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Article original
Presse Med. 2013; 42: e281–e284 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Augmentation du risque de tumeurs dans la dystrophie myotonique de type 1 Shirine Mohamed, Lelia Pruna, Pierre Kaminsky
Hôpitaux de Brabois, centre de référence des maladies neuromusculaires, centre hospitalier universitaire de Nancy, service de médecine interne orientée vers les maladies orphelines et systémiques, pôle des spécialités médicale, bâtiment Philippe-Canton, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre, France
Correspondance :
Disponible sur internet le : 7 mars 2013
Pierre Kaminsky, Hôpitaux de Brabois, centre de référence des maladies neuromusculaires, centre hospitalier universitaire de Nancy, service de médecine interne orientée vers les maladies orphelines et systémiques, pôle des spécialités médicale, bâtiment Philippe-Canton, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre, France.
[email protected],
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Summary Increasing risk of tumors in myotonic dystrophy type 1 Objective > Myotonic dystrophy type 1 (DM1) is characterized by an unstable expansion of a CTG repeat resulting in altered mRNA biogenesis. Benign or malignant tumours are increasingly reported. The aim of the study was to evaluate the risk of tumor in a cohort of patients DM1. Method > We retrospectively reviewed the medical records of every DM1 patient admitted in our neuromuscular center. Diagnoses of cancer and age at diagnosis were noted. The relative risk of a selected cancer was calculated using the data of the cancer registry obtained from the French ‘‘Institut de Veille Sanitaire’’. Results > A total of 109 French DM1 patients, aged 44.1 13.0 years, were studied, and 14 malignant tumours were observed, with a significant relative risk (RR) of thymoma, of gynaecologic cancers, of lung cancers. Conclusion > While this cohort is small, our findings nevertheless suggest an increased risk of particular cancers in DM1. The toxic effects of mutant RNA may possibly affect oncogene
tome 42 > n89 > septembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.01.052
Résumé Objectif > La dystrophie myotonique de type 1 (DM1) est caractérisée par une expansion instable de triplets nucéotidiques CTG entraînant des troubles de la biogenèse des ARNm. De nombreuses publications ont suggéré une augmentation du risque tumoral chez les patients DM1. Le but de ce travail était d’estimer ce risque dans une cohorte de patients DM1 suivis dans un centre spécialisé. Méthode > Cette étude rétrospective a pris en compte tous les patients DM1 suivis au moins cinq ans dans le centre. Les cas de tumeurs malignes ont été répertoriés et le risque relatif (RR) de développer un type donné de tumeur a été calculé en prenant pour référence le registre des cancers de l’institut de veille sanitaire. Résultats > Sur un total de 109 patient âgés de 44,1 13,0 ans, 14 ont eu une tumeur. Le RR était significativement plus élevé chez les patients DM1 pour les thymomes, les cancers gynécologiques et le cancer du poumon. Conclusion > Malgré un effectif faible, les résultats sont en faveur d’une augmentation du risque de tumeur chez les patients DM1. Une cause probable est l’interaction de l’ARN
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Reçu le 31 octobre 2012 Accepté le 16 janvier 2013
S Mohamed, L Pruna, P Kaminsky
expression or growth factor signalling pathways in cells. Clinical practice should include cancer screening and prevention of risk factors in DM1 patients.
mutant avec la biogenèse d’ARNm impliqués dans l’oncogenèse et la signalisation cellulaire. L’augmentation du risque tumoral implique chez les patients DM1 la surveillance et la correction des éventuels facteurs de risque.
L
diagnostic de DM1 était fait par la clinique et l’examen électromyographique et dans la plupart des cas affirmé par la biologie moléculaire chez le patient lui-même (n = 80) ou un apparenté du 1er degré (n = 12). Les patients suivis au moins cinq ans ont été inclus. Les antécédents et diagnostics de cancer et l’âge au diagnostic ont été notés.
a dystrophie myotonique de type 1 (DM1, myopathie de Steinert) est la myopathie la plus fréquente chez l’adulte. Liée à une expansion anormale de triplets CTG dans l’exon 15 de la portion 30 non codante du gène DMPK porté sur le chromosome 19q13.3 [1,2], la DM1 peut être considérée comme une maladie héréditaire dominante de l’ARN [3]. Les transcrits mutants du gène DMPK qui contiennent une expansion de triplets CUG sont séquestrés dans le noyau (nuclear foci) et entraînent une augmentation des CUG-binding proteins. La conséquence est un défaut de l’épissage et du transfert hors du noyau des transcrits mutants mais aussi de nombreux ARNm [3]. Il en résulte une maladie complexe, dominée par une myopathie progressive, une myotonie et par de multiples atteintes d’organes ou de fonctions [4] : atteintes cardiaque, respiratoire, ophtalmologique, endocrinienne, du système nerveux central, immunologique. . ., en faisant de cette affection une véritable maladie systémique [5]. Plusieurs publications sont en faveur d’une augmentation du risque de tumeurs bénignes ou malignes chez les patients DM1 [6–8]. Le but de ce travail était d’évaluer le risque de tumeurs dans une cohorte française de patients.
Méthodes Patients Les dossiers des patients DM1 suivis dans le centre des maladies neuromusculaires de 1998 à 2011 ont été revus. Le
Ce qui e´tait connu
La dystrophie myotonique de type 1 est la myopathie la plus fréquente chez l’adulte.
Elle est caractérisée par une altération de la biogenèse de nombreux ARNm, entraînant des perturbations multiples systémiques.
Une augmentation du risque de survenue de cancers a été rapportée chez les patients.
Ce qu’apporte l’article
Le risque de développer une tumeur est plus élevé chez les patients
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atteints de dystrophie myotonique que dans la population générale.
Méthode de calcul et statistiques Le nombre attendu d’une tumeur donnée a été estimé en calculant la probabilité cumulée de développer cette tumeur pour une catégorie d’âge atteinte. Ce calcul a été effectué à partir des données du registre des cancers de l’Institut de veille Sanitaire (http://www.invs.sante.fr/), limitées à notre région (Nord-Est). Pour les thymomes, le calcul a été effectué sur la base d’une incidence annuelle de 0,14/100 000 fournie par le registre RYTHMIC [9]. L’âge atteint était défini comme l’âge au diagnostic de la tumeur quand elle était connue ou l’âge du patient à sa dernière visite dans notre centre. Les estimations du risque relatif (RR) et de son intervalle de confiance à 95 % (IC95 %) ont été calculées par la méthode de régression de Poisson pour données de cohorte.
Résultats Sur 132 patients, des données suffisantes ont été obtenues pour 109 d’entre eux (50 hommes et 59 femmes) âgés de 44,1 13,0 ans au dernier suivi. Quatorze patients ont eu une tumeur maligne (tableau I). Un risque relatif significatif était noté pour les thymomes (RR = 23,1), les cancers gynécologiques (RR = 27,7) chez les femmes (particulièrement les cancers utérins) et les cancers bronchiques (RR = 100). On notait aussi une tendance pour un RR élevé pour le mélanome. Les patients qui avaient eu une tumeur avaient une expansion moyenne de 758 249 triplets CTG contre 745 414 triplets CTG pour ceux n’ayant pas eu de tumeurs. Dans notre cohorte, cinq patients avaient une gammapathie monoclonale de signification indéterminée, quatre patients ont eu un pilomatricome et trois patients ont eu un adénome parathyroïdien.
Discussion Même si notre cohorte était de faible effectif, nos résultats sont cohérents avec l’idée d’une augmentation du risque de tumeurs chez les patients DM1. Or si les causes de mortalité chez les patients DM1 sont dominées par les complications tome 42 > n89 > septembre 2013
Nombres attendus et observés des cancers dans la cohorte de 109 patients DM1 avec calcul du risqué relatif et de son intervalle de confiance à 95 % (IC95 %) Cancer
Nombre attendu
Nombre observé
Risqué relatif (IC95 %)
Côlon
0,40
2
5,0 (0,6–18,2)
Poumon
0,5
3
6,0 (1,2–17,7)
Col utérin
0,2
1
5,9 (0,1–32,8)
Endomètre
0,1
2
21,7 (2,4–78,5)
Ovaire
0,1
1
9,3 (0,1–51,5)
Melanome
0,3
2
7,1 (0,8–25,8)
Thymome
0,02
2
100 (11,2–361)
respiratoires et cardiaques, la mortalité par cancer a pu être estimée à 11 % dans une grande cohorte de patients canadiens [10]. Il existe dans la littérature, de multiples observations de cas isolés ou de petites séries rapportant le développement de diverses tumeurs dans la DM1. Les tumeurs les plus fréquemment décrites sont les pilomatricomes (ou tumeur de Malherbe), tumeurs sous-cutanées calcifiées le plus souvent bénignes développées à partir de la matrice pilaire. Dans une revue des cas de tumeurs chez des patients DM1, Mueller et al. dénombraient une trentaine de publications faisant état de pilomatricomes isolés ou multiples chez des patients DM1 [8]. Dans cette même revue, les auteurs insistaient sur le nombre élevé de cas de thymomes, d’adénomes parathyroïdiens et de tumeurs thyroïdiennes. Dans le registre des dystrophies myotoniques du National Institute of Health, enrôlant 441 patients, 54 d’entre eux déclaraient avoir eu une tumeur (soit 12 %, chiffre proche de celui observé dans notre série), dont cinq des cancers multiples et un grand nombre de cancers cutanés était noté [8]. Dans une publication sur une cohorte scandinave de 1658 patients DM1, le risque relatif de développer un cancer chez un patient DM1 était estimé à 2,0 (IC95 % : 1,6–2,4), avec des risques relatifs particulièrement élevés pour les cancers de l’endomètre, de l’encéphale, de l’ovaire et du côlon [7]. Une autre publication rapportait la survenue de 53 cancers pour une cohorte de 307 patients, avec un RR élevé pour les cancers thyroïdiens, les mélanomes, les cancers du testicule et de la prostate [6]. Les raisons qui sous-tendent l’augmentation du risque de cancer restent hypothétiques. L’expansion des triplets CTG dans le gène DMPK est transcrite dans l’ARNm sans altérer la portion codante du gène. Les ARNm mutants sont séquestrés dans le noyau et altèrent fonctionnellement les facteurs d’épissage,
tome 42 > n89 > septembre 2013
comme les Muscle blind proteins, les CUG-binding proteins ou la famille des ETR3-like factors. L’altération des niveaux fonctionnels de ces protéines entraîne un épissage anormal des ARNm qui sont la cible de celles-ci, comme ceux codant pour la troponine T cardiaque, du récepteur à l’insuline ou de canaux chlore musculaires dont les altérations expliquent certains aspects clinico-biologiques de la maladie [11]. D’où l’hypothèse que des altérations médiées par l’ARN mutant provoqueraient des anomalies de l’expression d’oncogène ou de gènes suppresseurs de la tumorigenèse [8]. Ainsi des altérations des ARN binding proteins ont été observées en carcinogenèse humaine [12]. Si la longueur des répétitions CTG est globalement corrélée à la sévérité de la maladie [4], il n’y a pas d’argument, ni dans notre série, ni dans la littérature pour penser que celleci constitue un facteur de risque tumoral. Par contre dans les tumeurs, la longueur des répétitions CTG est plus importante que dans les tissus sains adjacents ou les autres tissus [13]. Nous n’avons malheureusement pas pu réaliser cette recherche dans notre série. On ne sait cependant si cette augmentation de l’instabilité des répétition CTG dans les tissus tumoraux est une cause ou une conséquence de la tumorigenèse [8]. Une première hypothèse concerne la voie de signalisation Wnt/b-caténine [8]. Les pilomatricomes, communs dans la DM1, sont en effet caractérisés par une accumulation nucléaire de b-caténine, liée à des mutations somatiques contenant le gène CTNNB1 codant pour cette protéine [14]. Cette accumulation de b-caténine a aussi été notée dans d’autres tumeurs comme par exemple les carcinomes thyroïdiens, les carcinomes basocellulaires ou les mélanomes avec des mutations du gène CTNNB1 [15] mais parfois aussi dans d’autres tumeurs malgré l’absence de ces mutations, suggérant d’autres sources d’accumulation de b-caténine [16]. Mueller et al. ont suggéré que les Muscle blind proteins, ou les CUG-binding proteins pourraient entraîner une augmentation de b-caténine par le biais d’une dérégulation de la voie de signalisation Wnt [8]. Il est remarquable que le produit du gène DMPK soit une protéine kinase membre d’une famille de gènes comprenant des gènes de susceptibilité oncogénique tels RET (néoplasie endocrinienne multiple de type 2), STK11 (syndrome de PeutzJeghers), ALK (neuroblastome), ou PDGFRA (tumeur stromale gastrointestinale) [17]. Il est possible que la taille de l’expansion CTG joue un rôle déterminant dans l’oncogenèse de la DM1 et quelques publications rapportent ainsi une forte expansion nucléotidique dans les tissus tumoraux comparés aux tissus sains [13,18,19]. Une autre hypothèse serait que les anomalies de la biogenèse des ARNm entraîneraient des défauts de réparation des erreurs de réplication de l’ADN (mismatch repair) [7]. Ces défauts sont impliqués dans la genèse du syndrome du cancer colorectal héréditaire non polyposique, qui associe le développement de cancers digestifs, gynécologiques ou encéphaliques et des
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Tableau I
Article original
Augmentation du risque de tumeurs dans la dystrophie myotonique de type 1
S Mohamed, L Pruna, P Kaminsky
tumeurs cutanées. Ils pourraient entraîner la formation de répétitions nucléotidiques instables, comme dans la DM1 [7]. Sur un plan pratique, le risque plus élevé de cancers chez les patients DM1 implique, d’une part, une surveillance des
patients et, d’autre part, une recherche attentive des autres facteurs de risque classiques et leur correction. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.
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