Le remodelage osseux normal et pathologique

Le remodelage osseux normal et pathologique

ACTUALITÉS SUR LE REMODELAGE OSSEUX ET SON EXPLORATION Le remodelage osseux normal et pathologique Judith Desouttera,b, Romuald Mentaverria,b, Michel...

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ACTUALITÉS SUR LE REMODELAGE OSSEUX ET SON EXPLORATION

Le remodelage osseux normal et pathologique Judith Desouttera,b, Romuald Mentaverria,b, Michel Braziera,b, Said Kamela,b,*

RÉSUMÉ

SUMMARY

Le remodelage osseux physiologique procède de l’alternance d’une phase de résorption et d’une phase de formation osseuse. Ce processus est indispensable au maintien de l’intégrité du squelette et de l’homéostasie phosphocalcique. Il fait appel à l’action coordonnée de plusieurs types cellulaires au sein du « compartiment de remodelage osseux » dont des ostéoblastes, des ostéoclastes et des ostéocytes. De nombreux facteurs systémiques (principalement hormonaux) ou locaux régulent efficacement le remodelage osseux et assurent un équilibre entre la résorption et la formation osseuse. Cette revue détaille les différents mécanismes cellulaires impliqués dans le remodelage osseux et décrit les principales situations physiopathologiques aboutissant à un déséquilibre dans les activités de résorption et de formation osseuses qui souvent contribuent à la survenue de pathologies osseuses. Remodelage osseux – ostéoclastes – ostéoblastes – ostéocytes – résorption osseuse – formation osseuse – ostéoporose.

Physiological and pathological bone remodelling. Physiological bone remodelling is responsible for bone resorption and bone formation. It is necessary to maintain skeletal integrity and mineral homeostasis. Bone remodelling requires several cellular types present in the « bone remodelling compartment » such as osteoblasts, osteoclasts and osteocytes. Bone remodelling is tightly coordinated by multiple hormonal and local factors that contribute to maintain a balance between bone resorption and formation. This review discusses the different cellular mechanism involved in bone remodelling and describes the pathophysiological conditions leading to an imbalance in cellular activities which often contributes to bone diseases. Bone remodelling - osteoclast - osteoblast - osteocytes bone Resorption - bone formation - osteoporosis.

1. Introduction Sur le plan biochimique, le tissu osseux résulte de l’association d’éléments inorganiques (les ions calcium et phosphates) et d’une matrice organique protéique principalement constituée de collagène, l’ensemble conférant au squelette sa rigidité. Au-delà de son rôle de soutien des organes et dans la locomotion, le squelette joue un rôle fondamental dans l’homéostasie phosphocalcique. Afin d’assurer cette fonction vitale, l’os est durant toute la vie adulte continuellement soumis à des remaniements dans un processus appelé remodelage. Le remodelage osseux consiste en l’alternance d’une phase de résorption ou dégradation osseuse et d’une phase de formation osseuse. Il fait appel à l’action de cellules spécialisées, les

a Laboratoire de biochimie Centre hospitalier universitaire d’Amiens Place Victor-Pauchet 80054 Amiens cedex 1 b U INSERM 1088 « Mécanismes physiopathologiques et conséquences des calcifications vasculaires » Université de Picardie Jules-Verne – UFR de pharmacie 1, rue des Louvels 80037 Amiens cedex

* Correspondance [email protected] [email protected] article reçu le 20 juin, accepté le 11 juillet 2012 © 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

ostéoclastes en charge de la résorption, les ostéoblastes en charge de la formation et de la minéralisation osseuse et les ostéocytes qui jouent un rôle fondamental dans l’initiation et le contrôle cellulaire du remodelage osseux. Le remodelage osseux est un processus complexe dont la régulation fait intervenir des facteurs systémiques hormonaux et des facteurs locaux. Ce contrôle assure un équilibre parfait entre résorption et formation osseuse. L’intégrité du squelette et la régulation de l’homéostasie phosphocalcique dépendent étroitement de cet équilibre. Dans certaines conditions physiopathologiques, des situations de déséquilibres peuvent survenir, liées le plus souvent soit à une augmentation de la résorption osseuse, soit à une diminution de la formation osseuse. Ces déséquilibres sont à l’origine d’une perte de masse osseuse qui fragilise les os et entraîne des fractures. Le but de cette revue est d’une part de faire le point sur les aspects cellulaires et moléculaires impliqués dans le déroulement normal du remodelage osseux et d’autre part d’aborder les principales situations de déséquilibre physiopathologique du remodelage conduisant à une fragilité osseuse.

2. Composition biochimique et cellulaire du tissu osseux 2.1. Os cortical et os trabéculaire Le tissu osseux se compose sur le plan anatomique de l’os cortical et de l’os trabéculaire (figure 1). L’os cortical forme une couche fine et dense de tissu calcifié et compose l’essentiel de la diaphyse des os longs. 85 à 90 % REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2012 - N° 446 //

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Figure 1 - Répartition entre os trabéculaire et os cortical selon le site osseux.

Figure 2 - Structure et pontage du collagène de type I.

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du squelette est constitué par de l’os cortical. Le reste du squelette (environ 15 %) est constitué d’os trabéculaire encore appelé os spongieux. Cet os, organisé en travées formant un réseau tridimensionnel, est constitué majoritairement par le tissu hématopoïétique, la matrice osseuse ne représentant que 15 à 25 % de ce tissu. Parmi les os riches en os trabéculaire, on peut citer les vertèbres, les os du poignet et l’extrémité supérieure du fémur (figure 1). L’os cortical remplit principalement une fonction mécanique de protection, tandis que l’os trabéculaire, en raison d’une plus grande surface de contact entre le tissu hématopoïétique et les cellules osseuses, joue un rôle prépondérant dans les échanges métaboliques permettant de contribuer efficacement à l’équilibre phosphocalcique. L’os trabéculaire subira un renouvellement plus fréquent que l’os cortical (approximativement 5 fois plus) et ceci aura pour conséquence de le rendre plus fragile en cas de déséquilibre. Dans l’os, comme dans tous les tissus de soutien, les constituants fondamentaux sont d’une part la matrice extracellulaire, particulièrement abondante dans l’os, formée par les fibres de collagène et les protéines non collagéniques et d’autre part les cellules.

2.2. La matrice extracellulaire osseuse La matrice osseuse comporte une fraction minérale (70 %) et une fraction organique (30 %). Cette dernière est constituée à 90 % par du collagène de type I, les 10 % restant étant constitués par du collagène mineur et des protéines non collagéniques. Les collagènes constituent une grande famille de glycoprotéines spécialisées. La biosynthèse de ces chaînes a lieu dans le réticulum endoplasmique granuleux sous forme de précurseurs appelés procollagène (figure 2). La molécule comporte alors deux domaines globulaires situés aux extrémités N et C terminales appelées respectivement les propeptides N et C terminaux. Dans le milieu extracellulaire, interviennent des protéases qui clivent les propeptides N et C terminaux faisant alors apparaître deux parties distinctes dans la molécule de collagène : la zone hélicoïdale et les extrémités N et C terminales appelées télopeptides N et C terminaux qui consistent en des séquences linéaires de 10 à 25 acides aminés. Les molécules de collagène produites par clivage du procollagène vont, dans le milieu extracellulaire, spontanément s’associer pour former des fibrilles. Ceci est rendu possible grâce à l’existence d’un système enzymatique permettant la formation de pontages intermoléculaires aux extrémités N et C terminales. La formation de ces ponts intermoléculaires procède de plusieurs étapes et aboutit à la synthèse de liaisons croisées ou « cross links » qui confèrent à l’os sa rigidité et ses propriétés mécaniques. Deux types distincts de molécules de pontage trivalentes ont été isolés : l’hydroxylysylpyridinoline encore appelé plus simplement pyridinoline dont l’abréviation est HP, Pyr ou Pyd et la lysylpyridinoline encore appelée désoxypyridinoline dont l’abréviation est LP, Dpyr ou Dpd. La matrice osseuse renferme également de nombreuses protéines non collagéniques. Parmi celles-ci, certaines protéines contiennent dans leur séquence des résidus d’acide gamma caboxyglutamique (Gla) qui résulte d’une modification post-traductionnelle des résidus glutamate opérée par une gammacarboxylase vitamine K dépendante. Cette

modification donne ainsi naissance aux Gla-protéines. Dans l’os, l’ostéocalcine est la Gla-protéine quantitativement la plus importante. Plusieurs autres protéines présentes dans la matrice osseuse sont caractérisées par la présence dans leur structure d’une séquence spécifique constituée de trois acides aminés : la séquence arginine-glycine-acide aspartique ou RGD. La présence de ce motif confère aux molécules des propriétés adhésives particulières impliquées notamment dans les interactions matrices/cellules. Des récepteurs cellulaires spécifiques présents à la surface des cellules (les intégrines) reconnaissant ce motif RGD permettent ainsi l’ancrage des ostéoblastes ou des ostéoclastes à la matrice osseuse. Parmi les protéines à séquence RGD, certaines sont enrichies en acide sialique comme l’ostéopontine (bone sialoprotéine I) et la sialoprotéine osseuse (bone sialoprotéine II). D’autres protéines à séquence RGD telle la thrombospondine et la fibronectine sont également retrouvées dans la matrice. Enfin, la matrice osseuse contient des protéoglycannes tel le byglycan et la décorine, ainsi que d’autres protéines telle l’ostéonectine, qui est une protéine riche en résidus cystéine, de nombreux facteurs de croissance parmi lesquels les IGF (insulin like growth factor) I et II, le FGF (fibroblast growth factor) et surtout les TGF (transforming growth factor) β1 et β2 qui jouent un rôle important dans la régulation locale du remodelage osseux. Après sa synthèse, la matrice protéique osseuse se minéralise progressivement. Un sel de calcium (en l’occurrence le phosphate de calcium apparenté à l’hydroxyapatite ([Ca10 (PO4)6 OH2]) se dépose au niveau des zones situées entre les fibrilles de collagène. La phosphatase alcaline osseuse synthétisée par les ostéoblastes pourrait jouer un rôle important dans le processus de minéralisation.

2.3. Les cellules présentes dans le tissu osseux 2.3.1. L’ostéoclaste et la résorption osseuse L’ostéoclaste est une cellule volumineuse caractérisée par la présence de nombreux noyaux. Il dérive de précurseurs ayant pour origine des cellules souches hématopoïétiques appartenant à la lignée monocytes-macrophages. Le processus de résorption ostéoclastique (figure 3) consiste en Figure 3 - L’ostéoclaste et la résorption osseuse.

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Figure 4 - Rôle de la triade RANK-RANKL-OPG dans la différenciation ostéoclastique.

Figure 5 - L’ostéoblaste et la formation osseuse.

surface du site de remodelage. La différenciation ostéoclastique à partir des précurseurs hématopoïétiques est sous la dépendance de la triade RANK-RANKL-OPG. Les précurseurs ostéoclastiques mononucléés présents dans la moelle expriment à leur surface un facteur protéique trans membranaire qui sur le plan structural appartient à la famille des récepteurs au TNF : le RANK (receptor activator of nuclear factor kB) (figure 4). Ce récepteur est capable de lier une autre molécule trans membranaire apparentée également à la famille des récepteurs au TNF présente à la surface des ostéoblastes mais également sécrétée : le RANK-ligand. L’interaction RANK-RANKL est nécessaire et avec le MCS-F (macrophage colony stimulating factor) suffisante pour permettre la différenciation ostéoclastique. Pendant longtemps, on a pensé que la source principale du RANKL dans le microenvironnement osseux était l’ostéoblaste et qu’une interaction physique entre le précurseur ostéoclastique et l’ostéoblaste était indispensable. Très récemment, plusieurs études ont montré que c’est l’ostéocyte qui pourrait constituer la source majeure de RANKL. Une troisième molécule également apparentée au récepteur du TNF mais ne comportant pas de domaine transmembranaire, et qui de ce fait est sécrétée, a été également découverte, il s’agit de l’ostéoprotégérine (OPG). L’OPG, sécrété par l’ostéoblaste est capable de se fixer sur le RANK-L, agissant ainsi comme un récepteur leurre rendant impossible toute interaction RANK-RANK-ligand. L’OPG exerce donc un puissant effet inhibiteur sur la différenciation ostéoclastique et sur la résorption osseuse in vitro et in vivo. Comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la régulation du remodelage osseux, l’engagement dans la voie de la différenciation ostéoclastique dépend à tout moment du ratio RANKL/OPG et les principaux facteurs modulant la résorption osseuse (estrogènes, PTH et vitamine D) agissent principalement sur l’expression de l’un ou de l’autre.

2.3.2. L’ostéoblaste et la formation osseuse

une déminéralisation suivie d’une dégradation de la matrice protéique osseuse. Au cours de la déminéralisation, des ions phosphates et calcium sont relargués de la matrice collagénique, grâce à une acidification rapide de la zone sub-ostéoclastique liée à une excrétion massive de protons. Secondairement à cette déminéralisation, des enzymes de nature protéasique, capables de dégrader la matrice collagénique maintenant déminéralisée, sont libérées dans le compartiment extra-cellulaire. Deux classes principales d’enzymes sont sécrétées par l’ostéoclaste. Il s’agit d’une part des cystéines protéases lysosomiales ou cathepsines (principalement la cathepsine K) et des métalloprotéases matricielles (MMP). La résorption osseuse dépend étroitement du nombre d’ostéoclastes activés présents à la

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L’ostéoblaste mature provient de la prolifération clonale de cellules souches d’origine mésenchymateuse présentes dans la moelle donnant naissance également aux chondroblastes, aux fibroblastes, aux adipocytes et aux myoblastes (figure 5). L’étape d’engagement dans la voie de différenciation ostéoblastique nécessite l’activation d’un facteur de transcription spécifique des ostéoblastes, le facteur Cbfa1 (core binding factor alpha 1) ou Runx2. Les ostéoblastes sont toujours retrouvés alignés le long de la matrice osseuse avant que celle-ci ne soit minéralisée (tissu ostéoïde). La fonction essentielle de l’ostéoblaste est de synthétiser et de participer à la minéralisation de la matrice osseuse. La différenciation des progéniteurs ostéoblastiques en ostéoblastes matures implique une voie prépondérante la voie canonique Wnt/ βcaténine (figure 6). Les Wnts sont des glycoprotéines sécrétées indispensables au développement et au renouvellement de nombreux tissus dont l’os. Au niveau squelettique, elles agissent via leur liaison à un complexe de récepteurs associant les récepteurs LRP 5/6 (LDL receptor related protein) et Frizzled. En se fixant au complexe, la protéine Wnt entraîne îne ne l’activation de Dishevelled qui inhibe la glycogène synthase kinase 3β (GSK).

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Cette inhibition a pour effet d’empêcher la dégradation de la β-caténine, qui est alors capable de transloquer dans le noyau. À l’intérieur du noyau, la β-caténine s’associe avec le facteur de transcription TCF/LEF (T-cell factor/ lymphoid enhancer factor), ce qui initie la transcription de plusieurs gènes impliqués dans la différenciation ostéoblastique. Il existe plusieurs inhibiteurs physiologiques de la voie Wnt/β-caténine caténine capables d’inhiber la différenciation ostéoblastique et donc la formation osseuse. La sclérostine est une protéine codée par le gène Sost, sécrétée presque exclusivement par l’ostéocyte. En se fixant sur le récepteur LRP5/6, elle empêche la formation du complexe récepteur ligand. La protéine Dickoff (DKK-1) agit de façon similaire. D’autres inhibiteurs, dont les Sfrp (soluble frizzled related protein) agissent en liant Wnt, ce qui empêche également la formation du complexe récepteur ligand. Le rôle prépondérant de la voie Wnt/βcaténine dans l’ostéoblaste est particulièrement évident dans des pathologies humaines affectant les gènes codant le récepteur LRP5. Une mutation entraînant une perte de fonction est à l’origine du syndrome d’ostéoporosepseudoglioma, un syndrome récessif autosomal combinant une ostéoporose prématurée grave et une cécité précoce. À l’inverse, des mutations entraînant un gain de fonction sont à l’origine de syndromes caractérisés par une masse osseuse élevée comme la sclérostéose. Ces phénotypes humains ont été reproduits dans des modèles animaux d’invalidation ou de surexpression du gène LRP5. Plusieurs facteurs de croissance stockés dans la matrice osseuse et libérés au cours de la résorption ostéoclastique participent également à la différenciation ostéoblastique. On peut citer l’IGF I et II (insuline like growth factor), le TGFβ (transforming growth factor), ou encore les BMP (bone morphogenetic protein). À la fin de la période de formation osseuse, plusieurs destinées sont possibles pour les ostéoblastes. Certains se laissent emmurer dans la matrice et deviennent des ostéocytes, dautres sont transformés en cellules bordantes et enfin les ostéoblastes qui n’ont pris aucune de ces destinées meurent par apoptose.

2.3.3. L’ostéocyte Les ostéocytes représentent la composante cellulaire majoritaire retrouvée dans la matrice osseuse (plus de 95 % de la totalité des cellules). Ces cellules possèdent une morphologie caractéristique avec un corps cellulaire fusiforme et de nombreuses extensions cytoplasmiques dendritiques formant un réseau de canalicules. Les ostéocytes sont d‘anciens ostéoblastes qui restent emmurés dans la matrice osseuse minéralisée. Leur rôle biologique est resté longtemps ignoré, mais plusieurs études récentes ont démontré le rôle fondamental joué par les ostéocytes dans le bon déroulement du remodelage osseux. Comme nous le verrons plus loin, les ostéocytes, grâce notamment à leur réseau de canalicules, sont en contact permanent avec les cellules présentes à la surface de l’os, c’est-à-dire les ostéoclastes et les ostéoblastes. En réponse à différents stimulis (contraintes mécaniques, dommages causés dans la matrice), les ostéocytes activent l’ostéoclaste et l’ostéoblaste pour démarrer un cycle de remodelage.

Figure 6 - Activation et inactivation de la voie Wnt/β-caténine dans l’ostéoblaste.

3. Le remodelage osseux physiologique 3.1. Remodelage osseux et régulation du métabolisme phosphocalcique Le calcium et le phosphore sont des ions indispensables à l’organisme. Outre son rôle dans la minéralisation osseuse, le calcium est impliqué dans la coagulation sanguine, la contraction musculaire, la conduction nerveuse, la différenciation cellulaire, l’apoptose et la transduction du signal de nombreuses hormones. Le phosphore est, quant à lui, impliqué dans le métabolisme énergétique cellulaire, dans la synthèse de l’ADN, dans plusieurs activités enzymatiques (phosphorylase, phosphatase, kinase…), dans l’équilibre acido-basique et dans la transduction du signal sous forme de seconds messagers hormonaux (AMPc, GMPc). Il joue également un rôle important comme élément fondamental entrant dans la composition des structures cellulaires. En raison des besoins importants dans l’organisme du calcium et du phosphore pour assurer ces différentes fonctions, des systèmes sont mis en jeu pour favoriser les échanges tissulaires de ces deux ions. L’homéostasie phosphocalcique fait référence à l’ensemble des mécanismes biologiques permettant de réguler et de maintenir constante la calcémie et la phosphatémie. Ce contrôle dépend avant tout d’une balance équilibrée pour ces deux ions dans l’organisme, c’est-à-dire d’un équilibre entre d’une part les apports en calcium et phosphore dont la seule source est l’alimentation et d’autre part les mécanismes mis en jeu dans l’organisme pour faciliter leur absorption et leur élimination. L’équilibre de la balance phosphocalcique nécessite l’intervention de l’intestin par sa capacité à moduler l’absorption des deux ions et du rein par sa capacité d’excrétion, le tissu osseux joue également un rôle fondamental dans cet équilibre (figure 7). En effet, ce dernier permet de stocker le calcium et le phosphore et de les mettre à disposition en fonction des besoins par l’intermédiaire du remodelage osseux. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2012 - N° 446 //

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Figure 7 - Mouvements du calcium et des phosphates vers et à partir des liquides extracellulaires.

positivement ou négativement la résorption et/ ou la formation et in fine contrôle l’homéostasie phosphocalcique. Le tissu osseux, par sa capacité à se renouveler de façon permanente, joue un rôle majeur dans l’équilibre de la balance phosphocalcique. Durant l’enfance et l’adolescence, l’activité de formation étant supérieure à l’activité de résorption osseuse, la balance phosphocalcique sera positive favorisant ainsi le dépôt de calcium et de phosphate dans le squelette. Durant l’âge adulte, l’activité de formation compensant exactement l’activité de résorption osseuse, la balance phosphocalcique sera neutre assurant un maintien de la masse osseuse. Chez le sujet âgé ou dans certaines situations pathologiques s’accompagnant d’une augmentation de la résorption osseuse, la balance phosphocalcique devient alors négative favorisant une perte de masse osseuse.

3.2. Les différentes séquences du remodelage osseux

Figure 8 - Le compartiment de remodelage osseux.

Le tissu osseux représente en effet un réservoir unique contenant 99 % des réserves de calcium et 90 % des réserves de phosphates de l’organisme. Des échanges permanents ont lieu entre le squelette et les autres tissus pour assurer la mise en réserve et l’apport du calcium et le phosphate. Ces échanges sont rendus possibles grâce à un renouvellement permanent de l’os dans un processus appelé remodelage osseux. Ce processus biologique fondamental se déroule de façon continue durant toute la vie et contribue aux échanges calciques dans l’organisme. Chaque jour, environ 300 mg de calcium sont déposés dans le tissu osseux au cours de la minéralisation assurée par les ostéoblastes. Dans le même temps, une quantité équivalente de calcium est libérée du tissu osseux au cours de la résorption ostéoclastique. De nombreux facteurs endocrines (PTH, calcitriol, calcitonine, estrogènes, glucocorticoïdes…) et paracrines (facteurs de croissance, cytokines) participent à la régulation du remodelage en modulant

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Afin de maintenir l’intégrité du tissu osseux et d’assurer une balance phosphocalcique équilibrée, le squelette adulte est soumis à un remodelage continu. Celui-ci procède de différentes phases successives qui font intervenir des unités fonctionnelles de remodelage, les BMU pour « basic multicellular unit »,, composées d’un ensemble multicellulaire associant des ostéoclastes, des ostéoblastes et des ostéocytes. Le travail de ces unités fonctionnelles de remodelage dure plusieurs semaines et est initié par la formation d’une lacune de résorption grâce à l’action des ostéoclastes. Celle-ci sera rapidement comblée par un os nouveau formé par l’ostéoblaste (figure 8). La surface de l’os est tout d’abord recouverte d’une « canopée » de cellules constituée principalement de cellules quiescentes inactives ou cellules bordantes qui sont en fait des ostéoblastes en stade terminal de différenciation, et de macrophages tissulaires appelés ostéomacs dont le rôle exact n’est pas encore clairement connu. On note également la présence de nombreux capillaires médullaires irrigant l’os. La « canopée » de cellules associée aux BMU forment ainsi le compartiment de remodelage osseux au sein duquel vont se dérouler les phases de résorption et de formation osseuse. Les ostéocytes jouent un rôle fondamental dans l’initiation du remodelage osseux. Du fait de leur localisation dans la matrice et de leurs nombreuses extensions cytoplasmiques qui leur permettent d’entrer en contact avec les autres types cellulaires, les ostéocytes sont directement impliqués dans l’engagement de la première étape du remodelage osseux dite phase d’activation. Ils sont en effet capables de détecter différents signaux qui vont initier le remodelage osseux, signaux qui seront liés soit à des microfractures ou lésion osseuse soit à une action hormonale systémique. Ces signaux aboutissent à la mort des ostéocytes par apoptose, processus qui induit, comme cela a été très récemment démontré, la production par l’ostéocyte apoptotique du RANKL, cytokine indispensable au recrutement et à la différenciation des précurseurs ostéoclastiques en ostéoclastes matures capables de dégrader la matrice minéralisée. Il est à noter que la sclérostine, produite également par l’ostéocyte apoptotique, joue un rôle important dans la stimulation de la production de RANKL par l’ostéocyte. La phase de résorption suivant

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Tableau I – Principaux facteurs hormonaux et locaux intervenant dans la régulation de la résorption osseuse par contrôle du ratio RANKL/OPG (+ = stimulation, - = inhibition). Facteur

Hormonal

Local

RANKL

Calcitriol Parathormone PTHrp 17β-estradiol TNFα IL 1 IL 6 Prostaglandines

+ + + -

Tableau II – Principaux facteurs hormonaux et locaux intervenant dans la régulation de la formation osseuse (+ = stimulation, - = inhibition). Facteur

OPG

-

Hormonal

Calcitriol PTH (1-34) 17β-estradiol Leptine

Local

BMPs (bone morphogenetic proteins) TGFβ IGF, FGF TNFα

+

+ + + +

la phase d’activation dure approximativement 12 jours et se termine par la mort par apoptose des ostéoclastes. Après disparition des ostéoclastes, des cellules mononucléées ées es probablement de nature macrophagique apparaissent au niveau de la lacune : c’est la phase d’inversion. Ces cellules sont rapidement remplacées par des précurseurs ostéoblastiques provenant de cellules souches pluripotentes mésenchymateuses également présentes dans la moelle osseuse. Ces précurseurs sont attirés dans la lacune de résorption, prolifèrent rapidement et se différencient en ostéoblastes matures qui assurent la phase de formation osseuse au cours de laquelle une nouvelle matrice protéique est produite qui sera secondairement minéralisée. La phase de formation osseuse est plus longue et dure approximativement trois mois. L’ostéocyte joue donc un rôle majeur dans le contrôle du remodelage osseux via la production de RANKL et de sclérostine. On estime que chaque année, 10 % du squelette adulte est renouvelé. Les activités cellulaires du remodelage osseux sont étroitement couplées dans l’espace et le temps et des interactions entre ostéoblastes et ostéoclastes sont indispensables au bon déroulement de ce processus. Dans des conditions physiologiques, ce processus est régulé de façon à assurer un équilibre parfait entre résorption et formation osseuse, équilibre qui à l’âge adulte est indispensable au maintien de l’architecture et de la masse osseuse. Tout dérèglement dans les processus de contrôle aura donc des répercussions sur cet équilibre conduisant à une balance négative responsable d’une perte de masse osseuse.

3.3. Contrôle hormonal et local du remodelage osseux Le contrôle du remodelage osseux constitue une étape essentielle dans le maintien de l’homéostasie phosphocalcique. Plusieurs facteurs hormonaux agissant par voie systémique et des facteurs locaux exerçant une action paracrine ou autocrine, interviennent pour réguler et coupler les activités de résorption et de formation osseuse. Le tissu osseux est un des organes cible des deux principales hormones qui régulent la calcémie : l’hormone parathyroïdienne ou parathormone (PTH) et le calcitriol ou 1,25 (OH)2 vitamine D. Il est également la cible de certains stéroïdes sexuels (estrogènes) et des glucocorticoïdes. Ces facteurs systémiques agissent directement par l’intermédiaire de récepteurs membranaires ou nucléaires spécifiques présents au niveau des cellules osseuses mais également par l’intermédiaire de facteurs produits localement.

Effet stimulant

Effet inhibiteur

+ + + + + + +

-

Ces facteurs locaux, essentiellement des facteurs de croissance ou des cytokines, sont synthétisés par les cellules osseuses elles-mêmes ou par des cellules voisines présentes dans le micro environnement osseux et sont pour beaucoup stockés au niveau de la matrice osseuse. Ils sont indispensables d’une part au recrutement et au maintien de l’état différencié des ostéoclastes et des ostéoblastes, et d’autre part à l’activité et à la survie des cellules osseuses. Ils sont également indispensables à la communication entre les ostéoblastes et les ostéoclastes lors des séquences du remodelage osseux. Le contrôle hormonal et local du remodelage osseux au cours de la vie adulte permet l’obtention d’un équilibre physiologique fondamental entre les activités de résorption et de formation osseuse. La découverte de la triade RANK/RANKL/OPG a permis d’éclaircir les mécanismes d’actions des principaux facteurs régulant la résorption osseuse (tableau I). Globalement, les facteurs hyper-résorbants comme le calcitriol, la PTH et les glucocorticoïdes agissent soit en augmentant la production de RANKL soit en diminuant la production d’OPG. Inversement les facteurs hyporésorbants, comme les œstrogènes,, agissent soit en augmentant la production d’OPG, soit en diminuant la production de RANKL. L’activité de résorption dépendra donc à tout moment de l’équilibre entre le RANKL et l’OPG. La formation osseuse est également régulée par des facteurs hormonaux et locaux (tableau II). Il est à noter ici l’importance de l’intervention de facteurs de croissance comme les BMPs (bone morphogenetic proteins), le TGFβ, les IGF I et II (insulin like growth factors) et le FGF (fibroblast growth factor).

4. Déséquilibres du remodelage osseux et ostéoporose 4.1. Remodelage osseux, masse osseuse et ostéoporose Durant toute la vie, les mécanismes mis en jeu dans le contrôle du remodelage osseux auront des retentissements sur la masse osseuse. Comme le montre la figure 9, chez l’homme comme chez la femme, la masse osseuse augmente rapidement pendant la croissance. Cette phase qui correspond à une phase intense de modelage osseux est caractérisée par une forte activité de formation osseuse. À la fin de cette phase, vers l’âge de 20 ans, un capital osseux maximal est atteint correspondant au pic de masse osseuse. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2012 - N° 446 //

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L’acquisition du pic de masse osseuse est sous la dépendance de facteurs génétiques et environnementaux notamment nutritionnels. Après cette première période, apparaît une seconde phase au cours de laquelle la masse osseuse maximale se stabilise grâce à l’existence d’un équilibre parfait entre les phases de résorption et de formation osseuse. Au-delà de 50 ans chez la femme, et un peu plus tardivement chez l’homme, une perte osseuse survient dont la rapidité varie selon les sujets et selon les sites anatomiques du squelette. Chez la femme, dans certaines conditions, cette perte osseuse est accentuée en période péri et postménopausique avec une phase rapide durant les 5 premières années suivant la ménopause. Au-delà de 65 ans, la perte osseuse peut perdurer avec un rythme plus lent, phénomène qui s’observe également chez l’homme. L’abaissement de la masse osseuse en deçà de la zone de risque définit alors l’ostéoporose avec un risque de fracture accru. L’ostéoporose est classiquement définie comme étant « une maladie systémique du squelette caractérisée par une Figure 9 - Évolution de la masse osseuse en fonction de l’âge.

masse osseuse basse et une détérioration de l’architecture osseuse ayant pour conséquence une fragilité osseuse accrue pouvant conduire à des fractures ». Maladie liée au vieillissement, on estime en France que 30 % des femmes âgées de plus de 60 ans et 50 % de celles âgées de plus de 70 ans seraient atteintes. Bien que ce soit une pathologie à prédominance féminine, les hommes ne sont pas épargnés puisqu’on estime que près de 14 % des hommes de plus de 50 ans feront une complication fracturaire. La principale manifestation clinique de l’ostéoporose est donc constituée par la survenue de fractures dont la localisation squelettique est fonction de l’âge. Vers l’âge de 55 ans, surviennent les fractures de l’extrémité inférieure du radius ou fractures de Pouteau-Colles, vers 65 ans apparaissent les tassements vertébraux qui peuvent s’accompagner de fractures et au-delà de 70 ans survient la fracture du col du fémur. Le diagnostic d’ostéoporose repose, selon la définition de l’OMS, sur une mesure de la masse osseuse. Celle-ci est évaluée par mesure du contenu minéral osseux ou densité minérale osseuse (DMO). Une baisse de la DMO comprise entre 1 et 2,5 écarts types par rapport à la valeur moyenne de celles de sujets jeunes (Tscore) définit une ostéopénie ; une baisse de DMO supérieure à 2,5 écarts types définit l’ostéoporose.

4.2. Physiopathologie des ostéoporoses

Figure 10 – Effets des estrogènes sur les cellules osseuses.

Les estrogènes ont pour cibles les ostéocytes, les ostéoblastes et les ostéoclastes. Les effets des estrogènes aboutissent à une diminution de l’activation du remodelage osseux. En situation de carence, l’absence d’effet régulateur des estrogènes est à l’origine d’une forte activation du remodelage osseux avec un déséquilibre au profit d’une augmentation de l’activité de résorption osseuse.

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La perte osseuse observée en période péri et post ménopausique n’est pas équivalente chez toutes les femmes, certaines perdant rapidement de l’os à certains sites (perte de masse osseuse évaluée à 3 % par an au niveau de l’épine lombaire) et d’autres plus lentement. Cette perte osseuse rapide est directement liée à la carence estrogénique qui est responsable d’une accélération de la vitesse du remodelage osseux avec un déséquilibre conduisant à un excès de résorption osseuse non compensée par l’activité de formation. Sur le plan cellulaire, l’accélération de la vitesse de remodelage s’explique par l’action pléiotropique des estrogènes sur les cellules osseuses. Les estrogènes ont en effet comme cibles les trois types cellulaires présents dans le tissu osseux (figure 10). Ils inhibent l’apoptose des ostéocytes et s’opposent à la production par l’ostéocyte du RANKL, ce qui diminue la différenciation ostéoclastique. Ils induisent l’apoptose des ostéoclastes, ce qui a pour conséquence de limiter l’activité de résorption osseuse. Ils inhibent l’apoptose des ostéoblastes, ce qui a pour effet de maintenir l’activité de formation osseuse. Enfin, ils stimulent la production d’OPG et diminuent la production de RANKL par l’ostéoblaste s’opposant ainsi à la différenciation ostéoclastique. Au total, grâce à tous ces effets cellulaires, les estrogènes exercent un puissant effet protecteur sur le tissu osseux en limitant l’activation du remodelage osseux. En situation de carence estrogénique post-ménopausique, on note une modification du ratio RANKL/OPG au profit d’une nette augmentation de la différenciation ostéoclastique, associée à une diminution de la formation osseuse. C’est cette dérégulation de l’activation du remodelage osseux qui sera à l’origine d’une perte osseuse plus ou moins importante. Les unités fonctionnelles de remodelage trabéculaire subissant un renouvellement plus fréquent que celles de l’os cortical, c’est donc essentiellement

ACTUALITÉS SUR LE REMODELAGE OSSEUX ET SON EXPLORATION

Figure 11 – Principaux mécanismes physiopathologiques responsables de la perte osseuse liée au vieillissement.

l’os trabéculaire qui subit durant cette période une perte importante de masse osseuse. Ceci permet de rendre compte, dans l’ostéoporose post-ménopausique, des manifestations cliniques préférentielles situées dans des sites squelettiques riches en os trabéculaire (poignets et vertèbres). La perte osseuse consécutive à la ménopause se poursuit au cours du vieillissement. Sur le plan physiopathologique, cette perte de masse osseuse est également liée à une accélération du remodelage osseux caractérisée par un excès de résorption non compensé par la formation osseuse. Cependant, les mécanismes qui concourent à son installation sont différents de ceux évoqués dans l’ostéoporose post-ménopausique. Par ailleurs, les sites squelettiques fragilisés par la perte osseuse dans l’ostéoporose sénile sont différents de ceux de l’ostéoporose post ménopausique. La perte osseuse liée au vieillissement peut être considérée comme le principal déterminant du risque de fracture de l’extrémité supérieure du fémur du sujet âgé. Parmi les facteurs susceptibles d’expliquer l’ostéoporose liée au vieillissement, l’un des plus importants est probablement l’insuffisance vitaminique D et calcique due en partie à une carence d’apport nutritionnel conjuguée à une carence d’exposition solaire (figure 11). L’insuffisance en vitamine D peut être majorée par une diminution de la fonction rénale, responsable d’un défaut d’hydroxylation par la 1alpha hydroxylase rénale du précurseur de la vitamine D active. Cette baisse en vitamine D entraîne un défaut majeur d’absorption intestinale du calcium avec une tendance à l’hypocalcémie.

Pour lutter contre la chute de la calcémie, l’organisme met en jeu des systèmes permettant d‘aller puiser du calcium dans les réserves squelettiques. L’hyperparathyroïdisme secondaire objectivée par une augmentation de la sécrétion de PTH en est un des principaux. La PTH est un puissant activateur de la résorption osseuse par augmentation du nombre des ostéoclastes actifs (augmentation du ratio RANKL-OPG). Parallèlement à l’hyperparathyroïdisme secondaire, il a été établi que le vieillissement s’accompagne d’une diminution de la production au niveau osseux de certains facteurs de croissance dont l’IGF-I et le TGFβ, facteurs indispensables à la prolifération et l’activité des ostéoblastes. Leur diminution s’accompagne donc logiquement d’une diminution de la formation osseuse qui est alors incapable de compenser l’excès de résorption dû à l’hyperparathyroïdisme secondaire, ce qui potentialise considérablement la perte osseuse. En dehors de ces causes primitives, l’ostéoporose peut dans certaines circonstances être la conséquence d’autres affections métaboliques. Les causes les plus fréquentes sont de loin les hypercorticismes d’origine iatrogène ou lié au syndrome de Cushing. La perte osseuse induite par un excès de glucorticoïdes affectant surtout l’os trabéculaire, ce sont essentiellement au niveau des vertèbres et des côtes que surviennent les fractures. La prévalence de ces dernières chez les malades traités pendant plus de 6 mois par les glucocorticoïdes avoisine les 50 %. Dans le syndrome de Cushing, il est fréquent que l’ostéoporose fracturaire se constitue avant que les autres manifestations REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2012 - N° 446 //

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ne surviennent, attestant du caractère précoce de la perte osseuse dans l’hypercortisolisme. Les mécanismes cellulaires impliquent essentiellement une diminution de la formation osseuse. D’autres pathologies ont des retentissements plus ou moins importants sur la perte osseuse. C’est ainsi qu’au cours de la polyarthrite rhumatoïde, la composante inflammatoire de la maladie est responsable d’une augmentation de la différenciation ostéoclastique et donc de la résorption osseuse. Plus rarement, une perte osseuse au rachis lombaire peut s’observer dans l’hyperthyroïdie, due en partie à une augmentation de l’activité ostéoclastique par les hormones thyroïdiennes. Une perte osseuse plus ou moins localisée peut également accompagner l’invasion métastatique du tissu osseux. L’os est en effet un tissu cible privilégié pour le développement de métastases à partir de plusieurs tumeurs primitives solides (sein et prostate). Les localisations osseuses les plus fréquentes sont les vertèbres, le bassin, les côtes et le fémur. Une fois le tissu osseux atteint, deux types distincts de métastases peuvent se développer : les métastases ostéolytiques et les métastases ostéocondensantes. Les métastases ostéolytiques sont les plus fréquentes et s’observent tout particulièrement dans les cancers du sein. L’ostéolyse tumorale est due à une activation ostéoclastique responsable d’une hyperrésorption. Les mécanismes moléculaires impliquent la production dans le microenvironnement osseux par les cellules tumorales de plusieurs facteurs humoraux qui en modifiant le ratio RANK-L/OPG (augmentation de l’expression du RANK-L et diminution concomitante de l’expression de l’OPG par les cellules ostéoblastiques et stromales) stimule la différenciation ostéoclastique. Les métastases ostéocondensantes, observées surtout dans les tumeurs de la prostate, sont responsables de lésions ostéosclérotiques dues à une augmentation de la formation osseuse. Les cellules tumorales sécrètent des facteurs susceptibles d’activer la prolifération et l’activité ostéoblastique. En dehors du développement des métastases osseuses des tumeurs solides, des retentissements sur le tissu osseux sont également observés

Pour en savoir plus Afin d’approfondir plus avant ses connaissances du sujet, le lecteur pourra consulter les revues récentes référencées ci-dessous : • Atkins GJ, Findlay DM. Osteocyte regulation of bone mineral: a little give and take. Osteoporos Int 2012;Feb3 [Epub ahead of print]. • Eriksen EF. Cellular mechanisms of bone remodeling. Rev Endocr Metab Disord 2010;4:219-27. • Kular J, Tickner J, Chim SM, Xu J. An overview of the regulation of bone remodelling at the cellular level. Clin Biochem 2012;Mar23 [Epub ahead of print]. • Khosla S, Oursler MJ, Monroe DG. Estrogen and

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dans d’autres affections malignes, en particulier dans les hémopathies telles que le myélome multiple. Quatre-vingt pour cent des patients atteints de myélome souffrent de douleurs osseuses localisées ou diffuses associées ou non à des fractures et 30 % présentent une hypercalcémie qui s’explique par une ostéolyse intense.

5. Conclusion Au-delà de sa fonction locomotrice, le squelette est un organe impliqué dans plusieurs fonctions vitales pour l’organisme. Ces fonctions sont assurées grâce au processus du remodelage osseux qui fait intervenir plusieurs types cellulaires dont les ostéoblastes, les ostéoclastes et les ostéocytes. Ces activités cellulaires couplées dans le temps sont la cible d’une myriade de facteurs hormonaux et locaux aboutissant à un contrôle extrêmement fin du remodelage. L’intégrité du squelette et le maintien de la masse osseuse dépendent étroitement de l’équilibre créé par l’action coordonnée de ces facteurs sur la résorption et la formation osseuse. Toute situation de déséquilibre dans ces activités cellulaires, liée soit à la carence ou au contraire à l’excès d’un des facteurs régulateurs, peut aboutir à une situation pathologique caractérisée par une perte de masse osseuse telle que celle observée au cours de l’ostéoporose. Notre connaissance des mécanismes cellulaires impliqués dans le remodelage osseux s’est considérablement améliorée au cours de ces dernières années. Il reste néanmoins des interrogations concernant notamment le contrôle des signaux initiant le remodelage osseux et l’identification des facteurs à l’origine du couplage des activités cellulaires. Une meilleure compréhension de ces mécanismes est pourtant indispensable aujourd’hui si on veut découvrir de nouveaux traitements encore plus efficaces des maladies osseuses. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

the skeleton. Trends Endocrinol Metab 2012;May15 [Epub ahead of print]. • Martin TJ, Seeman E. Bone remodelling: its local regulation and the emergence of bone fragility. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab.2008;22(5):701-22. • Neve A, Corrado A, Cantatore FP. Osteocytes: central conductors of bone biology in normal and pathological conditions. Acta Physiol (Oxf) 2012;204(3):317-30. • Raggatt LJ, Partridge NC. Cellular and molecular mechanisms of bone remodeling. J Biol Chem 2010;285(33):25103-8. • Xiong J, O’Brien CA. Osteocyte RANKL: new insights into the control of bone remodeling. J Bone Miner Res 2012;27(3):499-505.