Presse Med. 2008; 37: 978–981 ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Cas clinique
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Ascite chyleuse après irradiation pelvienne pour une tumeur maligne de l’urètre Asma Ouakaa-Kchaou, Rim Ennaifer, Hela Elloumi, Najet Belhadj, Dalila Gargouri, Asma Kochlef, Afef Kilani, Malika Romani, Jamel Kharrat, Abdeljabbar Ghorbel
Service de gastro-entérologie, Hôpital Habib Thameur, Montfleury, TN-1008 Tunis, Tunisie. Reçu le 20 avril 2007 Accepté le 26 septembre 2007 Disponible sur internet le : 29 février 2008
Correspondance : Asma Ouakaa-Kchaou, Service de gastro-entérologie, Hôpital Habib Thameur, Rue Ali Ben Ayed, Montfleury, TN-1008 Tunis, Tunisie. Tél. : +216 98 38 30 53
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Summary Chylous ascites after pelvic irradiation for urologic malignancy Case > A 74-year-old woman had a history of transitional papillary carcinoma of the urethra, treated with brachytherapy and radiation therapy. She was hospitalized for exploration of chylous ascites. After a work-up, we concluded it was due to chyloperitoneum caused by a post-radiation lymphatic opening. Conservative treatment, including a low-fat high-protein diet, together with medium-chain triglycerides, led to the drying of the ascites. Discussion > Development of chylous ascites after radiation therapy requires first of all a search for a tumor recurrence. Nonetheless, radiation induction must be considered; its course is usually benign with good response to conservative treatment.
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e traitement par radiothérapie des cancers pelviens ou rétropéritonéaux n’est pas sans conséquence sur les viscères abdominaux. Outre l’entérocolite radique, des lésions des voies lymphatiques peuvent apparaître. Ainsi, le suivi après radiothérapie ne devrait pas comprendre uniquement un suivi carcinologique mais aussi un dépistage
Résumé Observation > Une patiente âgée de 74 ans, aux antécédents de carcinome transitionnel papillaire de l’urètre traité par curiethérapie et radiothérapie, a été hospitalisée pour l’exploration d’une ascite chyleuse. Le bilan étiologique a conclu à un chylopéritoine par brèche lymphatique post-radique. Un traitement conservateur comprenant un régime pauvre en graisses et riche en protides, associé à des triglycérides à chaîne moyenne, a permis l’assèchement de l’ascite. Discussion > Le développement d’une ascite chyleuse après radiothérapie devrait faire rechercher en premier lieu une récidive tumorale. Cependant, l’origine radique doit être évoquée, car son évolution est habituellement bénigne avec une bonne réponse au traitement conservateur.
et un traitement précoce des complications propres à la radiothérapie.
Observation Une patiente âgée de 74 ans était hospitalisée pour l’exploration d’une ascite associée à une alternance diarrhée tome 37 > n86 > juin 2008 > cahier 1 doi: 10.1016/j.lpm.2007.09.025
de 2,5 mmol/L, avec un rapport TG dans le LA et TG sérique à 2,5 permettant de retenir le diagnostic d’ascite chyleuse. Devant les antécédents, une cause tumorale, en particulier urogénitale, a été cherchée. La cystoscopie était normale, l’examen gynécologique spécialisé était normal en dehors d’un vagin rétréci séquellaire de la radiothérapie, la tomodensitométrie thoracoabdominopelvienne ne montrait aucun processus tumoral. Devant les troubles du transit et le syndrome carentiel, une fibroscopie oesogastroduodénale et des biopsies duodénales étaient pratiquées ; elles étaient normales. La coloscopie objectivait une sténose colique droite, régulière, fibreuse, infranchissable par le coloscope ; les biopsies étaient peu remaniées. Un complément d’exploration par un lavement baryté montrait un aspect tubulé du rectosigmoïde avec un défaut d’expansion du rectum (figure 1) évoquant une rectosigmoïdite post-radique et une sténose colique droite modérée, circonférentielle, d’allure bénigne et chronique (figure 2). Le bilan tuberculeux était négatif. Une coelioscopie diagnostique était réalisée. Devant la présence d’anses digestives agglomérées, difficiles à disséquer, une conversion était faite, permettant une adhésiolyse. L’aspect
Figure 1
Figure 2
Aspect tubulé du recto-sigmoïde au lavement baryté
Sténose colique droite régulière au lavement baryté
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constipation, évoluant dans un contexte d’altération de l’état général. Elle avait comme antécédents un kyste hydatique du foie opéré en 1996, un cystadénome séreux de l’ovaire opéré en 2002 et un carcinome transitionnel papillaire de l’urètre stade II pour lequel elle a eu en 2004 une irradiation pelvipérinéale suivie d’une radiothérapie interstitielle (devant le stade de la tumeur et le siège juxta-méatique). À l’examen, elle avait un état général altéré (amaigrissement et anorexie), une pâleur cutanéomuqueuse et une ascite de grande abondance. À la biologie, il y avait une anémie ferriprive à 5 g/dL avec une leucopénie à 3 200/mm3, le taux de lymphocytes était normal. Par ailleurs, on notait une hypocholestérolémie à 2,2 mmol/L et une hypoalbuminémie à 28,6 g/L, la calcémie corrigée était normale à 2,25 mmol/L. Il n’y avait pas de syndrome inflammatoire biologique. Les bilans hépatique et rénal étaient normaux. La ponction exploratrice du liquide d’ascite (LA) montrait un liquide d’aspect lactescent, exsudatif (albumine à 30 g/L) et paucicellulaire (éléments blancs à 125/mm3). La recherche du bacille de Koch et de cellules néoplasiques était négative. Par ailleurs, le taux de triglycérides (TG) dans le LA était
Cas clinique
Ascite chyleuse après irradiation pelvienne pour une tumeur maligne de l’urètre
A Ouakaa-Kchaou, R Ennaifer, H Elloumi, N Belhadj, D Gargouri, A Kochlef et al.
Figure 3 Lympho-scintigraphie ne montrant pas d’extravasation de liquide lymphatique
macroscopique cadrait avec un grêle radique. La clairance de l’alpha1 anti-trypsine était normale, éliminant le diagnostic d’entéropathie exsudative post-radique. Bien que la lymphoscintigraphie pédieuse n’ait pas montré d’extravasation de liquide lymphatique dans la cavité péritonéale (figure 3), et après avoir éliminé toutes les autres causes d’ascite chyleuse, le diagnostic d’une ascite chyleuse post-radique associée à une colite radique semblait le plus probable. Un traitement conservateur comprenant un régime pauvre en graisses et riche en protides, associé à des triglycérides à chaîne moyenne et à la spironolactone, avait permis l’assèchement de l’ascite, mais le recul était encore insuffisant pour juger l’efficacité de ce traitement à long terme.
Discussion
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Le développement d’une ascite chyleuse après radiothérapie devrait faire rechercher en premier lieu une récidive tumorale. Cependant, l’origine radique doit être évoquée, car son évolution est habituellement bénigne avec une bonne réponse au traitement conservateur.
L’ascite chyleuse est caractérisée par son aspect lactescent. Son diagnostic dépend du taux de TG dans le LA. Typiquement, celui-ci est supérieur à 2 g/L bien que certains auteurs utilisent un seuil de 1,1 g/L [1], alors que d’autres auteurs définissent l’ascite chyleuse en tenant compte du rapport TG dans le LA et TG sérique qui doit être entre 2 et 8 fois [2]. Ce critère permet d’éliminer les ascites chyliformes qu’on peut voir au cours des carcinoses péritonéales ou des péritonites [2]. Pour notre patiente, le rapport était de 2,5. Les causes des ascites chyleuses sont multiples, elles sont toutes secondaires à l’extravasation de la lymphe dans la cavité péritonéale, à travers les canaux lymphatiques. Parmi les causes acquises, l’origine néoplasique est la plus fréquente chez l’adulte. La tumeur peut être à l’origine d’une brèche au niveau d’un canal lymphatique, elle peut également l’envahir ou le comprimer. Les tumeurs les plus fréquemment en cause sont essentiellement les lymphomes, puis viennent les tumeurs digestives et urogénitales [2,3]. Pour cette patiente, les antécédents de carcinome de l’urètre nous avaient fortement fait suspecter une récidive ; de même, une origine ovarienne était à éliminer devant les antécédents de cystadénome séreux de l’ovaire. Les causes postopératoires sont également fréquentes, et se voient surtout en cas de dissection rétropéritonéale proche des ganglions lymphatiques. Chez notre malade, les interventions subies ne comportaient pas a priori de tels gestes, et le délai entre l’apparition de l’ascite chyleuse et les opérations contredisait ce diagnostic. Après les causes tumorales et postopératoires viennent les causes inflammatoires (pancréatite, péricardite restrictive, fibrose rétropéritonéale, sarcoïdose, maladie coeliaque, maladie de Whipple, etc.), en particulier la radiothérapie. Celle-ci entraîne une fibrose des vaisseaux lymphatiques de la paroi intestinale et du mésentère. L’obstruction de ces vaisseaux entrave l’écoulement de la lymphe, qui s’extravase. L’ascite chyleuse post-radique a été rapportée dans la littérature de façon anecdotique, essentiellement sous forme de cas clinique. Dans une série étudiant 207 patientes ayant été irradiées pour néoplasies gynécologiques, 3 % ont développé une ascite chyleuse [4]. L’étude de ces cas a permis d’évaluer le délai entre l’irradiation et l’apparition de l’ascite à 12 mois avec des extrêmes allant de 6 à 18 mois. Pour notre patiente, le délai était de 18 mois. Néanmoins, un délai de 18 ans pour un patient irradié pour séminome a été rapporté en 2001 [5]. Les autres causes d’ascite chyleuse sont : infectieuses (notamment la tuberculose) qui constituent la premie`re cause d’ascite chyleuse dans les pays sous de´veloppe´s ; la cirrhose ; traumatiques ; cardiaques (insuffisance cardiaque droite, cardiomyopathie dilate´e) ; tome 37 > n86 > juin 2008 > cahier 1
re´nales (syndrome ne´phrotique) ; conge´nitales (hypoplasie ou hyperplasie lymphatique). Toutes ces causes ont été éliminées chez cette patiente. Le diagnostic d’ascite chyleuse est habituellement fait sur l’analyse du LA. La lymphographie et la lympho-scintigraphie peuvent montrer une extravasation de la lymphe à travers une brèche, mais lorsque celle-ci est mésentérique, elles sont peu contributives [3]. La laparoscopie et laparotomie sont réalisées dans un but à la fois diagnostique et thérapeutique, permettant soit une suture de la brèche si celle-ci est retrouvée, soit une résection d’un segment grêlique [2,3,6]. Le traitement est initialement médical avec un taux de succès de 67 % selon la revue d’Aalami [2]. Il comporte un régime hypolipidique associé à des TG à chaînes moyennes. La restriction en TG à chaîne longue évite leur transformation en mono
glycérides et acides gras libres qui sont transportés sous forme de chylomicrons vers les vaisseaux lymphatiques. Par contre, les TG à chaîne moyenne sont absorbés directement dans l’intestin et transportés sous forme de glycérol et acides gras libres vers le foie via la veine porte. Ce traitement permet ainsi de diminuer le débit lymphatique, mais il est astreignant, limitant ainsi son observance [3]. Les diurétiques et les paracentèses itératives peuvent y être associés. En cas de nonréponse, une nutrition parentérale totale pendant 3 semaines est indiquée, permettant souvent une amélioration clinique [2,3]. Le traitement chirurgical reste réservé aux échecs du traitement médical ; il comprend le shunt péritonéo-jugulaire, la résection intestinale et la suture de la brèche lymphatique [2].
Cas clinique
Ascite chyleuse après irradiation pelvienne pour une tumeur maligne de l’urètre
Conflits d’intérêts : aucun
Références [2]
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