Atelier portrait : médiation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blessé de guerre

Atelier portrait : médiation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blessé de guerre

G Model AMEPSY-1670; No. of Pages 6 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Me´moire Atel...

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AMEPSY-1670; No. of Pages 6 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Me´moire

Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre Portrait workshop: Artistic mediation for a narcissistic reconstruction in a context of war wounded Anne Se´ne´quier *, Saleh Faleh, Catherine Jousselme Fondation Valle´e, unite´ Anna, 7, rue Benserade, 94250 Gentilly, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 17 octobre 2012 Accepte´ le 30 novembre 2012

Apre`s l’urgence chirurgicale du traumatisme physique vient le temps de la reconstruction faciale, physique, mais aussi psychique, moins visible et parfois bien plus complexe. L’auteur se base sur le travail clinique d’un atelier the´rapeutique autour du portrait, plus pre´cise´ment en se re´fe´rant a` deux se´quences cliniques de ce groupe pour examiner les liens e´troits entre la cre´ation et la restauration de l’image de soi. Cette e´tude monocentrique a e´te´ mene´e dans une unite´ de chirurgie re´paratrice a` Amman (Jordanie), avec pre`s de 200 victimes civiles de la guerre civile en Irak sur une dure´e de six mois. Ce travail sur le terrain permet de mettre a` jour la diversite´ des me´canismes et des e´tapes par lesquelles passent les mutile´s de guerre afin de se reconstruire une identite´. A` travers l’atelier portrait apparaıˆt la symbolisation de la phase de´pressive qui pre´ce`de la reconstruction identitaire. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Guerre Image du corps Mutile´s Portrait Reconstruction identitaire

A B S T R A C T

Keywords: Body image Identity reconstruction Mutilated Portrait War

Reconstruction comes after the surgical intervention for a physical trauma. The rebuilding of the face involves psychological as well as physical processes. The psychological aspect of reconstruction is less visible but more complex. The findings of therapeutic workshops based on the concept of ‘‘the face’’ have been invaluable. Clinically, the workshops referred specifically to an examination of the links between the creation of and restoration of self-image. This six-month long, mono-centric study took place in a surgical ward in Amman (Jordan) which treated almost 200 civilian casualties of the Iraqi civil war. The results improve our knowledge of the diversity of the mechanisms and stages that the casualties experienced to rebuild their identity. The first stage was to ask the patients to draw a self-portrait. All the patients portrayed themselves before their trauma. Then they were then asked to draw themselves as they were ‘‘now’’, ie: after the trauma. Dira, a young burns patient, looked at himself in a mirror for the first time since the accident. For his second self-portrait he chose a variety of different papers and materials to portray the scars and the different textures of his skin. Another child used stickers to portray himself like a mosaic. Most of the patients started their work with a pencil paper and drew an oval. This portrayed the ‘‘real face’’, the one hidden under the scars, the burnt skin, the bandages. . . Hidden, like in Dira’s self-portrait, under the different layers of paper. By hiding his original face, which was still there but unattainable, he portrayed his loss and fragility. It can be seen from this workshop that the whole body image is modified after physical trauma. The intensity of the care, the pain, and the bandages is an emotional investment. They become a type of protection but also an obstacle to the process of restoring the body image. The perception of one’s body as ‘‘damaged’’ causes a serious imbalance of the patient’s self-image because of the emotional association with a deep feeling of fragility. In turn, this sense of physical fragility is closely connected to its mental equivalent. The patient’s spirit goes through a destructive phase because of the external and internal emotional overload. This mechanism, which drives the body image, can slow down mental development when the patient is a child or a teenager. This destructive stage of recovery precedes the reconstruction of the patient’s identity. The therapeutic

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Se´ne´quier). 0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

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workshop illustrates the symbolic importance of this stage by exposing the link between the wish to gather together the fragmented body image post-trauma and the cutting-out that Dira did for his posttrauma self-portrait. The patient rebuilds his self-image by gathering it together piece by piece. Therapeutic workshops and individual therapy enables patients to verbalize their anxieties. Therapy helps them to overcome their fear of the physical reality of their trauma and to reconstruct their psychological identity simultaneous to the surgical reconstruction. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction C’est un de ces points chauds du globe, ou` se rendre a` l’e´cole, au travail ou au marche´ peut emmener bien plus loin que sur la place voisine. La « mode » est a` la voiture pie´ge´e. . . Apre`s avoir subi ˆ lures et de´labrement physique, comment se reconstruire ? A` bru travers cette activite´ the´rapeutique, l’atelier « Portrait » travaille sur l’image et la reconnaissance de soi apre`s le traumatisme qui en moins d’une seconde a transforme´ le corps et sa repre´sentation. Quelle est la relation entre l’image du corps et son ressenti ? Comment accepter la modification de son corps de fac¸on si impromptue et brutale ? L’hypothe`se de travail est l’ame´lioration de la reconstruction narcissique de blesse´s graves au niveau du visage a` travers un atelier the´rapeutique « Portrait ». 2. Me´thode Ce travail est une e´tude observationnelle monocentrique prospective. Le mate´riel pour notre travail s’est base´ sur diffe´rents e´le´ments : des informations cliniques, re´sultats d’analyses de comptes rendus d’activite´ the´rapeutique, d’observations recueillies pendant les sessions par l’e´quipe me´dicale, ainsi que les entretiens avec les patients et leurs familles a` diffe´rents moments du travail. Le sujet de notre travail a e´te´ re´alise´ avec un groupe de patients en hospitalisation moyen et long se´jour, sur le programme de chirurgie re´paratrice d’une organisation non gouvernementale (ONG) me´dicale a` Amman (Jordanie). Ce programme proposait une reprise ope´ratoire aux civils victimes d’attentat. En pe´riode de conflit, le syste`me de sante´ mis a` mal n’e´tait plus en e´tat de faire face a` l’afflux permanent de patients, et se concentrait alors sur les urgences vitales, laissant les patients ne´cessitant des soins de suite livre´s a` eux-meˆmes. Pour son programme, l’ONG recrutait ses patients via des me´decins « sentinelles » en Irak, sur dossier me´dical, qui les adressaient ensuite au centre de soins en Jordanie. Les patients quittaient donc leur pays, leur famille et parfois leur emploi pour ce « deuxie`me temps ope´ratoire », qui, loin des 21 jours dans un premier temps annonce´, montait bien souvent a` plus de 120 jours. Il e´tait question de reprise sur des chirurgies re´paratrices, plastiques, orthope´diques et otorhinolaryngologique (ORL). Les patients pre´sentaient ˆ lures, perte de substance et/ou de des blessures de types bru fonctionnalite´ sur les diffe´rents membres et/ou le visage. Une fois sur place, les patients traversaient trois phases distinctes :  la phase pre´ope´ratoire ; une a` deux semaines (parfois plus) partage´es entre les examens comple´mentaires et visites me´dicales ;  la phase d’hospitalisation dans le service de chirurgie ; de quelques jours a` plusieurs semaines en fonction des patients ;  la phase postope´ratoire, avec les soins infirmiers et la re´e´ducation (si ne´cessaire). Les phases pre´- et postope´ratoires se de´roulaient dans les meˆmes locaux, un hoˆtel loue´ par l’association.

La prise en charge psychologique et psychiatrique des patients a lieu tout au long des trois phases initialement de´crites, et c’est donc durant toute cette pe´riode (y compris lors de l’hospitalisation lorsque l’e´tat du patient le permet) que sont propose´s les diffe´rents ateliers the´rapeutiques : groupes de paroles, histoires, nouvelles du pays, portrait. . . L’activite´ portrait e´tait encadre´e par un me´decin psychiatre et deux animatrices, et prenait place une fois par semaine dans une salle de l’hoˆtel. La salle e´tait baigne´e de lumie`re, avec de nombreux fauteuils ainsi qu’une grande armoire qui renfermait le mate´riel des diffe´rents ateliers et quelques magazines et livres offerts par un quotidien local. Au centre de la pie`ce, une grande table en face de laquelle troˆne un miroir en pied, vestige de l’ancienne chambre d’hoˆtel. L’activite´ « portrait » a eu lieu de mai 2009 a` octobre 2009. Y participaient alors une trentaine de patients chaque mois, patients parfois diffe´rents chaque semaine en fonction de leurs temps ope´ratoires et de leurs retours en Irak (Tableau 1). Dans un premier temps, les patients participant a` l’activite´ sont majoritairement des enfants blesse´s au niveau du visage, mais par la suite et a` la demande des autres patients, tous les volontaires sont accepte´s dans l’activite´. Cependant, les blessures au visage ˆ lures, re´traction cutane´e, sont majoritaires, il est question de bru cicatrices che´loı¨des, alope´cie, greffes de peau, perte d’un œil ou d’une oreille. . . L’activite´ « portrait » est propose´e sous diffe´rentes modalite´s. Ne´anmoins, dans un premier temps, afin d’e´valuer les patients et de favoriser la libre association, il n’y a qu’une consigne : « Dessinez-vous ». Le mate´riel mis a` la disposition des patients est multiple et varie´ : peinture, feutres, crayons gris et de couleurs, paˆte a` modeler, gommettes. . . C’est apre`s la demande d’un enfant qu’ont e´te´ introduits les magazines et feuilles de couleurs et textures diffe´rentes pour faire des de´coupages. La consigne a e´volue´ dans un deuxie`me temps : « Faire son portrait tel que l’on est aujourd’hui. » 3. Re´sultats Les premie`res se´ances mettent en place l’activite´, la consigne : « Dessinez-vous » ne comporte pas d’e´le´ment de temporalite´ et naturellement tous les patients se repre´sentent avant l’accident. Aucun des dessins ne pre´sente de cicatrice, blessure ou meˆme le handicap. Une jeune fille a meˆme dessine´ la personne qu’elle aimerait eˆtre : un he´ros de manga (Fig. 1). C’est un garc¸on roux aux Tableau 1 Nombre de patients ayant participe´ a` l’atelier portrait, de mai a` octobre 2009. Mois

Mai

Juin

Juillet

ˆt Aou

Septembre

Octobre

Homme adulte Femme adulte Jeune garc¸on Jeune fille Total Total des patients dans le programme de chirurgie

4 8 9 13 34 416

7 6 9 5 27 197

4 8 12 4 28 151

8 7 11 3 29 161

7 10 12 5 34 137

6 9 10 3 28 145

Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

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Fig. 1. Le he´ros qu’une jeune fille aimerait eˆtre.

yeux bleus qui a la particularite´ d’eˆtre indestructible, tout ce que n’est pas cette jeune fille. Lors des se´ances suivantes, la consigne suivante a e´te´ donne´e : « Faire son portrait tel que l’on est aujourd’hui », afin de remettre la temporalite´ au pre´sent. Tous se mettent a` l’ouvrage, et apparaissaient sur les dessins bandages et cicatrices grossie`res. ˆ le´ au troisie`me degre´ qui avait de´ja` subi Dira, jeune garc¸on bru de nombreuses ope´rations, e´tait a` ce moment-la` en attente d’une autogreffe cutane´e. Il portait un « ballon-extenseur tissulaire » sur ˆ le´ sur tout le haut du craˆne afin de combler son alope´cie. Il e´tait bru le visage. Il a commence´ son dessin au crayon gris avec la forme arrondie de son visage, a place´ les yeux, le nez et la bouche toujours au crayon gris, puis s’est arreˆte´. Il a releve´ le crayon de la feuille, a he´site´ plusieurs fois et, de guerre lasse, il a repose´ son crayon dans un soupir de de´pit. Pendant trois se´ances, Dira a bloque´ a` ce moment-la`, plusieurs fois il est venu demander au the´rapeute de le dessiner pour lui. Devant le refus de celui-ci, Dira s’est attable´ de nouveau et a commence´ a` chercher une solution du regard. Il a

Fig. 2. Autoportrait de Dira.

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aperc¸u le miroir face a` lui, dans la volonte´ de suivre la consigne, Dira s’est dirige´ alors vers celui-ci. Il semble que ce fut la premie`re fois qu’il observait le miroir d’un œil objectif. Il touchait son visage de´forme´ aux textures et couleurs diffe´rentes et s’est retourne´ inquiet vers la salle. Tout le monde e´tait affaire´ a` sa taˆche, et le regard inquiet de Dira n’a pas trouve´ d’autre e´cho qu’un sourire d’un de ces camarades. Le sourire qu’il a rec¸u a su de´samorcer son inquie´tude, et Dira a pu retourner alors a` son dessin qu’il peut enfin commencer (Fig. 2). Dira s’est alors dirige´ vers l’armoire ou` tout le mate´riel e´tait range´ et a longtemps observe´ les diffe´rents papiers avant de choisir un papier e´pais dans les tons bruns et sombre. Il a de´coupe´ ainsi des aplats qui repre´sentaient ses cicatrices et ses greffes de peau. Les joues sombres et e´paisses e´taient barde´es de cicatrices, le front plus clair e´tait de´ja` greffe´, plus lisse et plus en harmonie avec sa carnation. Tous ces e´le´ments, qui diffe`rent par la couleur et la texture, se sont rajoute´s a` son dessin initial. Ces « choses en plus » comme il les nommait en commentant son dessin, cachaient sa ve´ritable identite´. Dans la salle, un tout jeune enfant qui ne sait pas encore bien dessiner demande des gommettes. Hussein, jeune garc¸on blesse´ au visage par une voiture pie´ge´e, regardait le jeune enfant et ses gommettes. Comme Dira et les autres, Hussein commenc¸ait son dessin par une base standard, toujours au crayon gris. Il esquissait l’ovale de son visage avec la bouche, le nez et les yeux. Pour la suite, Hussein, inspire´ par les gommettes, a demande´ a` faire son portrait avec des de´coupages (re´cupe´re´s d’un atelier de cre´ation libre) pour repre´senter les diffe´rences de couleurs et de structures de sa peau ˆ le´e. Morceau apre`s morceau, le portrait a pris forme et son bru identite´ reconstruite. Jusqu’au moment ou`, victorieux, il s’est approche´ du the´rapeute en tendant son dessin : « Voila`, c’est moi ! » (Fig. 3). Progressivement, les autres participants s’approprient la technique de la mosaı¨que qu’a utilise´e Hussein, qui est devenu alors une consigne tacite du groupe. Au fur et a` mesure des se´ances, l’atelier portrait dans la continuite´ des prises en charge individuelles devient le lieu des questionnements. Le climat cre´e´ permet une verbalisation des angoisses et interrogations autant sur leur avenir imme´diat et a` plus long terme que sur les repre´sentations psychiques qu’ils en font. « Pourquoi ma bouche ne tombe que d’un coˆte´ du visage ? Pourquoi ma peau ressemble a` du carton ? Que peut-on faire

Fig. 3. Autoportrait d’Hussein.

Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

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maintenant ? Pourquoi on ne peut pas tout faire en une ope´ration ? Combien de temps ? Et si c¸a ne marche pas ? ». Comprendre les me´canismes sous-jacents a` la cicatrisation, la temporalite´ des chirurgies, aide a` l’acceptation. On note beaucoup de questions de physiologie, d’anatomie de la part des patients lors des se´ances. Questions qui ame`nent chacun des patients a` envisager un apre`s, un projet, un travail, ou tout simplement une vie. 4. Discussion Les ateliers a` me´diation corporelle font intervenir les niveaux les plus archaı¨ques de la symbolisation, l’image de soi, la repre´sentation de ce que l’on est. C’est donc sans surprise que la totalite´ du groupe s’est repre´sente´e tel qu’ils se voyaient avant « l’accident », voire a` travers une repre´sentation fantasmatique de leurs identite´s, comme cette petite fille qui s’est dessine´e sous les traits d’un he´ros de bande dessine´e. Les patients sont soumis a` de fortes charges e´motionnelles allant du plaisir de re´ussir a` l’angoisse de l’objectivation et la permanence des blessures. Ils vont petit a` petit se re´approprier leurs images par le biais de la confrontation au miroir, et par le dessin. Il a fallu plusieurs se´ances pour qu’un jeune garc¸on (Dira) puisse s’approcher du miroir, ce qui a servi de catalyseur pour le reste du groupe qui a pu voir le miroir comme un outil et non comme un « ennemi ». Dans un premier temps, avec e´norme´ment de recul, Dira (puis les autres patients) regardait son reflet sans le conside´rer comme sien. Il e´tait attentif aux couleurs, formes et aspects de pansements, cicatrices, pour ensuite eˆtre capable d’y voir les affects que cette vision lui renvoyait. Le miroir est une e´preuve difficile ou` la re´alite´ se fait cruelle et implacable. Le temps de reprise chirurgicale, par de´finition a` distance de l’e´ve´nement initial, est difficile a` ge´rer pour les patients. Apre`s le choc initial, il leur faut apprivoiser l’aspect de la blessure en inte´grant sa dimension destructrice, e´volutive et permanente. Faire le deuil de l’inte´grite´ corporelle alors que les diffe´rentes reprises chirurgicales remanient (tente de reconstruire) ce corps en constante e´volution. Ge´rer l’espoir de retrouver son « eˆtre » par « l’avoir » : avoir une syme´trie dans un visage, avoir un œil. . . Se reconnaıˆtre. S’adapter en permanence, chaque ope´ration apporte un nouveau lot d’espoirs et de de´ceptions ; cette constante e´volution demande un effort psychique rapidement e´puisant. Alors que parfois le patient avait fait le deuil de telle fonctionnalite´ ou apparence, il remet en jeu une certaine se´re´nite´, acceptante, en re´introduisant l’espoir avec le risque d’une de´ception plus grande si cela n’aboutissait pas. Cette phase rame`ne les patients a` des re´actions de stress aigu, ou` les re´actions de l’entourage ont un impact significatif sur l’estime de soi et influencent la gue´rison. C’est en cela que l’accompagnement psychologique est primordial dans ce genre de programme : prendre du recul et arriver a` eˆtre objectif sur l’indescriptible, amoindrir les affects, comprendre. Le contexte personnel particulier de ces victimes de guerre amplifie et catalyse les souffrances, souvent jusqu’a` l’e´tat de´pressif, en entraıˆnant un cercle vicieux auquel il est difficile d’e´chapper. Pour les patients du programme de chirurgie re´paratrice [1], leur visage/corps n’est plus celui d’avant, c’est un « faux visage » qui doit redevenir le « vrai visage », celui cache´ dessous. Oui, les couleurs deviendront plus normales, oui les e´motions seront un peu moins fige´es, cependant, il n’en demeurera pas moins diffe´rent, au mieux « e´trange ». Nombre de patients commencent leurs dessins par cette base ronde ou ovalaire, toujours au crayon gris. C’est le « vrai visage » celui qui est « cache´ dessous » ; cache´ sous les cicatrices, les bandages, les greffes. . . Cache´ comme sur le dessin de Dira, qui recouvrait au fur et a` mesure son dessin d’aplat de couleurs et textures diffe´rentes. Lorsque celui-ci e´tait termine´,

Fig. 4. Un pansement pour une maˆchoire arrache´e.

on apercevait a` certains endroits le visage « de crayon gris », toujours pre´sent et pourtant inaccessible (Fig. 2). C’est le visage que le patient veut retrouver, en enlevant le masque de « l’accident » venu de´former le visage/corps initial. Les bases morphologiques du visage/corps, en ge´ne´ral immuables chez une meˆme personne, se retrouvent mises a` l’arrie`re-plan et au crayon gris, comme pour signifier sa perte et sa fragilite´ [6]. Il apparaıˆt a` travers ces dessins que l’interpre´tation que fait le patient de sa condition et de l’e´ve´nement a un plus grand impact sur l’image ˆ lure. C’est corporelle que l’e´tendue et la localisation de la bru pourquoi on retrouve des dessins au visage comple`tement de´structure´ et d’autres avec un simple pansement sur la joue alors qu’une balle a emporte´ la moitie´ du visage (Fig. 4). La base « au crayon gris » du visage/corps semble immuable dans chacun des dessins. Base sur laquelle l’accident intervient en la de´formant, quelle que soit la fac¸on dont le patient a e´te´ blesse´, par balle ou victime d’un attentat a` la bombe, obus, voiture pie´ge´e. . . On voit apparaıˆtre alors le caracte`re extrinse`que du processus mutilant, ce n’est pas une maladie qui a change´ les choses de l’inte´rieur, c’est venu de dehors et s’est rajoute´ a` ce qu’ils e´taient. L’image du corps s’en retrouve modifie´e dans les repre´sentations que celles-ci contiennent et dans son investissement libidinal. L’intensite´ des soins et de la douleur physique cible toute l’attention sur les blessures, les isolant et les poussant ainsi hors de l’image meˆme du corps. Processus amplifie´ par le nombre de bandages et pansements. Dans ce contexte, on comprend rapidement que les pansements sont investis d’une fonction-e´cran entre le mutile´ et le monde exte´rieur, ils deviennent un « rempart » qui prote`ge, mais aussi qui complique le processus de restauration de l’image du corps. Il devient difficile de re´investir la peau dans son roˆle de protection, alors que celle-ci n’est plus que cicatrices et source d’angoisse. C’est pourquoi, sur certains dessins, les pansements et bandages apparaissent en lieu et place des cicatrices et plaies. On dissimule, on prote`ge ce qui ne peut eˆtre vu par l’autre et surtout par soi-meˆme. Certaines femmes ont commence´ a` porter le voile apre`s leur accident, elles cachent les ˆ lures et cela e´vite le regard et les questions de l’autre (Fig. 5). bru L’accession a` la reconnaissance de sa propre identite´ corporelle, mais aussi psychique, devient alors une question cruciale.

Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

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Fig. 5. Se prote´ger du regard.

Toute maladie ou accident bouleverse les rapports que le sujet [3], et a fortiori l’enfant entretient avec son corps et la repre´sentation qu’il s’en fait. L’image du corps satisfait dans ce cas plus a` une repre´sentation inconsciente porteuse d’un fantasme personnel et constituant une fraction non ne´gligeable du narcissisme, amour de soi indispensable au de´sir de vie, qu’a` une image rationnelle et consciente. Cette image saisie a` travers le dessin est constamment de´sorganise´e chez l’enfant malade/ handicape´, qui voit son corps attaque´ dans la re´alite´, mais qui vit cette agression sur un mode fantasmatique non force´ment paralle`le aux attaques anatomiques re´elles [4]. Le corps, ve´cu comme abıˆme´, morcele´, peut devenir un mauvais contenant qui ne peut plus assimiler, contenir et transformer de fac¸on positive les bonnes choses que la famille et son environnement lui apportent. Le corps devient celui sur lequel l’enfant ne peut plus compter ni s’appuyer. Il est celui qui fait de´faut. L’enveloppe charnelle avec d’importantes le´sions entraıˆne un grave de´se´quilibre dans l’image de soi, avec de profonds sentiments de fragilite´, de perte, et d’une exposition de´sarme´e aux stimuli exte´rieurs [1,3]. A` la fragilite´ corporelle correspond une fragilite´ mentale. L’esprit du patient traverse une phase destructrice a` cause de la surcharge de stimuli e´motifs auxquels il est soumis ; provenant de l’inte´rieur–douleur, peur, malaise–, mais aussi de l’exte´rieur–traumatisme de l’accident, milieu hospitalier inconnu, interventions the´rapeutiques. . . L’image corporelle tout entie`re peut eˆtre prise dans des re´activations de fantasmes archaı¨ques qui freinent ou meˆme bloquent le de´veloppement psychique lorsque le patient est un enfant. Le handicap re´sultant d’un tel traumatisme reste un choc pour le patient et sa famille, meˆme lorsque ceux-ci ont traverse´ de longs mois de chirurgie et de re´e´ducation ou` se sont meˆle´s crainte et espoir [2]. Apre`s un temps de re´volte, intervient un ve´ritable de´ni avec parfois, de la part de l’enfant, des projets professionnels non adapte´s, comme Dira qui se reˆve en footballeur ou encore Hassan qui n’envisage rien d’autre qu’une carrie`re de policier quand bien meˆme il lui manque aujourd’hui une jambe [5]. Ce temps de reˆve se doit d’eˆtre respecte´, il permet aux jeunes patients une certaine re´cupe´ration avant de plonger dans une phase de de´pression qui va par la suite permettre la re´solution de cette blessure narcissique. C’est un moment tre`s important pour l’enfant et l’adolescent qui peut s’ave´rer eˆtre de´terminant pour son avenir, ou` un bon accompagnement le me`nera a` la construction de sa nouvelle

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identite´ non de´gradante. La prise en charge de cette re´action en chaıˆne est donc fondamentale dans le parcours me´dical des patients du programme de L’ONG. C’est pourquoi le suivi psychiatrique des patients a e´te´ mis en place avec entretien personnel et familial (chaque enfant hospitalise´ e´tait accompagne´ d’un de ses parents ou membres de la famille), ou` le re´cit de l’accident ainsi que les histoires familiales et transge´ne´rationnelles sont entendus afin de permettre le bon re´tablissement de l’enfant dans sa dimension narcissique et familiale. De plus, cette prise en charge permet de re´duire les entraves au bon de´roulement de la prise en charge somatique du patient suite aux difficulte´s psychologiques des patients [7]. Lorsque le sujet est touche´, la maladie et/ou le handicap s’inte`gre dans l’histoire pre´coce de celui-ci. La nature du processus post-traumatique va de´pendre e´troitement des donne´es pre´existantes touchant la vision du monde et de soi et des syste`mes relationnels de´ja` mis en place. Cependant, la gravite´ de l’attaque corporelle est un facteur essentiel, tout particulie`rement a` l’adolescence. En quittant l’enfance, le corps subit de´ja` une premie`re transformation. Ces changements sont accepte´s plus ou moins facilement, alors qu’ils s’ope`rent sur plusieurs anne´es et qu’ils ne mettent pas en pe´ril l’inte´grite´ de ce meˆme corps. Que dire d’un visage dont la syme´trie s’en est alle´e en une seconde ? Toute atteinte physique de ce corps de´ja` en mutation est donc ve´cue de fac¸on tre`s douloureuse. Elle peut accentuer les phe´nome`nes de ve´cu de de´personnalisation que tout adolescent ressent a minima a` un moment ou a` un autre. 5. Conclusion Il est difficile de ne pas faire le lien entre une volonte´ de rassemblement de son unite´ corporelle apre`s l’e´clatement psychique propre au traumatisme et les de´coupages qu’avait initie´s Hussein ; rassembler pour se reconstruire, un morceau apre`s l’autre. Une mosaı¨que pour une identite´ retrouve´e. Il est inte´ressant de constater que Hussein et les autres patients avaient pre´fe´re´ utiliser leurs propres de´coupages plutoˆt que les gommettes mises a` la disposition du groupe, comme s’il fallait passer par une phase de destruction pour ensuite reconstruire. On en vient a` reconnaıˆtre la symbolisation de la phase de´pressive qui pre´ce`de la reconstruction identitaire apre`s avoir su « re´parer » la blessure narcissique. ˆ r il reste des Lorsque le cycle de chirurgie est termine´, bien su stigmates. Les discussions avec les patients nous ont mene´s a` proposer un atelier « maquillage » aux femmes et adolescentes du groupe. Non pas pour dissimuler, mais dans la droite ligne de l’atelier « portrait ». . . L’acceptation de soi et la renarcissisation, la restauration de leur statut de femme : comment maquiller une cicatrice ? Poser une ombre la` ou` un mouvement de visage devrait en poser une. La` ou` les limites de la chirurgie apparaissent, le fond de teint et le fard a` paupie`res prennent le relais. Le travail en the´rapie individuelle associe´ a` cet atelier portrait a e´te´ positif pour les patients, en permettant une meilleure verbalisation des angoisses de ces patients blesse´s grave au visage. Cela a permis de de´passer l’angoisse de la re´alite´ physique pour se reconstruire une identite´ en simultane´ a` la reconstruction chirurgicale. Travailler sur la temporalite´ et reprendre le cours de leur vie. Il serait inte´ressant aujourd’hui de confirmer ses re´sultats par une e´tude prospective randomise´e, dans des services similaires pour peut-eˆtre e´tendre cette the´rapeutique. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010

G Model

AMEPSY-1670; No. of Pages 6 A. Se´ne´quier et al. / Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx

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Pour citer cet article : Se´ne´quier A, et al. Atelier portrait : me´diation artistique pour une reconstruction narcissique dans un contexte de blesse´ de guerre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.010