Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2016) 8, 411-416 ISSN 1877-1203
Revue des
Maladies
Respiratoires Organe Officiel de la Société de Pneumologie de Langue Française
Actualités
Cours du Groupe d’Oncologie thoracique de Langue Française GOLF 2016
Disponible en ligne sur
Lyon, 19-22 septembre 2016 Numéro coordonné par Denis Moro-Sibilot
XXXXX
www.sciencedirect.com www.splf.org
Septembre Vol. 8 2016
N°
5
LES « POPULATIONS » PARTICULIÈRES
Cancers des non‑fumeurs Cancer in non-smokers
T. Berghmans Service des soins intensifs et urgences oncologiques & Oncologie thoracique, Institut Jules-Bordet, Université Libre de Bruxelles, rue Héger-Bordet, 1, B-1000 Bruxelles, Belgique
MoTS CLÉS
Non-fumeur ; Cancers pulmonaires ; Carcinogène
keywordS
Never-smoker; Lung neoplasms; Carcinogen
résumé Le tabac est le principal responsable de l’épidémie de cancers bronchiques. Néanmoins, on estime que 25 % des cancers bronchiques ne sont pas attribuables à un tabagisme actif. Certaines caractéristiques des patients non-fumeurs atteints de cancer bronchique diffèrent des fumeurs : prédominance féminine, tendance à survenir à un âge plus jeune, prépondérance d’adénocarcinomes avec un profil mutationnel différent, pronostic meilleur indépendamment du stade de la maladie. Les carcinogènes impliqués dans la survenue de cancers bronchiques chez le non-fumeur sont détaillés. © 2016 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Tobacco is the main cause of the lung cancer epidemic. Nevertheless, it is estimated that 25 % of lung cancers are not attributable to active smoking. Some features of nonsmoking patients with lung cancer differ from smokers : female predominance, tendency to occur at a younger age, adenocarcinomas preponderance with a different mutational profile, better prognosis regardless of disease stage. The carcinogens implicated in the occurrence of lung cancer in non-smoking are detailed. © 2016 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Correspondance Adresse e-mail :
[email protected] (T. Berghmans). © 2016 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Introduction L’effet carcinogène du tabac est bien connu. De nombreux cancers sont directement liés à la consommation tabagique, favorisant ainsi la survenue de tumeurs de l’œsophage, de la sphère ORL ou de la vessie. Même si de nombreux carcinogènes sont impliqués dans le développement des cancers bronchiques (CB), le tabac en est le principal facteur étiologique, quelle que soit la forme sous laquelle il est consommé : cigarettes, cigares, cigarillos… On estime cependant que 25 % des cancers bronchiques de par le monde ne sont pas attribuables à un tabagisme actif [1]. Cet article a pour but de présenter des données épidémiologiques relatives aux CB chez les patients non-fumeurs, les principaux facteurs étiologiques et les caractéristiques qui les différencient des patients fumeurs.
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différente aux États-Unis selon l’origine ethnique, le taux de CB chez les femmes d’origine européenne étant moindre que celui des Afro-américains (Risque Relatif [RR] 1,56, IC 95 % 1,1‑2,1), les Asiatiques ayant les taux les plus élevés. Cette même tendance se retrouve parmi les hommes [3]. Dans une publication groupant six études de cohorte (Nurses’Health Study ; Health Professionals Follow-Up Study ; California Teachers Study ; Multiethnic Cohort Study ; Swedish Lung Cancer Register in the Uppsala/Orebro region ; First National Health and Nutrition Examination Survey Epidemiologic Follow-Up Study), soit près de 1 400 000 personnes principalement des États-Unis et Nord-Européennes, deux informations importantes peuvent être mises en avant : un taux par 100 000 personnes situé entre 14,4 et 20,8 pour les femmes et 4,8 et 13,7 pour les hommes non-fumeurs et d’autre part, un taux largement inférieur aux ex-fumeurs (femmes 51,4‑76,9/hommes 59,8‑141,4) et aux fumeurs actifs (femmes 149,4‑293,3/hommes 173,7‑362,7) [4].
Définition du patient non-fumeur Un non-fumeur est défini comme une personne n’ayant jamais fumé ou ayant consommé moins de 100 cigarettes durant toute sa vie. Une personne ayant arrêté toute consommation tabagique (« ex-fumeur ») n’entre pas dans ce cadre, au même titre que des fumeurs légers ou occasionnels. Il est important de tenir compte de cette définition lors de l’interprétation et de la comparaison des données de la littérature.
Épidémiologie Les CB sont la première cause de décès par cancer de par le monde et représentent plus d’un million de morts par an. Si on se réfère aux CB chez le non-fumeur, la mortalité attribuable les met en 7e position des causes de décès par cancer avant les cancers du col et de la prostate [1]. Parallèlement à une augmentation du pourcentage d’adénocarcinomes et des femmes, le nombre de non-fumeurs avec CB a augmenté progressivement entre les années 1970 et le début du xxie siècle [2]. La proportion de non-fumeur n’est cependant pas homogène et est dépendante du sexe et de la région. Parmi les femmes, la proportion de non-fumeuses au sein des populations de CB peut atteindre 60‑80 % en Asie du Sud-Est (Chine, Japon) voire plus de 90 % dans le nord de l’Inde alors qu’il se situe aux alentours de 10 % à 20 % aux USA ou en Europe [1]. Par contre chez l’homme, même si certaines régions comme le nord de l’Inde peuvent voir un taux plus élevé de non-fumeurs, ce pourcentage reste généralement inférieur à 10 % [1]. Dans une analyse combinée de données provenant de 21 registres de cancers issus de 10 pays/régions connus pour une incidence faible de tabagisme parmi les femmes ou connaissant un interdit moral ou religieux de la consommation tabagique pour les femmes, les auteurs ont pu mettre en évidence une variabilité importante des taux de CB. À nouveau des taux plus élevés sont observés en Asie, variant de 17 à 88/100 000, soit jusqu’à 30 fois plus qu’aux États- Unis ou en Europe [3]. Dans la même publication et sur base d’analyses de cohorte, les auteurs montrent une incidence
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Facteurs étiologiques Avant de présenter les principaux facteurs étiologiques impliqués dans le développement des CB chez le non-fumeur, il convient de mettre en évidence les principales limites et biais de ces études épidémiologiques. Les populations de référence peuvent varier d’un essai à l’autre de sorte que des facteurs de confusion, éventuellement non connus, ne sont pas inclus dans les analyses et pourraient expliquer des résultats discordants. La présence de facteurs de risque ou protecteur (composition alimentaire…), ainsi que les taux de contamination (asbeste, radon…) sont souvent évalués de manière rétrospective avec les risques de biais y afférant. Certains facteurs de risque et principalement la consommation tabagique peuvent être mal évalués ou non pris en considération. Enfin la définition de non-fumeur n’est pas toujours homogène. De nombreux facteurs de risque autres que le tabagisme actif ont été mis en évidence, comprenant le tabagisme passif, l’exposition à des facteurs environnementaux et professionnels, ou certaines prédispositions génétiques [5]. Il faut cependant noter une différence liée au sexe quant à l’exposition à ces facteurs chez les non-fumeurs atteints de CB, les femmes pouvant être 10 fois plus exposée à un tabagisme passif (Odds Ratio [OR] 11, p < 0,0001) et 10 fois moins à un carcinogène lié à une activité professionnelle (OR = 0,1, p = 0,0012) [6].
Tabagisme passif De nombreuses études se sont attachées à démontrer le caractère néfaste du tabagisme passif sur le non-fumeur, exposé à des milliers de carcinogènes contenus dans la fumée de tabac. Plusieurs méta-analyses ont été réalisées au cours des dernières décennies, démontrant progressivement un risque accru de développer un CB par tabagisme passif en cas d’exposition de la part du conjoint, que ce soit l’épouse exposée au tabagisme actif du compagnon ou l’inverse, et sur les lieux de travail. Un excès de risque de l’ordre de 20 %
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par rapport aux personnes non exposées est généralement noté (RR = 1,12‑1,37) [7]. De manière plus interpellante, le tabagisme passif durant l’enfance, quel que soit le sexe de l’enfant et celui du ou des parents fumeurs, semble également favoriser la survenue de CB à l’âge adulte [7]. Dans une étude effectuée par l’International Lung Cancer Consortium (ILCCO), l’excès de risque de CB lié au tabagisme passif est confirmé (OR = 1,24, IC 95 % 1,12‑1,37) de même que celui lié à la consommation active de dérivés du tabac (OR = 3,78, IC 95 % 3,35‑4,26) [8]. De plus, le rôle additionnel du tabagisme passif chez le fumeur actif est souligné (OR = 4,96, IC 95 % 4,52‑5,45). Les mêmes auteurs montrent aussi que le risque n’est pas confiné à développer un adénocarcinome mais entraîne un risque pour les carcinomes épidermoïdes, les carcinomes à grandes cellules mais aussi les carcinomes à petites cellules [8].
L’exposition à l’asbeste Les données principales concernant l’effet carcinogène de l’amiante sont liées au développement de mésothéliomes. Dans deux méta-analyses comportant essentiellement des études de cohorte, une augmentation du risque de CB chez le travailleur exposé conjointement à l’amiante et au tabac est observée en comparaison au travailleur non-fumeur avec des rapports de risque de 1,8 et 2,04 [7]. L’exposition en dehors du milieu professionnel a rarement été évaluée. Deux études évaluant la fréquence de CB chez des conjoints en contact avec des travailleurs de l’amiante ont été rapportées [9]. Dans la première, 2 218 contacts avec de l’amosite ont été étudiés. Une légère augmentation du risque de CB chez l’homme est décrite (observé vs attendu = 1,97), mais pas chez la femme (observé vs attendu = 1,70). Dans la seconde étude, 1 780 épouses de travailleurs exposés au chrysotile et/ou à la crocidolite ont été incluses, sans qu’une augmentation du risque de CB ne soit trouvée (SMR = 1,17 ; IC 95 % : 0,60‑2,04). Il est important de noter la différence au niveau du type de fibre minérale mise en cause et de l’importance de l’exposition aux fibres d’amiante, beaucoup plus faible que chez les travailleurs en milieu professionnel. Une relation entre le risque de cancer, l’intensité et la durée d’exposition est connue mais avec des chiffres éminemment variables. Récemment, certains auteurs ont montré un accroissement du risque relatif de 1‑4 % par fibre-année/ ml (f-y/ml), estimant un doublement du risque pour une exposition de 25‑100 f-y/ml [10].
Le radon Les premiers cas décrits de cancers des voies respiratoires suite à une exposition au radon datent de la fin du xixe siècle, chez des mineurs. La principale source provient de descendants solides à vie courte, Polonium-218 et 214. L’exposition la plus courante est observée dans les mines d’uranium mais des expositions non professionnelles peuvent survenir, par exemple au départ de roches granitiques qui peuvent être utilisées pour la construction de bâtiments. Un accroissement modéré du risque de CB après exposition en milieu professionnel a été confirmé dans une
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méta-analyse récente [11]. Même si le risque attribuable est variable d’une étude à l’autre [12], estimé entre 3 % et 20 % et correspondant à un nombre de décès annuel situé entre 13 et 2 900 [13], certaines méta-a nalyses suggèrent une augmentation de 10 % du risque de CB chez les non-fumeurs dans le contexte d’une exposition environnementale [7,14]. Il semble exister une relation dose-effet, le risque étant essentiellement observé au- delà d’une exposition cumulée de 100 Bq/m³ [7] avec un incrément de 7 % du risque de cancer par palier de 100 Bq/m³ [14]. Dans le même ordre d’idée, plusieurs études ont étudié la relation entre irradiation médicale et CB. La relation reste incertaine, et si elle existe a probablement un effet additif à la consommation tabagique [7].
La pollution La pollution atmosphérique est régulièrement incriminée dans le développement des CB. Des études cas-contrôles ou de cohorte chez les non-fumeurs ne permettent malheureusement pas d’arriver à une conclusion définitive d’autant que ces études contiennent des biais méthodologiques et des facteurs confondants limitant leur utilisation [7]. Plus récemment, le diesel a été incriminé et rajouté en catégorie 1 à la liste des carcinogènes de l’IARC [15]. Une relation dose-effet entre l’exposition au diesel et CB est démontrée parmi les travailleurs [16]. Néanmoins, dans une revue systématique regroupant 42 études de cohorte et 32 études cas-témoins, seules 9 et 24 études respectivement ont intégré dans leur analyse la consommation tabagique [17]. Enfin, la pollution au domicile n’est pas en reste. L’usage de fuel domestique et de charbon de bois, ce dernier principalement utilisé dans la cuisine en Asie est également un des facteurs responsables de CB chez le non-fumeur, entre autres dans les pays asiatiques [18].
Autres facteurs de risque L’exposition aux dérivés de la silice est associée à une augmentation du risque de CB en milieu professionnel (SMR 1,2, IC 95 % 1,1‑1,3), le risque étant proportionnel à l’intensité cumulée de l’exposition [19]. Sur base d’études cas-témoins et de cohorte généralement de petites tailles, on estime le risque relatif pour un non-fumeur exposé aux dérivés de la silice entre 1,6 et 2,2 [7]. Chez le non-fumeur, la relation entre maladies pulmonaires chroniques (BPCO, emphysème, asthme) reste controversée [20] même si dans une méta-analyse, un accroissement significatif (RR = 1,8) de CB est noté chez les patients asthmatiques, le risque persistant si la méta-analyse ne tient compte que des études ayant contrôlé leur analyse pour le statut tabagique [21]. Une histoire familiale de CB est associée à une augmentation du risque de développer un CB [22]. Parmi les facteurs incriminés, on peut trouver une susceptibilité différentielle aux carcinogènes en fonction d’un polymorphisme génétique touchant les mécanismes de détoxification (CYP1A1, GSTM1), de réparation de l’ADN et des voies inflammatoires [5],
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suggérant une inégalité devant certains facteurs de risque comme l’exposition au tabagisme passif [23]. Certaines infections ont été mises en relation avec les CB. Sur base d’études cas-contrôles, on trouve des risques attribuables de CB entre 1 % et 8 % pour les personnes ayant présenté une tuberculose [7]. Des papillomavirus (HPV 6, 16 et 18) ont été trouvés dans les CB, plutôt chez les patients fumeurs [24]. De même, une augmentation du risque de CB est observée chez les patients touchés par le HIV. Néanmoins, les données épidémiologiques restent insuffisantes que pour conclure au rôle étiologique de ces infections virales. De nombreux facteurs étiologiques autres que le tabagisme actif, sont ainsi incriminés dans le développement des CB chez les non-fumeurs. Afin d’évaluer ces facteurs dans la patientèle que nous suivons régulièrement, je vous propose de détailler les résultats d’une étude prospective récente effectuée dans une population majoritairement caucasienne de non-fumeurs (BIOCAST/IFCT-1002). Un groupe de 384 patients nouvellement diagnostiqués avec un CB, a été évalué pour les principaux facteurs de risque [25]. Un nombre significatif de patients (13 %) ont été exposés à un carcinogène professionnel, une différence notable étant observée selon le sexe, 35 % des hommes pour seulement 8 % des femmes rapportant ce type d’exposition (p < 0,0001). Les 4 principaux toxiques recensés étaient, par ordre de décroissance, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (9 %), l’amiante (7 %), les dérivés de la silice (4 %) et le diesel (2 %). Par contre, un tabagisme passif a été plus fréquemment trouvé chez les femmes (64 % vs 38 %, p < 0,0001), la majorité des expositions étant documentées au domicile (59 %) plutôt que sur le lieu de travail (18 %). Il faut également noter que l’exposition au tabagisme passif a débuté dans l’enfance dans 62 % des cas. Une exposition aux fumées de cuisson (> 50 % de sa vie) a été documentée dans 26 % des cas, à nouveau avec une prépondérance féminine. Une histoire familiale de CB (au moins deux parents au 1er degré) a été notée dans 24 % des cas ainsi que des antécédents de tuberculose ou de maladie bronchique dans 8 % et 13 % des cas.
Caractéristiques des patients non-fumeurs Outre une prédominance féminine, il existe une tendance à ce que les CB diagnostiqués chez les non-fumeurs surviennent à un âge moins avancé que chez le fumeur [4]. Même si tous les types histologiques observés au sein des CB ont été décrits chez le non-fumeur, c’est le sous-type adénocarcinome qui prédomine avec une fréquence pouvant atteindre 70 % [4], voire 80 % [26]. Si la fréquence des cancers bronchiques à petites cellules est généralement inférieure à 2 % de l’ensemble des CB du non-fumeur [26], le pourcentage de non-fumeurs parmi les personnes atteintes de cancer bronchique à petites cellules reste faible, comme rapporté dans deux études rétrospectives récentes avec des taux de 2,2 % [27] et 12,8 % de non-fumeurs [28]. Autre donnée différenciant les fumeurs des non-fumeurs, le profil moléculaire distinct au sein des adénocarcinomes. Dans une étude incluant 69 adénocarcinomes réséqués par voie chirurgicale (39 de fumeurs et 30 de non-fumeurs), Thu et coll. ont effectué une analyse en haute résolution
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du génome complet par mesure du nombre de copie d’ADN, qu’ils ont ensuite validée indépendamment dans deux banques publiques de tissus [29]. Ces auteurs ont montré une disparité tant globale que régionale du génome tumoral, les tumeurs de non-fumeurs ayant une plus grande portion de leur génome altérée et certaines spécificités comme un accroissement du nombre de copie des chromosomes 5q, 7p et 16p. D’autres auteurs, dans une revue de la littérature, concluent à une plus grande fréquence de mutations somatiques et de variations nucléotidiques somatiques isolées dans les tumeurs de fumeurs que dans les adénocarcinomes de non-fumeurs [30]. La différence de profil mutationnel des tumeurs chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs a une implication pratique dans la recherche de mutations activatrices d’EGFR et de translocation ALK pour lesquelles des thérapies ciblées hautement efficaces sont disponibles en routine. Une différence significative dans la fréquence relative des mutations activatrices d’EGFR, plus souvent observées chez le non-fumeur, et celles de KRAS, plus communes chez le fumeur, sont connues depuis plusieurs années [1]. Une large étude prospective française rapportée par l’IFCT, avec le soutien de l’Institut National du Cancer Français, a évalué la fréquence de six altérations moléculaires analysées dans 28 centres de génétique certifiés chez des patients atteints de cancers bronchiques non à petites cellules majoritairement (84 %) à un stade III-IV [31]. Les six altérations génétiques tumorales testées concernaient les mutations d’EGFR, HER2, BRAF, KRAS et PIK3CA ainsi que la translocation ALK. 17 664 patients, correspondant à 18 679 analyses moléculaires, ont été inclus sur une période de 1 an (avril 2012-avril 2013). Il s’agissait principalement de sujets masculins (65 %) et 19 % des patients étaient non-fumeurs. Vu la fréquence faible des mutations recherchées dans les épithéliomas épidermoïdes, il était attendu de n’avoir que peu de tumeurs de ce type dans la série (5 %) et d’y trouver en priorité des adénocarcinomes (76 %), le reste étant composé de cancers à grandes cellules ou non spécifiés (NOS, not otherwise specified). Dans la population générale, la fréquence des altérations moléculaires était la suivante : KRAS 29 %, EGFR 11 %, HER2 1 %, BRAF 2 %, ALK 5 %, PIK3CA 2 %. Une différence statistiquement significative dans le profil génétique des tumeurs de fumeurs et de non-fumeurs a été observée pour l’ensemble des mutations (sauf pour BRAF) et pour la translocation ALK avec une augmentation de la fréquence d’EGFR (44 %), de ALK (14 %), HER2 (4 %), PIK3CA (4 %) et une diminution de celle de KRAS (9 %) chez le non-fumeur. Il est connu que la fréquence des mutations d’EGFR est plus élevée dans les populations asiatiques, principalement dans le sud-est [32]. Néanmoins, cette différence est moins marquée lorsqu’on s’attache à des populations non-fumeuses. L’étude BIOCAST [25] retrouve des chiffres similaires à l’étude de Barlesi et coll. [31] avec 73 % d’altérations moléculaires potentiellement ciblables, dont 51 % de mutations d’EGFR, 11 % de translocation ALK et 6 % de mutations de KRAS, parmi 384 patients non-fumeurs avec un CBNPC récemment diagnostiqué. Dans une étude similaire groupant 198 adénocarcinomes réséqués chez des patientes coréennes, 79 % d’anomalies actionnables étaient trouvées, dont 63 % de mutation d’EGFR, 7 %, 1 % et 1 % de translocation ALK, ROS-1 et RET respectivement et toujours un taux
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très faible de mutation de KRAS (4 %) [33]. Enfin, l’impact du tabagisme passif et son importance ont été évalués dans l’étude BIOCAST [34]. Tant l’exposition au tabagisme passif que la durée d’exposition n’ont eu aucune influence sur la fréquence des altérations moléculaires étudiées, si ce n’est une tendance inverse, non statistiquement significative, entre la durée d’exposition et la fréquence de mutation d’EGFR.
Pronostic De nombreuses études ont montré un pronostic meilleur pour les patients non-fumeurs atteints de CBNPC, quel qu’en soit le stade, par rapport aux fumeurs. Cette différence reste statistiquement significative en analyse multivariée [2,35,36]. Il faut cependant tenir compte de facteurs confondants, comme la présence de mutation d’EGFR qui en soi est associée à une meilleure survie dans le cas de maladies avancées et plus fréquente chez les non-fumeurs, qui ne sont généralement pas inclus dans ces analyses pronostiques. L’arrêt de la consommation tabagique doit aussi être considéré. Dans une large étude de registre américaine incluant 61 440 patients, les auteurs n’ont mis en évidence aucune différence dans le risque de décès entre les non-fumeurs et les personnes ayant arrêté de fumer, qu’on considère les tumeurs de stade I-II (HR = 1,01, IC 95 % 0,94‑1,08 ; p = 0,77) ou les stades III-IV (HR = 1,01, IC 95 % 0,96‑1,06 ; p = 0,75) [37]. Par contre, dans la même étude, une différence statistiquement significative du risque de décès est associée à un tabagisme actif tant pour les stades I-II (HR = 1,07, IC 95 % 1,00‑1,14 ; p = 0,06) que III-IV (HR = 1,06, IC 95 % 1,01‑1,11 ; p = 0,01). Une seconde étude confirme également une meilleure survie des patients non-fumeurs quel que soit le stade tumoral sans mettre en évidence un effet positif de l’arrêt du tabac [38]. La définition d’ex-fumeur est cependant différente selon les deux études et ne permet pas de réaliser une comparaison optimale.
Conclusions Les patients non-fumeurs atteints d’un cancer bronchique représentent une population particulière et distincte sur plusieurs caractéristiques de celle des fumeurs. Outre la prépondérance féminine, de nombreux facteurs de risque sont impliqués, les plus fréquents étant le tabagisme passif et l’exposition à des carcinogènes comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques, l’amiante ou la silice. Un profil mutationnel différent avec une augmentation de la fréquence d’altérations génomiques actionnables pour lesquelles un traitement ciblé est déjà disponible en routine, justifie chez ces patients au vu de l’impact thérapeutique potentiel, une persévérance certaine dans leur recherche.
Liens d’intérêts T. Berghmans : l’auteur n’a aucun intérêt en lien avec cet article.
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