Caractérisation des troubles du langage dans la schizophrénie grâce au bilan orthophonique

Caractérisation des troubles du langage dans la schizophrénie grâce au bilan orthophonique

L’Encéphale (2008) 34, 226—232 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep MÉMOIRE ORIGINAL Cara...

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L’Encéphale (2008) 34, 226—232

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep

MÉMOIRE ORIGINAL

Caractérisation des troubles du langage dans la schizophrénie grâce au bilan orthophonique Qualifying language disorders of schizophrenia through the speech therapists’ assessment C. Boucard a,b,∗, B. Laffy-Beaufils a a

Service de psychiatrie, hôpital Corentin-Celton, 4, parvis Corentin-Celton, 92130 Issy-les-Moulineaux, France Secteur GOS, service de psychiatrie générale, pavillion Pé, centre hospitalier Georges Daumezon, 1, route de Chanteau, 45400 Fleury-Les-Aubrais, France

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Rec ¸u le 27 avril 2006 ; accepté le 24 avril 2007 Disponible sur Internet le 5 novembre 2007

MOTS CLÉS Orthophonie ; Évaluation ; Schizophrénie ; Troubles du langage

Résumé L’orthophoniste participe depuis peu à la réhabilitation de patients atteints de schizophrénie, conjointement aux prises en charge s’inscrivant dans un programme global de réhabilitation psychosociale. Elle tente de traiter spécifiquement les troubles du langage de ce syndrome, en se basant sur l’hypothèse qu’ils sont une conséquence d’un fonctionnement cérébral anormal au même titre que les troubles de mémoire, d’attention et des fonctions exécutives. De ce point de vue, ces troubles semblent abordables par la rééducation de la même fac ¸on que les troubles présentés dans le cadre de lésions cérébrales acquises (traumatismes crâniens, accidents vasculaires cérébraux). La prise en charge orthophonique s’opère sur des patients stabilisés cliniquement et doit débuter par un bilan, préalable nécessaire à la rééducation. Dans un premier temps, nous ferons part de nos observations cliniques quant aux différents troubles du langage dans la schizophrénie et tenterons d’envisager succinctement leurs mécanismes. Ensuite, nous tenterons de démontrer que le bilan orthophonique est nécessaire dans un programme de réhabilitation psychosociale du patient atteint de schizophrénie pour plusieurs raisons : il permet de constater le retentissement fonctionnel sur la communication des troubles du langage, et donc d’estimer l’impact de ces troubles dans la vie quotidienne ; il permet ensuite d’établir un protocole de rééducation individualisé, inscrit dans le projet de soins global du patient. L’intervention orthophonique permettrait de prendre en charge la sémiologie



Auteur correspondant. Secteur G05—service de psychiatrie générale, Pavillon Georges-Pé, centre hospitalier Georges-Daumezon, 1, route de Chanteau, 45400 Fleury-les-Aubrais, France. Adresse e-mail : [email protected] (C. Boucard). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2007. doi:10.1016/j.encep.2007.04.005

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langagière de la schizophrénie, par des techniques de prise en charge développées en rééducation et réadaptation neurologique. Les troubles du langage, qui affectent la compréhension et l’expression, sont un enjeu important pour l’insertion sociale du patient, mais également au sein de la prise en charge, car ils peuvent entraver la bonne intégration d’informations, comme nous le démontrerons. Pour créer cette évaluation, nous nous sommes servis de bilans préexistants et couramment utilisés en neurologie, que nous avons compilés suivant leur pertinence et leur efficacité diagnostiques. Ces épreuves, bien qu’elles ne soient pas encore normalisées permettent de définir un projet de rééducation original et novateur des troubles du langage dans la schizophrénie et constituent un premier pas dans la prise en charge de ce syndrome. Dans cette voie, de nouvelles études actuellement menées sur des populations non psychiatriques aux troubles du langage similaires, permettent d’élargir les possibilités d’évaluation des troubles du langage. © L’Encéphale, Paris, 2007.

KEYWORDS Speech therapy; Assessment; Schizophrenia; Language disorders

Summary This study investigates a comprehensive assessment of language disorders in order to identify impaired and unaffected language abilities of individuals with schizophrenia. Furthermore, the purpose of this study was to demonstrate the importance of the role of speech therapists in the treatment of schizophrenia. Speech therapy is especially thought to treat language disorders. However, to date, speech therapists have not been solicited in the treatment of schizophrenia, despite growing evidence supporting that schizophrenia is characterized by cognitive disorders such as impairments in memory, attention, executive functioning and language. In this article, we discuss the fact that elements of language and cognition are interactively affected and that cognition influences language. We then demonstrate that language impairments can be treated in the same way as neurological language impairments (cerebrovascular disease, brain injury), in order to reduce their functional outcome. Schizophrenia affects the pragmatic component of language with a major negative outcome in daily living skills [Champagne M, Stip E, Joanette Y. Social cognition deficit in schizophrenia: accounting for pragmatic deficits in communication abilities ? Curr Psychiatry Rev:2006;(2):309—315]. The results of our comprehensive assessment also provide a basis for the design of a care plan. For this, subjects with schizophrenia were examined for language comprehension and language production with a focus on pragmatic abilities. In neurology, standardized tests are available that have been designed specifically to assess language functions. However, no such tests are available in psychiatry, so we gathered assessments widely used in neurology and examined the more relevant skills. In this article, each test we chose is described and particular attention is paid to the information they provided on impaired language abilities in schizophrenia. In this manner, we provide an accurate characterization of schizophrenia-associated language impairments and offer a solid foundation for rehabilitation. Current research makes connections between schizophrenia and other neurological disorders concerning language. Nevertheless, further studies are needed to explore these connections to complete our investigations. The strategies we designed are aimed at enabling a subject with schizophrenia to improve his/her language skills. We support the idea that such improvement could be reached by speech therapy. We conclude that speech therapists can play an important role in the non pharmacological treatment of schizophrenia, by selecting appropriate interventions that capitalize on spared abilities to compensate for impaired abilities. © L’Encéphale, Paris, 2007.

Introduction et présentation du service Le présent article s’intéresse à la phase initiale de la prise en charge orthophonique des patients atteints de schizophrénie dans un hôpital de jour. Celui-ci est rattaché à un service de psychiatrie de secteur et prend en charge une quarantaine de patients. Dans cette structure, l’orthophoniste participe à la prise en charge de la schizophrénie. La rééducation

orthophonique s’inscrit dans des programmes de réhabilitation psychosociale et concerne des patients stabilisés cliniquement. Le bilan orthophonique, démarche initiale de la prise en charge, fait partie d’une phase d’évaluation de trois semaines environ, à l’arrivée du patient à l’hôpital de jour. Durant cette période, le patient rencontre les différents professionnels (psychiatre, psychologue, neuropsychologue, infirmiers, orthophoniste).

228 La prise en charge sera ensuite globale et concernera les aspects cliniques, neuropsychologiques et socioprofessionnels de la maladie.

Les troubles cognitifs caractérisant la schizophrénie Les troubles cognitifs dans la schizophrénie découleraient d’un fonctionnement anormal du cerveau, certainement acquis au moment du développement cérébral pendant la grossesse. Plusieurs hypothèses étiopathogéniques sont avancées et semblent pouvoir coexister pour expliquer les mécanismes d’une maladie qui est à présent reconnue comme plurifactorielle [1,11]. Les symptômes cognitifs de la schizophrénie concernent l’attention, la mémoire, les fonctions exécutives et le langage. Ces troubles cognitifs ne sont pas spécifiques à la schizophrénie, ils existent dans d’autres pathologies (traumatismes crâniens, accidents vasculaires cérébraux, démences). Ces troubles seraient la résultante d’un fonctionnement cérébral anormal. Ce fonctionnement n’est pas encore spécifié, malgré la prévalence actuellement de plusieurs modèles étiopathogéniques (affection de l’hippocampe, des lobes frontaux, temporaux, de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine, la dopamine, le glutamate), mais il est probable qu’il résulte d’une somme de facteurs prédisposants (comme le postule le modèle vulnérabilité—stress) qui entraînent une souffrance cérébrale précoce avec perturbation des connexions neuronales. L’expression de ces perturbations ne se fera pas dès l’enfance, elle sera latente, et se produira à la fin de l’adolescence, à la fois période de remaniement des connexions neuronales, et périodes où les facteurs stressants environnementaux auront le plus de poids [11]. Ces troubles cognitifs affectent le fonctionnement quotidien et engendrent une perte d’autonomie [2].

Les troubles du langage dans la schizophrénie : description et hypothèses étiopathogéniques Selon les profils cliniques, les déficits langagiers peuvent se situer au niveau expressif ou réceptif et affectent dans l’ensemble la pragmatique du discours [6]. Ainsi ce n’est pas la compétence langagière qui fait défaut, mais le patient atteint de schizophrénie fait un mauvais usage du langage [10]. Les troubles expressifs tout d’abord, regroupés sous le terme de « troubles formels de la pensée » par Andreasen, sont selon cet auteur les manifestations langagières de la désorganisation de la pensée, également appelée troubles du cours de la pensée [3]. Ces troubles sont aisément perceptibles, et entravent suivant leur sévérité, les capacités communicationnelles du patient. Leur degré de gravité est variable, allant de quelques incohérences dans le discours jusqu’à des digressions dans la même phrase. Les troubles réceptifs sont plus subtils, et parfois ils ne sont objectivés qu’en situation de bilan. Pourtant, l’impact de ces troubles n’est pas négligeable, car ils peuvent engendrer un handicap au niveau scolaire, professionnel, ou même social. Au niveau d’un programme de soins également, ils peuvent gêner l’intégration d’informations au sein des thé-

C. Boucard, B. Laffy-Beaufils rapies. Ces troubles de compréhension n’affectent pas la compétence de décodage du langage, mais les patients seront en général gênés lorsque la compréhension du message mobilise d’importantes ressources cognitives, comme c’est le cas des messages longs et pouvant comporter des inférences à résoudre. Différentes modélisations globales du fonctionnement cognitif sont proposées pour expliquer la symptomatologie langagière de la schizophrénie [6,7,10]. Parmi ces modélisations, l’hypothèse d’un trouble de la théorie de l’esprit [10] et l’hypothèse de troubles dysexécutifs [7] nous paraissent pertinentes, même si le propos de cet article n’est pas de déterminer l’étiologie des troubles du langage. Les troubles du langage dans la schizophrénie pourraient en effet être la conséquence à des degrés divers de ces troubles, et l’intérêt de cette supposition réside dans le fait qu’elle nous fournit des pistes par rapport aux techniques de rééducation à mettre en place. Pour rappel, la théorie de l’esprit peut être définie comme l’aptitude à prédire ou expliquer le comportement d’autres individus en leur attribuant des croyances, des souhaits ou des intentions, c’est-à-dire en concevant qu’ils aient des contenus mentaux différents [6]. Les processus exécutifs sont définis, quant à eux, comme les processus cognitifs qui vont permettre au sujet de s’adapter à une situation nouvelle, ou encore de permettre le bon déroulement d’une action planifiée. On compte parmi ces fonctions la planification, la flexibilité cognitive et l’inhibition. Voici une description globale et non exhaustive des troubles du langage pouvant être rencontrés.

Expression Au niveau expressif, les troubles du langage se résument à un ajustement difficile aux impératifs de la communication. Au niveau non verbal, cet ajustement difficile peut se traduire par une pauvreté des mimiques, un trouble de la prosodie et de la gestuelle accompagnant le discours. Au niveau verbal on peut observer, par exemple, une mauvaise utilisation de marqueurs linguistiques permettant la cohésion de l’énoncé. On peut ainsi assister à une utilisation approximative de certains pronoms sans lien évident avec un référent, ou à l’intrusion d’informations sans rapport avec le contenu de la conversation. Un défaut de planification du discours peut également gêner la cohérence du discours. Pour expliquer cette symptomatologie expressive, nous pouvons donc prendre en considération plusieurs hypothèses, et tout d’abord nous référer au principe de la théorie de l’esprit [6,10]. En situation de communication, la théorie de l’esprit permet au sujet d’émettre des hypothèses sur ce qui relève du savoir partagé et d’adapter le discours au contexte de communication. Un discours sous-tendu par un trouble de la théorie de l’esprit ne tiendrait pas suffisamment compte du savoir partagé sur le thème de la conversation, le locuteur utilisant son propre « jargon », sans prendre la peine d’expliciter des termes obscurs pour son interlocuteur, ou évoquant des faits dont son interlocuteur n’a aucune connaissance. Ces troubles expressifs pourraient également être soustendus plus directement par des déficits exécutifs et

Caractérisation des troubles du langage dans la schizophrénie grâce au bilan orthophonique des troubles attentionnels, notamment de l’inhibition. Les troubles dysexécutifs pourraient expliquer le manque de planification du discours qui revêt un aspect décousu, manquant de cohésion et de cohérence, avec l’intrusion d’informations non pertinentes. Ces deux hypothèses ne sont pas antinomiques, car la théorie de l’esprit requiert l’intégralité des fonctions cognitives, notamment exécutives. La capacité à effectuer ces inférences suppose, en effet, une certaine flexibilité cognitive, une bonne capacité de la mémoire de travail, une aptitude à inhiber des informations non pertinentes et des processus de raisonnement logicodéductifs intacts. Du point de vue de la sémiologie clinique, pour rejoindre la classification des troubles du langage d’Andreasen, un patient présentant des troubles sévères de l’expression ne pourra pas, par exemple, répondre de fac ¸on adaptée à une question (tangentialité), ou ne pourra maintenir l’idée qu’il voulait exprimer (relâchement des associations, perte du but). Des informations sans lien avec la conversation feront irruption du fait d’un manque d’inhibition (digressions), ou alors son discours manquera d’informativité [3]. Compréhension Au niveau réceptif, la mobilisation des ressources cognitives nécessaire à une compréhension élaborée est inefficace du fait des troubles attentionnels, mnésiques et dysexécutifs. D’après nos observations, la compétence de décodage littéral (intégrer ce qui est explicitement dit) n’est pas affectée, comme elle pourrait l’être après lésion cérébrale hémisphérique gauche chez l’aphasique, et pourtant il existe objectivement des troubles réceptifs, affectant la compréhension « élaborée ». Par exemple, une mémoire à court terme insuffisante gênera la compréhension d’un message long. Des processus logicodéductifs défaillants, un trouble de mémoire de travail entraveront la résolution d’inférences, permises normalement par le traitement des informations implicites contenues au niveau linguistique, contextuel et prosodique. Les troubles dysexécutifs empêcheront la synthèse de l’ensemble des informations permettant la compréhension d’une situation ou un récit dans sa globalité [12]. Enfin, les troubles attentionnels perturberont l’inhibition d’informations non pertinentes contenues dans le message, ou encore ayant lieu dans l’environnement (hallucinations, pensées automatiques, bruit environnant, idée irrépressible sur laquelle le patient va se concentrer). Cliniquement, les patients présentant de tels troubles auront des difficultés à comprendre le langage implicite, le langage indirect ou figuratif, situations qui sont finalement les plus fréquentes lors de la communication au quotidien [6].

Définir l’orthophonie et sa place en psychiatrie L’orthophonie est la discipline paramédicale chargée de prévenir, d’évaluer et de rééduquer, notamment chez l’adulte, les troubles de la communication et du langage. Les domaines d’action les plus connus chez l’adulte

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sont l’otorhinolaryngologie, la gériatrie et la neurologie. L’intervention orthophonique à visée rééducative n’est pas développée en psychiatrie. Ses prémices ont débuté, notamment avec les études d’Andreasen qui s’est particulièrement intéressée aux troubles du langage dans la schizophrénie. L’évaluation et la prise en charge des troubles du langage constituent un enjeu important pour le bon déroulement des thérapies dispensées, notamment dans la réhabilitation psychosociale et pour l’insertion scolaire, ou professionnelle ; il est en effet facile d’imaginer les conséquences de troubles du langage tels que nous les avons recensés précédemment. L’évaluation, puis la rééducation nécessite une bonne connaissance du langage et des différents processus pathologiques qui l’affectent afin de développer des exercices de rééducation adaptés. L’orthophoniste est formé à ces troubles, aux techniques d’évaluation et de rééducation. Ces troubles, similaires dans une certaine mesure aux troubles observés dans les pathologies neurologiques, peuvent être améliorés sur le principe de la plasticité et des capacités de réorganisation cérébrale.

Le bilan orthophonique Fonction du bilan orthophonique Andreasen a établi l’échelle d’évaluation Thought and Language Communication qui permet de lister les troubles de l’expression à partir d’un entretien. Cette échelle, en 18 points, permet une description minutieuse des troubles, mais le support utilisé pour coter (un entretien) ne constitue pas un reflet des situations de communication de la vie quotidienne, et peut paraître insuffisant pour mettre en évidence tous les troubles du langage potentiels, car il n’explore pas notamment les troubles de compréhension. Un bilan doit explorer les différentes dimensions du langage, afin de lister les déficits et d’estimer quel est l’impact fonctionnel de ces troubles sur la communication. Il constitue surtout une trame pour la rééducation en indiquant quelles étapes il faudra suivre pour y remédier. Le bilan orthophonique permet donc de caractériser les troubles du langage, de comprendre leur fonctionnement et d’envisager des stratégies de rééducation permettant au patient de pallier ses difficultés. Choix des épreuves Les épreuves constituant le protocole de bilan orthophonique ont été choisies parmi des batteries ou des tests utilisés en neurologie et chez l’adolescent. Seules les épreuves pertinentes pour l’examen du langage dans la schizophrénie ont été retenues et seront développées dans cet article. Ces différents tests sont les suivants : • les batteries d’examen linguistique de l’aphasie Montréal—Toulouse 86 et le Boston Diagnostic Aphasia Examination ; • le test de langage élaboré Test of Language Competence, Expanded Edition (TLC) ; • le test de gestion de l’implicite ; • l’épreuve de narration orale du Petit Chaperon Rouge ; • l’examen des fluences (normes de Cardébat).

230 Description, objectifs de chaque test, résultats observés dans la schizophrénie. Les batteries d’examen linguistique de l’aphasie Montréal—Toulouse 86 [18] et Boston Aphasia Diagnostic Examination [16], normalisées chez l’adulte, permettent l’évaluation des différents aspects du langage lors de lésions de l’hémisphère dominant. Elles étudient la compréhension du langage parlé, l’expression orale (à la recherche de modification du volume verbal, d’une dysprosodie, d’une désintégration phonétique, de troubles de la dénomination, les troubles du maniement de la grammaire et de la syntaxe) et le langage écrit (recherche d’une alexie, d’une agraphie), qui sont autant de troubles que l’on peut retrouver dans la sémiologie des aphasies. Nous avons retenu parmi ces deux batteries l’interview dirigée du MT 86, le récit en images du BDAE et les items de compréhension orale et écrite du BDAE. L’interview dirigée consiste en 12 questions demandant, par exemple, pour le premier stimulus au patient de donner son nom, ou pour le dernier stimulus de donner son avis sur un phénomène de société. L’épreuve de narration orale consiste à décrire oralement une scène imagée. L’interview dirigée et l’épreuve de narration orale permettent une évaluation qualitative du discours dans deux modalités. La première permet d’observer le discours conversationnel, avec notamment les capacités d’ajustement du discours, l’informativité et d’éventuels troubles formels de la pensée tels qu’ils ont été définis par Andreasen [1] (par exemple, tangentialité, digressions). La deuxième permet d’observer le discours narratif, par exemple, comment le sujet va construire sa description de l’image, en relatant la scène dans sa globalité, en un tout cohérent, ou au contraire s’il va faire une description d’une suite de détails sans « fil conducteur ». L’épreuve de compréhension orale est cotée en 12 points, avec quatre questions de logique posées à chaque fois de deux fac ¸ons différentes (un point si les deux réponses sont correctes) et de quatre textes de longueur croissante avec des questions de compréhension également posées de deux fac ¸ons. L’épreuve de compréhension écrite est constituée de dix textes de longueur croissante (avec deux exemples non cotés) que le patient doit compléter en choisissant sa réponse parmi quatre propositions. Ces substests permettent d’appréhender la compréhension littérale du langage et de voir s’il existe un effet de longueur ou de complexité (c’est-à-dire si le trouble de compréhension est majoré par une surcharge au niveau des ressources cognitives). Le Test of Language Competence-Expanded Edition ou (d’après l’édition de Elisabeth H. Wiig et Wayne Secord, traduction franc ¸aise) a été construit pour évaluer les retards dans le développement des compétences linguistiques et dans l’utilisation des stratégies sémantiques et pragmatiques chez l’enfant et l’adolescent (jusqu’à 18 ans 2 mois) [4,14]. Ce test examine dans son ensemble les problèmes métalinguistiques et pragmatiques. Il se compose de quatre sections. Les phrases ambiguës. La première section « phrases ambiguës » comporte 12 items (et deux items d’exemple rajoutés dans la version franc ¸aise). Chaque item représente

C. Boucard, B. Laffy-Beaufils une phrase ambiguë dont le sujet doit reconnaître et donner les deux sens. L’ambiguïté est soit lexicale (cinq items où l’ambiguïté porte sur un mot qui a deux sens, par exemple, « j’ai vu un avocat au marché »), soit structurelle (cinq items où l’ambiguïté est due au fait que des mots adjacents peuvent être regroupés de plusieurs fac ¸ons et ainsi donner un sens différent à la phrase, ou que plus d’une relation logique existe entre les mots (par exemple, « Nicolas dit à Julie qu’il a perdu son classeur »). La compréhension auditive, déductions. La deuxième section « compréhension auditive, déductions » comporte 11 items constitués de deux phrases qui décrivent un script (un enchaînement d’événements) qui ont un rapport causal que le sujet doit retrouver seul dans un premier temps, puis parmi quatre réponses donner les deux plus probables. L’expression orale, création de phrases. La troisième section « expression orale, création de phrases » comporte 13 items (et deux items d’exemple non cotés) où le sujet doit, à partir d’une image illustrant une situation donnée, construire avec trois mots une phrase syntaxiquement et pragmatiquement correcte. Le langage figuratif. La quatrième section « langage figuratif » comporte dix items (et un item d’exemple) divisé en deux parties : un court texte dans lequel une personne emploie une expression figurée que le sujet doit interpréter, et un choix multiple de quatre expressions parmi lesquelles le sujet devra retrouver une expression synonyme. Les quatre propositions sont construites de fac ¸on identique : une phrase de sens contraire, une phrase exprimant le sens littéral de l’expression cible, et une phrase sans rapport mais dans laquelle on retrouve des mots de la phrase cible. Le test de gestion de l’implicite. Le test de gestion de l’implicite [9] permet d’examiner la compréhension « fine » du langage.Vingt situations sont proposées au sujet qui doit répondre à chaque fois à trois questions (oui, non, je ne peux pas répondre). Cinq types de questions sont ainsi proposés : 18 questions pragmatiques qui examinent la compréhension de l’implicite, et des questions complémentaires permettant d’analyser plus finement les déficits du patient : 11 questions explicites qui examineront la compréhension littérale, 12 questions logiques, 13 questions « distracteur » et six questions nécessitant un traitement complexe. Le récit du conte du Petit Chaperon Rouge. Le récit du conte du Petit Chaperon Rouge [13] a été proposé par Lhermitte pour examiner les capacités d’organisation et de planification du discours. Cette histoire est en effet structurée en une série de séquences et permet donc d’observer une réduction du nombre de séquences, ou une modification de l’ordre de ces séquences. Elle examine donc la cohérence du discours et également la cohésion (marqueurs syntaxiques), dimensions qui peuvent être perturbées dans la schizophrénie. L’épreuve des fluences. L’épreuve des fluences [5,15] consiste à demander au patient de produire le plus de mots possibles en 2 min selon un critère catégoriel (animaux, fruits et meubles) ou un critère littéral (p, r et v) et ainsi examiner une éventuelle réduction de la fluidité verbale (critère quantitatif), mais également les stratégies adoptées pour récupérer en mémoire ces mots (critère qualitatif).

Caractérisation des troubles du langage dans la schizophrénie grâce au bilan orthophonique Cette tâche de langage est surtout un indicateur de troubles dysexécutifs.

Discussion Conclusions relatives au bilan Le bilan orthophonique présenté dans cet article a permis une caractérisation fine des troubles du langage dans la schizophrénie. Il constitue une base pour la rééducation en définissant les troubles à rééduquer, mais également en mettant en avant les capacités du patient. Son utilité s’élargit au-delà de la rééducation orthophonique en renseignant sur les capacités de communication et sur le type d’adaptations qu’il va falloir apporter aux programmes de réhabilitation afin que le patient puisse en bénéficier malgré ses troubles. Ainsi, un patient présentant des troubles attentionnels et des troubles de compréhension bénéficiera plus d’une prise en charge de type individuelle dans laquelle on pourra adapter les contenus à ses troubles. Les conditions d’une prise en charge de groupe réunissent en effet tous les éléments qui peuvent compromettre la compréhension (multiplicité des informations à intégrer, présence d’informations distractrices sur lesquelles le patient risque plus de se concentrer) et donc minimiser l’intégrations d’informations importantes. L’orthophoniste déterminera s’il est nécessaire d’entreprendre une rééducation de la compréhension préalable, ou si une prise en charge individuelle « aménagée » est d’emblée possible. Concernant le protocole de bilan, malgré la pertinence de certains items utilisés, une normalisation et une standardisation des épreuves semblent nécessaires, et permettraient d’utiliser les résultats du bilan orthophonique lors du diagnostic clinique ; de nouveaux axes de recherche, développés ultérieurement dans cet article permettront à moyen terme ces adaptations du bilan orthophonique.

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cognitives pour la compréhension élaborée. En découlent des difficultés à traiter, par exemple, un texte. Différentes dimensions concourent au trouble de compréhension textuelle : un trouble de mémoire de travail, gênant la rétention et la manipulation des informations, un trouble de l’inhibition, qui empêche l’inhibition d’informations non pertinentes pour la compréhension, des déficits au niveau des processus logicodéductifs qui empêchent la réalisation d’inférences et enfin des troubles dysexécutifs qui vont entraver la synthèse des informations permettant une compréhension globale [12]. La rééducation s’intéressera, dans un premier temps, à chacun des déficits que nous venons de citer, en fonction des résultats du bilan. Pour cela, nous utilisons des exercices de type papier—crayon ou des logiciels spécifiques dans lesquels chaque fonction est entraînée intensivement. Puis, nous pourrons proposer au terme de plusieurs semaines de rééducation des exercices sur des textes au cours desquels sera fourni un étayage très important, dans le but de fournir au patient une procédure de traitement qu’il pourra appliquer systématiquement. Les supports choisis au départ sont courts et ne mettent en jeu que la compréhension littérale. Il est demandé ainsi systématiquement au patient de souligner les informations qui semblent pertinentes, de choisir parmi plusieurs titres distracteurs un titre qui serait adapté au texte, de répondre à une série de questions organisées de telle fac ¸on qu’elles amènent le patient à comprendre le texte, puis de résumer le texte [12]. Au fur et à mesure de la progression, les énoncés sont allongés, comportent progressivement des informations inutiles à inhiber, des inférences à résoudre. L’étape finale de ces exercices est de proposer un texte au patient et de lui demander de le traiter sans aide selon la méthode qu’il a précédemment utilisée. Différents supports plus écologiques sont ensuite utilisés : textes d’actualité, notices de mode d’emploi, courriers. Les principes décrits dans cet exemple sont applicables aux différents troubles du langage.

Élaboration du plan de rééducation Le bilan orthophonique qui teste les différentes dimensions du langage va servir de trame à la rééducation. Les déficits observés seront les cibles de la rééducation. Le plan de rééducation se construit à partir d’un objectif, défini en fonction du projet de soin, et à partir des données des autres évaluations, neuropsychologiques notamment. Cet objectif doit être individualisé et le plus en lien possible avec la vie quotidienne. Dans un premier temps, la rééducation vise à entraîner les capacités déficitaires dans le but de les améliorer, on utilisera pour cela des exercices de type papier—crayon, ou des logiciels spécifiques. Ensuite, un travail plus écologique sera mené avec des exercices plus globaux utilisant des supports de la vie quotidienne afin de généraliser les acquis de la rééducation. La prise en charge sera menée individuellement ou en groupe. Prenons l’exemple de la rééducation d’un trouble de compréhension textuelle. Comme nous l’avons vu précédemment, les troubles de compréhension résultent le plus souvent d’une réduction de l’utilisation des ressources

Nouvelles données de la recherche Les données actuelles de la recherche [6,8,17] tendent à rapprocher les performances langagières des patients schizophrènes à celles de patients cérébrolésés droits. Ceux-ci présentent également des troubles pragmatiques. D’après nos propres observations cliniques, nous parvenons à des conclusions identiques. Plusieurs équipes ont tenté de chercher une étiologie de ces troubles, et pour l’instant plusieurs hypothèses coexistent. Une première hypothèse postule une latéralisation anormale à droite du langage [8,17]. Mais les troubles du langage n’auraient pas lieu à cause de processus lésionnels, car l’hémisphère droit, qui doit prendre en charge des fonctions normalement allouées à l’hémisphère gauche, ne peut plus assumer ses propres fonctions spécifiques au niveau du langage, à savoir tout ce qui concerne le langage implicite, la compréhension de l’humour, l’attribution d’intentions à autrui, la compréhension et la production de la prosodie, la planification du discours [17].

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Apports du protocole « Montréal d’évaluation de la communication » [12] Forts de ces nouvelles données théoriques, nous avons choisi de compléter notre évaluation par un nouveau protocole de bilan dédié à l’évaluation des patients cérébrolésés droits, le protocole « Montréal d’evaluation de la communication » (M.E.C., [12]). Après administration auprès de notre population de patients, ce protocole apparaît à nos yeux d’un grand intérêt pour l’évaluation dans la schizophrénie du fait de la similitude des troubles présentés par ces deux populations et ouvre de nouvelles perspectives pour l’évaluation orthophonique. Nous proposons l’utilisation conjointe de ce bilan, qui de manière identique au travail que nous présentons, nécessitera l’établissement de normes spécifiques.

Conclusion Les troubles du langage acquièrent une place importante dans la recherche sur la schizophrénie, notamment en terme d’impact sur la vie quotidienne et l’insertion sociale du patient et par conséquent, leur prise en charge à part entière, au sein de programmes de réhabilitation est essentielle. Cette prise en charge, effectuée par l’orthophoniste, doit débuter par une évaluation fine, qui en caractérisant les déficits et les capacités du patient, permet d’élaborer un plan de rééducation original. Les troubles du langage, symptôme important dans la schizophrénie, concernent l’expression et la compréhension et affectent globalement la pragmatique du langage. Leur origine n’est pas encore déterminée de fac ¸on certaine, mais différentes hypothèses sont envisagées. Ces troubles entravent au quotidien les capacités de communication des patients, et plus spécifiquement, peuvent gêner l’intégration de certaines thérapies. Une fois caractérisés grâce au bilan orthophonique, ces déficits doivent être pris en charge de manière spécifique et préalablement à tout programme psychoéducatif.

Remerciements Je remercie les reviewers pour leurs remarques et leurs suggestions qui ont permis l’amélioration de l’article. Je remercie pour leurs conseils et leur disponibilité, mesdames Champagne-Lavau Maud, Cote Hélène, Boutard Corine, Deferrière Hélène, Dufourcq Pascale et messieurs Augier Romain, et Blader Patrick.

Références [1] Andreasen NC. A unitary model of schizophrenia: Bleuler’s ‘‘fragmented phrene’’ as schizencephaly. Arch Gen Psychiatry 1999;56(9):781—7.

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