Table ronde : L’ostéoporose de l’enfant
Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 92-4 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01009113/SCO
Régulation du remodelage osseux. Bases physiologiques M. Cohen-Solal*, M.C. de Vernejoul INSERM U349, hôpital Lariboisière, 6, rue Guy Patin, 75010 Paris, France
Le renouvellement du tissu osseux est un processus physiologique visant à remplacer l’os ancien par une quantité équivalente de matrice, ce qui permet ainsi le maintien de la masse osseuse. Le remodelage osseux est un processus continu dans le temps où se produit une phase de résorption par les ostéoclastes suivie d’une phase de formation osseuse par les ostéoblastes. Le couplage entre résorption et formation fait intervenir des interactions entre les cellules osseuses ostéoblastes/ostéoclastes, mais également entre ces cellules osseuses et la moelle hématopoïétique dont sont issus leurs précurseurs, et enfin avec la matrice osseuse. Durant les dix dernières années, des efforts se sont portés sur la compréhension des facteurs régulant le couplage cellulaire. De nombreux travaux ont montré que les interactions cellulaires étaient assurées par des facteurs produits et agissant localement, les cytokines et les facteurs de croissance. Elles ont été étudiées au cours de la perte osseuse post-ovariectomie chez l’animal et chez la femme ménopausée, situation où se produit une perte osseuse. Les cytokines comme l’interleukine (IL) 1, IL-6 et le TNF-α sont produites majoritairement par les cellules stromales et les ostéoblastes, ainsi que par les cellules hématopoïétiques présentes dans le micro-environnement osseux. Cependant, aucune n’est spécifique du tissu osseux et ne permettait une différenciation cellulaire complète in vitro. Depuis 1997, de nouveaux facteurs de différenciation des cellules osseuses ont été découverts permettant une meilleure compréhension des mécanismes du remodelage osseux.
*Correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Cohen-Solal).
FACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA DIFFÉRENCIATION OSTÉOBLASTIQUE Les ostéoblastes sont d’origine mésenchymateuse. Les cellules ostéogéniques sont issues de cellules souches pluripotentes qui se différencient en adipocytes, fibroblastes, myoblastes ou chondroblastes sous l’effet de facteurs de transcription. Récemment, un facteur de transcription de grande importance dans la différenciation ostéoblastique, le Cbfa1/Osf2, a été mis en évidence [1]. Cbfa1 est membre d’une famille de facteurs qui contrôlent de nombreux gènes de développement, dont celui de la différenciation ostéoblastique physiologique. Au cours du développement, Cbfa1/Osf2 est exprimé fortement dans les cellules ostéoprogénitrices. La délétion du gène Cbfa1 chez la souris conduit à l’absence de tissu ossifié qui résulte d’un arrêt de la différenciation ostéoblastique [2]. Les mécanismes moléculaires par lesquels Cbfa1/Osf2 contrôle la différenciation ostéoblastique ont été étudiés. Cbfa1 régule la transcription des gènes de protéines matricielles (ostéocalcine, collagène de type I, sialoprotéine osseuse et ostéopontine) par les ostéoblastes au cours du développement et au cours de la croissance postnatale. Il contrôle aussi la synthèse de la matrice osseuse par le TGF-β, facteur de croissance prépondérant dans la différenciation ostéoblastique. En outre, son expression n’est pas spécifique au tissu osseux car Cbfa1 est aussi exprimé par les chondrocytes dont la différenciation est perturbée chez la souris hétérozygote pour Cbfa1 [2, 3], et au cours du développement dentaire. Par ailleurs, Cbfa1 serait aussi impliqué dans l’ostéoclastogénèse, suggérant que ce facteur pourrait avoir une fonction plus générale dans le contrôle du métabolisme osseux.
Régulation du remodelage osseux
D’autres facteurs peuvent réguler la différenciation des ostéoblastes. Les cellules progénitrices issues des cellules souches du stroma médullaire peuvent changer de voie de différenciation même lorsqu’elles sont déjà engagées dans une voie. Ainsi, en culture, les adipocytes médullaires peuvent revenir au stade de fibroblastes qui peuvent ensuite se redifférencier en ostéoblastes et adipocytes sous l’effet de la leptine [4]. Ces données pourraient ouvrir la voie à d’éventuelles approches thérapeutiques par des traitements favorisant sélectivement la différenciation des cellules stromales vers la voie ostéoblastique. FACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA DIFFÉRENCIATION OSTÉOCLASTIQUE Les ostéoclastes sont des cellules hématopoïétiques. Il était connu de longue date que les précurseurs des ostéoblastes sont indispensables à la différenciation des ostéoclastes à partir des précurseurs communs des ostéoclastes et des macrophages. Ainsi, le facteur de croissance des monocytes, le M-CSF sécrété par les ostéoblastes, est indispensable à la différenciation ostéoclastique, mais il est cependant insuffisant pour induire la différenciation ostéoclastique. La découverte d’un facteur ostéoblastique agissant spécifiquement sur l’ostéoclaste a été réalisée simultanément par un groupe japonais [5] et américain [6], et a permis un développement considérable de la compréhension des mécanismes physiologiques. L’ostéoprotégérine (OPG) est la première molécule identifiée chez le rat et la souris. Cette protéine fait partie des formes solubles des récepteurs au TNF. L’injection de cette protéine ou son hyper-expression conduit à une augmentation de la densité osseuse, et à une ostéopétrose par défaut d’ostéoclastes [7]. L’OPG est exprimée dans de nombreux tissus comme le cœur, le foie, le rein et le cerveau, mais son action principale a surtout été démontrée sur l’os. Le ligand de l’OPG est un puissant inducteur de la résorption osseuse. C’est une cytokine dénommée RANK ligand/TRANCE ou ODF (Osteoclast Differentiating Factor). Cette protéine apparentée au TNF-α est transmembranaire, mais peut aussi être sécrétée dans le micro-environnement. Elle se fixe sur son récepteur RANK exprimé par les monocytes pour induire une différenciation ostéoclastique. RANK-L est exprimé par le tissu lymphoïde, par les cellules préostéoblastiques et par les chondrocytes hypertrophi-
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ques. La forme soluble recombinante du RANK-L injectée à des souris entraîne une hypercalcémie et une hyper-résorption ostéoclastique. Les souris dont le gène du RANK-L est invalidé ont une ostéopétrose et une différenciation incomplète des lymphocytes T et B. Associée au M-CSF in vitro, le RANK-L induit la différenciation de monocytes en ostéoclastes en l’absence de cellules stromales. Il augmente également la résorption par les ostéoclastes isolés en se liant directement sur les récepteurs RANK. Le RANK-L active ainsi des voies de signalisation cellulaire majeure telle que celles de NF-κB et de la Jun kinase qui activeraient des gènes de la différenciation ostéoclastique. L’expression de RANK-L et d’OPG par les cellules mésenchymateuses pré-ostéoblastiques et les ostéoblastes est modifiée par les facteurs qui modulent la résorption osseuse in vivo. Les glucocorticoïdes diminuent l’expression d’OPG par les ostéoblastes [8]. La 1,25 dihydroxyvitamine D, la prostaglandine E2 et la parathormone, qui augmentent la résorption, augmentent le rapport des ARNm de RANK-L/OPG par des ostéoblastes. Le RANK-L apparaît aussi comme un médiateur des effets des cytokines précédemment étudiées. En effet, son expression est induite par l’IL-1 et le TNF-α. Le TGF-β augmente l’expression de RANK-L par les ostéoblastes murins, mais aussi l’expression de RANK par une lignée monocytaire humaine. En outre, le RANK-L permet aussi d’augmenter la survie des ostéoclastes en diminuant leur apoptose. Ce nouveau système de l’OPG et de son ligand semble très important dans le contrôle de la résorption osseuse en physiologie et pourrait avoir des implications importantes pour la physiopathologie et le traitement des pertes osseuses. IMPLICATIONS DU SYSTÈME RANK-L/OPG EN PATHOLOGIE OSSEUSE La découverte de ce facteur a rapidement initié de nombreuses études dans diverses situations où une perte osseuse est observée. Son rôle au cours de l’ostéoporose post-ménopausique n’est pas encore entièrement démontré. Curieusement, les taux sériques d’OPG augmentent avec l’âge et sont élevés chez des femmes ostéoporotiques. En revanche, la
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production par les cellules stromales diminue avec l’âge et, in vitro, l’estradiol augmente la production d’OPG par des lignées ostéoblastiques et stromales. Il existerait donc une régulation locale de la balance OPG/RANK-L qui expliquerait la perte osseuse. De plus, les marqueurs de la résorption osseuse diminuent de 80 % après une injection unique d’OPG à des femmes ménopausées [9]. L’OPG aurait un rôle fondamental dans la perte osseuse observée au cours du myélome. En effet, les surnageants de culture de plasmocytes augmentent l’expression de RANK-L par les cellules stromales médullaires alors qu’ils diminuent celle de l’OPG [10]. De même, l’implication de l’OPG semble aussi probable la maladie de Paget. Les cellules médullaires de patients pagétiques expriment des taux élevés de RANK-L et les précurseurs ostéoclastiques répondent davantage au RANK-L que ceux des patients contrôles. Cette nouvelle molécule offre des perspectives thérapeutiques intéressantes dans le domaine de l’ostéoporose et les pathologies qui s’accompagnent d’hyper-résorption osseuse. En conclusion, des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la biologie des cellules osseuses grâce à la découverte récente de nouveaux facteurs de différenciation. La compréhension des mécanismes physiologiques du remodelage permettra d’améliorer l’approche thérapeutique des maladies osseuses.
RE´ FE´ RENCES 1 Ducy P, Zhang R, Geoffroy V, Ridall AL, Karsenty G. Osf2/Cbfa1 : a transcriptional activator of osteoblast differentiation. Cell 1997 ; 89 : 747-54. 2 Komori T, Yagi H, Nomura S, Yamaguchi A, Sasaki K, Deguchi K, et al. Targeted disruption of Cbfa1 results in a complete lack of bone formation owing to maturational arrest of osteoblasts. Cell 1997 ; 89 : 755-64. 3 Inada M, Yasui T, Nomura S, Miyake S, Deguchi K, Himeno M, et al. Maturational disturbance of chondrocytes in Cbfa1-deficient mice. Dev Dyn 1999 ; 214 : 279-90. 4 Thomas T, Gori F, Khosla S, Jensen MD, Burguera B, Riggs BL. Leptin acts on human marrow stromal cells to enhance differentiation to osteoblasts and to inhibit differentiation to adipocytes. Endocrinology 1999 ; 140 : 1630-8. 5 Yasuda H, Shima N, Nakagawa N, Yamaguchi K, Kinosaki M, Mochizuki S, et al. Osteoclast differentiation factor is a ligand for osteoprotegerin/osteoclastogenesis-inhibitory factor and is identical to TRANCE/RANKL. Proc Natl Acad Sci USA 1998 ; 95 : 3597-602. 6 Lacey DL, Timms E, Tan HL, Kelley MJ, Dunstan CR, Burgess T, et al. .Osteoprotegerin ligand is a cytokine that regulates osteoclast differentiation and activation. Cell 1998 ; 93 : 165-76. 7 Simonet WS, Lacey DL, Dunstan CR, Kelley M, Chang MS, Luthy R, et al. Osteoprotegerin : a novel secreted protein involved in the regulation of bone density. Cell 1997 ; 89 : 309-19. 8 Vidal NO, Brandstrom H, Jonsson KB, Ohlsson C. Osteoprotegerin mRNA is expressed in primary human osteoblast-like cells : down-regulation by glucocorticoids. J Endocrinol 1998 ; 159 : 191-5. 9 Bekker PJ, Holloway D, Nakanishi A, Arrighi M, Leese PT, Dunstan CR. The effect of a single dose of osteoprotegerin in postmenopausal women. J Bone Miner Res 2001 ; 16 : 348-60. 10 Giuliani N, Bataille R, Mancini C, Lazzaretti M, Barille S. Myeloma cells induce imbalance in the osteoprotegerin/ osteoprotegerin ligand system in the human bone marrow environment. Blood 2001 ; 98 : 3527-33.