Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 733–735 www.elsevier.com/locate/annfar
Cas clinique
Chirurgie générale et endoprothèse coronaire : pensez au sirolimus ! Non cardiac surgery in patient with coronary stenting: think sirolimus now! M.H. Fléron a,*, M. Dupuis a, P. Mottet a, C. Le Feuvre b, G. Godet a a
Département d’anesthésie–réanimation, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris, France b Service de cardiologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris, France Reçu le 18 mars 2003 ; accepté le 4 juillet 2003
Résumé Nous rapportons le cas d’un choc cardiogénique sévère préopératoire immédiat chez une patiente devant bénéficier d’une mastectomie. L’état de choc est survenu avant l’induction anesthésique pour une chirurgie générale chez une patiente ayant bénéficié trois mois auparavant de la pose de deux endoprothèses coronaires pharmaco-actives. La coronarographie a mis en évidence la thrombose de ces endoprothèses, et a permis une angioplastie au ballon avec succès. Un traitement associant dobutamine et ballon de contrepulsion a permis une évolution favorable. Nous discutons la thrombogénicité importante des endoprothèses coronaires pharmaco-actives pouvant conduire à une programmation retardée de la chirurgie et une gestion particulière du relais des agents antiplaquettaires. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We describe a severe preoperative cardiogenic shock in a patient scheduled for a breast surgery. The cardiogenic shock was in relation with thrombosis of two sirolimus-eluting stents received 3 months ago. A percutaneous transluminal coronary angioplasty was successfully performed. The patient recovered well after a 1-day treatment including intraaortic balloon counter pulsation and dobutamine infusion. We discuss about the ideal timing to plan surgery and how to manage the shift of antiplatelet agents. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Anesthésie ; Chirurgie générale ; Dilatation coronaire ; Endoprothèse pharmaco-active ; Agents antiplaquettaires Keywords: Anaesthesia; Non cardiac surgery; Percutaneous transluminal coronary angioplasty; Eluting stent; Antiplatelet therapy
1. Introduction Les progrès de la chirurgie, et le vieillissement de la population conduisent de plus en plus fréquemment à prendre en charge, même dans un contexte de chirurgie générale, des patients qui ont pu bénéficier de gestes d’angioplastie coronaire de manière récente [1,2]. Les agents antiplaquettaires prescrits après ces procédures peuvent accroître le risque hémorragique de certaines chirurgies [3–5]. L’arrivée sur le marché de nouveaux types de stent coronaire, à moin* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M.H. Fléron). © 2003 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0750-7658(03)00303-4
dre risque de resténose, mais à risque thrombogène augmenté, conduit à revoir les modalités et les délais de cette prise en charge. Nous rapportons le cas d’une patiente pour laquelle une prise en charge, apparemment rigoureuse, a pu être délétère.
2. Observation Une femme de 69 ans a été hospitalisée le 30 janvier 2003 dans le service de gynécologie du groupe hospitalier PitiéSalpêtrière pour cure chirurgicale d’une récidive d’un cancer du sein gauche.
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Il s’agissait d’une patiente d’origine indienne, hypertendue et diabétique qui avait présenté un choc cardiogénique à Pondichéry en juillet 2002, conduisant au diagnostic de cardiopathie ischémique. L’exploration cardiologique était réalisée en France en novembre 2002. Sur l’électrocardiogramme, il existait des ondes T plates en V5 et V6. La ventriculographie montrait une fonction systolique globale ventriculaire gauche conservée avec une hypokinésie modérée apicale, et il n’existait pas d’élévation de la pression télédiastolique ventriculaire gauche lors du cathétérisme. La coronarographie mettait en évidence une sténose serrée de l’artère interventriculaire antérieure (IVA) au segment 2 avec un lit d’aval athéromateux et fin, une sténose serrée du deuxième segment de l’artère circonflexe (Cx) et une sténose serrée para-ostiale de l’artère marginale (Mg). L’artère coronaire droite était normale. Devant ces lésions accessibles à des gestes de dilatation endoluminale, la patiente a bénéficié de trois angioplasties (IVA, Cx, Mg ) avec pose de stents dont deux pharmacoactifs Cypher™ (Cordis) au sirolimus–rapamycine sur l’IVA et la Cx. Le résultat angiographique était satisfaisant et les suites simples. Au cours de cette hospitalisation, la tomodensitométrie thoraco-abdominale réalisée pour le bilan d’une anémie, découvrait la lésion du sein gauche pour laquelle l’indication de mastectomie et curage axillaire était posée. Au terme du bilan cardiologique, le traitement de sortie comprenait aspirine 75 mg, clopidogrel 75 mg, spironolactone 25 mg, périndopril 4 mg, furosémide 40 mg, gliclazide et insuline. Lors de la consultation avec le cardiologue le 22 janvier 2003, soit 10 semaines après le geste coronaire, le clopidogrel était arrêté. Le 24 janvier 2003, la patiente était vue en consultation d’anesthésie : l’aspirine était arrêtée et le relais pris par deux injections quotidiennes de 40 mg d’énoxaparine (poids de la patiente 45 kg) jusqu’à la veille au soir de l’intervention programmée le 31 janvier 2003. Le matin de l’intervention, en salle d’hospitalisation, après la mise en place d’une voie veineuse, la patiente a présenté une douleur thoracique avec hypotension à 75 mmHg de systolique. Sur l’électrocardiogramme, on observait une tachycardie sinusale à 110 b min–1 et un susdécalage modéré du segment ST de V2 à V5. La douleur n’a pas cédé à la trinitrine sublinguale et la patiente a été transférée dans l’unité de soins intensifs. L’échocardiographie réalisée devant ce tableau clinique montrait l’apparition d’une franche altération de la fonction globale du ventricule gauche avec une akinésie septo-apicale. Le dosage de troponine Ic (TnIc) était à ce moment inférieur à 0,1 ng ml–1. La patiente a été envoyée directement en salle de coronarographie après une injection de 250 mg i.v. d’aspirine. Il existait une occlusion thrombotique des deux stents pharmaco-actifs de l’interventriculaire antérieure et de la circonflexe. Les deux stents ont été désobstrués avec succès par angioplastie au ballon à h4 du début de la douleur, sous anti-GP IIb-IIIa. Le traitement du choc cardiogénique a né-
cessité le recours à un ballon de contrepulsion et à la perfusion de dobutamine, traitements dont la patiente a été sevrée en 24 h. Le pic de TnIc a été de 90 ng ml–1. Les suites ont été simples, la patiente est sortie du service de cardiologie le 5 février 2003 sous clopidogrel et aspirine, inhibiteur de l’enzyme de conversion, et b-bloquant. La mastectomie a été reprogrammée à distance de l’épisode actuel.
3. Discussion La date de programmation d’un acte chirurgical à risque hémorragique après une angioplastie avec pose de stent, doit prendre en considération plusieurs risques : la thrombose précoce du stent ou la resténose du site stenté qui conduiraient à l’événement coronarien que l’on a voulu prévenir, et les risques hémorragiques liés aux traitements antiplaquettaires formellement indiqués après ce type de procédure. Le phénomène de resténose n’est pas négligeable avec les stents classiques (10 à 30 % selon les études) et se manifeste généralement avant le sixième mois. Le créneau « idéal » pour la chirurgie semble se situer soit lors du deuxième mois, soit après le sixième mois après la procédure en l’absence de resténose. Avec les stents « classiques », en suivant les recommandations de la conférence d’experts [5] le clopidogrel et l’aspirine pourraient être interrompus, si cela est jugé indispensable, après un délai minimal de 4 semaines après la procédure, et 8 à 10 j avant l’intervention à risque hémorragique, le relais étant pris par deux injections sous-cutanées quotidiennes d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative, et/ou par du flurbiprofène per os (50 mg * 2 fois /24 h). Chez cette patiente en revanche, il ne s’agissait pas d’un stent classique mais d’un nouveau type d’endoprothèse pharmaco-active (stent Cypher® au sirolimus–rapamycine). Ces stents sont recouverts d’un enrobage relargant un médicament antiprolifératif dont le but est d’éviter la resténose à long terme. Le principe actif est un antimitotique délivré localement (pendant 30 j pour le stent Cypher®) afin d’inhiber la prolifération des cellules musculaires lisses sans retarder la néo-endothélialisation. Les premières études chez des patients très sélectionnés ont montré des résultats spectaculaires avec l’absence quasi-totale de resténose jusqu’à 2 ans [6–10]. Leur mise à disposition sur le marché est très récente puisque les stents Cypher® ont obtenu le marquage CE en avril 2002 (Tableau 1). Ils sont coûteux, et les agents antiplaquettaires, c’est-à-dire l’association clopidogrel + aspirine qui a été administrée pendant au moins 2 mois dans l’étude Tableau 1 Liste des endoprothèses pharmaco-actives disponibles en France (Selon CEDIT 02-04/Re1/02) Modèle Cypher au sirolimus–rapamycine avec polymère Achieve au paclitaxel sans polymère V-Flex Plus au paclitaxel sans polymère Taxus au paclitaxel avec polymère
Fabricant Cordis Cook / Guidant Cook / Guidant Boston Scientific
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princeps, doivent être poursuivis pour une durée plus longue selon les études Cure et Credo [11,12]. En effet, on peut penser que l’absence ou le retard de ré-endothélialisation imputable au stent pharmaco-actif est un facteur de thrombose précoce sur un stent laissé « à nu », thromboses sans doute observées au plan clinique puisque toutes les études portant sur ces stents pharmaco-actifs utilisent des prescriptions prolongées d’agents antiplaquettaires et les préconisent pour les patients. Le cas de notre patiente tend à démontrer que l’interruption trop précoce du traitement antiplaquettaire a pu favoriser la thrombose intrastent. Or, certaines interventions chirurgicales présentent un degré d’urgence (cancer évolutif, anévrisme de l’aorte douloureux ou à croissance rapide, sténose carotidienne symptomatique, accidents domestiques ou de la voie publique...) et la poursuite des agents antiplaquettaires obligerait soit à retarder ces actes chirurgicaux, ce qui est inacceptable devant une urgence chirurgicale vraie, soit à s’exposer à des complications hémorragiques péri-opératoires plus fréquentes. Ce risque est toutefois très relatif en cas de mastectomie, même sous aspirine. L’arrêt des traitements expose au contraire au risque de thrombose coronaire péri-opératoire.
4. Conclusion La connaissance par l’anesthésiste de ce nouveau type de stent est maintenant impérative puisqu’il conduit à modifier la prise en charge des patients. Une concertation avec les cardiologues référents semble indispensable dans les cas précis où le mieux (une absence de resténose grâce à un stent pharmaco-actif) est parfois l’ennemi du bien (une chirurgie plus précoce après un stent classique). Dans tous les cas, le risque hémorragique réel du geste chirurgical doit être discuté avec le chirurgien.
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