Revue du Rhumatisme 73 (2006) 32–38 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Mise au point
Aromatase et régulation du remodelage osseux Aromatase and regulation of bone remodeling e Claude Ribot *, Florence Trémollieres, Jean-Michel Pouillés UF ménopause et maladies osseuses métaboliques, service d’endocrinologie, hôpital Paule-de-Viguier, 1, avenue du Professeur-Jean-Poulhes, 31403 Toulouse cedex 04, France Reçu le 8 décembre 2004 ; accepté le 23 février 2005 Disponible sur internet le 01 août 2005
Résumé Les estrogènes jouent un rôle primordial dans le contrôle de la minéralisation du tissu osseux qui possède tous les éléments nécessaires au métabolisme (systèmes enzymatiques) et à la réponse (récepteurs Era, ERß) aux estrogènes. Après la ménopause, la production endocrine, ovarienne, des estrogènes est remplacée dans un délai très court, par une production intracrine, tissulaire, basée principalement sur la conversion des androgènes d’origine surrénale. Du fait de son rôle pivot dans la production intracrine des estrogènes, l’activité aromatase constitue un des déterminants majeurs de l’imprégnation estrogénique tissulaire en postménopause. Ses mécanismes d’action sur le remodelage osseux commencent à être mieux élucidés. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Estrogènes ; Remodelage osseux ; Aromatase ; Ostéoporose Keywords: Estrogens; Bone remodeling; Aromatase; Osteoporosis
Les estrogènes sont des hormones sexuelles dont les effets tissulaires s’exercent bien au-delà des organes de la reproduction, notamment au niveau du cerveau, du système cardiovasculaire et du tissu osseux. Au plan biochimique, ce sont des stéroïdes à 18 atomes de carbone qui constituent le terme d’une chaîne de biosynthèse qui débute au cholestérol et qui passe obligatoirement par les androgènes, leurs précurseurs à 19 atomes de carbone. La synthèse des estrogènes, c’est à dire de l’estradiol (E2), de l’estrone (E1) (et de l’estriol (E3) durant la grossesse) dépend d’activités enzymatiques spécifiques (Fig. 1) dont les dysfonctionnements peuvent être à l’origine de pathologies d’expression clinique très variée, allant des ambiguïtés sexuelles à l’ostéoporose ou aux cancers gynécologiques. La production tissulaire locale ou « intracrine » des estrogènes sous l’influence de divers systèmes enzymatiques prend toute son importance après la méno* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Ribot). e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2005.02.010
pause puisqu’elle conditionne l’imprégnation estrogénique tissulaire résiduelle et contribue au risque des pathologies estrogénodépendantes observées durant cette période de la vie. L’activité aromatase constitue la pièce essentielle de cette machinerie enzymatique de synthèse des estrogènes et nous envisagerons ici les données actuelles concernant le rôle de l’aromatase dans la régulation du remodelage osseux.
1. Estrogènes et remodelage osseux Le remodelage osseux est soumis à l’influence de nombreux facteurs exogènes (mécaniques) et endogènes parmi lesquels les estrogènes jouent un rôle majeur. Dans l’espèce humaine, ils constituent le système biochimique le plus élaboré pour assurer la minéralisation osseuse. Chez la femme, ces stéroïdes jouent un rôle essentiel dans l’acquisition du capital osseux au moment de la puberté et son maintien durant toute la vie reproductive lui permettant ainsi de faire face aux besoins calciques considérables induits par la grossesse et
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Fig. 1. Étapes enzymatiques de la biosynthèse des estrogènes.
l’allaitement. À la ménopause, cet effet protecteur disparaît, conduisant à une perte osseuse d’abord rapide puis progressivement atténuée, mais qui persiste tout au long de la vie. Chez l’homme, les estrogènes sont aussi nécessaires au développement normal du tissu osseux comme en témoignent les altérations de la croissance et de la minéralisation osseuses observées chez les hommes ne pouvant produire (déficit enzymatique) ou utiliser les estrogènes (anomalies du récepteur aux estrogènes). Dans ces deux situations, les sujets atteints, qui ont par ailleurs une virilisation normale, présentent un phénotype caractéristique associant une grande taille, par absence de soudure du cartilage de croissance, et une ostéoporose. Les estrogènes agissent sur le tissu osseux de façon indirecte et de façon directe (Fig. 2). Ils modulent la production et l’effet des hormones calciotropes (hormone parathyroïdienne, métabolites de la vitamine D) pour favoriser la rétention du calcium et une concentration optimale de calcium au niveau des sites de minéralisation. Ils agissent aussi directement sur le tissu osseux où leur effet principal est d’inhiber l’activité ostéoclastique par des mécanismes complexes que les progrès de la biologie cellulaire et l’utilisation d’animaux transgéniques ont permis de préciser, mais qui sont loin d’être totalement élucidés. Leurs effets les mieux documentés concernent l’inhibition de l’ostéoclastogenèse, c’est-à-dire de la formation des ostéoclastes à partir de précurseurs hémato-
Fig. 2. Voies directe et indirecte d’action des estrogènes sur le remodelage osseux. PTH : parathormone ; Er : récepteur des estrogènes.
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poïétiques. Ces effets résultent de la régulation de la transcription, par le complexe estrogène–récepteur de nombreux gènes impliqués dans la différenciation de la lignée monocyte–macrophage, notamment celui de l’interleukine-6 (IL-6) [1–3]. Les estrogènes stimulent également la production d’inhibiteurs de l’ostéoclastogenèse, tel le TGF-b et surtout l’ostéoprotégérine (OPG) qui est un puissant facteur antiostéoclastique. En empêchant la liaison du ligand (RANKL) sur son récepteur ostéoclastique (RANK), l’OPG bloque l’ostéoclastogenèse induite par d’autres cytokines (IL-11, IL-1, TNFa), la PTH et le 1,25-dihydroxyvitamine D3. Par ailleurs, les estrogènes pourraient favoriser l’apoptose des ostéoclastes et ralentir celle des ostéoblastes. Mais ces effets apparaissent moins spécifiques, le signal apoptotique pouvant indifféremment être transmis par le récepteur a ou b des estrogènes ou le récepteur des androgènes et cela que le ligand soit un estrogène ou un androgène [4]. Cet effet osseux direct des estrogènes qui n’a été mis en évidence qu’assez récemment, repose sur le fait que les ostéoblastes possèdent tout l’équipement cellulaire nécessaire pour répondre à l’action des stéroïdes sexuels et les métaboliser. • Les ostéoblastes possèdent les deux isoformes (ERa et ERb) du récepteur aux estrogènes [5–7], ainsi que le récepteur aux androgènes (AR) [8]. • Ils possèdent également les principales enzymes nécessaires au métabolisme des stéroïdes sexuels, notamment l’aromatase P450, ainsi que les activités 17b-hydroxystéroïde déshydrogénase (HSD) et 3b-HSD [9,10], 7a-hydroxylase [11], stéroïde sulfatase (STS) [12] et 5a-réductase [13,14]. Toutes ces enzymes ont pour substrat les androgènes qui pourront être convertis « in situ » en estrogènes, estrone et estradiol (Fig. 3). Cet équipement cellulaire permet ainsi au tissu osseux une modulation de l’activité et de la production des estrogènes à l’échelle du microenvironnement et permet à l’os de s’adapter plus ou moins efficacement aux situations de carence hormonale systémique. Il conditionne également la sensibilité tissulaire individuelle aux estrogènes. L’aromatase est une pièce essentielle de cette machinerie cellulaire et de la synthèse d’estrogènes par le tissu osseux
Fig. 3. Aromatase et production estrogénique en postménopause.
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comme en témoignent les troubles de la croissance et de la minéralisation osseuses observés dans les modèles animaux d’invalidation du gène de l’aromatase ou les rares cas cliniques de mutation inactivatrice de ce gène chez les individus de sexe masculin.
2. L’aromatase P450 L’aromatase est l’enzyme clé de la biosynthèse des estrogènes et permet leur formation à partir des androgènes. Elle convertit la testostérone en estradiol, l’androstènedione en estrone et la 16a-hydroxy-déhydroépiandrostérone en estriol. (Fig. 3). Il s’agit d’un complexe enzymatique microsomial associant une variété spécifique de cytochrome P450 (aromatase P450) et une flavoprotéine à distribution ubiquitaire (réductase à NADPH) [15]. L’aromatisation aboutit à la transformation du noyau A des androgènes possédant une double liaison en 3–4, en une structure phénolique caractéristique des estrogènes. Elle résulte de trois oxydations successives, les deux premières au niveau du carbone 19, la troisième aboutissant au clivage de la double liaison C10-C11 et à la formation du noyau estrane à 18 atomes de carbone. Cette réaction enzymatique complexe nécessite un atome de fer présent dans le groupement prothétique de la protéine. Elle requiert une conformation structurale spécifique de la protéine enzymatique lui permettant de lier le substrat, en principe un androgène [16,17]. 2.1. Régulation de l’aromatase L’activité aromatase est exprimée dans de nombreux tissus normaux dont les gonades, le placenta, le foie, la prostate, le cerveau, la peau, le tissu adipeux, l’os et dans de nombreux tissus fœtaux [18]. Elle peut également être exprimée dans des tissus pathologiques estrogénodépendants comme l’endométriose et les fibromes utérins [19,20] ou le cancer du sein [21,22]. La protéine (Arom P450) est codée par un gène unique CYP19 localisé en 15q21.2, comportant 17 exons sur près de 80 kb, mais dont la partie codante ne comporte que neuf exons [23–25]. Dans les tissus sains, la régulation de l’expression obéit à une spécificité tissulaire et dépend de l’utilisation de promoteurs différents pour chaque tissu, formés par épissage alternatif à partir de l’exon I ou de l’ensemble de la région 5’. Actuellement neuf promoteurs différents ont été identifiés (I.1, 2a, I.4, I.5, I.f, I.2, I.6, I.3, PII). Chacun de ces promoteurs régule la transcription de la même zone génique localisée juste en amont de l’exon II, expliquant que la protéine codée soit unique pour tous les tissus et quel que soit le promoteur utilisé. La spécificité de la régulation est dépendante du fait que chaque promoteur va être préférentiellement activé par différentes cytokines ou hormones en fonction de chaque tissu. Ainsi au niveau des ovaires, la régulation de l’expression est sous la dépendance de la FSH via l’utilisation du promoteur PII. Cette action est médiée par l’AMPc, la protéine CREB (cAMP response element binding protein)
Tableau 1 Facteurs de régulation de l’actinité aromatase du tissu osseux et promoteurs Facteurs de régulation + –/0 Sérum PMA DEX Dibutyryl cAMP 1a, 25(OH)D3 PGE2 IL-1b,IL-11 PTH/PTH-rP TNFa TGF-b1 Oncostatin M MAPK
Promoteurs
I.4 I.6
MAPK : Mitogen-Activated Protein kinase ; PMA: Phorbol Myristate Acetate.
et SF1 (steroidogenic factor). En revanche, dans le tissu adipeux et la peau, sites extraglandulaires principaux de la production d’estrogènes en postménopause, l’expression est essentiellement contrôlée par des cytokines (IL-6, IL-11, TNFa) et les glucocorticoïdes, via le promoteur I (Tableau 1). Au sein des tissus pathologiques (tumeurs du sein, endométriose), l’expression aberrante de l’aromatase peut être secondaire à la mise en jeu de promoteurs inappropriés par des mécanismes ou des facteurs de transcription encore mal élucidés [26,27]. De plus cette expression inappropriée peut être associée à une perturbation du catabolisme local de l’E2 (assuré normalement par la 17b -HSD), ce qui contribue au maintien in situ de concentrations élevées d’estrogènes [27]. 2.2. Facteurs de régulation dans le tissu osseux L’activité aromatase peut être mise en évidence dans des fragments osseux en culture ou dans des cultures primaires d’ostéoblastes humains d’origine fœtale [28–31], mais cette activité est plus difficile à caractériser directement dans des fragments frais de tissu osseux normal [29]. Par ailleurs, des transcrits d’aromatase ont été caractérisés dans le tissu osseux provenant du foyer de fractures du col du fémur du sujet âgé [29] et ces données ont permis de soulever l’hypothèse que l’expression de l’aromatase au niveau du tissu osseux ne serait activée que dans des conditions pathologiques ou en cas de fracture. Cependant Shozu et al. [30] ont pu mettre en évidence une activité aromatase dans le tissu osseux normal de l’adulte jeune, ce qui pose en fait la question de savoir s’il n’existerait pas une perte progressive de l’activité aromatase osseuse avec l’âge. Une telle diminution, si elle était confirmée, pourrait bien sur constituer un élément aussi important dans la perte osseuse liée à l’âge que la diminution de la production des stéroïdes sexuels observée avec le vieillissement chez l’homme et la femme. Les facteurs de régulation de l’activité aromatase du tissu osseux ne sont pas tous connus, mais plusieurs candidats ont déjà été identifiés. L’interleukine-1b (IL–1b), les cytokines inflammatoires de classe I, le TNFa, le TGF-b sont les plus puissants activateurs de cette activité. Le 1,25-(OH)2D3 et les glucocorticoïdes ont une action synergique de potentialisation et de maintien de l’activité aromatase dans les ostéo-
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blastes [32]. Récemment, il a été ainsi montré que IL-1b augmentait l’expression de l’ARN messager de l’aromatase ainsi que son activité dans des cultures d’ostéoblastes et que cet effet pouvait être inhibé par l’adjonction d’un antagoniste du récepteur de l’IL-1. De plus, IL-1b augmente la prolifération cellulaire de façon analogue à de faibles concentrations d’estradiol (1 nM) et cette prolifération induite par Il-1b est réduite par l’addition d’un inhibiteur de l’aromatase, le fadrozole-HCL. Ces données suggèrent donc que IL-1b aurait un effet de stimulation sur la production d’estrogènes par le tissu osseux qui favoriserait ainsi la prolifération ostéoblastique [33]. Par ailleurs, le TGF-b1 qui est un des facteurs inhibant l’ostéoclastogenèse constitue également un puissant stimulant de l’activité aromatase. Ce facteur est détecté en abondance au niveau des sites de fracture et pourrait agir en synergie avec les estrogènes produits ainsi localement pour favoriser le processus de consolidation de la fracture [34]. L’expression de l’activité aromatase au niveau osseux est régulée par l’utilisation d’un promoteur principal, I.4, et de promoteurs accessoires tels I.3 et I.6. Cette régulation est généralement assurée au niveau transcriptionnel, notamment pour le TGF-b1 dont l’interaction avec une zone spécifique du promoteur I.4 contenant un élément de réponse aux glucocorticoïdes (GRE) est nécessaire à l’expression du gène. Cependant il est possible que des voies posttranscriptionnelles puissent être utilisées, notamment via les MAPK [35]. 2.3. Hypothèse du rôle de l’aromatase dans le tissu osseux Pris dans leur ensemble, ces résultats suggèrent fortement que l’expression de l’aromatase au niveau du tissu osseux pourrait être augmentée dans différentes circonstances favorisant la production de facteurs inflammatoires, telles les situations de carence estrogénique ou de fracture. L’augmentation de l’activité aromatase induite dans ces conditions conduirait à une augmentation de la production locale d’une faible quantité d’estrogènes ce qui d’une part diminue la résorption osseuse et d’autre part favorise la prolifération ostéoblastique et la formation osseuse. In fine, l’augmentation de l’activité aromatase représenterait ainsi une « dernière ligne de défense » permettant localement de limiter les conséquences osseuses de la carence estrogénique et de favoriser la réparation osseuse en cas de fracture (Fig. 4).
3. Conséquences osseuses des anomalies d’expression de l’activité aromatase 3.1. Déficit L’importance pour le tissu osseux de l’activité aromatase est parfaitement démontrée par les anomalies de développement et de minéralisation du squelette observées dans toutes les situations compromettant cette activité enzymatique, qu’il s’agisse des invalidations provoquées ou naturelles de son
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Fig. 4. Rôle de l’aromatase dans la régulation du remodelage osseux.
gène, de polymorphismes ou de l’utilisation thérapeutique des inhibiteurs de l’aromatase. • Chez l’animal, l’invalidation du gène de l’aromatase (ArKO) provoque une perte osseuse dans les deux sexes pouvant être prévenue par l’administration d’estrogènes. Chez la souris ArKO âgée de neuf semaines, Miyaura et al. [36] notent une perte osseuse prédominant d’abord sur l’os trabéculaire, mais intéressant aussi l’os cortical et liée à une augmentation de la résorption ostéoclastique. Chez la souris âgée (32 semaines) la perte osseuse est plus importante chez la femelle que chez le mâle dont la diminution de la surface corticale au niveau du fémur est moins prononcée. Ces résultats sont à rapprocher de ceux notés par Oz et al. [37], pour qui le turn-over osseux chez la souris ArKO serait différent chez le mâle avec un turn-over osseux ralenti surtout par diminution de la formation osseuse et chez la femelle dont le turn-over est augmenté avec hyperrésorption osseuse. Ces résultats suggèrent que les androgènes pourraient, par un effet direct, contribuer à maintenir le volume osseux chez le mâle âgé. • Dans l’espèce humaine, trois cas de déficit en aromatase chez l’homme ont été rapportés depuis 1995 [38–40]. Ces sujets XY, comme ceux qui présentent une inactivation du récepteur aux estrogènes [41], ont un morphotype caractérisé par une grande taille, du fait de l’absence de soudure des cartilages de croissance au moment de la puberté et une ostéoporose malgré des concentrations d’androgènes normales ou élevées. L’administration d’estrogènes permet d’obtenir la récupération d’un niveau de masse osseuse quasi physiologique [38,39]. De même des polymorphismes du gène de l’aromatase (CYP19) ont été récemment associés avec le niveau de la densité minérale osseuse et le risque de fracture chez des femmes ménopausées. Sommer J. et al. [42] ont étudié chez 252 femmes ménopausées âgées de 65 ans en moyenne l’association entre le niveau de la densité minérale osseuse vertébrale et fémorale et un polymorphisme commun de l’exon 3 de CYP19 caractérisé par la substitution de G en A. Chez les femmes présentant les génotypes GG et GA, la prévalence de l’ostéoporose densitométrique et des fractures était significativement plus élevée (p = 0,04) que chez celles de génotype
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GG. De même, Zarrabeita et al. [43] ont retrouvé le même type d’association pour un autre polymorphisme biallélique touchant l’exon I.2 du gène CYP19 entraînant trois génotypes, GG CC et GC. Chez 183 femmes ménopausées, le génotype CC était associé à une densité osseuse vertébrale et fémorale plus basse et un taux de fractures vertébrales plus élevé que les autres génotypes (odds ratio = 2,0 ; p = 0,03). Il est intéressant de remarquer que cette association n’était pas retrouvée chez les 116 femmes préménopausées étudiées dans le même temps. • L’utilisation thérapeutique d’inhibiteurs de l’aromatase comme traitement adjuvant du cancer du sein a montré sur des modèles animaux [44], et chez des sujets traités [45] une augmentation de la résorption osseuse et donc de la perte osseuse. Chez la femme, les résultats récemment publiés de l’étude ATAC (arimidex, tamoxifen alone or in combination) [46] ont retrouvé, après un suivi de près de trois ans, un taux de fractures significativement plus élevé (n = 183) chez les femmes traitées par anastrazole que chez celles ayant reçu du tamoxiféne (n = 115). Ces données soulèvent donc le problème du retentissement osseux à long terme des antiaromatase et de leur effet sur le risque fracturaire. L’utilisation d’un traitement antiostéoclastique apparaît a priori à envisager chez les femmes à risque fracturaire élevé et devant recevoir un inhibiteur de l’aromatase. 3.2. Hyperexpression Une hyperexpression de l’activité aromatase a pu être mise en évidence dans plusieurs états pathologiques estrogénodépendants comme certaines pathologies mammaires (gynécomastie prépubertaire, cancer du sein), utérines (endométriose, cancer de l’endomètre, fibromes) et testiculaires [47,48]. Bien que relevant probablement de facteurs différents, ces pathologies pourraient avoir en commun un mécanisme physiopathologique impliquant la mise en jeu des promoteurs I.3 et II, en réponse à une voie d’activation dépendante de l’AMP cyclique [49]. Au plan osseux, une hyperexpression de l’aromatase n’a pas été jusqu’à ce jour démontrée. Cependant il est intéressant de souligner que plusieurs études épidémiologiques récentes [50–53] ont démontré la relation positive, chez les femmes ménopausées entre l’augmentation de la densité osseuse et le risque de cancer du sein. Cette association persiste après ajustement des facteurs confondants reliés à la production d’estrogènes (IMC, durée de la vie reproductive) et l’hypothèse d’une dysrégulation de l’activité aromatase (ou d’une autre activité enzymatique) pourrait être soulevée. De fait un polymorphisme du gène de l’aromatase caractérisé par la répétition élevée d’un tétranucléotide (TTTA) a été associé à un niveau de masse osseuse élevée et une diminution de l’incidence des fractures vertébrales chez des femmes ménopausées [54]. Il est intéressant de remarquer que ce même type de polymorphisme a été associé, dans une autre étude, à une incidence accrue de cancers du sein, également chez des femmes ménopausées [55].
4. Conclusion L’activité aromatase est un élément majeur pour le développement et la minéralisation du tissu osseux dans les deux sexes. Après la ménopause, cette activité enzymatique constitue un mécanisme majeur de la production estrogénique locale et de la protection du tissu osseux. Les variations génétiquement programmées de cette activité participent avec d’autres éléments, aux différences d’imprégnation estrogénique observées parmi les femmes ménopausées et qui soustendent leur risque de pathologies estrogènodépendantes, telle l’ostéoporose. Le développement des inhibiteurs de l’aromatase dans le traitement adjuvant des cancers du sein et d’autres pathologies hormonodépendantes constitue un progrès thérapeutique indéniable, mais la prévention de leurs effets osseux par des agents antiostéoclastiques doit être prise en compte dans leur utilisation chez la femme ménopausée.
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