Approche neurophysiologique des mécanismes du sommeil

Approche neurophysiologique des mécanismes du sommeil

JOURNAL OF THE NEUROLOGICAL SCIENCES 459 Approche Neurophysiologique des M6canismes du Sommeil M. M E U L D E R S Laboratoire de Neurophysiologie, ...

1MB Sizes 1 Downloads 110 Views

JOURNAL OF THE NEUROLOGICAL SCIENCES

459

Approche Neurophysiologique des M6canismes du Sommeil M. M E U L D E R S Laboratoire de Neurophysiologie,

Universitd de Louvain ( Belgique )

Au cours des 50 derni6res ann6es, les m6canismes du sommeil ont r6v616 certains de leurs secrets grftce aux investigations conjointes de la neurologie clinique et de la neurophysiologie. Notre propos est d'exposer ici comment, au cours de ces ann6es, s'est peu gt peu substitu6e ~t l'hypoth6se relativement simple d'une influence rigide de centres antagonistes, celle, infiniment plus nuanc6e, d'interactions subtiles entre diverses r6gions du cerveau activ6es par des informations sensorielles charg6es de signification ou dou6es d'une organisation spatio-temporelle appropri6e.

THt~ORIE DUALISTE

Von E c o n o m o

La mani6re la plus simple d'expliquer l'origine du sommeil 6tait de postuler l'action de deux centres distincts ~t l'int6rieur du syst6me nerveux, le premier favorisant l'6veil, le second provoquant le sommeil. Cette th6orie dualiste fut 6tay6e par de nombreuses observations cliniques, dont les plus c61~bres sont celles que releva VON ECONOMO (1929), au cours de l'6pid6mie viennoise d'enc6phalite 16thargique. L'examen histologique des cerveaux de malades ayant succomb6 ~t cette affection avait en effet r6v616 d'importantes 16sions nerveuses dans le cerveau moyen, ces 16sions 6tant essentiellement localis6es ~ la limite de l'hypothalamus et du m6senc6phale, dorsalement par rapport au troisi6me ventricule lorsqu'il s'agissait de malades 06 la 16thargie avait domin6 le tableau clinique; par contre, chez les malades ayant pr6sent6 de l'insomnie plut6t que de la 16thargie, les 16sions 6talent situ6es ~ un niveau plus ant6rieur sous la face ventrale du troisi~me ventricule, dans l'hypothalamus (Fig. 1). De ces observations, YON ECONOMO avait d6duit l'intervention d'un centre r6gulateur du sommeil, dont la pattie ant6rieure provoquerait le sommeil, et dont la partie post6rieure conditionnerait l'6veil. Cette d6monstration de l'importance de l'hypothalamus et du m6senc6phale dans la r~gulation du niveau de vigilance allait s'appuyer par la suite sur les observations cliniques de nombreux auteurs, dont celles de VAN BOGAERT(1926), LHERMITTE(1931) et TOURNAY(1934). J. neurol. Sci. (1965) 2:459473

460

M. MEULDERS

Hess

Les physiologistes, de teur c6t6, sous l'impulsion de HESS (1929) admettaient 6galement le dualisme des centres nerveux responsables des fluctuations du niveau de vigilance, et ce, en se basant sur l'exp6rimentation animale. HESSavait observ6 en effet que, chez le chat libre de ses mouvements, des chocs 61ectriques brefs, d'une fr6quence de 5-10/sec, appliqu6s au niveau de l'hypothalamus et du m6senc6phale, provoquaient, suivant l'endroit de la stimulation, soit l'endormissement, soit le r6veil. L'endormissement s'obtenait ~t partir de l'hypothalamus ant6rieur et s'accompagnait de la posture caract6ristique, du ralentissement des rythmes respiratoire et cardiaque, de la baisse de la tension art6rielle et de la fermeture des pupilles, comme dans le sommeil physiologique; l'6veil, traduit par des r6actions inverses et m~me par de acc6s 6motifs de rage ou de fuite, s'obtenait, au contraire, par la stimulation de l'hypothalamus post6rieur et de r6gions voisines du m6senc6phale. En expliquant l'alternance veillesommeil par l'antagonisme opposant deux centres distincts, HESS rejoignait donc les conclusions de y o n ECONOMO, mais il les d6passait en reliant les m6canismes qui r6glent le niveau de vigilance ~t ceux qui r~glent le degr6 des activit& neurov6g6tatives, respiratoires, cardio-vasculaires, endocriniennes, et, m~me, 6motionnelles. Cette interpr6tation de l'alternance veille-sommeil par un jeu de bascule entre deux centres distincts pr6dominant chacun h son tour, 6tait s6duisante par sa simplicit6, mais elle ne tarda pas ~ susciter de violentes critiques.

CRITIQUES Parlor

La premi6re d'entre elles fut 6mise par PAVLOV (1927): pour celui-ci, l'essentiel n'6tait pas de savoir comment se maintient l'6tat de veille mais bien comment se produit le sommeil. I1 avait observ6, en effet, que la r6p6tition d'une stimulation conditionn6e pouvait, en l'absence de renforcement, supprimer la r6ponse conditionn6e et m~me provoquer activement le sommeil. C'est ce qui survient, par exemple, chez un chien ayant appris ~t saliver lors d'une stimulation sonore, lorsqu'on cesse de renforcer l'effet de cette stimulation par un peu de nourriture: apr6s plusieurs r6p6titions de la stimulation sonore, le chien ne salive plus et peut m~me finir par s'endormir. Le c61~bre physiologiste russe en d6duisait que l'extinction du r6flexe conditionn6 et l'endormissement 6talent provoqu6s par un m~me ph6nom~ne d'inhibition. Le sommeil serait donc, en d6finitive, un 6tat d'inactivit6 ou d'activit6 moindre du syst6me nerveux, provoqu6 par des m6canismes inhibiteurs eux-m~mes mis en branle par des influx sensoriels sp6cifiques. En s'int6ressant exclusivement aux m6canismes de la production active de sommeil sans gu6re tenir compte de ceux qui sous-tendent l'6tat vigile, PAVLOVs'6cartait donc fortement des vues dualistes de HESS et YON ECONOMO. En outre, il s'opposait ~t la notion m~me d'un centre sp6cifique du sommeil, situ6 sous le cortex c6r6bral, le sommeil &ant, selon lui, un ph6nom6ne d'inhibition d6clench6 dans l'une ou l'autre r6gion du cortex c6r6bral par des influx sensoriels et se g6n6ralisant ensuite ~t l'ensemble du cortex c6r6bral et des structures sous-corticales. J. neurol. Sci. (1965) 2:459473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MECANISMES DU SOMMEIL

461

Kleitman et Bremer

Pour un second groupe d'opposants, mend par KLEI:MAN (1929) et BREMER (1935), il n'dtait pas ndcessaire de postuler l'intervention d'un centre du sommeil, puisque le sommeil ne serait autre que l'interruption pdriodique de l'dveil. A la thdorie d'un sommeil induit de fa~on active, ces auteurs substituaient celle d'un sommeil causd par le seul fldchissement du niveau de vigilance et qui apparaitrait ainsi de fagon passive; l'endormissement s'expliquerait donc exclusivement par la diminution des influx sensoriels ndcessaires ~ maintenir l'dveil. KLEII-MAN (1929) et, plus tard, KONORSKI (1948) affirment, h l'appui de leurs dires, que les chiens de PAVLOV ne s'endorment pas sous l'action directe de la stimulation conditionnde, mais que ces animaux dtant isolds dans un local o/1 n'existent, en dehors de la stimulation conditionnde, que peu de stimulations extdrieures, cette absence m~me de stimulations extdrieures serait la seule cause du sommeil. BREMER,de son c6td, suggdrait que, dans les expdriences de HESS,la stimulation 61ectrique du 'centre du sommeil' pourrait avoir bloqud les voies sensorielles ndcessaires au maintien de l'dveil, par une simple action dlectrotonique. II rut, par ailleurs, le premier h apporter des arguments exp6rimentaux/t la thdorie du sommeil passif (1935). Convaincu de l'importance des aff6rences sensorielles dans le maintien de l'dtat vigile, il rdalisa une prdparation, connue sous le n o m de cerveau isold, dans laquelle le chat a subi une section compl&e du mdsencdphale au niveau du tubercule quadrijumeau : le cerveau se trouve ainsi tout ~t fait isold du reste du systbme nerveux et ne regoit plus que des influx sensoriels d'origine olfactive et visuelle (Fig. I). Or, une telle pr6paration, pratiquement ddconnectde du monde extdrieur, prdsente de faqon permanente un dlectroencdphalogramme et tous les signes extdrieurs du sommeil. D6s lors, on ne pouvait plus douter de l'importance des aff6rences sensorielles dans le maintien de l'dveil, le sommeil dtant, quant "5.lui, causd par le seul fait de leur suppression. LA FORMATION RI~TICULI~E

L'opinion des neurophysiologistes dtait profonddment divisde entre les tenants de l'action de centres antagonistes et ceux qui attribuaient le sommeil soit ~ une induction active, soit h la seule suppression des influx sensoriels, lorsque fut ddcouverte l'action rdgulatrice de la formation rdticulde sur le cortex cdrdbral. MORUZZI ET MAGOUN (1949) ddmontr6rent ~t ce moment que la stimulation dlectrique de la formation rdticulde avait la propri6td de rdveiller le chat, rendu somnolent par de faibles doses d'anesthdsique; inversement, la destruction chirurgicale de cette structure supprimait toute possibilitd de rdveiller le chat, dont le sommeil dtait alors devenu irrdversible. Ces expdriences eurent une grande influence sur l'dvolution ultdrieure de la neurophysiologie car elles faisaient apparaitre sous un jour nouveau l'influence des informations sensorielles sur le niveau de vigilance. La formation rdticulde comprend l'ensemble des petits neurones situds dans le mdsencdphale, le pont de Varole et le bulbe, et remplissant les espaces entre les noyaux spdcifiques et les faisceaux de fibres nerveuses. Grace h de nombreux dendrites, chacun de ces neurones regoit des informations provenant de tousles organes des sens ainsi que de plusieurs structures nerveuses, dont le cortex cdrdbral, ce qui conf6re ~t la J. neurol. Sci. (1965) 2:459473

462

M. MEULDERS C R FEX D. CERV.

PONT



°

T.Q,~__~LRTEX G.

C

-

N.OC. H¥ ~O1-H., Fig. 1. Enc6phale de chat. En haut: ~ gauche, enc~phale intact; ~ droite, sch6ma de l'enc6phale intact montrant le cortex c6r6bral droit (CORTEX D.), le bulbe olfactif (B. OLF.), le cervelet (CER V.), le pont de Varole (PONT), le nerf trijumeau (N. TR.) et le bulbe. Au milieu: ~t gauche, enc6phale du m6me chat, apr~s ablation de la plus grande partie du cortex droit; ~t droite, sch6ma correspondant, montrant la face interne du cortex gauche (CORTEX G.) devenue visible ~ cause de !'ablation du cortex droit, le noyau caud6 (CAUDE), l'hippocampe (HIPPOC.), le cortex pyriforme (PYR.) (atteint par une partie des voies olfactives), le tubercule quadrijumeau post6rieur (T.Q.P.) et le nerf trijumeau (N. TR.). En bas: ~t gauche, enc6phale du mSme chat, apr~s ablation de l'h6micervelet droit, de rhippocampe et du noyau caud6; h droite, sch6ma correspondant, montrant le corps calleux, principale commissure interh6misph6rique (C. CAL.), le thalamus (THAL.), avec son relai auditif (corps genouill6 m6dian: G. M.) et visuel (corps genouill6 lat6rah G. L.) lequel reqoit des influx visuels gr~,ce ~t la bandelette optique (B.O.), l'hypothalamus (HYPOTH.), le m6senc~phale (MES.) avec son relai auditif (tubercule quadrijumeau post6rieur: T.Q.P.) et visuel (tubercule quadrijumeau ant6rieur: T.Q.A.), le neff oculomoteur commun (N. OC.) et le nerf trijumeau (N. TR.). Voir 6galement les niveaux de section de l'axe nerveux. A: Section ~t travers le m6senc6phale, donnant une pr6paration avec 'cerveau isol6'. B: Section ~t travers le milieu du pont de Varole, devant l'6mergence du nerf trijumeau. Cette section donne une pr6paration 'm6diopontine pr6trig6minale', atteinte, comme la pr6c6dente; exclusivement par des informations visuelles ou olfactives. C: Section s6parant le bulbe de la moelle 6pini~re et donnant une pr6paration avec 'enc6phale isol6'.

d. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MECANISMES DU SOMMEIL

463

f o r m a t i o n r6ticulSe une propriStS de convergence t r & caractSristique (voir MORUZZI 1956). P a r ailleurs, de longs axones renvoient des influx effecteurs vers le t h a l a m u s , le cortex cSrSbral et d ' a u t r e s structures que nous n'SnumSrons pas ici (Fig. 2). Enfin, la

Fig. 2. Sch6ma des ramifications d'une cellule r6ticulaire observ6e chez un rat ~g6 de deux jours, color6es grfice b. la m6thode de Golgi. Le neurone r6ticulaire, atteint par quelques dendrites courts et 6pais, envoit un axone qui se bifurque en deux longues branches. La branche caudale se termine dans le nucleus gracilis et dans la corne ventrale de la moelle 6pini6re, pr6s des neurones moteurs. La branche rostrale donne des ramifications dans la substance grise du m6senc6phale, le thalamus et l'hypothalarrms. Ce seul exemple montre que les neurones r6ticulaires peuvent influencer ~ la lois le niveau de vigilance, par l'interm6diaire du thalamus et des voies thalamo-corticales, et l'excitabilit6 de divers relais sensori-moteurs. [extrait de SCnEmEL ET SCHEIBEL(1957) avec permission] f o r m a t i o n r&icul6e se caractSrise p a r des associations extr~mement &roites entre les cellules qui la c o n s t i t u e n t : on a p u calculer, en effet, que chaque n e u r o n e rdticulaire est reliS, p a r des collatSrales d ' a x o n e , / t 27,500 autres neurones, soit 0.3% de l ' e n s e m b l e de la f o r m a t i o n r&iculSe (ScHEmEL ET SCHEIBEL 1957). D'o/J il suit que la f o r m a t i o n rSticul6e, a y a n t collects des i n f o r m a t i o n s d ' o r i g i n e s t r & diverses peut ensuite r d a g i r / t ces i n f o r m a t i o n s de fagon globale et influencer de fagon h o m o g 6 n e le cortex cSrSbral. Ces dScouvertes physiologiques et a n a t o m i q u e s p e r m i r e n t d ' a v a n c e r une nouvelle th6orie de l'origine de l'6veil, selon laquelle l'activit6 vigile du cortex cdrSbral serait conditionnSe p a r l'influence continue de la f o r m a t i o n rSticulSe, elle-m~me activSe p a r la convergence des influx d ' o r i g i n e sensorielle. On en revenait ainsi/~ la c o n c e p t i o n d ' u n centre de l'6veil, qui serait lui-m~me m a i n t e n u en activit6 p a r des i n f o r m a t i o n s sensorielles convergentes et, p a r consSquent, non sp&ifiques. II n ' & a i t plus nScessaire, enfin, de p o s t u l e r l ' i n t e r v e n t i o n d ' u n centre d u sommeil, p u i s q u ' i l suffirait, p o u r le p r o v o q u e r , de s u p p r i m e r t o u t a p p o r t sensoriel/l la f o r m a t i o n r&iculde. Cette thSorie fut accueillie avec b e a u c o u p de faveur p a r les n e u r o p h y s i o l o g i s t e s car elle p e r m e t t a i t de concilier deux points de vue qui semblaient irrdductibles. D ' u n e part, en effet, se t r o u v a i e n t confirmSes p a r t i e l l e m e n t les iddes de HESS et YON ECONONO qui avaient situs un centre de l'6veil dans le t r o n c cSrSbral d o n t la destruction, chez l ' h o m J. neurol. Sci. (1965)2:459-473

464

M. MEULDERS

me ou l'animal, 6tait suivie de 16thargie ou de coma. D'autre part, la d6couverte de la convergence d'influx sensoriels sur la formation r6ticul6e, ind6pendamment des voies nerveuses de la sensibilit6 consciente destin6es au cortex c6r6bral, permettait d'attribuer le sommeil/t l'interruption de ces convergences sensorielles. Le 'cerveau isol6' de BREMER dormirait donc, en d6finitive, parce que la plus grande partie du centre de l'6veil - - la formation r6ticul6e - - est exclue par la section, et parce que les seules aff6rences visuelles et olfactives ne seraient pas sumsantes pour activer ce qui reste du centre de l'6veil devant le niveau de section: ainsi se trouvaient 6galement r6concili6s les partisans d'un centre de l'6veil et ceux qui attribuaient le sommeil/t une d6saff6rentation sensorielle. Le sommeil apparut alors comme la cons6quence d'une d6connexion fonctionnelle de la formation r6ticul6e d'avec les organes des sens, d6connexion favoris6e par la composition humorale du sang (PI~RON 1913), mais surtout par l'6tat psychologique: ne cherchons-nous pas, en effet, h r6duire toute stimulation sensorielle, lumi6re, bruit et mouvements, pour favoriser notre sommeil (KLEITMAN 1929), et BERGSON (1959) n'avait-il pas affirm6, lui aussi, que 'nous dormons dans l'exacte mesure o/a nous nous d6sint6ressons'? Cette opinion allait d'ailleurs s'appuyer par la suite sur de nombreux arguments, dont l'un d6coule des exp6riences de ROGER et al. (1956) effectu6es sur chat avec encdphale isold, pr6paration ofa la mo~lle est s6par6e du bulbe mais qui pr6sente, c o m m e le chat intact, des alternances r6guli~res veille-sommeil (Fig. 1). Or, il suffit de sectionner les nerfs trijumeaux de cette pr6paration, tout en respectant les autres nerfs cr~niens, pour susciter imm6diatement un profond sommeil. Ce qui montre que les informations tactiles et douloureuses provenant de la face sont trbs importantes pour le maintien du niveau de vigilance.

LE CHAT MI~DIOPONTIN PRI~TRIG15MINAL

Une observation inattendue allait cependant tout remettre en question. MORuZZI et ses collaborateurs du laboratoire de Pise d6couvrirent en effet qu'apr6s section du tronc c6r6bral un peu en arri~re des tubercules quadrijumeaux, au niveau du pont de Varole et devant le point d'6mergence du nerf trijumeau (Fig. 1), le chat se comporte de fa~on oppos6e au chat 'cerveau isol6' dont le niveau de section n'est situ6 que quelques millim~tres en avant. Ce nouveau type de pr6paration, appel6 chat mddiopontin prdtrigdminal pr6sente de fa~on permanente un 61ectroenc6phalogramme d'6veil; en outre, il est c a p a b l e - autre preuve de son 6tat v i g i l e - de suivre des yeux un objet qui bouge dans son champ visuel (BATINI, MORUZZI et al. 1959) et de dilater la pupille de mani~re r6flexe lorsqu'on lui montre un objet charg6 de signification pour lui, tel qu'une souris (PALESTINIET LIFSCmTZ 1961). L ' a p p o r t sensoriel, chez le chat 'm6diopontin pr6trig6minal' est, comme chez le chat 'cerveau isol6', r6duit aux seules aff6rences visuelles et olfactives; ces deux pr6parations ne different donc entre elles que par quelques noyaux r6ticulaires, et c'est h la pr6sence de ceux-ci, qu'apr~s avoir 61imin6 toutes les causes d'erreurs possibles, on attribua l'6veil permanent de la pr6paration. Cette d6couverte ne laissait pas d'etre tr~s paradoxale car ROGER et al. (1956) venaient de montrer que priv6 du seul nerf trijumeau le chat 'enc6phale isol6' s'enJ. neuroL Sci. (1965) 2:459~,73

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MI~CANISMES DU SOMMEIL

465

dort malgr6 la pr6sence de tousles autres nerfs cr~niens, et voici qu'une autre pr6paration, le chat 'm6diopontin pr6trig6minal', restait 6veill6e de faqon permanente bien que pratiquement priv6e de tout apport sensoriel. I1 n'y avait pour ces exp6riences qu'une seule explication possible: si le chat 'm6diopontin pr6trig6minal' est 6veill6 constamment et que le chat 'enc6phale isol6' pr6sente des alternances veille-sommeil, c'est qu'il y a dans le bulbe, entre les deux niveaux de section, des m6canismes inducteurs de sommeil. A peine 6nonc6e, cette hypoth6se suscita de nombreuses exp6riences qui routes sugg6raient la pr6sence dans le bulbe de m6canismes inducteurs de sommeil. MAGNI, MORUZZI et al. (1959), d'abord, apr6s avoir ligatur6 l'art6re basilaire au niveau du pont de Varole et interrompu ainsi toute circulation sanguine entre les parties sup6rieures et inf6rieures du tronc c6r6bral, inject~rent un anesth6sique dans cette art~re soit au-dessus, soit au-dessous de la ligature; dans le premier cas, la partie sup6rieure, pr6trig6minale, du tronc c6r6bral 6tait atteinte par l'anesth6sique et l'animal s'endormait ~t cause de la mise hors d'action de la formation r6ticul6e; dans le second cas, par contre, le bulbe seul 6tait d6prim6 par l'anesth6sique et l'animal restait 6veill6 de faqon permanente, ce qui d6montrait une fois encore que le bulbe contenait des m6canismes inducteurs de sommeil. Dans des exp6riences ult6rieures, MAGNES, MORUZZI ET POMPEIANO (196l) 6tudibrent de plus pr6s ces m6canismes et parvinrent 5, induire le sommeil par des chocs 61ectriques brefs de basse fr6quence (1-16/sec), appliqu6s dans le voisinage du faisceau solitaire, r6gion du bulbe off arrivent de nombreuses aff6rences d'origine visc6rale. Ces derni6res semblaient donc pouvoir, par leur action sur le bulbe, influencer favorablement l'induction du sommeil - - hypoth6se d'autant plus s6duisante que KOCH (1932) avait remarqu6 que la distension exp6rimentale de la carotide au niveau du sinus carotidien, chez le chien, avait la propri6t6 d'endormir celui-ci. DELL et al. (1961), enfin, d6couvrirent grace ~t une autre m6thode, l'importance du bulbe dans l'induction du sommeil. En effet, une stimulation 61ectrique peu intense de la formation r6ticul6e, chez le chat endormi, ne donne qu'un 6veil de trbs courte dur6e; par contre, aprbs section pr6bulbaire, l'6veil provoqu6 par la m6me stimulation est consid6rablement prolong6. Ceci sugg6rait, dbs lors, que l'6veil provoqu6 par stimulation de la formation r6ticul6e exciterait les centres bulbaires du sommeil, lesquels r6pondraient en r6duisant la dur6e de l'6veil, par une sorte de r6tro-action n6gative comme dans un hom6ostat. Au terme de ces exp6riences, les m6canismes r6gulateurs du niveau de vigilance pouvaient donc se comprendre comme suit: la formation r6ticul6e du tronc c6r6bral, lieu de convergence d'informations sensorielles h6t6rog6nes, serait responsable du maintien de l'6veil, ce qui confirmerait, dans une certaine mesure les id6es de HEss et YON ECONOMO; cette structure serait capable de maintenir l'6veiI de faqon autonome, pratiquement sans apport sensoriel, ainsi que le d6montre la pr6paration 'm6diopontine pr6trig6minale', mais chez le chat intact ou 'enc6phale iso16' par contre, la formation r6ticul6e aurait besoin, pour assurer l'6veil, de l'int6grit6 de ses aff6rences sensorielles. Cette impossibilit6 pour la formation r6ticul6e d'assurer l'6veil sans le soutien d'aff6rences sensorielles s'expliquerait par l'intervention de puissants m6canismes hypnog6nes, situ6s dans le bulbe, et qui s'opposeraient au r6veil J. neurol. Sci.

(1965) 2:459-473

466

M. MEULDERS

d'origine r6ticulaire. L'alternance veille-sommeil s'expliquerait d~s lors par la pr6dominance fonctionnelle soit de la formation r6ticul6e, soit des centres bulbaires. NOUVEAU CENTRE DU SOMMEIL

Dans les entrefaites, cependant, avait surgi un regain d'intdr~t pour les r6gions du cerveau moyen o~ HESS et VON ECONOMOavaient situ6 leur centre du sommeil. HESS avait en effet refait ses exp6riences, en 61iminant toutes les causes d'erreurs (1954), et obtenu les m~mes r6sultats que prdc6demment, ~t cette seule diff6rence pros, que la zone hypnog~ne comprenait, cette fois, outre l'hypothalamus ant6rieur, de larges rffgions du thalamus; d'autre part, de nombreux travaux avaient montr6 que ces r6gions thalamiques et hypothalamiques sont responsables en grande partie des images 61ectroenc6phalographiques qui se ddveloppent pendant le sommeil (voir ARDUINI 1958) et que la stimulation 61ectrique de ces r6gions, chez le chat libre de ses mouvements, provoque simultan6ment le sommeil et r61ectroenc6phalogramme correspondant (HEss et al. 1953). D~s lors, il fallait r6habiliter la notion d'un centre du sommeil situ6 dans le cerveau moyen et l'int6grer dans le sch6ma g6n6ral que nous venons d'exposer; dans ce nouveau sch6ma, on expliqua alors l'apparition du sommeil soit par l'excitation directe des centres hypnog~nes du thalamus et de l'hypothalamus par le bulbe, soit par la d6sactivation d'origine bulbaire de la formation r6ticul6e, d'ofl rdsulterait indirectement la lib6ration des centres thalamiques du sommeil. SOMMEIL PARADOXAL

Au moment o~ les neurophysiologistes 6non~aient ces th6ories des m6canismes du sommeil susceptibles de concilier enfin les opinions de chacun, apparut encore, sous l'impulsion de DEMENT ET KLEITMAN(1957), et de JOUVET (1962) une nouvelle s6rie d'6tudes consacr6es aux diverses phases du sommeil chez l'homme et le chat. JOUVET, notamment, montre qu'/t plusieurs reprises le sommeil normal est entrecoup6 d'6pisodes de sommeil profond durant lesquels l'61ectroenc6phalogramme typique du sommeil est remplac6 par un 61ectroenc6phalogramme semblable/t celui de l'6veil, d'oO le nom donn6 h ces 6pisodes, de s o m m e i l p a r a d o x a l . Pendant ces 6pisodes, les yeux pr6sentent des mouvements saccad6s, le tonus des muscles de la nuque diminue et la pression art6rielle baisse notablement, et ce, proportionnellement/~ la profondeur du sommeil (CANDIA et al. 1962). Autre fait int6ressant: r6veill6 au cours d'un de ces 6pisodes de sommeil paradoxal, le sujet d6clare tr~s souvent qu'il 6tait en train de r~ver; par contre, il signale tr~s rarement avoir r~v6 si on le r6veille en dehors de ces 6pisodes. Cette coincidence a fait supposer que l'activit6 onirique survient au cours d'6pisodes de sommeil paradoxal et, bien que cette hypoth~se ne puisse &re d6montr6e de faqon certaine, elle apporte un 616ment important ~t la psychophysiologie du r~ve. Quand aux m6canismes responsables du sommeil paradoxal, JOUVET les situe dans le pont de Varole, au niveau du nucleus reticularis pontis caudalis. C'est/t partir de ce noyau que les influx responsables de ce sommeil profond, apr~s avoir inhib6 la formation r6ticul6e, se rendraient au septum et ~t l'hippocampe, provoquant ainsi l'apparition paradoxale d'un 61ectroenc6phalogramme d'6veil, et, peut-~tre, l'activit6 onirique. J. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MECANISMES DU SOMMEIL

467

JOUVET propose enfin d'appeler les phases profondes et superficielles du sommeil respectivement arch6o- et n6osommeil. L'arch6osommeil, grace ~ sa r6partition en 6pisodes nombreux mais de courte dur6e, ferait penser au sommeil des animaux primitifs ou tr6s jeunes; ses m6canismes seraient ind6pendants du milieu ext6rieur et m~me du cortex c6r6bral, puisqu'ils persistent, chez le chat, apr6s d6cortication totale. Le n6osommeil, par contre, d'apparition plus r6cente, se serait d6velopp6 en m6me temps que le cerveau, d'ofa sa d6pendance du milieu ext6rieur et du cortex c6rdbral qui lui auraient impos6 le rythme nycth6m6ral par conditionnement.

CONCLUSIONS

Ainsi se sont accumul6s, au cours des cinquante derni6res anndes, de mani6re lente et sch6matique d'abord, puis avec une vitesse et une complexit6 sans cesse accrues, des renseignements de plus en plus subtils sur un ph6nom6ne aussi vieux que le monde, dont pourtant la finalit6 marne nous 6chappe encore et dont les rouages rec61ent encore bien des myst6res. Ce qui nous frappe aujourd'hui et ce qu'il importe de souligner ici, c'est qu'il n'est plus possible d6sormais de faire entrer ce ph6nom~ne dans un schdma rigide, tant s'enchev~trent et s'interp6n&rent les rouages qui participent/~ sa g6nase, et c'est/~ ce titre que nous d6sirons avant d'en terminer avec notre expos6, attirer encore l'attention sur trois points, de connaissance plus particuli6rement r6cente: (1) la complexit6 du fonctionnement des diff6rentes structures contr61ant le niveau de vigilance; (2) le r61e des aff6rences sensorielles; et (3) la participation du cortex c6r6bral aux m6canismes r6gulateurs d'origine sensorielle. En ce qui concerne le premier de ces points, nous avons vu qu'/t l'action d'un centre de l'6veil situ6 essentiellement dans la formation r6ticul6e ponto-m6senc6phalique, s'oppose l'influence de divers centres hypnog6nes localis6s dans le thalamus et l'hypothalamus, le bulbe et le pont de Varole, le dernier de ces centres 6tant/t l'origine du sommeil dit paradoxal. 11 ne faudrait pas croire, cependant, que le mot c e n t r e recouvre une entit6 anatomique d61imit6e et homog~ne, consacr6e de fa~on exclusive ~ la production soit d'6veil soit de sommeil. La formation r6ticul6e ponto-mdsenc6phaliq ue, par exemple, est 6galement un centre de convergence des informations sensorielles et un important relai transmettant ces informations aux r6gions sup6rieures du syst6me nerveux et des ordres moteurs en direction de la mo~lle 6pini6re; d'o~ l'importance de cette structure pour la bonne coordination de la perception et de la motricit6 avec le niveau de vigilance. Mais il y a plus; cette marne formation r6ticul6e se r6v61e capable, dans certaines conditions exp6rimentales, de d6clencher le sommeil au lieu de l'6veil ; c'est le cas, notamment, lorsqu'on applique, dans certaines de ses r6gions des stimulations 61ectriques de basse fr6quence au lieu des stimulations habituelles ~ 100-200/sec (voir FAVALE et al. 1961). En outre, dans des exp6riences d'un type diff6rent, o/1 des microinjections de m6diateurs synaptiques sont pratiqu6es ~ u n m~me endroit de cette formation, CORDEAU (1962) r6ussit ~t provoquer soit l'6veil par injection d'adrdnaline, soit le sommeil par injection d'ac6tylcholine. I1 ressort donc des exp6riences de ces deux groupes de chercheurs que si la formation r6ticul6e ponto-m6senc6phalique influence globalement le niveau de vigilance dans le sens de l'6veil, elle contient n6anmoins des m6canismes qui peuvent d6clencher le sommeil s'ils sont stimul6s de faqon J. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

468

A

u. MEULDERS

SI9. 9

Lat. 9.

,5i9 d.

I

I O 0 . u V

2sec

I_at.d.

Fig. 3. A: Potentiels 6voqu6s visuels enregistr6s, chez le chat 'm6diopontin-pr6trig6minal', dans le centre m6dian du thalamus; ce noyau fait partie, d'apr6s HESS, du centre thalamique du sommeil. A gauche, 61ectroenc~phalogramme enregistr6 au niveau des circonvolutions sigmoidiennes et lat6rales gauches et droites, montrant un trac6 similaire & celui du chat intact, 6veill6; d droite, potentiels 6voqu6s par 6 6clairs lumineux successifs r6p6t6s toutes les 2 sec. Ces potentiels 6voqu6s sont de tr6s faible amplitude. B: Potentiels 6voqu6s visuels enregistr6s chez le chat 'cerveau isol6', dans le centre m6dian du thalamus. A gauche, 61ectroenc6phalogramme similaire & celui du chat endormi; tl droite, les potentiels 6voqu6s ont tous une grande amplitude.

appropri6e. A la lumi6re de ce seul exemple - - et on peut d6montrer qu'il en est de m~me pour les centres du sommeil - - aparait donc clairement l'6tonnante complexit6 d'organisation des centres qui conditionnent l'6veil ou le sommeil. Ainsi le centre m6dian du thalamus (voir Fig. 3 A et B) est aussi bien une des structures responsable de l'apparition du sommeil, qu'un important relai sensoriel dont l'excitabilit6 varie fortement au cours des fluctuations du niveau de vigilance (MEULDERS 1962). De la m~me mani6re on a pu d6montrer que les aff6rences sensorielles jouent un r61e, non seulement dans le maintien de l'6veil - - cela est 6vident - - mais aussi dans la production du sommeil. Nous avons fait 6tat, au d6but de cet expos6, des th6ories de PAVLOV sur le sommeil induit par stimulations conditionn6es non renforc6es, et des critiques que ces th6ories avaient suscit6es. En fait, bien que l'explication propos6e par PAVLOV ne puisse plus &re retenue, & cause de son manque de pr6cision, il s'est av6r6 depuis que des informations sensorielles, dou6es d'une configuration spatio-temporelle caract6ristique, peuvent effectivement produire le sommeil. De nombreuses exp6riences plaident, en effet, en faveur de cette mani~re de voir: ainsi, la distension exp6rimenJ. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES Mf~CANISMES DU SOMMEIL

469

tale de la carotide, au niveau du sinus carotidien, induit le sommeil chez le chien et le chat (KOCH 1932; BONVALLETet al. 1954); la succession monotone d'6clairs lumineux, 5_ la fr6quence de 1/sec, endort le chat 'm6diopontin pr6trig6minal', pourtant r6fractaire au sommeil (MANOA et al. 1959); certains types de stimulation sensorielle, au cours d'exp6riences de conditionnement, sont capables de provoquer l'endormissement (ROWLAND 1961). Enfin il faut citer les belles exp6riences de POMPEIANOET SWETT(1962 a e t b) au cours desquelles la stimulation 61ectrique des fibres de la sensibilit6 cutan6e (groupe 2), chez le chat libre de ses mouvements, a sur le degr6 de vigilance une influence diff6rente selon la fr6quence de stimulation utilis6e, l'animal se r6veillant pour une fr6quence de 50-100/sec, et s'endormant, au contraire, pour une fr6quence de 3 8/sec. I1 est donc certain, qu'ind6pendamment des facteurs 6ventuels d'ordre circulatoire ou biochimique, les informations sensorielles jouent un r6le d'importance capitale dans la production du sommeil. A cette seconde affirmation se rattache d'ailleurs imm6diatement la troisi~me, 5_ savoir que les informations sensorielles, dont nous venons de voir le r61e complexe dans la modulation du niveau de vigilance, ont besoin de la participation active du cortex c6r6bral pour que leur action soit fine et discriminative. BREMER ET TERZUOLO (1953) ont pu montrer dans ce sens que des appels vocaux qui 6veillent habituellement l'animal perdent leur action apr~s destruction bilat6rale des aires auditives corticales. Dans le mame ordre d'id6es de nombreux arguments d6duits notamment des exp6riences de R i o c n (1954) et de ROWLAND (1961), plaident 6galement en faveur d'une participation active du cortex c6r6bral, mais cette fois, dans l'induction du sommeil. C'est donc grfice 5_l'action discriminative du cortex c6r6bral que notre sommeil, aussi bien que notre vigilance, peuvent s'adapter continuellement aux sollicitations les plus nuanc6es de nos organes des sens. Aspects inconnus

Malgr6 toutes ces donn6es nouvelles bien des aspects du sommeil, nous demeurent encore inconnus, et notamment ses rapports avec les modifications endocriniennes, thermiques, circulatoires et respiratoires qui l'accompagnent. Nous n'en savons pas davantage quant 5_ l'activitO biochimique du neurone durant le sommeil et nous pensons qu'un r6el effort devrait ~tre tent6 dans ce domaine ofa d'encourageantes recherches ont d6js_ apport6 d'int6ressants r6sultats, notamment en ce qui concerne les modifications observ6es dans le cerveau du rat endormi: diminution du taux d'acide lactique et accumulation d'ac6tylcholine (RICHTER ET DAWSON 1948). Signalons 6galement les exp6riences de HVDEN ET PIGON (1960), O~ la stimulation des neurones vestibulaires du pigeon provoque, 5_la longue, une accumulation d ' A R N dans ces neurones, et une disparition de cette substance darts la glie voisine, exp6riences qui permettent d'esp6rer que l'utilisation de ces fines techniques d'exploration biochimique puisse un jour nous aider 5_mieux comprendre le sommeil. Par contre, notre ignorance du substrat biochimique du sommeil se trouve partiellement compens6e par les progrbs de la recherche neurophysiologique. GrS.ce 5- elle, en effet - - et c'est 15- une conclusion tr~s importante - - on peut affirmer que, malgr6 la diminution des rapports sensitivo-moteurs entre l'invididu et son milieu et la suppression r6versible de la conscience, l'activit6 des centres nerveux sup6rieurs, chez l'homme J. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

470

M. MEULDERS

endormi; n'est pas abolie mais seulement r6organis6e. On supposait depuis longtemps, que le cerveau ne pouvait ~tre totalement paralys6 au cours du sommeil car s'il en 6tait ainsi, comment pourrait-on expliquer le r6veil immddiat lors d'une stimulation sensorielle peu intense mais chargde de signification pour le sujet. Autre argument, la ddpression fonctionnelle de plusieurs centres nerveux, au cours de l'endormissement, va souvent de pair avec l'excitation de centres nerveux antagonistes; c'est le cas, par exemple, de la pupille, ferm6e au cours du sommeil, non seulement/t cause de la d6pression orthosympathique, mais aussi grfice /t l'excitation parasympathique. On 6tait cependant loin d'imaginer que les d6penses 6nergdtiques globales du cerveau sont identiques au cours de l'6veil et du sommeil; or, c'est ce qui ressort des travaux de KETY (1961), dont les minutieuses d6terminations de la consommation d'oxyg6ne et de produits nutritifs par le cerveau humain ont permis de calculer que ce dernier d6pense l'~norme 6nergie de 20 Watts, et que cette d6pense 6nerg~tique est la m~me durant l'6veil et le sommeil. KETY observa, en outre, que le d6bit sanguin du cerveau augmente 16g6rement au cours du sommeil physiologique, ce qui ne permet plus d'expliquer l'endormissement ipar une asphyxie relative des cellules nerveuses, comme certains l'ont sugg6r6 par contre, au cours du sommeil par anesth6sie, ou lors d'un coma, la consommation d'oxyg6ne du cerveau diminue fortement, montrant par 1/l qu'il ne s'agit pas du tout du mame ph6nom6ne. Enfin, une derni6re s6rie de recherches, bas6e sur l'enregistrement par micro61ectrodes de l'activit6 unitaire des cellules nerveuses corticales montre que la quantit6 totale de ces activit6s unitaires ne varie gu~re lors de l'endormissement (VERZEANO ET NEGISHI 1961 ; CREUTZFELDT ET JUNG 1961 ; EVARTS 1961). Bien que ces derniers r6sultats ne concernent que l'activit6 des gros neurones, les plus petits d'entre eux 6tant inaccessibles h l'enregistrement par micro61ectrodes, ils montrent 6galement de faqon suggestive que l'activit6 du cortex c6r6bral est loin d'etre supprim6e au cours du sommeil, mais seulement r6organis6e. Au total, le neurophysiologiste moderne a donc 6t6 amen6 h repenser enti~rement le probl~me du sommeil, tant au point de rue de l'organisation des structures infiniment complexes qui en sont responsables que des m6canismes r6gissant la modulation du niveau de vigilance. Nos connaissances actuelles sugg~rent que le niveau de vigilance serait conditionn6 par le jeu non plus de deux 'centres', mais de deux 'forces' antagonistes, faites chacune d'une somme d'informations sensorielles et d'influx appropri6s, agissant chacune de mani~re propre sur le syst~me nerveux, et l'emportant tour de r61e. Dans cette nouvelle interpr6tation, la notion de 'centre' recouvrirait en fait des agr6gats de neurones, au sein desquels les deux forces peuvent coexister, quoiqu'avec une puissance in6gale, d'o~ la pr6dominance de l'6veil ou du sommeil, lors des exp6riences de stimulation ou de destruction. L'induction m~me du sommeil, tout en 6tant probablement facilit6e, voire rendue in61uctable, par les modifications biochimiques survenues dans les neurones, les synapses et la glie, s'amorcerait h partir du cortex c6r6bral sous l'effet de stimulations conditionn6es par les habitudes ou les exigences du milieu social. REMERCIEMENTS L'auteur remercie vivement de leur pr6cieuse aide technique MELLES CORDIER ET AWOUTERS, ainsi que MR. PELEMAN. Y. neurol. Sci.

(1965) 2:459-473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MECANISMES DU SOMMEIL

471

RESUME

VON ECONOMOet HESS ont 6t6 les premiers/~ proposer une th6orie concernant le m6canisme du sommeil. Ils estimaient que le niveau de vigilance dtait d6termin6 par l'activit6 d'un centre du sommeil et d'un centre du r6veil situ6s dans l'hypothalamus et dans le m6senc6phale. Cette th6orie dualiste fut alors critiqu6e par deux 6coles, l'une ayant ~t sa t~te PAVLOV et l'autre KLEITMANet BREMER. Pour PAVLOVle sommeil 6tait dfi/t une inhibition d'origine corticale alors que pour KLEITMANet BREMER l'origine du sommeil devait ~tre recherch6e dans une diminution d'apport des impulsions sensorielles n6cessaires 5~maintenir la vigilance. MORUZZI et MAGOUN par leur d6couverte importante de l'influence de la formation r6ticul6e sur le niveau de vigilance ont ouvert de nouveaux horizons h la physiologie du sommeil. Bien plus, les investigations les plus r6centes montrent l'intervention de m6canismes hypnog6niques puissants situ6s dans la partie inf6rieure du tronc c6r6bral et m~me dans le dienc6phale. Ceci a permis de formuler une nouvelle th6orie dualiste des m6canismes du sommeil. Le r6cent travail de JOUVET a compl6t6 cette th6orie en sugg6rant que le sommeil pourrait &re r6gl6 par diff6rents m6canismes d6pendant de la profondeur du sommeil. Actuellement on croit qu'en d6pit de la suppression r6versible de la conscience l'activit6 des structures nerveuses sup6rieures de l'homme endormi n'est pas abolie mais seulement r6organis6e. On a abandonn6 la vieille id6e d'une influence rigide de centres antagonistes du sommeil et de l'6veil. Le sommeil est consid6r6 aujourd'hui d'une faqon beaucoup plus dynamique, ll serait d6termin6 par des interactions subtiles entre diff6rentes structures sp6cifiques du cerveau qui seraient activ6es par des impulsions sensorielles ayant une organisation spatio-temporelle appropri6e. SUMMARY

WON ECONOMO and HESS were the first to put forward a theory concerning the mechanism of sleep; they believed that the level of wakefulness is determined by the activity of a sleep-centre and of a waking-centre, situated in the hypothalamus and the mesencephalon. This dualistic theory was later criticized by two schools, one headed by PAVLOV and the other by KLEITMAN and BREMER. For PAVLOV, sleep was due to an inhibition of cortical origin, while in the opinion of KLEITMANand BREMERthe origin of sleep should be looked for in a diminution of the sensory impulses necessaryfor a maintenance of wakefulness. MoRuzzI and MAGOUN, with their important discovery of the influence of the reticular formation on the level of wakefulness, opened new horizons in the physiology of sleep. Furthermore, their results, together with those of more recent investigators, showing the intervention of powerful hypnogenic mechanisms situated in the inferior part of the brain-stem and even in the diencephalon, have permitted a formulation of a new dualistic theory of the mechanism of sleep. Recent work by JOUVEThas completed this theory, by suggesting that sleep is regulated by different mechanisms depending upon the depth of sleep. It is now believed that, in spite of a reversible suppression of consciousness in man, the activity of the higher nervous structures in states of sleep is not abolished, but only reorganized. The older idea as to a rigid influence of an antagonistic sleep and waking centre, has been abandoned. Sleep is looked upon in a far more dynamic way, as J. neurol. Sci. (1965) 2:459-473

472

M. MEULDERS

b e i n g d e t e r m i n e d by a subtle i n t e r a c t i o n b e t w e e n v a r i o u s specific b r a i n - s t r u c t u r e s a c t i v a t e d by s e n s o r y i m p u l s e s w i t h a n a p p r o p r i a t e s p a t i o - t e m p o r a l o r g a n i z a t i o n .

BIBLIOGRAPHIE ARDUINI, A. (1958) Organizzazione anatomo-funzionale dei rapporti talamo-corticali, Part 2 (Fiziologia delle relazioni talamocorticali), Atti Soc. ital. Anat., 125-151. BATINI, C., G. MoRuzzI, M. PALESTINI,G. F. ROSSlETA. ZANCnETrI (1959) Effect of completed pontine transections on the sleep-wakefulness rhythm: the midpontine-pretrigeminal preparation, Arch. ital. Biol., 97 : 1-12. BERGSON,H. (1959) L'6nergie spirituelle, Darts: Oeuvres, Presses Universitaires de France, Paris. BO~AERT, L. VAN(1926) Syndr6me de la calotte protub6rantielle avec myoclonies localis6es et troubles du sommeil, Rev. neurol., 45" 977-988. BONVALLET,M., P. DELL ET G. HIEBEL(1954) Tonus sympathique et activit6 61ectrique corticale, Electroenceph, clin. Neurophysiol. , 6: 119-144. BREMER,F. (1935) Cerveau 'isol6' et physiologie du sommeil, C. R. Soc. Biol., 118: 1235-1241. BREMER, F. ETC. TERZUOLO(1953) Interactions de l'6corce c6r6brale et de la formation r6ticul6e du tronc c6r6bral dans le m6canisme de l'6veil et du maintien de l'6tat vigile, J. Physiol. (ParisJ, 45: 56-57. CANDIA, O., E. FAVALE,A. GIUSSANIET G. F. ROSSI (1962) Blood pressure during natural sleep and during sleep induced by electrical stimulation of the brain stem reticular formation, Arch. ital. Biol., 100: 216-233. CORDEAU, J. P. (1962) Functional organization of the brain stem reticular formation in relation to sleep and wakefulness, Rev. canad. Biol., 21 : 113-125. CREUTZFELD,O. ET R. JUNG (1961) Neuronal discharge in cat's motor cortex during sleep and arousal, Dans : The Nature of Sleep, Churchill, London. DELL, P., M. BONVALLETETA. HtJGELIN (1961) Mechanisms of reticular deactivation, Dans: The Nature of Sleep, Churchill, London. DEMENT, W. ET N. KLEITMAN(1957) Cyclic variations of EEG during sleep and their relations to eye movements, body motility and dreaming, Electroenceph. clin. Neurophysiol., 9 : 673-690. ECONOMO,C. YON(1929) Schlaftheorie, Ergebn. Physiol., 28 : 312-339. EVARTS, E. V. (1961) Effects of sleep and waking on activity of single units in the unrestrained cat, Dans: The Nature of Sleep, Churchill, London. FAVALE,E., C. LOEB, G. F. ROSS1ET G. SACCO(1961) EEG synchronization and behavioral signs of sleep following low frequency stimulation of the brain stem reticular formation, Arch. ital. Biol., 99: 1-12. HEss, R. JR., W. KOELLA ET K. AKERT (1953) Cortical and subcortical recordings in natural and artificially induced sleep in cats, Electroenceph. clin. Neurophysiol., 5 : 75-90. HESS, W. R. (1929) Hirnreizversuche fiber den Mechanismus des Schlafes, Arch. Psychiat. Nervenkr., 86: 287-292. HESS, W. R. (1954) The diencephalic sleep centre, Dans: Brain Mechanisms and Consciousness, Blackwell, Oxford. HYDEN, H. ETA. PIGON (1960) A cytophysiological study of the functional relationship between oligodendroglial cells and nerve cells of Deiters' nucleus, J. Neurochem., 6: 57-72. JOOVET, M. (1962) Recherches sur les structures nerveuses et les m6canismes responsables des diff6rentes phases du sommeil physiologique, Arch. ital. Biol., 100: 125-206. KETY, S. S. (1961) Sleep and the energy metabolism of the brain, Dans: The Nature of Sleep, Churchill, London. KLEITMAN,N. (1929) Sleep, Physiol. Rev., 9: 624-665. KocH, E. (1932) Die Irradiation der pressorezeptorischen Kreislaufreflexe, Klin. Wschr., 2: 225-227. KONORSKI,J. (1948) Conditioned Reflexes and Neuron Organization, University Press, Cambridge. LHERMITTE,J. (1931) Le Sommeil, Colin, Paris. MAGNES, J., G. MORUZZI ET O. POMPEIANO(1961) Synchronization of the EEG produced by low frequency electrical stimulation of the region of the solitary tract, Arch. ital. Biol., 99 : 33-67. MAGNI, F., G.MORUZZI, G. RossI ETA. ZANCHETTI(1959) EEG arousal following inactivation of the lower brain stem by selective injection of barbiturate into the vertebral circulation, Arch. ital. Biol., 97 : 33-46. MANCIA, M., M. MEULDERSET G. SANTIBAI~IEZ(1959) Synchronisation de l'61ectroenc6phalogramme

J. neurol. Sci. (1965) 2:459--473

APPROCHE NEUROPHYSIOLOGIQUE DES MECANISMES DU SOMMEIL

473

provoqu6e par la stimulation visuelle r6p6titive chez le chat 'm6diopontin-pr6trig6minal', Arch. int. Physiol., 67 : 661-670. MEULDERS, M. (1962) Etude Comparative de la Physiologie des Voies SensorielIes Primaires et des Voies Associatives. Contr6le d'Origine centrale des Messages Aff ~rents, Arscia, Maloine, Bruxelles, Paris. MoguzzI, G. (1956) Spontaneous and evoked electrical activity in the brain stem reticular formation, Abstracts Review of the 20th International Physiology Congress, Bruxelles, pp. 269-286. MoRuzzk G. ET H. W. MAGOtJN (1949) Brain stem reticular formation and activation of the EEG, Electroenceph. clin. Neurophysiol., 1 : 455-473. PALESTrNI, M. ET M. LIFSCHITZ (1961) Functions of bulbo-pontine reticular formation and plastic phenomena in the central nervous system, Dans: Brain Mechanisms and Learning, Blackwell, Oxford. PAVLOV, I. P. (1927) Conditioned Reflexes. An Investigation of the Physiological Activity of the Cerebral Cortex, (translated by Humphrey Milford), Oxford University Press. PIEgON, H. (1913) LesProbldmes Physiologiques da Sommeil, Masson, Paris. POMPEIANO, O. ET J. E. SWETT (1962 a) EEG and behavioral manifestations of sleep induced by cutaneous nerve stimulation in normal cats, Arch. ital. Biol., 100:311-342. POMPEIANO, O. ET J. E. SWETT (1962 b) Identification of cutaneous and muscular afferent fibres producing EEG synchronization or arousal in normal cats, Arch. ital. Biol., 100: 343-380. RXCHTER, D ET R. M. C. DAWSON (1948) Brain metabolism in emotional excitement and in sleep, Am. J. Physiol., 154: 73-79. RIOCH, D. McK. (1954) Psychopathological and neuropathological aspects of consciousness, Dans: Brain Mechanisms and Consciousness, Blackwell, Oxford. ROGErt, A., G. F. Rossl ETA. ZIgONOOLI (1956) Le r61e des nerfs cr~miens dans le maintien de l'6tat vigile de la pr6paration 'enc6phale isol6', Electroenceph. clin. Neurophysiol., 8 : 1-13. ROWLAND, V. (1961) Electrographic responses in sleeping conditioned animals, Dans: The Nature of Sleep, Churchill, London. SCHEIBEL M. E. ETA. B. SCHEmEL (1957) Structural substrates for integrative patterns in the brain stem reticular care, Dans: H. JASPEg (l~.dit.), Reticular Formation of the Brain, Little, Brown, Boston. TOURNA'¢, A. (1934) SOmOiologie du Sommeil, Douin, Paris. VERZEANO, M. ET K. NEGISH~(1961) Neuronal activity in wakefulness and in sleep, Dans: The Nature of Sleep, Churchill, London.

J. neurol. Sci. (1965) 2:459~,73