Cancers et expositions environnementales : entre certitudes et incertitudes

Cancers et expositions environnementales : entre certitudes et incertitudes

Bull Cancer 2019; 106: 975–982 Cancers et expositions environnementales : entre certitudes et incertitudes Article original en ligne sur / on line ...

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Bull Cancer 2019; 106: 975–982

Cancers et expositions environnementales : entre certitudes et incertitudes

Article original

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com

Nicole Falette 1, Béatrice Fervers 1,2,3, Julien Carretier 1,4

Reçu le 20 mai 2019 Accepté le 14 août 2019 Disponible sur internet le : 10 octobre 2019

1. Centre Léon-Bérard, département cancer environnement, 28, rue Laënnec, 69373 Lyon cedex 08, France 2. Centre de recherche en cancérologie de Lyon, UMR Inserm 1052-CNRS 5286, équipe signalisation des hormones stéroïdes et cancer du sein, Centre LéonBérard, 28, rue Laënnec, 69373 Lyon cedex 08, France 3. Université Claude-Bernard Lyon 1, 43, boulevard du 11-Novembre-1918, 69100 Villeurbanne, France 4. Université Claude-Bernard Lyon 1, HESPER EA 7425, 43, boulevard du 11-Novembre-1918, 69100 Villeurbanne, France

Correspondance : Nicole Falette, Centre Léon-Bérard, département cancer environnement, 28, rue Laënnec, 69373 Lyon cedex 08, France. [email protected]

Keywords Cancer Environment Paradigm Exposome Socio-economic determinants

Résumé Si l'amélioration de l'environnement et des conditions de vie ont contribué depuis plus d'un siècle à une augmentation importante de la longévité humaine, le rôle des facteurs environnementaux dans l'apparition des cancers est devenu une préoccupation de santé publique. Il est admis qu'un certain nombre de facteurs environnementaux tels que la qualité des milieux (air, eau, sols) et les changements environnementaux sont autant d'éléments qui contribuent à la survenue de certains cancers. Malgré cette prise de conscience, leurs répercussions potentielles sur la santé soulèvent de nombreux questionnements scientifiques. Le développement de nouveaux outils méthodologiques pour la caractérisation des expositions, l'étude de l'association entre agents environnementaux et cancer par une approche exposition-cancer, les impacts sanitaires qui en résultent, ont conduit à des changements de paradigmes scientifiques et à la formulation du concept d'exposome. Ce concept, au cœur des enjeux actuels en santé-environnement, prend en compte les déterminants de la santé reliés à la qualité des milieux de vie des populations et apporte une aide à la décision aux politiques publiques. In fine, il s'agit de développer des mesures susceptibles de réduire les expositions et prévenir les risques et dommages sanitaires des populations le plus vulnérables tant dans leur environnement physique que dans leur cadre de vie incluant les déterminants économiques et sociaux.

Summary Cancers and environmental exposures: Between uncertainties and certainties While improvements in the environment and living conditions have contributed to a significant increase in human longevity for over a century, the role of environmental factors in the occurrence of cancer has become a public health concern. It is recognized that a number of environmental factors such as environmental quality (air, water, soil), or environmental changes contribute to

tome 106 > n811 > novembre 2019 https://doi.org/10.1016/j.bulcan.2019.08.017 © 2019 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de Société Française du Cancer.

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Mots clés Cancer Environnement Paradigme Exposome Déterminants socioéconomiques

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N. Falette, B. Fervers, J. Carretier

the occurrence of certain cancers. Despite this awareness, their potential impacts on health raise many scientific questions. The development of new methodological tools for the characterization of exposure, the study of the association between environmental agents and cancer through an exposure-cancer approach and the health impacts associated, have led to changes in scientific paradigms including the concept of exposome. This concept, at the heart of health and environmental issues, takes into account the determinants of health related to the quality of populations' living environments and provides assistance in public policy decision-making. Ultimately, the aim is to develop measures likely to reduce exposure and prevent health risks and damage to the most vulnerable populations, both in their physical environment and in their living environment, including the economic and social determinants.

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i l'amélioration de l'environnement et des conditions de vie ont contribué depuis plus d'un siècle à une augmentation importante de la longévité humaine, le rôle des facteurs environnementaux dans l'apparition de certains cancers est devenu une préoccupation de santé publique. Au cours des dernières décennies, les progrès scientifiques et l'essor de la « santé environnementale » ont permis de mieux comprendre certains effets sur la santé des expositions aux agents physiques, chimiques et biologiques présents dans les milieux naturels, professionnels et domestiques, mais de nombreuses questions restent ouvertes. Pris au sens large, l'environnement incluant tout ce qui n'est pas génétique recouvre l'environnement chimique, la pollution atmosphérique, l'environnement physique comme les radiations UV et les facteurs biologiques exogènes (virus, bactéries) qui ont un impact important dans le contexte de l'étiologie de certains cancers, présents dans les milieux de vie et le contexte professionnel [1]. Selon la définition de l'OMS [2], les facteurs environnementaux incluent en plus des facteurs exogènes physiques et chimiques, les habitudes alimentaires (alimentation riche en graisses, en sucre. . .), les modes de vie (tabac, alcool, sédentarité), les facteurs sociaux et les facteurs comportementaux. Cette définition est en adéquation avec la notion médicale, toxicologique et scientifique qui privilégie la connaissance des mécanismes biologiques, biochimiques, biomoléculaires à l'origine des pathologies avec pour objectif de mieux les traiter ou les prévenir au niveau individuel.

Historique des liens entre expositions environnementales et cancers

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La prise de conscience des répercussions de certaines expositions sur la santé humaine s'inscrit dans un processus historique, parallèle au développement que connaissent l'économie et les sociétés. Les premières constatations de liens entre exposition environnementale et cancer remontent au XVIIIe siècle avec la description par Pott d'une augmentation de la fréquence des cancers du scrotum chez les ramoneurs [3]. Près de trois siècles plus tard, les chercheurs continuent à établir et à quantifier cette relation. La prise en compte des facteurs environnementaux

comme cofacteurs potentiels a permis de mieux comprendre l'apparition de certaines pathologies aiguës directement liées à des expositions de type accidentel ou des catastrophes d'origine naturelle. Aujourd'hui, il est admis qu'un certain nombre de facteurs environnementaux présents dans les milieux (air, eau, sols), tels que les polluants organiques persistants ou la pollution atmosphérique, contribuent au développement de nombreuses pathologies : cancers, maladies cardiovasculaires, asthme, troubles neurologiques. . . Cette contribution de l'environnement dans l'apparition des cancers est avérée pour de nombreux cancérogènes, on peut citer le tabagisme passif et le cancer bronchopulmonaire [4,5], la pollution atmosphérique et le cancer du poumon [6,7], le radon et le cancer du poumon [8,9] ainsi que d'autres localisations cancéreuses, l'amiante et le mésothéliome [10,11], les pesticides et les lymphomes chez les agriculteurs [12], les rayonnements UV et le mélanome [13,14], le trichloréthylène et le cancer du rein [15,16]. On constate l'existence d'un délai important entre les premières études rapportant une augmentation du risque de cancer en lien avec l'exposition à un agent et la classification de cette substance en agent cancérogène, voire à la mise en place de potentielles mesures réglementaires. Les exemples de l'amiante et du risque de mésothéliome décrit en 1960 et reconnu agent cancérogène pour l'homme (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 1987, et de la pollution atmosphérique et du risque de cancer bronchopulmonaire rapportée pour la première fois dans en 1952 le British Medical Journal et classé comme cancérogène certain par le CIRC en 2013 [17] illustrent ce décalage. À ce jour, plus de 300 substances classées par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) comme cancérogènes avérés (groupe 1) ou suspectés (groupes 2A et 2B) pour l'homme, sont retrouvées dans l'environnement pris au sens large. Parmi ces nombreux facteurs, les individus sont généralement exposés dans l'environnement stricto sensu à la pollution atmosphérique, à certains pesticides, aux gaz d'échappement des moteurs diesel, au radon, dioxines, PCB, UV. Parmi ces facteurs, les UV, le tabac, le benzo[a]pyrène ou l'acide aristolochique sont cancérogènes et ont été identifiés comme étant à l'origine de signatures mutagènes spécifiques [18–20].

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Facteurs environnementaux et incidence des cancers Le CIRC a récemment publié les résultats d'une étude dont l'objectif est d'estimer la part et le nombre de nouveaux cas de cancers attribuables à des facteurs de risque liés au mode de vie ou à l'environnement, en France métropolitaine en 2015 [24]. L'étude a estimé que 40 % des cancers en France, soit 142 000 cas de cancers, pourraient être évités en optimisant l'exposition à des facteurs de risque liés au mode de vie ou à l'environnement, dont le radon, la pollution atmosphérique, l'arsenic et le benzène. D'après leurs résultats, la contribution de facteurs tels que les infections est estimée à 4 % et celle des expositions professionnelles à 3,6 % dans l'incidence des cancers en France. Cependant, pour un certain nombre de facteurs environnementaux avérés, comme les dioxines, les PCB, certains pesticides, le formaldéhyde ou encore les gaz d'échappement des moteurs diesel, l'étude n'a pas été en mesure d'estimer la fraction de risque attribuable du fait d'un manque de données concernant l'exposition en population générale. Par ailleurs, la part des expositions environnementales et professionnelles dans la survenue des leucémies est estimée à 4 % environ, tandis qu'elle est de 83 % pour les mésothéliomes en lien avec l'exposition à l'amiante et au tabac [25]. L'équipe de Tomasetti et Vogelstein a démontré que le risque de cancer au cours de la vie, dans un type de tissu donné était significativement corrélé au nombre de divisions de cellules souches dans ce tissu. Selon les auteurs, deux tiers des cancers seraient ainsi liés au hasard de la survenue de mutations d'ADN « malchanceuses » lors de la division des cellules souches. Moins d'un tiers des cancers serait attribuable aux prédispositions génétiques et facteurs environnementaux [26]. Cette hypothèse a généré beaucoup de données scientifiques et de débat public ainsi

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qu'une certaine confusion. En 2017, cette même équipe confirme le rôle susceptibilité des erreurs réplicatives dans l'étiologie du cancer. Ces résultats concordent avec les estimations épidémiologiques de la fraction des cancers qui peuvent être évités par des changements dans l'environnement. De plus, les auteurs soulignent l'importance de la détection et de l'intervention précoces pour réduire le nombre de décès dus aux nombreux cancers résultant des mutations inévitables [21]. Selon les résultats du CIRC, 59 % des cancers restent à expliquer, sachant que les facteurs génétiques, un certain nombre de facteurs environnementaux et l'identification des cancers liés à la pratique médicale (augmentation de l'incidence du cancer de la prostate due à l'augmentation des pratiques diagnostiques, par exemple) n'ont pas été pris en compte [24]. Ces données montrent toute la difficulté, malgré les efforts de recherche, à estimer l'impact de l'environnement sur la survenue des cancers. C'est ainsi que la possibilité d'établir une relation entre un facteur environnemental et l'apparition ou l'aggravation d'un cancer est primordiale mais s'avère complexe.

Études épidémiologiques L'évolution de nouvelles méthodologies et les avancées scientifiques ont permis d'élargir la dimension temporelle du développement des cancers soulignant l'importance d'évaluer les expositions sur la vie entière. Le rôle des facteurs environnementaux dans le développement du cancer a été démontré grâce aux nombreuses informations fournies par les études épidémiologiques, en particulier les mesures d'exposition basées sur l'utilisation de questionnaires et d'auto-déclaration. Certaines études cas-témoins ont permis d'évaluer l'exposition aux pesticides et leur incidence dans la survenue de la maladie de Parkinson sur la base de recueils de questionnaires professionnels dans la population viticole [27]. Des recueils d'expositions à domicile ont été également facilités par des questionnaires sur les modes de vie, et ont permis l'identification de certains pesticides après expositions domestiques. Plus récemment, des mesures dans les poussières ou dans l'air intérieur ont complété ces évaluations [28].

Mécanismes moléculaires Depuis le début des années 1980, combinés à la mise en place de grandes cohortes, les biomarqueurs moléculaires ou indicateurs d'exposition ou d'effet ont permis de réels progrès. En effet, des mesures biologiques de certains marqueurs d'effet dans les liquides biologiques (sang, urine) ont permis d'évaluer l'activité biologique de l'acétylcholinestérase après exposition aux pesticides [29]. Les techniques de haute résolution appliquées à la compréhension des mécanismes de survenue du cancer et au diagnostic ont changé la recherche sur le cancer. Les progrès de la génomique, transcriptomique, épigénomique ont permis de générer des structures multidimensionnelles de

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Les mutations résultant d'erreurs de réplication de l'ADN sont une cause nécessaire mais non suffisante pour le développement d'un cancer [21]. D'autres mécanismes biologiques sont essentiels, notamment des événements non génotoxiques tels que l'échec de la surveillance immunitaire, l'inflammation ou des aberrations épigénétiques. Ces processus qui agissent au niveau du micro-environnement cellulaire et interfèrent avec la plasticité cellulaire, peuvent être induits par des facteurs de risque connus de cancer, comme le syndrome métabolique, peu susceptible d'avoir un effet mutagène comme mode d'action principal. Ils peuvent en revanche agir en favorisant la sélection de cellules déjà porteuses de mutations somatiques [22]. Ces expositions externes sont susceptibles de ne pas agir isolément. Pour mieux comprendre leur rôle dans les causes du cancer et améliorer leur prévention, il sera important de réunir le macroenvironnement et les mécanismes de la cancérogenèse (microenvironnement). Le concept de l'exposome permet de relier l'exposition externe (macro-environnement) et la réponse biologique (micro-environnement) [23].

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biomarqueurs d'effet et de sensibilité, essentielles pour la compréhension des mécanismes moléculaires [30]. Des études sur le bisphénol A [31,32] et les phtalates ont mis en évidence des modifications au niveau des grandes fonctions cellulaires, telles que la différenciation, le cycle cellulaire, ou les processus de biosynthèse des hormones stéroïdiennes [33]. Il est difficile de dire si ces modifications sont des causes ou des conséquences des phénotypes observés et d'établir des relations directes entre exposition et altérations transcriptionnelles mesurées souvent longtemps après l'exposition. Des approches protéomiques ont été récemment exploitées afin de caractériser une signature biologique caractéristique d'une exposition au bisphénol A chez le rongeur soit au niveau de la glande mammaire [34], soit au niveau des organes impliqués dans l'immunité [35]. Ces études ont ainsi mis en évidence et identifié plusieurs protéines dont l'expression semble significativement affectée par le BPA, dont certaines impliquées dans la signalisation cellulaire. Même si les approches protéomiques permettent une détection précoce de la maladie, elles détectent généralement les biomarqueurs que parce que la maladie est déjà présente. Ainsi, des limites à la capacité d'identifier des voies de signalisation claires à partir des données omiques existent, en particulier en métabolomique, en raison d'une compréhension de la signalisation associée encore limitée. Par conséquent, les approches basées sur la génétique sont celles qui vont permettent de prévoir la maladie, et ainsi d'estimer les risques des dizaines d'années avant qu'une maladie n'apparaisse. Les mutations du gène KRAS ont été identifiées comme majeures dans les cancers bronchopulmonaires des fumeurs et des ex-fumeurs, alors que les mutations du gène EGFR impactent principalement les cancers bronchopulmonaires des non-fumeurs [36]. Cette observation suggère que les mêmes voies de signalisation prooncogéniques peuvent être activées de façon différente en fonction de l'étiologie et de l'histoire naturelle du cancer. Par ailleurs, les mutations du gène BRCA1 ont été décrites pour être associées à un risque élevé de cancer du sein et de l'ovaire, tandis que les mutations de BRCA2 sont davantage spécifiques du cancer du sein, y compris chez l'homme [37]. Les biomarqueurs peuvent également être utilisés pour choisir une thérapie ciblée. En effet, dans le cas de patientes atteintes de cancer du sein avec une tumeur sur-exprimant ERBB2, elles peuvent avoir accès au Trastuzumab, réduisant de 50 % le risque de récidive [38]. Même si ces agents ne sont efficaces que pour une petite catégorie de patients, leurs effets démontrent l'intérêt de l'identification d'autres biomarqueurs de la réponse clinique permettant de mieux adapter les traitements aux caractéristiques de chaque cancer. L'élaboration de ces techniques va permettre de construire des modèles de prédiction de risque plus précis. Cependant, les modèles intégratifs en épidémiologie à grande échelle font face à de nombreuses difficultés : au niveau des enquêtes, dans la reconstitution des expositions, la persistance des composés, la programmation de l'exposition. Le

concept de « One Health » dans l'environnement des écosystèmes suggère la multitude des expositions spatiales et temporelles qu'un individu peut subir [39].

Exposome Cette approche intégrée des expositions peut être essentielle dans le développement d'un cancer. En constante évolution, les méthodologies d'évaluation de l'exposition et le cadre conceptuel de l'exposome semblent être les nouvelles frontières de la recherche en santé-environnement. La caractérisation des exposomes individuels combinant des approches spatiales et mesures environnementales avec des approches « -omics » vont permettre de mettre en évidence des effets précoces des expositions environnementales et apporter un support important pour l'établissement d'un lien causal entre exposition environnementale et risque de cancer.

Exposition chronique et génotoxicité : quelle conséquence sur la santé ? Aux différentes dimensions de l'environnement et de la nature des expositions qui font référence à un cadre spatial et comportemental, s'ajoute la dimension temporelle. Cette dimension temporelle des expositions de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte, notamment pendant des fenêtres critiques de développement, semble majeure dans l'impact sur la cancérogenèse [40]. La santé est socialement et biologiquement construite dès les premiers instants de la vie et tout au long des étapes de la vie. Les phases précoces du développement constituent des fenêtres sensibles ou insensibles, au gré de l'environnement selon le stade de développement mais aussi selon l'âge, le statut physiopathologique, le sexe. L'identification des effets précoces des expositions environnementales demeure un support majeur pour l'établissement d'un lien causal. Le risque de développer un cancer de la thyroïde est augmenté chez les personnes exposées aux radiations ionisantes pendant l'enfance. Le risque est maximal lorsque l'exposition a eu lieu à un âge jeune, il diminue avec l'âge [41]. Le risque de cancer du sein secondaire est augmenté chez les patientes ayant été traitées par radiothérapie pour une maladie de Hodgkin [42]. Le risque de cancer du sein augmenterait de 8 à 60 % chez les femmes travaillant de nuit, et ce, en fonction de la durée. La perturbation du rythme biologique qui en découle affecterait la production d'hormones. Le cancer du sein est reconnu comme maladie professionnelle chez les travailleuses de nuit au Danemark depuis 2007 [43]. Ces délais d'apparition de la maladie peuvent être également la conséquence de conditions socioéconomiques pendant des périodes dites sensibles qui induisent des effets à plus ou moins long terme sur la santé [40]. Chez la femme enceinte, la consommation de tabac a été associée négativement à la leucémie de l'enfant de moins de 18 mois dans une étude [44] alors que des associations positives pour les leucémies lymphocytaires aiguës ont été rapportées

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Cancer et environnement : des relations multidimensionnelles Le développement d'autres approches méthodologiques a contribué à la caractérisation de l'exposition de manière intégrée (exposome interne) via l'atteinte des organes cibles en considérant la réponse biologique globale (biomarqueurs, perturbations biologiques) et les mécanismes de toxicité associés (toxicologie systémique) [50]. Cette notion établit le lien entre une approche par milieu et une approche par pathologie, et rend compte de la dimension multidimensionnelle des relations entre cancer et environnement ; elle souligne également la complexité de la caractérisation de cette relation. Par ailleurs, il existe une variabilité individuelle de la vulnérabilité face aux agents cancérogènes, liée en partie au patrimoine génétique de chacun. Dans le cadre de ces études d'exposition, les chercheurs tentent d'élucider les interactions gène-environnement. Ceci est désormais possible grâce à l'analyse simultanée de plusieurs centaines de milliers de gènes dans les études épidémiologiques [51]. Dans l'étude « Gen-Air », aucune interaction significative n'a été mise en évidence pour le cancer du poumon et l'exposition au tabagisme de l'environnement ou la pollution atmosphérique après analyse de 14 polymorphismes de gènes impliqués dans le stress oxydatif et dans le métabolisme [52]. Les données de l'étude « Estelle » constituent une preuve supplémentaire que la consommation d'alcool par la mère pendant la grossesse peut être impliquée dans la leucémie myéloblastique aiguë et que le tabagisme paternel avant la grossesse peut être un facteur de risque de leucémies aiguës chez l'enfant [53]. Cependant, à ce jour, peu de variants génétiques fortement associés à une susceptibilité accrue aux

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cancers ont été identifiés, à l'exception des cancers héréditaires comme les mutations BRCA1.

Variations du lien de causalité entre les expositions Les données mécanistiques et génomiques contribuent de plus en plus fréquemment à la compréhension du rôle causal de certains cancérogènes à partir notamment de l'analyse des signatures mutationnelles [18,20] comme, par exemple, l'association entre l'acide aristolochique, présent dans certaines herbes utilisées en médecine traditionnelle chinoise, et le risque de carcinome à cellules rénales [54]. Ces approches pourraient être mises à profit à l'avenir avec une prévention ciblée et personnalisée, à l'instar des approches thérapeutiques personnalisées des cancers sur la base des profils génomiques des tumeurs. La génotoxicité est une caractéristique habituelle des agents cancérogènes qui peut se manifester par des dommages à l'ADN (cassures de brins, ponts inter-brins, alkylation, etc.) ou par des mutations, survenant lors de la réparation de l'ADN. L'apparition de mutations peut avoir une origine environnementale qu'elle soit physique (irradiation) ou chimique (par exemple certains hydrocarbures aromatiques polycycliques de la fumée de tabac). Si la relation entre la survenue des altérations génétiques et la progression des cellules dans les étapes de la cancérogenèse est reconnue [55], de nombreux cancérogènes, (qu'ils soient initiateurs de lésions aux cellules exposées leur conférant un gain de fonction pour l'initiation ou la progression d'un cancer ou promoteurs favorisant la cancérogenèse en stimulant la division cellulaire), peuvent interférer avec les voies de signalisation ou cibles des étapes-clés du processus de développement tumoral par des mécanismes divers entraînant des altérations de l'expression génique et de la signalisation cellulaire. On peut citer notamment les facultés de pouvoir altérer les capacités de réparation de l'ADN (propriété de certains métaux, comme le cadmium) ou induire une instabilité génomique, induire des modifications épigénétiques ; générer un stress oxydant ou une inflammation chronique (par exemple, l'amiante), affecter la réponse immunitaire (effet immunosuppresseur démontré du lindane), moduler les effets médiés par les récepteurs nucléaires ou de surface, inhiber la sénescence, favoriser la prolifération cellulaire et empêcher l'apoptose [56]. Ainsi par exemple, l'exposition à la pollution atmosphérique est associée à des effets génotoxiques, des changements dans l'expression des gènes impliqués dans la réparation de l'ADN, l'inflammation, la réponse au stress immunologique et oxydant, ainsi qu'à une altération de la longueur des télomères et des effets épigénétiques ,tels que la méthylation de l'ADN. Une étude récente de toxicologie computationnelle a montré que les produits chimiques qui modifient les cibles ou les voies d'exposition caractéristiques du cancer sont susceptibles d'être cancérogènes [57]. La recherche sur les mécanismes d'acquisition d'altérations génétiques (évolution clonale) est nécessaire afin de mieux comprendre comment une cellule tumorale acquiert

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par l'équipe de John et al. [45]. L'incidence accrue des cancers du sein, de l'utérus et des testicules observée dans les populations européennes au cours des 50 dernières années a été attribuée à l'exposition aux perturbateurs endocriniens durant les périodes de vulnérabilité accrue, comme le développement fœtal et les stades péri-pubertaires [46,47]. La consommation maternelle de cannabis pendant la grossesse a été évoquée comme facteur de risque des leucémies par une étude [48], mais une étude récente vient de montrer une relation inverse dans la leucémie du nourrisson [49]. Les circonstances socio-économiques au cours de la vie affectent également la physiologie humaine et les processus pathologiques à travers une myriade d'expositions provenant de sources exogènes et endogènes. Il apparaît que la complexité des agents environnementaux, la multiplicité des sources d'exposition, les variations dans le temps et l'espace, et le manque d'outils de mesure rendent presque impossible la prise en compte de la totalité des expositions environnementales qui affectent notre santé et leurs interactions et effets synergiques, souvent mal connues.

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progressivement des modifications génétiques qui contribuent à son agressivité. Cette compréhension est cruciale pour pallier la progression des cancers résistants aux traitements.

Hétérogénéité génétique des cancers C'est au cours de la cancérogenèse que la mise en place du programme épigénétique est particulièrement importante et sa stabilité est responsable du maintien des fonctions de chaque type cellulaire. Des études expérimentales et épidémiologiques ont fourni la preuve des effets des expositions environnementales sur l'épigénome. En effet, l'environnement est capable de laisser sur l'épigénome des empreintes qui peuvent être intégrées et conservées longtemps après une exposition initiale, voire être transmises aux générations suivantes [58]. Ces modifications transgénérationnelles via les épigénomes concernent des mécanismes comme la méthylation de l'ADN, les modifications post-traductionnelles des histones et l'intervention des ARN non codants. Ils contrôlent le programme d'expression génique au cours de la différenciation cellulaire et du développement. La méthylation de l'ADN reste la plus largement étudiée dans les cellules normales et les cellules cancéreuses, et une profonde dérégulation du méthylome est un événement commun dans de nombreuses tumeurs humaines [59]. Cette notion se complique du fait que l'épigénome est dynamique car ces mécanismes épigénétiques, conséquences des expositions environnementales, peuvent être réversibles. Au cours des périodes critiques de plasticité développementale, ou périodes du développement, apparaissent particulièrement sensibles les périodes fœtale et néonatale, la prépuberté (vers 7–9 ans), un environnement anormal pouvant créer une prédisposition irréversible aux facteurs de risque d'une pathologie survenant à l'âge adulte. L'exposition gestationnelle iatrogène au diéthylstilbestrol (DES) a induit des altérations du tractus génital et prédisposé les femmes à développer un carcinome à cellules claires du vagin ainsi qu'un cancer du sein plus tard dans la vie [60]. L'exposition du fœtus au BPA entraîne des altérations morphologiques de la glande mammaire en développement qui peut conduire à un cancer au cours de la vie [61]. Pour le moment, concernant les données épigénétiques, la reproductibilité des modifications épigénétiques entre études reste limitée, à part éventuellement pour le tabac, aussi la signification clinique des modifications reste en grande partie non identifiée. L'étude du caractère multidimensionnel des impacts de l'environnement sur la santé implique des approches interdisciplinaires et la coordination de disciplines très diverses et complémentaires (sciences biomédicales, sciences humaines et sociales, sciences du climat, écologie, épidémiologie, santé publique, modélisation mathématique, économie, statistiques).

Les cancers sont causés par des mutations qui peuvent être héréditaires, induites par des facteurs environnementaux ou résultant d'erreurs de réplication de l'ADN [21]. La reconnaissance du facteur d'erreurs de réplication de l'ADN contribuant à la mutation ne diminue pas l'importance de la prévention primaire, mais souligne que tous les cancers ne peuvent pas être évités en éliminant les facteurs de risque environnementaux. Heureusement, la prévention primaire n'est pas le seul type de prévention qui existe ou qui peut être amélioré à l'avenir. La prévention secondaire, avec l'identification des effets précoces des expositions environnementales demeure également un support majeur.

Santé-environnement et prévention des cancers À ce jour, ces modèles de prévision de risque permettent déjà d'élaborer une meilleure prévention primaire et secondaire avec l'émergence de la médecine personnalisée qui ouvre la voie de la médecine préventive mais aussi prédictive. Les objets connectés et capteurs de santé vont jouer un rôle prépondérant et permettre de répondre à des enjeux économiques. Les troisièmes Plan Cancer [62] et Plan National Santé Environnement 2015–2019 [63] visent à consacrer des efforts supplémentaires sur l'exposition cumulée (exposome) de la population à ces différents facteurs, qui seront appréhendés au travers d'indicateurs d'exposition globale et de programmes de biosurveillance. La santé environnementale est une discipline qui permet d'initier l'approche scientifique des déterminants de la santé reliés à la qualité des milieux de vie des populations ; elle a pour défi sociétal de réduire les menaces qui pèsent sur les personnes, en particulier les enfants, population très vulnérable, tant dans leur environnement physique que dans leur cadre de vie, en incluant les déterminants économiques et sociaux. La poursuite des efforts en matière de prévention et d'éducation à la santé environnementale, en direction prioritairement des publics scolaires et du grand public, est donc indispensable et doit pouvoir se développer. C'est précisément l'objectif du gouvernement français avec la stratégie nationale de santé 2018–2022 de mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la prévention, dans tous les milieux et tout au long de la vie. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

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