PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
Asynchronisme et resynchronisation ventriculaire D. Babuty, N. Zannad, L. Fauchier Cardiologie B, Pôle CTVH, hôpital Trousseau, CHU de Tours
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L
e développement des méthodes de resynchronisation ventriculaire chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque a relancé les études physiopathologiques expérimentales ou non sur le remodelage induit par l’aynchronisme cardiaque lié au bloc de branche, sa valeur pronostique ainsi que les études sur l’impact de la resynchronisation ventriculaire sur le remodelage ventriculaire, la morbidité et la mortalité dans l’insuffisance cardiaque.
Couplage excitation contraction Dans le cœur la contraction musculaire est dépendante de l’activité électrique cardiaque, on parle de couplage excitation-contraction. L’excitation électrique de la cellule cardiaque par un brusque changement de potentiel (potentiel d’action, PA) s’accomLe délai entre pagne d’une entrée de calcium le début de l’activité dans la cellule qui provoque elleélectrique et celui de la contraction, dit délai même une libération par le reticulum sarcoplasmique de calcium électromécanique, dans le cytosol (calcium-induced n’est pas identique entre calcium-release) qui se fixe aux le ventricule droit protéines contractiles induisant la et gauche. contraction [1]. Le couplage excitation-contraction peut être enregistré à tous les niveaux de la cellule à l’organe entier (figure 1). L’activation mécanique est de ce fait dépendante de l’onde de dépolarisation qui gagne le myocarde ventriculaire par le faisceau de His et le réseau de Purkinje composés de cellules spécialisées dans l’automaticité et la propagation de l’activité électrique (tissu nodal). La vitesse de conduction est très rapide dans le faisceau de His et le réseau de Purkinje (1 à 5 m/sec) afin de synchroniser la contraction des deux ventricules. 24
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Dans les ventricules l’onde de dépolarisation emprunte un chemin complexe et asymétrique dépendant de la distribution des branches du faisceau de His, du réseau de Purkinje, de l’orientation des fibres myocardiques (notion d’anisotropie) et des variations de durée du PA au sein du tissu musculaire. La propagation est plus rapide dans la branche gauche du faisceau de His pour atteindre après 50 ms les points de jonction Purkinjemuscle puis diffuser dans les cellules musculaires. Le temps d’activation de l’ensemble de la masse ventriculaire est de l’ordre de 100 ms. Ces séquences d’activation électriques ont été étudiées expérimentalement puis modélisées [2].
Contraction ventriculaire La contraction ventriculaire sous la dépendance de l’onde d’excitation électrique est de ce fait un phénomène complexe de torsion qui s’effectue dans trois directions longitudinale, radiale et circonférentielle. L’amplitude même de la contraction n’est pas homogène. Selon la direction de la contraction le gradient d’amplitude varie de l’apex vers la base et du septum vers la paroi antérieure et la paroi inférieure. Cette complexité a pour but d’optimiser la quantité de sang éjecté du ventricule lors de la systole. Le délai qui s’écoule entre le début de l’activité électrique et le début de la contraction définit le délai électromécanique, paramètre qui est utilisé pour rechercher à l’échocardiographie par exemple un asynchronisme de contraction. Il faut signaler que ce délai n’est pas le même au niveau ventriculaire droit et gauche (de l’ordre de 65 et 40 ms respectivement) en l’absence de toute pathologie. AMC pratique n n°177 n avril 2009
D.Babuty, et al.
Muscle papillaire ventricule droit — rat 0,1 Hz
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Cathétérisme cardiaque gauche
Figure 1. Couplage excitation-contraction.
Asynchronisme ventriculaire La survenue d’un trouble de la conduction dans l’une des branches du faisceau de His ou dans le réseau de Purkinje lui même, entraîne un allongement du temps d’activation électrique ventriculaire et un allongement du temps d’activation mécanique à l’origine d’un asynchronisme de contraction. Le trouble conductif ventriculaire le plus fréquemment impliqué dans l’insuffisance cardiaque et le plus étudié est le bloc de branche gauche. Dans ce cas, le ventricule droit est normalement dépolarisé par la branche droite du His et le réseau de Purkinje alors que le ventricule gauche est activé via une propagation de l’onde de dépolarisation d’une cellule musculaire à l’autre. Dans cette situation le temps d’activation électrique est de l’ordre de 140 ms définit sur l’ECG par un complexe QRS > 120 ms. Le temps d’activation mécanique est lui aussi allongé avec une contraction ventriculaire droite précédent la contraction ventriculaire gauche très retardée et inhabituelle au niveau de la paroi latérale. Les effets de l’asynchronisme de contraction sur la performance myocardique ventriculaire ont été signalés depuis fort longtemps par Wiggers en 1925. L’asynchronisme de contraction est à l’origine d’un remodelage ventriculaire qui se traduit par une modificaAMC pratique n n°177 n avril 2009
tion régionale de l’expression de protéines impliquées dans la contraction et relaxation comme SERCA2a et Phospholamban [3], par une hypoperfusion du septum interventriculaire au profit de la paroi latérale associée à une hypokinésie septale et une hyperkinésie/ hypertrophie latérale [4-5]. Les conséquences hémodynamiques du remodelage et de l’asynchronisme sont un chevauchement systole/diastole, une insuffisance mitrale et une baisse de la fonction contractile qui vont se traduire par une dilatation du ventricule gauche et une baisse de la fraction d’éjection.
Signification pronostique de l’asynchronisme Alors que de nombreux travaux ont été réalisés pour déterminer les conséquences physiologiques d’un asynchronisme induit par un bloc de branche gauche ou une stimulation ventriculaire droite, peu de travaux ont analysé la valeur pronostique du bloc de branche gauche et de l’asynchronisme de contraction. Dans une population indemne d’insuffisance cardiaque, le bloc de branche gauche dont la fréquence augmente avec l’âge est uniquement un facteur indépendant de mortalité 25
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Asynchronisme et resynchronisation ventriculaire
par insuffisance cardiaque (RR : 3,08). La valeur pronostique du bloc de branche gauche dans l’insuffisance cardiaque est controversée. Considérée comme un facteur indépendant de surmortalité (RR : 1,36) à un an par Baldasseroni en 2002 dans une large population d’insuffisant cardiaque (n = 5 517 patients), cette valeur a été contestée par l’équipe suédoise de Tabrizi en 2007. Dans cette étude portant sur 21 685 patients le bloc de branche gauche n’était pas un facteur indépendant de mortalité après ajustement des différences cliniques. Une population plus sévère dans l’étude suédoise semble expliquer la discordance de ces résultats. L’asynchronisme de contraction a fait l’objet de peu d’études. Nous avions identifié en 2002 [6] dans une population de cardiomyopathie dilatée primitive que l’asynchronisme intraventriculaire gauche était un excellent marqueur d’évènements cardiovasculaires (RR : 3,4) ; ceci a été confirmé quelques années plus tard par Bader et Garrigue.
cardiaque et décès subite chez les patients recevant une resynchronisation comparativement aux patients traités médicalement. La resynchronisation cardiaque est de ce fait reconnue une indication de classe I-a dans les dernières recommandations internationales 2008 pour les patients en classe III-IV de la NYHA sous traitement bien conduit avec une fraction d’éjection du ventricule gauche ≤ 35 % avec dilatation du ventricule gauche, en rythme sinusal avec une durée des QRS ≥120 ms. Cette amélioration clinique est associée à la réversibilité du remodelage ventriculaire qui se traduit au niveau moléculaire par une baisse des protéines de la matrice extracellulaire telles que la tenascin-C et les métalloprotéines kinases 9 et une augmentation de l’apelin contemporain d’une baisse du NT-proBNP. Le remodelage s’accompagne d’une diminution de taille du ventricule gauche et une augmentation de la fraction d’éjection.
Resynchronisation ventriculaire – Résultats
Problèmes en suspens
Le concept de resynchronisation ventriculaire a été initié par Cazeau avec l’implantation d’une sonde de stimulation du ventricule gauche via le sinus coronaire associée à une stimulation ventriculaire droite apicale. Différentes configurations de stimulation on été par la suite analysées (ventriculaire gauche unique, stimulation ventriculaire droite septale) sans preuve de leur supériorité. Depuis la première étude randomisée publiée par Cazeau [7], de nombreuses études sont venues confirmer ses résultats initiaux : amélioration de la qualité de vie, amélioration fonctionnelle des patients, amélioration de la capacité à l’effort. L’amélioration fonctionnelle s’accompagne d’une baisse significative du nombre d’hospitalisations (– 50 % environ) toutes causes confondues dont l’insuffisance cardiaque bien entendu. Plus récemment en 2007, l’extension de l’étude CARE-HF a démontré à 3 ans une baisse significative de la mortalité globale, de la mortalité par insuffisance 26
Bien que la sélection des patients candidats à une resynchronisation repose sur la l’allongement du QRS au-delà de 120 ms, la relation entre durée du QRS et l’asynchronisme mécanique est loin d’être clairement établie. Les méthodes d’évaluation de l’asynchronisme ne sont pas parfaites, l’échocardiographie, méthode la plus répandue, a montré ses limites dans l’étude PROSPECT. D’autres méthodes, IRM, gamma angiographie, ne sont pas toujours faciles d’accès. Le faible nombre d’études portant sur les mécanismes biologiques à l’origine du remodelage « inverse » induit par la stimulation biventriculaire ne permet pas une compréhension globale de l’effet thérapeutique et concoure probablement à l’incompréhension du nombre élevé de patients non répondeurs à la stimulation biventriculaire (20 à 40 %). L’identification de ces patients non répondeurs est l’étape indispensable dans la prise en charge des patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Conflit d'intérêt : aucun. AMC pratique n n°177 n avril 2009
D.Babuty, et al.
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Références [1] Lompré AM, Lipskaia L, Fauconnier J, Lacampagne. Couplage excitation-contraction et excitation-transcription. In Biologie et pathologie du cœur et des vaisseaux. Patrick Lacooley, Dominique Babuty, Chantal Boulanger, Bijan Ghaleh, Gervaise Loirand, Florence Pinet, Jane-Lise Samuel. John Libbey 2007, pages 115-124. [2] Ten Tusscher K, Panfilov A. Modelling of the ventricular conduction system. Progress Biophys Mol Biol 2008;96:152-70. [3] Spragg D, Leclerq C, loghmani M, et al. Regional alterations in protein expression in the dyssynchrnous failing heart. Circulation 2003;108:929-32. [4] Kyriakides Z, Manolis A, Kolettis T. The effects of ventricular asynchrony on myocardial perfusion. Int J Cardiol 2007;119:3-9. [5] Vernooy K, Verbeek X, peschar M. Left bundle branch block induces ventricular remodelling and functional septal hypoperfusion. Eu Heart J 2005;26:91-8.
AMC pratique n n°177 n avril 2009
[6] Fauchier L, Marie O, Casset-Senon, et al. Inter et intraventricular dyssynchrony in idiopathic dilated cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 2002;40:2022-30. [7] Cazeau S, Leclercq C, Lavergne T et al. Multisite stimulation in cardiomyopathies study investigators (MUSTIC). Effects of multisite biventricular pacing in patients with heart failure and intraventricular conduction delay. N Engl J med 2001;344: 87380.
En pratique L’amélioration clinique est associée à la réversibilité du remodelage du ventricule gauche.
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