œuvre des techniques de relaxation, que les attributions erronées sont à leur tour corrigées et les anticipations injustement pessimistes sont remises en cause. Enfin, par une analyse détaillée et méthodique des arguments maintenant les convictions nuisibles des patients, on parvient à mettre en lumière les failles des raisonnements dont les fondements sont, à un moment ou un autre, insuffisants ou franchement inadaptés : ce type de questionnement évoque la méthode polémique de Socrate. Dans un deuxième temps, c’est la mise en évidence et la correction de modes de pensée néfastes, entretenant un climat émotionnel délétère, qui vont permettre d’une part de généraliser les méthodes cognitives initialement utilisées à propos de l’acouphène et de l’hyperacousie, et, d’autre part, de déplacer l’attention vers d’autres préoccupations concrètes. Généralisation de la régulation émotionnelle et modification de l’attention constituent les deux axes de cette deuxième phase de déconditionnement.
MATÉRIEL Les patients (n = 96) qui ont participé à l’étude avaient des acouphènes chroniques, évoluant depuis plus de six mois. Pendant cette période, aucune interruption symptomatique ou modification des caractéristiques sémiologiques individuelles de l’acouphène n’ont été notées. L’acouphène était vécu comme gênant ou handicapant ; il constituait le motif de la consultation. Les patients ont
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tous rapporté avoir bénéficié d’un traitement médicamenteux perçu comme « spécifique » pour leur acouphène pendant une période de trois mois avant toute intervention en TCC. Malgré une bonne observance de cette prescription, aucune amélioration de la symptomatologie durable n’a été notée. Il s’agit d’un recueil de données rétrospectif sans comparaison à un groupe placebo dont l’objectif était de juger de la faisabilité d’un traitement conjoint ORL et psychologique dans le cadre d’une consultation dédiée à l’acouphène dans un service d’ORL et de chirurgie cervicofaciale. Le critère d’inclusion des patients comportait trois parties : la présence gênante du symptôme acouphène allégué comme motif principal de consultation, la volonté du patient de poursuivre le traitement après la consultation ORL initiale délivrant des explications exhaustives sur l’acouphène et son traitement, et l’absence de pathologie médicalement ou chirurgicalement curable. L’existence d’une réticence avérée du patient envers un traitement de type psychologique ne permettait pas d’inclure le patient dans l’étude. L’étiologie de l’acouphène n’a pas été prise en compte comme critère de sélection. Il en était de même des résultats de l’audiométrie et de l’acouphénométrie, que ce soit pour l’intensité de la perte auditive ou sa latéralisation, le type, l’intensité ou le seuil de masquage de l’acouphène. L’hyperacousie associée n’a jamais constitué un caractère d’exclusion. Les principales étiologies des acouphènes étaient : les traumatismes sonores aigus ou chroniques, la presbyacousie, les surdités brusques, les troubles pressionnels ménièriformes, les séquelles d’otite chronique ou d’intervention otologique.
MÉTHODES Bilan clinique et paraclinique initial Dans la mesure où les patients présentaient un acouphène ancien (plus de six mois), le bilan ORL classique à la recherche d’une étiologie curable avait déjà été réalisé pour la plupart des patients. Il a donc simplement été complété en fonction des besoins par une audiométrie tonale et vocale, une audiométrie par la méthode de l’Audioscan®, une tympanométrie, une étude des réflexes stapédiens, et selon les constatations cliniques, par une étude des potentiels évoqués auditifs, un examen vidéonystagmographique voire un bilan radiologique (IRM cérébrale, scanner des rochers). Aucun diagnostic nécessitant un traitement chirurgical n’a été porté. Des questionnaires d’évaluation de l’acouphène, de l’anxiété et de la dépression ont été utilisés. Nous n’avons retenu que les items permettant d’évaluer globalement la gêne secondaire à l’acouphène et les états psychopatho-
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logiques. La mesure de la détresse psychologique liée à l’acouphène a été évaluée à l’aide du questionnaire développé par Wilson et al. [14] et adapté par Méric et al. [15]. De ce questionnaire, seul le facteur évaluant la détresse générale (DG) a été exploité. Il se réfère aux items traduisant les plaintes générales des patients (fatigue, trouble de concentration, irritabilité, …) et non les plus sévères (idées suicidaires, pessimisme généralisé, …) regroupés sous le vocable de « détresse sévère ». Ce sous score a été sélectionné car les items concernés, et en dépit de l’absence de normes établies, reflètent assez fidèlement les différents aspects courants de la gêne décrite par les patients à l’exclusion des considérations les plus dépressives ou dépressogènes. D’un autre côté, les facteurs prenant en compte l’« évitement » d’une part et la « détresse en milieu professionnel ou de loisir » d’autre part, évalués par le questionnaire de Wilson et al., représentent des dimensions comportementales et cognitives qui pourraient faire l’objet d’une analyse spécifique ultérieurement. La mesure du handicap lié à l’acouphène a été étudiée à l’aide de l’adaptation française [16] du questionnaire élaboré par Kuk et al. [17] (tableau I). Trois items ont été retenus : le handicap physique (HP), émotionnel (HE) et social (HSoc). Ont été exclus de l’analyse les scores de handicap auditif (HA), moins pertinent pour notre analyse car plus spécifique de la plainte ORL stricto sensu et fortement corrélé à la perte auditive, et les scores de handicap subjectif (Hsubj) considéré comme peu robuste par les auteurs de la traduction française du questionnaire [16]. La somme des scores obtenus aux trois items précédemment cités (HP, HE et HSoc) a été nommée « score THQ » dans la suite de l’exposé. En l’absence d’autre élément objectif de mesure, nous avons fondé l’analyse de nos résultats sur ces questionnaires validés, même s’il est admis par d’autres auteurs [18] que l’auto-évaluation par les patients présentant un acouphène, de la gêne et du handicap ressenti est particulièrement difficile. La recherche d’éventuels facteurs de co-morbidité psychologique, en particulier l’anxiété et la dépression, a été effectuée à l’aide de l’échelle hospitalière d’anxiété dépression (HAD) [19, 20], utilisée, par ailleurs, pour des sujets consultants des centres anti-douleur. Deux scores sont obtenus à l’aide de ce questionnaire : un score d’anxiété (HADa) et un score de dépression (HADd) (tableau I).
Principe de la thérapie cognitive et comportementale Le thérapeute était le même pour tous les patients. La notion de base en matière d’acouphène est que sa négligence et, par conséquent, sa tolérance, devraient être la
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Tableau I Questionnaire d’évaluation du handicap lié à l’acouphène : (Tinnitus Handicap Questionnaire) avec les mesures spécifiques du handicap social (Hsoc), du handicap physique (HP) et des conséquences émotionnelles (HE). Questionnaire de mesure de la détresse générale (DG). Questionnaires d’évaluation de l’anxiété et de la dépression associées aux acouphènes : questionnaire spécifique de l’anxiété (HADa) et questionnaire spécifique de la dépression (HADd). Les scores obtenus pour chaque questionnaire sont compris entre 0 (absence d’handicap, absence d’anxiété et/ou de dépression) et la valeur maximale spécifique pour chaque questionnaire. Abréviation
Dénomination
Référence
Valeur maximale
Kuk et al.
400
Questionnaire de mesure du handicap lié à l’acouphène (THQ) Hsoc
Conséquences sociales
HP
Santé physique
500
HE
Conséquences émotionnelles
600
Questionnaire de mesure de la détresse psychologique liée à l’acouphène DG
Détresse générale
Wilson et al.
28
Lépine et al.
21
Questionnaire Hospitalier d’évaluation de l’Anxiété et de la Dépression HADa
Anxiété
HADd
Dépression
réponse normale au phénomène. Les mécanismes qui s’opposent au développement de ce processus sont la crainte d’une pathologie grave sous-jacente (pathologie tumorale ou surdité évolutive) ou l’existence de comportements (actes ou pensées) ayant pour conséquence de perturber les activités du patient (écouter une conversation, s’endormir…). Si l’on parvient à remanier la perception de l’acouphène, sa capacité de détection n’étant pas modifiée, les réactions et les interprétations à son égard seront modifiées. L’objectif final des TCC est donc de réadapter le sujet face à son acouphène. L’évaluation psychologique préalable est d’abord sémiologique afin de définir la stratégie thérapeutique dont relève le patient. Schématiquement : sommesnous devant un trouble « somatoforme », plainte somatique ne pouvant s’expliquer complètement par une affection médicale (selon le paragraphe F45 du DSM IV [21], ou une manifestation dissociative débutante, perturbation touchant des fonctions normalement intégrées comme la conscience, la mémoire, l’identité ou la perception de l’environnement (selon le paragraphe F44 du DSM IV) ? C’est, comme dans cette étude, grâce à des outils psychométriques spécifiques tels la mesure de la détresse psychologique liée à l’acouphène [15] ou la mesure du handicap lié à l’acouphène [16] et des outils non spécifiques comme la version française de l’HAD [19] qu’une évaluation plus précise du retentissement de l’acouphène est entreprise. Elle contribue à l’établissement de l’analyse fonctionnelle. Elle peut être étayée par d’autres questionnaires ou outils d’évaluation incluant une mesure de la gêne par Echelle Visuelle Analogique (EVA) ou un journal
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de suivi de l’acouphène. Ce dernier peut être proposé pour réaliser « une ligne de base » (servant d’outil de contrôle), qui fera l’inventaire des situations rencontrées, de l’intensité de l’acouphène ressenti, de la gêne que cela engendre et des commentaires que fait le patient par rapport à ce qu’il ressent, pense, fait ou ne fait pas. Le journal de suivi ne fait pas usage des évaluations de DG ou THQ.
Pratique de la prise en charge cognitivo-comportementale Lors d’une thérapie cognitive et comportementale appliquée à l’acouphène et à l’hyperacousie, le protocole thérapeutique s’appuie sur plusieurs principes, notamment : le signaux faibles sont détectés s’ils sont signifiants, la réaction dépend du contexte et l’intensité de la réaction dépend du renforcement pas du stimulus, la tolérance dépend de la capacité à agir, pas de la peur induite, l’impossibilité de se détacher d’un stimulus indiquant un danger, l’effet anxiogène des stimuli émotionnellement négatifs, … L’analyse du son perçu, selon les descriptions sémiologiques délivrées par les patients, va permettre de faire prendre conscience au patient des facteurs, notamment émotionnels, qui vont modifier la gêne induite par la perception de l’acouphène (influence généralement négative du stress et positive de la distraction plaisante). La prise de conscience de l’intensité relative de l’acouphène par rapport à l’intensité sonore de l’environnement (détection facilitée dans une ambiance peu sonore et diminuée dans un milieu ambiant modérément animé) va permettre d’induire une possibilité de distrac-
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tion attentionnelle en tenant compte du statut auditif du sujet (en particulier d’une surdité). Ainsi, le pouvoir masquant d’un son naturel pourra être recherché, à partir des descriptions faites par les patients. La modification de la focalisation attentionnelle selon les activités du patient sera explorée et exploitée. Il sera noté que plus un son est porteur de sens, plus il va retenir l’attention mais aussi que plus le stress est important (éventuellement mesuré a posteriori par Echelle Visuelle Analogique ou évaluation chiffrée), plus la focalisation est forte et l’habituation difficile. Les habitudes de réactions aux informations sensorielles et les possibilités de distraction générale seront explorées dans la mesure où la généralisation des apprentissages de comportements adaptés face à l’acouphène conditionne pour partie leur efficacité et leur pérennité. Après une information aussi précise que possible sur les mécanismes pouvant expliquer l’apparition de l’acouphène, la première phase du traitement consiste à identifier le problème : le thérapeute fait alors porter l’attention du sujet sur la distinction entre l’expérience réelle ressentie par le patient avec son acouphène et les comportements mal adaptés qu’il a développés (évitement des relations sociales, stimulation sonore excessive sensée couvrir l’acouphène, etc.). Une méthode de relaxation (décrite plus loin dans cet exposé) est enseignée au patient : relaxation progressive, entraînement à la distraction. L’analyse comportementale conduit à reconnaître ce qui, par évitement ou inadéquation, maintient ou aggrave la perception de l’acouphène. Des propositions alternatives sont élaborées puis mises en œuvre de manière progressive et contrôlée. La réadaptation comportementale consiste à modifier les attitudes qui aggravent le trouble : évitement de certains lieux ou situations, perte d’activité, environnement trop bruyant ou trop silencieux, stratégies de coucher et de sommeil anxiogènes… Le sujet réinvestit progressivement, de manière hiérarchisée, des plus faciles aux plus difficiles, des lieux et des activités, en utilisant préalablement des procédés de relaxation et une analyse critique des anticipations faisant obstacle : il s’agit d’une exposition avec « prévention de la réponse ». Par exemple, en cas de trouble du sommeil associé à l’acouphène, il repère ce qui s’oppose au réflexe d’endormissement, par perte notamment de la fonction symbolique inductrice du lit : il ne fera rien d’autre au lit que de dormir ou s’adonner au plaisir sexuel, au lieu bien souvent d’y regarder la télévision ou de lire, voire de manger. Il apprend à modifier les conditions concrètes du coucher et du sommeil (se coucher fatigué, ne pas rester au lit éveillé, se lever à la même heure tous les jours avec un nombre d’heures de coucher nécessaire et suffisant) : c’est une réadaptation comportementale. Il aménage les anticipations catastrophiques qui précèdent le coucher : c’est une
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restructuration cognitive annexe. De la même manière, il étudie les raisons amenant une personne à éviter certains lieux de crainte de provoquer ou d’aggraver ses acouphènes. Une exploration systématique de telles situations va objectiver l’inconstance de la réaction attendue ou de son intensité : l’anticipation perd son caractère obligatoire (ceci participe de la restructuration cognitive). Par exemple, pour un sujet qui fuit les magasins où il perçoit le brouhaha comme stimulant son l’acouphène, l’exposition est envisagée selon un calendrier précis ; elle sera précédée d’une séance de relaxation, d’une évaluation préalable de la tension prévisible en situation, accompagnée d’un contrôle de cette tension par un procédé respiratoire efficace, suivie d’une réévaluation de la tension ressentie lors de l’exposition, et, à distance, d’un constat concernant l’acouphène, puis répétée jusqu’à ce que la gêne prévisible soit acceptable, c’est-à-dire à un niveau de moitié inférieur à l’estimation initiale par EVA ou évaluation chiffrée de 0 à 10. Une situation antérieurement plus gênante que celle-ci sera alors l’objet du même type d’exercices : la plupart du temps, les patients font eux-mêmes le programme et sa mise en œuvre ; les succès et les difficultés rencontrées seront évoqués en groupe. Ainsi se déroule une réadaptation comportementale. Le travail cognitif porte sur le sens optimiste de l’expression : « il va falloir apprendre à vivre avec votre acouphène ». Prononcée sans accompagnement psychothérapeutique, cette phrase prend un sens négatif, une forme de constat d’échec. C’est pourtant l’objet du « coping », qui prend ici un sens particulier puisque plus que d’y faire face, il s’agit de négliger la manifestation gênante. La restructuration cognitive procède de la modification de certaines pensées (des « croyances absolutistes ») qui accompagnent l’acouphène et conditionnent des réactions délétères. Ces pensées sont caractérisées par des excès, des approximations péjoratives, des erreurs ou des conclusions inappropriées. Quelques croyances absolutistes concernant l’acouphène sont souvent rencontrées : « ça va obligatoirement devenir épouvantable si ces perceptions sonores ne disparaissent jamais », « ce type de bruit est réellement des plus déplaisants », « il est injuste que j’aie à souffrir de mes acouphènes », « je suis certain que mon état va s’aggraver si je dois supporter cela tout le temps », « l’immense majorité de mes problèmes est causée par ces manifestations auditives », « si ces acouphènes continuent, la vie ne vaut absolument plus la peine d’être vécue ». L’ensemble des propositions psychothérapeutiques va permettre d’analyser la pertinence puis de modifier ces pensées irrationnelles pour élaborer une stratégie d’adaptation à l’acouphène et aux situations de déclenchement ou d’aggravation. Le patient va apprendre à « gérer » son acouphène et à rendre cette manifestation aussi neutre que possible.
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Protocole Après consultation initiale avec l’ORL, la prise en charge cognitivo-comportementale proprement dite a été réalisée en onze séances. Les trois premières séances sont des entretiens individuels à visée de diagnostic psychologique, d’évaluation de l’adhésion du patient à la TCC et d’apprentissage des techniques de relaxation selon la méthode de Jacobson modifiée [22]. Cette technique fait appel à des contractions préalables à un relâchement musculaire, suivi de l’évocation d’une scène imaginaire favorisant la sensation d’apaisement physique et mental ; une injonction paradoxale d’inattention au contexte sonore ambiant permet progressivement la distraction à l’égard du signal acouphénique. Une attention particulière est portée sur l’état de relâchement musculaire obtenu au niveau cervico-facial, compte-tenu de l’interférence fréquente de cervicalgies et de troubles de l’articulé temporo-mandibulaire. Mac Leod-Morgan [13] a montré l’intérêt d’une réinterprétation de l’acouphène par l’association, en relaxation, à une image plaisante et/ou à un son reconnu comme agréable par le patient : ce type d’évocation est utilisé au cours de le séance, en hétéro puis auto-suggestion. La TCC est poursuivie en travail de groupe (3 à 8 patients) d’une durée d’une heure et demi chacune, à raison d’une réunion hebdomadaire pendant huit semaines. Ainsi, la TCC comprend onze entretiens de 90 minutes chacun (soit 16 heures 30 au total) sur une période d’environ trois mois. De façon complémentaire, il a été systématiquement proposé aux patients d’enrichir l’atmosphère sonore au moyen de diffuseurs de sons (bruits d’ambiance, musique). Il n’a pas été proposé de port de générateur de bruit blanc (GBB). Les traitements médicaux en cours ont été initialement poursuivis selon les schémas thérapeutiques pré-existants. Dans certains cas, l’amélioration symptomatique a permis d’engager un sevrage progressif des traitements en cours (benzodiazépines le plus souvent). Ce sevrage est d’autant plus souhaitable que la gestion émotionnelle par le sujet ne peut atteindre sa pleine expression du fait de la répression du symptôme et de sa régulation induite par certaines molécules.
en TCC) qui sont ici analysés. Il y avait 38 femmes et 36 hommes (sex-ratio = 1) d’âge moyen 48,1 ans (erreur standard = 1,6 ; extrêmes : 19-74 ans).
Bilan avant thérapie cognitive et comportementale Le tableau II et les fig. 1 et 2 présentent les résultats des bilans initiaux effectués sur l’ensemble de la population. Les scores médians ont été calculés pour les tests suivants : détresse générale (DG), conséquences sociales du handicap (Hsoc), conséquences du handicap sur la santé physique (HP) et sur les émotions (HE) et sont exprimés avec l’intervalle de confiance du score moyen (à 95 %), les 10e, 25e, 75e et 90e percentiles ainsi que toutes les observations situées au-dessus du 90e percentile et au-dessous du 10e percentile. La mesure du handicap lié à l’acouphène (pré THQ) est particulièrement élevée avant TCC : avec une nette expression des scores « handicap physique » (préHP = 257, 52 % de la valeur maximale) et « handicap émotionnel » (préHE = 327, 54 % de la valeur maximale). Le score « handicap social » (HSoc = 258, 42 % de la valeur maximale) était moins élevé. Le score THQ dans la population était de 843 soit 49 % de la valeur maximale (SD = 348, n = 74). La mesure de détresse générale (DG) montre une valeur moyenne à 15,2 (54 % de la valeur maximale). Les résultats de l’évaluation de l’anxiété et de la dépression avant traitement (tableaux II et III) montrent une majoration de ces symptômes chez les patients acouphè-
Tableau II Résultats pré-thérapeutiques obtenus avec des questionnaires mesurant spécifiquement le handicap social (Hsoc), le handicap physique (HP) et les conséquences émotionnelles (HE). La somme des résultats de ces trois questionnaires correspond au résultat du handicap global (THQ Tinnitus Handicap Questionnaire ). Résultats pré-thérapeutiques des questionnaires d’évaluation de l’anxiété (HADa) et de la dépression (HADd). Une valeur inférieure à 7 est jugée normale pour le HADa et le HADd. Pour chacun de ces tests sont notées : la moyenne des résultats obtenues sur 74 patients, la déviation standard (DS) et les valeurs minimum et maximum obtenues. n
moyenne
DS
minimum
maximum
Hsoc
74
258,4
132,1
0
600
HP
74
257,4
112,2
10
500
HE
74
327,8
158,1
20
600
THQ
74
843,6
348,1
70
1550
DG
74
15,2
7,8
0
28
HADa
74
11,6
4,4
2
20
HADd
74
7,7
4,7
1
19
RÉSULTATS Notre étude a porté sur 96 patients. Sur ces 96 patients, sept patients (7,3 %) n’ont pas bénéficié intégralement du protocole proposé du fait d’une amélioration suffisante de leur gêne après les trois premières séances, quinze patients (15,6 %) ont été considérés comme perdus de vue en ne terminant pas le protocole ou en ne répondant pas au questionnaire de fin de traitement. Ce sont finalement les résultats obtenus après le traitement de 74 patients (77,1 % des patients initialement adressés
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Tableau III Résultats obtenus en pourcentage de patients lors de l’évaluation de l’anxiété et de la dépression avant et après Thérapie Cognitive et Comportementale (n = 74). Après réalisation du questionnaire (HAD), les patients sont regroupés en 3 sous-populations : les patients n’ayant pas ou peu d’anxiété et/ou de dépression (score < 7), les patients ayant une anxiété et/ou une dépression jugée modérée (score compris entre 7 et 11) et les patients ayant une anxiété et/ou une dépression jugée sévère (score > 12). On remarque une diminution des sous-populations ayant une anxiété et/ou une dépression jugée modérée et sévère après Thérapie Cognitive Comportementale (TCC) au profit de la sous-population n’ayant pas ou peu d’anxiété et/ou de dépression.
30 25 20 15 10 5 0
%
-5 PréDG
Pré HADa
après TCC
avant TCC
après TCC
normaux
13,5
54
50
78,3
Symptôme modéré
39,2
37,9
27
16,2
Symptôme sévère
47,3
8,1
23
5,5
10 (13,5 % de la série) et de 37 (50 % de la série). Ainsi, 86,5 % des patients présentaient un état anxieux et 50 % un état dépressif avant TCC. Le nombre de patients ayant une anxiété sévère (score > 12) ou une dépression sévère (score > 12) étaient respectivement de 47,3 % et 23 %.
1600 1400 1200 1000
340
dépression
avant TCC
Pré HADd
Figure 1 : Résultats du questionnaire de mesure de la détresse psychologique liée à l’acouphène (préDG) et résultats des questionnaires hospitaliers d’évaluation de l’Anxiété (préHADa) et de la Dépression (préHADd) avant toute prise en charge thérapeutique. Le score médian est noté avec l’intervalle de confiance de 95 % et les 10e, 25e, 75e et 90e percentiles (barres) ainsi que toutes les observations situées au-dessus du 90e percentile et au-dessous du 10e percentile (ronds).
anxiété
800
Résultats après thérapie cognitive et comportementale
600 400 200 0 -200 Pré Hsoc
Pré HP
Pré He
PréTHQ
Figure 2 : Résultats des questionnaires d’évaluation du Handicap social (préHsoc), du Handicap Physique (préHP) et des conséquences Emotionnelles (préHE) liées à l’acouphène, avant toute prise en charge thérapeutique. Le score médian est noté avec l’intervalle de confiance de 95 % et les 10e, 25e, 75e et 90e percentiles (barres) ainsi que toutes les observations situées au-dessus du 90e percentile et au-dessous du 10e percentile (ronds). Le résultat du questionnaire d’évaluation du Handicap (préTHQ) est la somme des résultats des trois questionnaires d’évaluation du Handicap social, physique et des conséquences émotionnelles induites par l’acouphène.
niques [20]. Chez un sujet normal, le score maximum HADa ou HADd est inférieur ou égal à sept. Dans notre série, les scores moyens de dépression et d’anxiété étaient respectivement de 7,7 (n = 74, DS = 4,7) et de 11,6 (n = 74, DS = 4,4). Le pourcentage de patients ayant un score d’anxiété (HADa) et de dépression (HADd) normal (inférieur ou égal à 7) était respectivement de
Neuf patients (9,3 %) sont en échec après une TCC complète : l’amélioration évaluée sur les scores des divers questionnaires était négligeable. Si l’on somme les patients perdus de vue (n = 15) avec ces patients en échec thérapeutique, on peut estimer le nombre d’échec global à 24 sur un nombre initial de patients de 96 (25 % de la série totale). Les autres patients ont été améliorés par le traitement de manière variable. Sur l’ensemble de la population, l’amélioration a été significative (p < 0,0001) sur tous les scores (fig. 3 et 4). L’amélioration moyenne est semblable quels que soient les questionnaires et les scores utilisés.
Effet de l’anxiété et de la dépression sur l’efficacité du traitement Les quatre paramètres ayant retenu notre attention car reflétant globalement l’essentiel des plaintes des patients ont été : le score de détresse générale (DG), le score THQ, les scores d’anxiété et de dépression (HADa et HADd). Les scores initiaux d’anxiété et de dépression ont été utilisés en groupant les patients selon trois stades reconnus
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Apport des thérapies cognitives et comportementales dans la prise en charge des acouphènes
18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 PréDG
Post DG
10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Pré HADd
Post HADd
14 12 10 8 6 4 2 0 Pré HADa
Post HADa
Figure 3 : Résultats comparatifs du questionnaire de mesure de la Détresse psychologique liée à l’acouphène avant (préDG) et après (postDG) Thérapie Comportementale et Cognitive (en haut). Résultats comparatifs des questionnaires hospitaliers d’évaluation de l’Anxiété avant (préHADa) et après (postHADa) Thérapie Comportementale et Cognitive (au milieu). Résultats comparatifs du questionnaire Hospitalier d’évaluation de la Dépression avant (préHADd) et après (postHADd) (en bas). Pour chacun de ce graphe est noté le score médian avec l’intervalle de confiance de 95 %. On remarque qu’il existe une diminution significative de la détresse psychologique, de l’anxiété et de la dépression associées à l’acouphène après Thérapie Comportementale et Cognitive (p < 0,001).
d’intensité de l’anxiété et de la dépression : absence d’anxiété ou de dépression (score < 7), anxiété ou dépression modérées (score compris entre 7 et 11), anxiété ou dépression sévères (score > 12).
L’amélioration de ces quatre paramètres (DG, THQ, HADa, HADd) après TCC est indiscutable (p < 0,0001) (tableau III). Le pourcentage de patients ayant un score d’anxiété et de dépression normal (inférieur ou égal à 7) après TCC est respectivement de 40 (54 % de la série) et de 58 (78,4 % de la série). Ainsi le nombre de patients initialement anxieux et ayant retrouvé un score d’anxiété normal après TCC est de trente. Le nombre de patients initialement dépressifs et ayant retrouvé un score de dépression normal après TCC est de 21. Ces différences sont significatives (p < 0,01). L’influence du score initial d’anxiété et de dépression sur l’amélioration de ces quatre paramètres a été analysée. Leur évolution n’est pas toujours influencée par l’importance des scores initiaux des paramètres d’anxiété et de dépression. En effet, le stade initial d’anxiété (HADa) est un facteur significatif agissant sur les résultats des scores d’anxiété (p < 0,0001) et de dépression (p = 0,03) obtenus après TCC. Plus le patient est initialement anxieux, meilleurs seront les résultats obtenus après TCC sur l’anxiété mais aussi sur la dépression. En revanche, l’état initial anxieux n’est pas prédictif de l’évolution des scores de détresse (DG) et de handicap (THQ). De la même manière, le stade initial de dépression (HADd) est un facteur significatif agissant sur les résultats des scores de dépression (p < 0,0001) mais pas sur les scores d’anxiété, ni de détresse générale ou de handicap obtenus après TCC. Plus le patient est initialement dépressif, meilleurs seront les résultats obtenus après TCC sur les seuls symptômes dépressifs, la variation des autres mesures n’étant pas affectée par la gravité de l’état dépressif initial. Le tableau IV résume les résultats. Cependant, il existe une relation significative entre importance de l’amélioration du score THQ et importance de l’amélioration des scores d’anxiété (HADa, r = 0,50, n = 73) (p < 0,01) et de dépression (HADd, r = 0,37, n = 73) (p < 0,01). De même, il existe une relation significative (r = 0,35, n = 73) (p < 0,01) entre l’importance de
Tableau IV Amélioration des scores de détresse générale (DG), de handicap (THQ), d’anxiété (HADa) et de dépression (HADd) après thérapie cognitive et comportementale (TCC), influence des scores initiaux d’anxiété et de dépression sur les résultats. Score
Amélioration
Effet du score initial
Après TCC
d’anxiété (HADa)
de dépression (HADd)
DG
p < 0,0001
NS
NS
THQ
p < 0,0001
NS
NS
HADa
p < 0,0001
p < 0,0001
NS
HADd
p < 0,0001
p = 0,03
p < 0,0001
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A. Londero et coll.
Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 300
300
250
250
200
200
150
150
100
100
50
50 0
0 Pré Hsoc
Post Hsoc
400
1000
350
900
Pré HP
Post HP
PréTHQ
PostTHQ
800
300
700
250
600
200
500
150
400 300
100
200
50
100
0
0 Pré HE
Post HE
Figure 4 : Résultats comparatifs du questionnaire de mesure du Handicap Social induit par l’acouphène avant (préHsoc) et après (postHsoc) Thérapie Comportementale et Cognitive (en haut à droite). Résultats comparatifs du questionnaire de mesure du Handicap Physique induit par l’acouphène avant (préHP) et après (postHP) Thérapie Comportementale et Cognitive (en haut à gauche). Résultats comparatifs du questionnaire de mesure des conséquences émotionnelles induites par l’acouphène avant (préHE) et après (postHE) Thérapie Comportementale et Cognitive (en bas à droite). Le résultat au questionnaire d’évaluation du Handicap global (préTHQ et postTHQ) est la somme des résultats des trois questionnaires d’évaluation du Handicap social (préHsoc et post Hsoc), du Handicap Physique (préHP et post HP) et des conséquences émotionnelles induites par l’acouphène (PréHE et postHE). On remarque qu’il existe une diminution significative du handicap social, du handicap physique et des conséquences émotionnelles chez les patients acouphèniques après Thérapie Comportementale et Cognitive (p < 0,001). Pour chacun de ce graphe est noté le score médian avec l’intervalle de confiance de 95 %.
342
l’amélioration des scores de détresse générale (DG) et celle du score d’anxiété (HADa). Cette relation n’est pas retrouvée entre l’amélioration du score de détresse générale et celui de dépression (HADd) (fig. 5).
DISCUSSION Cette étude n’a pris en compte que des patients ayant accepté le principe d’une prise en charge psychologique de leur symptomatologie. De ce fait, le recrutement de la population étudiée est par nature biaisé, puisque qu’il repose sur des patients pris en charge en CHU après échec d’une thérapeutique conventionnelle. Il représente néanmoins un bon reflet des situations cliniques de patients présentant un acouphène chronique invalidant. En effet, pour le questionnaire de handicap (THQ), la moyenne de la somme des items (HP, HE, et HSoc) ramenés à une valeur sur 100 est dans notre série à 49,5 pour une valeur de 42,5 chez Méric et al. [20]. Pour le questionnaire d’anxiété et de dépression, les valeurs initiales sont élevées (HADa = 11,6, HADd = 7,7) témoignant d’un état concomitant anxieux (82,6 % des patients) et/ou dépressif (50 % des patients) marqué dans notre série. Ce résultat est en accord avec les données de la littérature où l’anxiété et la dépression sont reconnues comme étant
des facteurs de co-morbidité importants en matière d’acouphène. Pour Zöger [23], 62 % des patients se plaignant d’un acouphène chronique permanent présenteraient des manifestations dépressives et 45 % des traits anxieux parmi lesquels seulement 34 % ont, préalablement à la prise en charge ORL, bénéficié d’un avis psychiatrique spécialisé. De même, l’analyse d’un questionnaire auto administré sur Internet permet d’estimer que 69 % des patients acouphéniques satisfont aux critères diagnostiques de dépression selon le DSM IV, et 60 % à ceux d’anxiété généralisée [24]. Dans cette étude 25 % des patients ont des scores élevés pour le score HADa (> 11) et 17 % pour le score HADd ; le score moyen de HADa est de 7,7 et HADd de 6,9. Il reste que les questionnaires auto-administrés, c’est le cas de l’échelle HAD utilisée dans notre étude, sont réputés être moins performants que ceux réalisés sous la direction d’un praticien spécialisé car les patients ont tendance à sous-estimer et à masquer leurs symptômes. Pour Svenlund [25], le questionnaire HAD ne permettrait de dépister que 30 % de patients ayant des traits anxieux et 20 % des traits dépressifs avérés dans une population de patients acouphéniques alors qu’un questionnaire réalisé par un psychologue permettrait de mettre évidence des chiffres de, respectivement, 45 % et 39 % pour les mêmes sujets. Les valeurs plus élevées des scores HADa et HADd dans notre série pourraient
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Apport des thérapies cognitives et comportementales dans la prise en charge des acouphènes
35
A
30 25 20 15 10 5 0 -5 -10 -15 -10
-5
0
5
10
15
20
25
30
Amélioration HADa 1600
B
1400 1200 1000 800 600 400 200 0 -200 -10
-5
0
5
10
15
Amélioration HADd 1600
C
1400 1200 1000 800 600 400 200 0 -200 -10
-5
0
5
10
15
20
25
30
Amélioration HADa Figure 5 : Relation entre l’amélioration du score de détresse générale (DG) et l’amélioration du score d’anxiété (HADa, graphe A), l’amélioration du score THQ et l’amélioration du score de dépression (HADd, graphe B) ou d’anxiété (HADa, graphe C). Il existe une relation significative entre ces divers paramètres (p < 0,01).
être le reflet du type de recrutement très sélectif, et surtout de l’effet de la prise en charge conjointe ORL et psychologique conduisant les patients à ne pas masquer leurs symptômes psychologiques dans la mesure où ils ont la certitude d’une prise en charge du versant « organique »
ORL. Le fait que les questionnaires initiaux aient été complétés par nos patients après la consultation ORL pourrait aussi expliquer la moindre réticence de ces derniers à faire part de leurs caractéristiques psychologiques. Le questionnaire HAD pourrait donc, en particulier dans une pratique ORL courante, permettre d’évaluer assez simplement (le temps de passation n’excède pas 15 minutes pour le patient) le terrain psychologique sous-jacent et aider le non spécialiste à orienter plus spécifiquement certains patients vers une consultation psychologique. Si le sens du lien de causalité entre acouphène et troubles psychiatriques, en particulier anxio-dépressifs, est difficile à établir, il est peu probable que l’acouphène puisse être considéré comme un trouble uniquement psychiatrique, ne serait-ce que par le fait que, selon Puel, plus de 80 % des patients présentent une perte auditive [26], ce que confirme Folmer [27], dans une évaluation des cofacteurs contribuant à la sévérité de l’acouphène. Cette évidence rend compte de l’importance des phénomènes périphériques cochléaires dans la genèse des acouphènes. Il apparaît cependant également clairement que le terrain psychologique pourrait influer sur l’intensité de la gêne ressentie, la perennisation de l’acouphène pouvant à son tour majorer les troubles psychologiques [6, 20, 27]. De nombreuses études ont confirmé l’intérêt des TCC dans la prise en charge des acouphènes [28-38]. Elles montrent globalement une amélioration des scores de détresse et d’inconfort dans 75 % des cas, ce qui est en accord avec les données de notre série où les scores diminuent significativement pour les questionnaires DG, THQ dans des proportions identiques. Le résultat sur l’intensité perçue de l’acouphène, plus controversé, n’a pas été mesuré dans cette étude. Par ailleurs, il n’y a pas dans notre étude d’aggravation significative des scores ni sur les items concernant les troubles psychopathologiques (HADd, HADa), ni sur ceux plus spécifiques de l’acouphène (DG, THQ) : on ne doit pas craindre d’aggravation de l’acouphène ou des manifestations psychiques associées après TCC. La première des questions à laquelle a tenté de répondre notre étude était de savoir si l’état anxieux ou dépressif initial, évalué par le questionnaire HAD, était un éventuel élément prédictif de l’efficacité d’une prise en charge TCC de l’acouphène chronique. Il est en effet légitime de s’interroger sur l’influence de paramètres psychiques couramment évoqués en terme de co-morbidité à l’acouphène sur une prise en charge de nature psychothérapeutique. Nos données semblent montrer que non : l’état anxieux ou dépressif initial n’influencerait pas l’effet bénéfique de la TCC sur la gêne liée à l’acouphène. Ce résultat semble en contradiction avec la corrélation habituellement admise entre les questionnaires de détresse et de handicap et psychopathologie [20] qui repose sur une évaluation Mini-Mult [39] explorant des traits psychopathologiques pérennes. Ceci définirait plutôt une relation entre risque de survenue d’un acouphène chronique et présence d’un terrain psychopa-
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thologique prédisposant. Or le questionnaire HAD mesure quant à lui, non une susceptibilité psychique, mais un état actuel dont les relations de causalité avec l’intensité perçue de l’acouphène ou sa durée d’évolution sont probablement complexes et non univoques. L’amélioration des items retenus pour l’évaluation de l’acouphène, c’est-à-dire DG et THQ, n’était pas corrélée à l’état psychopathologique de départ mesuré par l’échelle HAD. Ceci revient à dire que, quel que soit l’état anxieux ou dépressif lors de la prise en charge, les patients peuvent bénéficier d’une prise en charge de type TCC. Ainsi, ce n’est pas l’état anxio-dépressif qui constitue l’indication de la TCC, mais bien l’acouphène en lui-même. Cependant, en cas de trouble anxio-dépressif initialement avéré, les patients verront ces manifestations psychiques s’amender significativement sous traitement. Il reste à démontrer l’intérêt d’une prise en charge immédiate du terrain anxieux lors de l’installation de l’acouphène pour éviter sa chronicisation et sa mémorisation. La seconde question était de déterminer si l’amélioration de l’inconfort lié à l’acouphène était corrélée à l’amélioration de l’état anxio-dépressif après TCC. La réponse paraît ici être positive avec une corrélation patente entre l’amélioration du score HADa et l’amélioration des scores THQ et DG et, d’un autre côté, entre l’amélioration du score HADd et l’amélioration du score THQ. Dans la mesure où, comme on vient de le voir, les scores initiaux HADa et HADd n’étaient pas prédictifs de l’évolution des scores DG et THQ, on pourrait inférer que l’amélioration des scores HADa et HADd soit le résultat de la diminution de l’inconfort lié à l’acouphène à l’issue de la TCC. Même s’il reste difficile de l’affirmer avec certitude au regard des données exploitées, il est possible que la TCC agisse sur un facteur spécifique à l’acouphène (focalisation attentionnelle pathologique) inducteur de troubles psychopathologiques secondaires [40]. Les manifestations anxiodépressives pourraient donc être, au moins en partie, la conséquence plus que la cause de la persistance de la gêne provoquée par un acouphène chronique. D’un autre côté, si le score DG n’est pas influencé par la diminution du score HADd, ceci pourrait s’expliquer par le fait que ce sous-score de détresse exclut les items de ce questionnaire [14] plus spécifiquement orienté vers l’analyse des caractères les plus dépressogènes, lesquels seraient probablement mieux évalués par le sous-score « détresse sévère » qui n’a pas été exploité dans notre étude.
CONCLUSION Notre étude permet de conclure que la coordination d’une consultation ORL avec une consultation psychologique est réalisable et bénéfique aux patients présentant un acouphène chronique invalidant. Le relais d’une prise en charge à visée somatique avec la mise en œuvre d’un pro-
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tocole de thérapie comportementale et cognitive se révèle utile que les patients présentent ou non des manifestations psychopathologiques. Cette approche innovante, ayant été validée [28-38] dans cette indication et ouvrant sur une prise en charge globale du patient, nous a, en outre, permis de reconsidérer les modes d’action thérapeutique en cause dans la procédure de TCC que nous avons appliquée à l’acouphène, laquelle ne semble pas se cantonner aux domaines de l’anxiété et de la dépression, mais concerner d’autres processus comme l’attention et l’adaptation. D’autres perspectives d’études sont ouvertes à partir de cette expérience, notamment dans le cadre de l’intervention précoce lors de l’émergence du symptôme acouphénique, comme nous y invitent les modèles animaux récemment proposés.
Remerciements Les auteurs remercient le Professeur Jean-Luc Puel et le Docteur Matthieu Guitton pour leurs critiques constructives.
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