Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 31 (2012) 632–634
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Cas clinique
Bloc re´siduel prolonge´ apre`s injection unique de rocuronium pour l’intubation : une e´tiologie originale Prolonged residual paralysis after a single intubating dose of rocuronium: An unexpected cause P. Guerci a,b, F. Vial a,*, J. Raft c, C. Meistelman b,c, H. Bouaziz a a
Service d’anesthe´sie, maternite´ re´gionale de Nancy, 10, rue du Docteur Heydenreich, 54000 Nancy, France Service d’anesthe´sie, CHU de Nancy Brabois, avenue du Morvan, 54511 Vandoeuvre, France c Service d’anesthe´sie, centre Alexis-Vautrin, avenue de Bourgogne, 54000 Vandoeuvre, France b
I N F O A R T I C L E
Historique de l’article : Rec¸u le 27 janvier 2012 Accepte´ le 28 fe´vrier 2012 Mots cle´s : De´curarisation Rocuronium Diabe`te
R E´ S U M E´
La survenue d’une curarisation re´siduelle dans les suites d’une injection unique de rocuronium est un risque connu diagnostique´ rapidement graˆce au monitorage de la curarisation. Diffe´rentes e´tiologies peuvent eˆtre a` l’origine d’un bloc prolonge´. Nous rapportons le cas d’un diagnostic errone´ de curarisation prolonge´e au rocuronium par de´faillance du syste`me de monitorage. ß 2012 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar).
A B S T R A C T
Keywords: Neuromuscular block recovery Rocuronium Diabetes
Postoperative curarization following a single dose of rocuronium is a known risk quickly diagnosed through the monitoring of neuromuscular blockade. Different etiologies can cause a prolonged block. We report the case of a misdiagnosis of prolonged neuromuscular blockade by a failure in the monitoring system of curarization. ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar).
1. Introduction
2. Observation
Lors d’une induction en se´quence rapide, l’utilisation d’un curare est recommande´e par la dernie`re confe´rence de consensus de la Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar) sur les indications de la curarisation en anesthe´sie. La succinylcholine est le curare de choix dans cette indication. En cas de contreindication, le rocuronium constitue la seule alternative. Le risque de survenue d’une curarisation re´siduelle postope´ratoire lors de son utilisation a de´ja` e´te´ rapporte´ [1,2] d’ou` l’inte´reˆt de l’utilisation du monitorage. En pratique clinique, le monitorage de la curarisation bien que recommande´ est souvent inconstamment effectue´ [3]. Le cas clinique pre´sente´ illustre le diagnostic errone´ de curarisation prolonge´e au rocuronium par dysfonctionnement du monitorage en place.
Une femme de 48 ans, de score American Society of Anesthesiology (ASA) 4, e´tait admise en urgence pour me´trorragies, dans un contexte d’hypocoagulation lie´ a` un traitement par antivitamine K (AVK). Ses ante´ce´dents comportaient une obe´site´ mode´re´e (indice de masse corporelle a` 32 kg/m2, 82 kg pour 160 cm) malgre´ une chirurgie bariatrique, un diabe`te de type 2 insulino-reque´rant multicomplique´ (re´tinopathie, neuropathie et ne´phropathie avec insuffisance re´nale chronique terminale oligurique [clairance cre´atinine a` 20 mL/min] dialyse´e sur fistule arte´rioveineuse hume´ro-ce´phalique gauche depuis un an) pour lequel la patiente e´tait en attente d’une transplantation rein-pancre´as. De plus, e´taient associe´s une polyarte´riopathie se´ve`re (hypertension arte´rielle, arte´riopathie oblite´rante des membres infe´rieurs avec angioplastie fe´morale et poplite´e, ste´nose carotidienne bilate´rale et cardiopathie ische´mique avec se´quelle de ne´crose ante´roapico-septale) et des e´pisodes de fibrillation atriale paroxystiques justifiant un traitement par AVK.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Vial).
0750-7658/$ – see front matter ß 2012 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). doi:10.1016/j.annfar.2012.02.019
P. Guerci et al. / Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 31 (2012) 632–634
La prise en charge initiale consistait en une transfusion de trois concentre´s e´rythrocytaires (he´moglobine initiale a` 7,2 g/dL) et une antagonisation du traitement anticoagulant par l’administration de complexe prothrombique humain a` la posologie de 10 UI/kg e´quivalent en unite´ de facteur IX (INR a` 2,59) associe´ a` 5 mg de vitamine K en intraveineux. Devant la persistance de l’he´morragie et un e´tat he´modynamique labile (100/58 mmHg), une indication d’anesthe´sie ge´ne´rale pour curetage ute´rin e´tait pose´e. Une induction en se´quence rapide e´tait re´alise´e (urgence, obe´site´, gastropare´sie diabe´tique, chirurgie bariatrique et insuffisance re´nale) par l’administration d’e´tomidate (0,3 mg/kg) et de rocuronium (0,9 mg/kg) devant la pre´sence d’une hyperkalie´mie a` 5,8 mmol/L. Un monitorage de la curarisation par TOF-Watch1 S (MSD France, Paris, France) e´tait mis en place avec stimulation du nerf ulnaire gauche (intensite´ 50 mA et intervalle de 30 s). L’entretien de l’anesthe´sie e´tait assure´ par du desflurane (MAC a` 0,9) et du re´mifentanil (0,15 mg/kg par minutes). La patiente be´ne´ficiait d’un curetage he´mostatique efficace en 20 minutes. A` la fin de l’intervention, le train-de-quatre (TOF) restait a` 0/4, le compte post-te´tanique (PTC) a` 0 e´tait surveille´ et l’anesthe´sie entretenue. Lors de l’apparition de deux re´ponses au PTC, l’e´ventualite´ de l’administration de sugammadex a` la posologie de 4 mg/kg e´tait discute´e mais non re´alise´e du fait de l’insuffisance re´nale. Une attitude expectative e´tait retenue : re´gression spontane´e du bloc neuromusculaire et antagonisation du rocuronium par l’association de prostigmine (40 mg/kg) et d’atropine (15 mg/kg) a` deux re´ponses sur quatre au TOF. Quarante minutes apre`s l’injection de rocuronium apparaissait une re´ponse au TOF (1/4). Deux heures et demi apre`s, persistait toujours une seule re´ponse au TOF alors que la tempe´rature tympanique e´tait normale (36,3 8C) et que l’intensite´ de stimulation avait e´te´ augmente´e a` 60 mA. Les e´lectrodes de stimulation e´taient alors place´es sur l’avant-bras controlate´ral. Imme´diatement, un rapport T4/T1 a` 60 % e´tait enregistre´, autorisant l’administration d’une antagonisation et l’arreˆt de l’hypnotique. Le rapport T4/T1 e´voluait a` plus de 90 % et la patiente e´tait extube´e. Les suites postope´ratoires e´taient sans particularite´. 3. Commentaires La survenue d’une curarisation prolonge´e apre`s injection unique de rocuronium a de´ja` e´te´ de´crite dans la litte´rature dans plusieurs cas cliniques [1,2,4,5]. Cette situation confirme l’importance d’utiliser syste´matiquement un monitorage de la curarisation. Lors de la survenue d’une curarisation re´siduelle prolonge´e, les hypothe`ses les plus fre´quemment avance´es sont l’aˆge, le sexe et les pathologies associe´es interfe´rant avec la pharmacocine´tique du curare, l’hypothermie perope´ratoire et l’entretien de l’anesthe´sie par les agents haloge´ne´s. Dans ce cas clinique, plusieurs e´tiologies ont e´te´ avance´es, en premier lieu, le contexte d’insuffisance re´nale. L’administration de rocuronium chez une patiente en insuffisance re´nale chronique terminale dialyse´e peut s’accompagner d’un allongement de la dure´e d’action de celui-ci par diminution de la clairance plasmatique et re´nale. Des e´tudes pharmacocine´tiques de´montrent l’existence d’un retard de lever du bloc neuromusculaire dans cette population [6]. Un cas clinique rapporte un allongement excessif du bloc neuromusculaire induit par le rocuronium chez un patient insuffisant re´nal [5]. Le de´lai de re´apparition de la premie`re re´ponse au TOF e´tait tre`s augmente´ (> 4 h) [5]. La re´apparition dans un de´lai court (40 min) de la premie`re re´ponse au TOF puis l’absence d’e´volutivite´ du TOF s’opposait a` cette the´orie. L’utilisation de desflurane ou, plus ge´ne´ralement des agents haloge´ne´s, a e´galement e´te´ e´voque´e comme cause d’allongement de la dure´e de curarisation. Troisie`me e´tiologie possible, le sexe fe´minin, en effet, une
633
sensibilite´ accrue aux curares des femmes est rapporte´e dans la litte´rature. Apre`s 0,4 mg/kg de rocuronium, la dure´e moyenne de re´cupe´ration (TOF 90 %) est de 46,8 minutes chez la femme versus 33,6 minutes chez l’homme [7]. L’aˆge et l’hypothermie ne pouvaient eˆtre incrimine´s dans ce cas clinique. L’absence d’e´volution de la de´curarisation deux heures et demie apre`s la re´cupe´ration de la premie`re re´ponse au TOF a conduit les praticiens a` changer de coˆte´ le monitorage, le monitorage ayant e´te´ positionne´ sur le bras porteur de la fistule arte´rioveineuse. Une asyme´trie des re´sultats enregistre´s e´tait objective´e permettant la de´curisation de la patiente et son re´veil. Afin d’expliquer cette asyme´trie, une e´chographie des deux avant-bras e´tait re´alise´e en postope´ratoire a` la recherche d’une particularite´ anatomique du nerf ulnaire. L’imagerie n’objectivait aucune anomalie anatomique des deux nerfs ulnaires. Leur trajet, jouxtait me´dialement l’arte`re au 1/3 infe´rieur de l’avant-bras a` des profondeurs similaires (0,91 cm versus 0,86 cm) par rapport a` la surface. La fistule arte´rioveineuse gauche en position hume´ro-ce´phalique n’avait pas modifie´ les rapports anatomiques nerveux, seule une dilatation des veines des l’avant-bras e´tait constate´e. Cet examen permettait de re´futer l’implication d’une variation anatomique a` l’origine du de´faut de stimulation du nerf ulnaire. La pre´sence d’une neuropathie diabe´tique et/ou hyperure´mique affectant la stimulation de l’adducteur du pouce e´tait e´galement envisage´e. Aucune calibration du TOF n’e´tait re´alise´e a` l’induction objectivant une e´ventuelle alte´ration de la stimulation. En effet, lors d’une induction en se´quence rapide, cette dernie`re est rarement effectue´e. Peu de donne´es dans la litte´rature sont rapporte´es concernant l’efficacite´ de stimulation du TOF chez les patients porteurs d’un diabe`te complique´ de polyneuropathie [8]. Il paraıˆt plausible qu’une neuropathie se´ve`re puisse alte´rer la vitesse de conduction des courants e´lectriques de stimulation des nerfs jusqu’a` la plaque neuromusculaire. Cette constatation est observe´e en anesthe´sie locore´gionale avec neurostimulation [9]. Cette hypothe`se e´tait e´galement conforte´e par le fait que le changement de zone de stimulation permettait d’obtenir une valeur en accord avec la pharmacocine´tique du rocuronium dans cette pathologie. L’e´lectroneuromyogramme re´alise´ chez cette patiente avec des e´lectrodes de surface (se rapprochant d’une stimulation par TOF-Watch1), confirmait l’existence d’une neuropathie mixte, axonale (diminution des amplitudes) et de´mye´linisante (diminution des vitesses de conduction nerveuse) se´ve`re et bilate´rale, a` pre´dominance sensitive. Il e´tait note´ une tre`s discre`te asyme´trie, ne´anmoins insuffisante pour expliquer le proble`me rencontre´. 4. Discussion Ce cas clinique illustre donc finalement une erreur d’interpre´tation du TOF, probablement lie´ a` un proble`me d’ordre technique. Ce dysfonctionnement a conduit a` une attitude the´rapeutique inapproprie´e (ventilation et se´dation prolonge´e, retard de de´curarisation). Chaque dispositif technique utilise´ pour le monitorage, posse`de des limites techniques et peut brutalement devenir de´fectueux en cours de proce´dure. L’ave`nement de nouvelles technologies dans le domaine de l’anesthe´sie-re´animation conduit de plus en plus le clinicien a` interpre´ter des donne´es chiffre´es. Or, la litte´rature regorge de situations dans lesquelles le clinicien s’est fait pie´ge´ par une donne´e biologique ou un signal e´lectronique errone´. Ainsi, l’interpre´tation de telles donne´es peut potentiellement avoir de graves conse´quences. A` l’instar du domaine ae´ronautique, le ˆ a` un dysfonctionnement d’un de´faut d’analyse ou de jugement du syste`me d’information peut se solder par des complications graves pour les patients. Une discordance entre des e´le´ments cliniques et des donne´es techniques doit mener a` re´viser son jugement et
634
P. Guerci et al. / Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 31 (2012) 632–634
changer le dispositif de monitorage. Le sens clinique et l’examen du patient restent la base de notre expertise. Dans ce cas clinique, le sugammadex n’a pas e´te´ utilise´. Son utilisation dans le cadre des insuffisances re´nales terminales, n’est pas indique´e pour le moment du fait de l’e´limination re´nale du complexe rocuronium-sugammadex. Ne´anmoins, cette attitude tient du principe de pre´caution, une seule e´tude ayant e´te´ mene´e dans le cadre de l’insuffisance re´nale terminale [10]. Cette dernie`re de´montre que le risque de recurarisation ne serait pas a` craindre du fait de la grande stabilite´ du complexe. Cependant, un cas clinique re´cent de´montre le contraire [11]. De´claration d’inte´reˆts P. Guerci : aucun conflit d’inte´reˆt. F.Vial : aucun conflit d’inte´reˆt. Julien Raft : J. R. Essais cliniques : en qualite´ de collaborateur a` l’e´tude pour le laboratoire Schering-Plough. Confe´rences : invitations en qualite´ d’intervenant pour MSD. Claude Meistelman : essais cliniques : en qualite´ de coinvestigateur pour le laboratoire Schering-Plough. Interventions ponctuelles : activite´s de conseil pour le laboratoire ScheringPlough et MSD. Confe´rences : invitations en qualite´ d’intervenant pour MSD. Herve´ Bouaziz : aucun conflit d’inte´reˆt.
Re´fe´rences [1] Menouni O, Brillouet-Banchereau AC, Galan G, Lelias A, Sautereau A, Gadrey S. Bloc neuromusculaire extreˆmement prolonge´ apre`s une dose unique de rocuronium. Ann Fr Anesth Reanim 2011;30:841–3. [2] Claudius C, Karacan H, Viby-Mogensen J. Prolonged residual paralysis after a single intubating dose of rocuronium. Br J Anaesth 2007;99:514–7. [3] Duvaldestin P, Cunin P, Plaud B, Maison P. Enqueˆte de pratique sur l’utilisation en France des curares chez l’adulte en anesthe´sie. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:483–9. [4] Olivieri L, Plourde G. Prolonged (more than ten hours) neuromuscular blockade after cardiac surgery: report of two cases. Can J Anaesth 2005;52:88–93. [5] Morales Martin AC, Vaquero Roncero LM, Muriel Villoria C. Extremely prolonged neuromuscular blockade after rocuronium: a case report. Acta Anaesthesiol Scand 2009;53:957–9. [6] Robertson EN, Driessen JJ, Booij LH. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of rocuronium in patients with and without renal failure. Eur J Anaesthesiol 2005;22:4–10. [7] Xue FS, Tong SY, Liao X, Liu JH, An G, Luo LK. Dose-response and time course of effect of rocuronium in male and female anesthetized patients. Anesth Analg 1997;85:667–71. [8] Saitoh Y, Kaneda K, Hattori H, Nakajima H, Murakawa M. Monitoring of neuromuscular block after administration of vecuronium in patients with diabetes mellitus. Br J Anaesth 2003;90:480–6. [9] Williams BA, Murinson BB, Grable BR, Orebaugh SL. Future considerations for pharmacologic adjuvants in single-injection peripheral nerve blocks for patients with diabetes mellitus. Reg Anesth Pain Med 2009;34:445–57. [10] Staals LM, Snoeck MM, Driessen JJ, Flockton EA, Heeringa M, Hunter JM. Multicentre, parallel-group, comparative trial evaluating the efficacy and safety of sugammadex in patients with end-stage renal failure or normal renal function. Br J Anaesth 2008;101:492–7. [11] Briere M, Boisson C, Cuvillon P, Debaene B, Ripart J. Sugammadex et insuffisance re´nale : a` propos d’un cas. Ann Fr Anesth Reanim 2011;30:743–5.