Borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire : mythe ou réalité ? Une enquête transversale de séroprévalence à Abidjan

Borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire : mythe ou réalité ? Une enquête transversale de séroprévalence à Abidjan

Médecine et maladies infectieuses 33 (2003) 413–416 www.elsevier.com/locate/medmal Article original Borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire : mythe ou r...

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Médecine et maladies infectieuses 33 (2003) 413–416 www.elsevier.com/locate/medmal

Article original

Borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire : mythe ou réalité ? Une enquête transversale de séroprévalence à Abidjan Lyme disease in the Ivory Coast: a serological survey in Abidjan A. Kouassi-M’Bengue a,*, C. Adjouroufou a, A. Kacou-N’Douba a, H. Faye-Kette a, M. Kouakou-N’Zué b, B. Kouassi c, M. Dosso a a

Département de microbiologie, UFR des sciences médicales d’Abidjan, institut Pasteur de Côte-d’Ivoire b Service de rhumatologie, CHU de Cocody-Abidjan, Côte-d’Ivoire c Service de neurologie, CHU de Cocody-Abidjan, Côte-d’Ivoire Reçu le 2 décembre 2002 ; accepté le 22 avril 2003

Résumé Objectif. – Cette étude transversale avait pour objectif de déterminer la séroprévalence de Borrelia burgdorferi en Côte-d’Ivoire. Patients. – Cent soixante-huit sujets étaient répartis dans 3 groupes de population. Le groupe A (n = 60) était constitué d’éleveurs de bovins, qui par leur profession sont exposés aux piqûres de tiques vivant sur le bétail. Le groupe B (n = 48) était constitué de patients, hospitalisés dans les services de neurologie et de rhumatologie du centre hospitalier universitaire de Cocody (Abidjan), qui avaient une symptomatologie clinique évocatrice de maladie de Lyme. Le groupe C (n = 60) était composé de donneurs de sang asymptomatiques. Méthode et résultats. – La séroprévalence anti-Borrélia (de type IgG) globale après confirmation par western blot était de 33 %. La séroprévalence selon les groupes A, B, et C était respectivement de 21, 83 et 20 %. L’analyse des profils électrophorétiques des protéines de B. burgdorferi B31 a montré que la flagelline et l’Osp B étaient respectivement retrouvées chez 43 et 80 % des sérums testés. En revanche, dans 87 à 90 % des cas, l’Osp C était absente. Conclusion. – Il s’avère nécessaire de poursuivre les travaux en Côte-d’Ivoire pour confirmer la réalité de la Borréliose de Lyme. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract Objective. – The aim of this study was to determine the seroprevalence of Borrelia burgdorferi in the Ivory Coast. Patients. – One hundred sixty-eight patients were split up into 3 groups. Group A (N =60) was made up of cattle farmers exposed to the tick’s bite due to their occupation. Group B (N =48) was made up of hospitalized patients in the neurological and or rhumatological department of the Abidjan university hospital center. Group C (N =60) was made up of asymptomatic blood donors. Method and results. – The anti borrelia (Ig G) global seroprevalence by Western blotting was 33%. The seroprevalence in groups A, B, and C was respectively 21, 83 and 20%. The analysis of electrophoretic profile by Western blotting of B. burgdorferi B31 proteins revealed that the flagellin and Osp B were respectively identified in 43 and 80% of tested sera. Nevertheless, in 87 to 90% of the cases, OspC was absent. Conclusion. – It seems necessary to assess the presence of Borrelia in the Ivory Coast by further studies. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Borrelia burgdorferi ; Côte-d’Ivoire Keywords: Borrelia burgdorferi; Ivory Coast

* Auteur correspondant. 22 BP, 1243 Abidjan 22, Côte-d’Ivoire. Adresse e-mail : [email protected] (A. Kouassi-M’Bengue). © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/S0399-077X(03)00223-3

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1. Introduction

2.3. Interview

La borréliose de Lyme est une affection systémique avec atteinte sélective de la peau, du système nerveux et des articulations [1]. L’agent étiologique Borrelia burdorferi, est un spirochète du genre Borrelia. Il est transmis le plus souvent par piqûre de tiques du genre Ixodes, cosmopolite. C’est en 1982 que la bactérie responsable a été isolée de la tique Ixodes scapularis par Burgdorfer aux États-Unis [2]. Compte tenu des difficultés d’isolement de la bactérie dans les échantillons humains, le diagnostic usuel est fondé sur la sérologie [3]. C’est ainsi que les études contemporaines de séroprévalence réalisées aux États-Unis et en Europe font état d’un taux d’incidence de 100 nouveaux cas/an [4]. Le continent africain, bien que n’étant pas une zone de prédilection de borrélioses humaines, a enregistré selon certains auteurs, des cas en Afrique du nord ainsi qu’en Afrique du sud et centrale [5–7]. En Afrique occidentale, en particulier en Côted’Ivoire, des tableaux cliniques d’arthrite et de manifestations neurologiques liés à cette bactérie sont observés en milieu hospitalier. Pourtant, la détection de B. burgdorferi par amplification génique chez les tiques isolées en Côted’Ivoire en 1993 s’est avérée négative [8]. Au vu de ces données, on est en droit de se poser la question de la réalité de la borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire. Cette étude s’est proposée de déterminer la séroprévalence de Borrelia burgdorferi dans différents groupes de population.

Un questionnaire a été élaboré en vue du recueil des données cliniques et épidémiologiques concernant chacun des patients. La reconnaissance éventuelle du vecteur a été vérifiée par la visualisation d’une photo de la tique de la famille des Ixodidae.

2. Matériel et méthodes 2.1. Cadre et période de l’étude Il s’agit d’une étude transversale qui s’est déroulée de mars à novembre 2000 dans les régions du sud (Abidjan la capitale économique et Bingerville situées en zone forestière humide) et du centre (Bouaké et Toumodi situés en zone de savane) du pays où il existe des petites fermes d’élevages de bovins. 2.2. Populations d’étude Un total de 168 sujets répartis dans 3 groupes de population selon le niveau d’exposition à la piqûre de tiques vecteurs de borréliose ont été recrutés. Le groupe A (n = 60) était composé d’éleveurs de bovins, qui par leur vie de promiscuité avec le bétail constituaient une population exposée à la piqûre de tiques vivant sur le bétail. Le groupe B (n = 48) était constitué de patients ayant une symptomatologie évocatrice de borréliose de Lyme, hospitalisée dans les services de neurologie et de rhumatologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody. Le groupe C (n = 60) était composé de population apparemment saine, en l’occurrence des donneurs de sang. Chaque patient a bénéficié de prélèvements sanguins veineux après consentement éclairé.

2.4. Sérologie En vue d’éliminer les éventuelles réactions croisées entre Treponema pallidum (spirochétose endémique dans notre région avec un taux de séroprévalence de 8,5 % [9] et B. burgdorferi, tous les sérums ont fait l’objet de recherche systématique d’anticorps antitréponémique (type Ig G). Les techniques VDRL (Veneral disease research laboratory) de Biorad® et TPHA (Treponema pallidum heamagglutination assay) de Biomérieux® ont été utilisées. La sérologie positive pour le VDRL et ou le TPHA a constitué le critère sérologique d’exclusion des différents échantillons. Mais les autres spirochétoses, notamment les rickettsies et les leptospires n’ont pas fait l’objet de recherche systématique. La détection d’anticorps anti-Borrélia (Ig G) a utilisé comme support antigénique la souche B31 de B. burgdorferi « maison » purifiée (cet antigène a été extrait de l’hémolymphe de tiques infectés au département de parasitologie, service du Professeur Betschart B. à l’institut de zoologie de l’université de Neufchâtel en Suisse). Cette recherche sérologique a comporté 2 étapes. La première étape de dépistage a utilisé la technique d’immunofluorescence indirecte (Ifi) au seuil de positivité de 1/64. Tout résultat positif par Ifi a fait l’objet d’une confirmation sérologique par western blot. La lecture a été validée par l’introduction d’un sérum contrôle positif et d’un sérum contrôle négatif « maison » dans chaque série. Les critères de Dressler [3] ont permis l’interprétation des résultats sérologiques par western blot. 2.5. Analyse statistique Les variables ont fait l’objet d’une comparaison 2 par 2 en utilisant le test exact de Fisher, avec un risque a de 5 %. 3. Résultats Douze sujets, soit 7,1 % des cas avaient une sérologie tréponémique positive. C’est pourquoi seuls 156 sérums ont été retenus. L’étude des caractéristiques épidémiologiques des groupes de population a montré une prédominance d’adultes jeunes avec une moyenne d’âge de 24 ans. La majorité des sujets étaient de sexe masculin avec un sex-ratio de 2 hommes pour 1 femme. La répartition en fonction de la profession a révélé une prédominance d’éleveurs de bovins suivis des élèves, d’étudiants (parmi les groupes B et C) et d’autres professions (parmi les groupes B et C) avec des taux respectifs de 47, 30 et 23 %. Il est à signaler que les caracté-

A. Kouassi-M’Bengue et al. / Médecine et maladies infectieuses 33 (2003) 413–416 Tableau 1 Répartition de la séroprévalence de Borrelia burgdorferi selon les groupes étudiés Distribution of Borrelia burgdorferi seroprevalence according to the group studied Groupes Groupe A n = 54 Groupe B n = 45 Groupe C n = 57

Sérologie positive au western blot 11 (20 %) 29 (64,4 %) 11(20 %)

Valeur de p* 0,00009 0,00003

* Les valeurs de p ont été calculées pour les groupes A et C par rapport au groupe B.

ristiques des populations pré-incluses et incluses étaient superposables. Au plan de l’anamnèse, parmi les sujets inclus 83 sur 156, soit 53 % des cas ont signalé avoir eu des épisodes de fièvre récurrente. Concernant la reconnaissance du vecteur et sa capacité à transmettre des maladies, 109 sur 156 soit 70 % des sujets ont signalé avoir déjà vu une tique de la famille des Ixodidae mais dans 60 % des cas ils ignoraient qu’elles pouvaient transmettre des maladies. Concernant les données sérologiques, dans 62 cas sur 156 soit 40 % l’Ifi était positive avec un seuil ≥ 1/64. La confirmation de la positivité par le western blot s’est faite dans 51 cas soit 33 %. La séroprévalence selon les groupes étudiés étaient de 20 % (11/54), 64,4 % (29/45) et de 20 % (11/57) respectivement pour les groupes A, B, et C (Tableau 1). La séropositivité était significativement plus élevée dans le groupe B que dans les groupes A et C. L’analyse du profil électrophorétique observé en western blot des sérums positifs a mis en évidence la protéine Osp B et la flagelline dans 80 et 43 % des cas respectivement. Parmi les protéines non spécifiques les P43 et P60 étaient les plus fréquentes avec 90 % des cas. Elles étaient suivies par les P58, P30 et P45 avec des taux respectifs de 50, 47 et 47 % des cas (Tableau 2). Tableau 2 Profils électrophorétiques des protéines de Borrelia burgdorferi dans les sérums positifs au western blot Western blot electrophoretic profiles of Borrelia burgdorferi proteins in positive sera Protéines Protéines spécifiques Osp A Osp B Osp C Flagelline Protéines non spécifiques P29 P30 P39 P43 P45 P58 P60 P65 P90

Effectif

Pourcentage

7 41 5 22

13 80 10 43

9 24 5 46 24 25 46 10 17

17 47 10 90 47 50 90 20 33

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4. Discussion Cette étude avait pour objectif de déterminer la séroprévalence de la borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire. Cette maladie, à l’origine sévissait dans les zones tempérées aux ÉtatsUnis et en Europe mais il convient de signaler un dépassement du cadre géographique depuis une dizaine d’année [1,5–7]. Concernant l’âge, nos résultats étaient en accord avec ceux de la littérature qui soulignent le jeune âge des sujets atteints de borréliose de lyme [4]. Dans notre étude, la présence prépondérante des sujets de sexe masculin était liée au choix des groupes recrutés, tels que les éleveurs de bovins qui sont exclusivement des hommes et les donneurs de sang qui sont en majorité de sexe masculin dans nos régions. En ce qui concerne la circulation du vecteur dans nos régions, en particulier des tiques du genre ixodes, celles-ci seraient incriminées au vu de notre interrogatoire. Mais en plus, cela est confirmé par les travaux de Dimito sur l’identification et la répartition des tiques en Côte-d’Ivoire [8]. Quant aux manifestations cliniques pouvant faire évoquer la maladie, telles que la fièvre récurrente, leur faible spécificité et leur polymorphisme ne peuvent constituer des arguments en faveur d’une borréliose. Ce constat a été aussi réalisé par Soumaré et al. dans une étude sur les borrélioses à Dakar en faisant remarquer la coïncidence de saisonnalité avec les autres affections endémiques telles que le paludisme [10]. Le diagnostic de certitude de la borréliose repose sur la culture bactérienne. Mais compte tenu des difficultés et du faible rendement de cette culture, nous avons réalisé, à l’instar d’autres auteurs [11], une enquête préliminaire de séroprévalence. Des études de séroprévalence réalisées dans certains pays africains avaient révélé des taux plus bas que les nôtres, allant de 1 % au Sénégal à 24 % en République Démocratique du Congo [7,10]. Cela pourrait être lié à notre échantillonnage mais aussi aux techniques de diagnostic utilisées. En effet, les techniques d’Ifi et de Western blot sont plus sensibles que les techniques de colorations telles que le Giemsa. Ryffelk avait trouvé une sensibilité et une spécificité du western blot respectivement de 90 et de 94 % [12]. Il pourrait s’agir de réactions croisées avec d’autres spirochètes en dehors des tréponèmes, telles que les leptospires comme le souligne Collares au Mozambique [13]. La séroprévalence dans le groupe B, composé de malades, était significativement plus élevée que dans les groupes A et C, composés de sujets apparemment sains. Cela pourrait faire évoquer l’hypothèse d’une borréliose de lyme dans la population de malades, mais il faudrait auparavant éliminer toute autre étiologie non borrélienne. De plus, l’étude des profils électrophorétiques des protéines observées ne correspondaient pas à celles habituellement rapportées dans la littérature [3]. S’agirait-il d’une espèce particulière de Borrélia ou de réactions croisées avec d’autres spirochètes ?

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5. Conclusion

Références [1]

Les résultats préliminaires de cette enquête de séroprévalence de borréliose en Côte-d’Ivoire ont permis de révéler une circulation probable de cette bactérie dans notre pays. L’analyse du profil électrophorétique au western blot a montré la fréquence élevée de protéines non spécifiques telles que la P43 et la P60. Compte tenu du caractère indirect de la sérologie dans le diagnostic biologique, des études d’isolement de la bactérie par culture ou de biologie moléculaire s’avèrent nécessaires dans la population à risque c’est-à-dire présentant une symptomatologie neurologique et/ou rhumatologique. En effet, l’isolement des souches obtenues après culture pourrait nous permettre d’affirmer l’existence de borréliose de Lyme en Côte-d’Ivoire. De plus, la caractérisation moléculaire de ces souches permettrait de les comparer aux autres souches isolées dans d’autres pays.

[2] [3] [4]

[5]

[6] [7] [8]

[9]

[10]

Remerciements • À la Fondation Roche pour la recherche en Afrique et en particulier au docteur Louis Haller. • À l’institut de zoologie (université de Neufchâtel en Suisse) et en particulier au professeur Betschart B. chef du département de parasitologie et à toute son équipe. • Aux centres nationaux de transfusion sanguine d’Abidjan et de Bouaké.

[11] [12]

[13]

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