Choisir de ne pas dialyser les patients très âgés

Choisir de ne pas dialyser les patients très âgés

Ne´phrologie & The´rapeutique 12 (2016) 98–103 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Article original Choisir de ne pas dial...

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Ne´phrologie & The´rapeutique 12 (2016) 98–103

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Article original

Choisir de ne pas dialyser les patients tre`s aˆge´s Conservative management option in elderly patients Ve´ronique Guienne a, Sophie Parahy b, Angelo Testa b,* a b

Centre nantais de sociologie (CENS), UFR sociologie, chemin de la Censive-du-Tertre, 44300 Nantes, France Expansion des centres d’he´modialyse de l’Ouest (ECHO), site Confluent, 6, rue de la Gare, 44402 Reze´, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 20 juillet 2015 Accepte´ le 9 septembre 2015

Le traitement conservateur est parfois propose´ comme une alternative a` la dialyse pour des patients aˆge´s avec comorbidite´s multiples. Notre recherche, caracte´rise´e par une analyse transdisciplinaire me´dicale et sociologique, et base´e sur l’analyse des cas, s’efforce de comprendre les raisons et le contexte dans lequel ce choix s’effectue. Les re´sultats montrent, d’une part, que tous les cas e´tudie´s peuvent eˆtre explique´s par deux variables, celles-ci pouvant se combiner : lorsque le patient souffre de pathologies lourdes ; lorsque le patient vit cette insuffisance re´nale comme un trouble normal lie´ a` l’aˆge. D’autre part, deux grandes questions sont mises au jour : la premie`re rele`ve de la pratique me´dicale, et tient a` l’influence de crite`res toujours pre´sents dans les de´cisions a` prendre (les examens paracliniques et les informations cliniques issues de l’interrogatoire, de l’examen du patient, de la discussion avec ses proches). La seconde rele`ve de l’autonomie du patient et peut eˆtre analyse´e ici au regard de sa capacite´ a` formuler des choix et a` les avoir partage´s avec ses proches, mais aussi a` vivre dans son aˆge, en l’occurrence son rapport a` son corps qui vieillit et a` la finitude de son existence. La notion cle´ de l’e´change patient–professionnels renouvele´ est de se re´fe´rer dans la consultation et dans les de´cisions a` prendre a` la question des avantages/inconve´nients pour la vie du patient et non pas seulement a` la question du rapport entre les re´sultats et les risques me´dicaux, afin d’e´changer avec le patient sur sa vie future et non pas seulement sur l’e´tat de son organe de´faillant. ß 2015 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Choix partage´ Dialyse Patients aˆge´s Traitement conservateur

A B S T R A C T

Keywords: Conservative management Dialysis Elderly Shared decision-making

‘‘Conservative management’’ is as an alternative care pathway offered to patients who elect not to start dialysis often because of a heavy burden of comorbid illness and advanced ages. Our research, characterized by a transdisciplinary medical and social investigation and based on a case by case analysis, intends to understand the reasons and the context in which this choice has to be made. On the first hand, the results show that all the studied cases can be explained by two variables, the latter can be combined: when the patient is suffering from important clinical pathologies; when the patient lives with this renal failure as a trouble linked to the age. On the second hand, two important questions are raised: the first one is about the medical practices and stems from the influence of criteria always present in the decisions to take (the paramedical exams and the clinical information from the interview, the patient’s examination and the discussion with his/her close family member). The second one is about the patient’s autonomy and can be analyzed regarding to his/her capacity to express his/her choices and share it with his close family. But also, to live in according to his age, that is to say the relation he/she has with his/her edged body and to the limits of his/her existence. The key notion of shared decision-making renewed is to refer in the consultation and the choices to take to the question of the advantages/drawbacks for the patient’s life and not only to the question of the connection between the results and the medical risks, in order to exchange view with the patient on his/her future life and not only on the condition of his failed organ. ß 2015 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Testa). http://dx.doi.org/10.1016/j.nephro.2015.09.002 1769-7255/ß 2015 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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1. Introduction Si les de´cisions en sante´ rele`vent de dispositifs publics, de choix e´conomiques, de politiques publiques, elles ont e´galement des dimensions interpersonnelles dans la relation soignant–soigne´ [1]. Ces pratiques de de´cisions sont enchaˆsse´es dans des normes e´conomiques (T2A), organisationnelles et me´dicales (evidence based medecine), qui sont relativement standardise´es et qui font que cette relation entre le me´decin et le patient est moins singulie`re qu’il n’y paraıˆt [2]. La situation des personnes aˆge´es, dans ces choix de sante´, est plus complexe encore que pour les sujets jeunes, ne serait-ce que parce que leurs interlocuteurs sont le plus souvent multiples ; le patient consulte en effet, outre son me´decin ge´ne´raliste, de nombreux spe´cialistes. Le me´decin ne´phrologue, l’un de ces spe´cialistes, a une place particulie`re ; le rein e´tant un organe qui peut eˆtre tre`s rapidement affecte´ par des traitements lie´s a` d’autres pathologies, il doit explorer toutes les autres pathologies et traitements suivis. Les choix ope´re´s en cas d’insuffisance re´nale sont de trois types :  la transplantation, qui est la meilleure the´rapeutique lorsqu’elle est possible ;  la dialyse (pe´ritone´ale ou he´modialyse) ;  le traitement sans dialyse, appele´ traitement conservateur.

La recherche pre´sente´e ici s’inte´resse a` ce dernier cas. Souvent pre´sente´e comme une the´rapeutique re´serve´e aux patients en fin de vie, on peut noter que cette the´rapeutique est parfois propose´e en dehors de ces situations, sans que des normes me´dicales, dites de « bonnes pratiques », n’encadrent cette option [3–7]. En comprendre les raisons, tant me´dicales que sociales, a e´te´ l’objectif de cette recherche. Dans le centre de ne´phrologie support de cette recherche, ces dernie`res anne´es, une proportion croissante des patients arrive´s au stade V de la maladie re´nale chronique (MRC) est concerne´e par la proposition de l’abstention de dialyse et la mise en place du traitement conservateur. Pour certains d’entre eux, dont le pronostic vital est menace´ a` court terme, ce choix rele`ve d’une strate´gie palliative. Mais d’autres patients sont ainsi suivis re´gulie`rement et ce, pendant plusieurs anne´es. Ce sont ces derniers cas que nous avons repris syste´matiquement, en e´tudiant les dossiers dont le suivi de consultation e´tait assure´ re´gulie`rement (> 6 mois) par l’un des deux me´decins participant a` la recherche. Nous pre´senterons d’abord la de´marche de recherche, qui a consiste´ en une analyse transdisciplinaire, me´dicale et sociologique, mais aussi le cadre intellectuel de la question souleve´e, ce de´bat e´tant un de´bat me´dical ouvert aujourd’hui. Puis, apre`s avoir fait le re´cit de quelques cas de patients, nous verrons que ces de´cisions rele`vent tant du type de me´decine privile´gie´ par le ne´phrologue que du rapport a` leur aˆge des patients concerne´s. 2. Cadre de la recherche La me´thodologie de recherche, interdisciplinaire, a consiste´ en l’analyse re´trospective de cas de patients, tant du point de vue me´dical que social, par un dispositif d’analyse mene´ par deux me´decins et un sociologue. Au cours d’une phase pre´liminaire, le sociologue avait assiste´ a` des consultations et des re´unions internes dans ce centre de ne´phrologie. L’analyse de ces observations avait fait e´merger plusieurs questions de recherche, parmi lesquelles apparaissait le traitement conservateur. Plusieurs constats existaient autour de cette option the´rapeutique : une geˆne des me´decins, mais e´galement une he´te´roge´ne´ite´ des pratiques entre eux, laissant penser que cette option n’e´tait pas suffisamment re´fle´chie. De plus, plusieurs personnes convenaient que le

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terme de traitement conservateur e´tait insuffisant pour caracte´riser la strate´gie mise en œuvre dans ce contexte. Il y avait aussi l’exigence d’effectuer une re´flexion avant de faire ouvertement apparaıˆtre cette « option the´rapeutique » comme a` part entie`re dans le dispositif de « consultation d’annonce de la maladie re´nale chronique » qui avait e´te´ mis en place dans le centre au cours de ces dernie`res anne´es et qui constituait un point cle´ du programme d’e´ducation the´rapeutique. Nous de´cidons alors de reprendre tous les cas e´tiquete´s traitement conservateur au cours de ces dernie`res anne´es, suivis par ces deux me´decins ne´phrologues, en excluant les patients en fin de vie. Une difficulte´ tenait a` ce qu’il n’y a pas de fichier spe´cifique de recensement des cas de traitement conservateur, contrairement aux autres propositions the´rapeutiques. Le recensement s’est donc fait en reprenant la liste des patients, et a` partir de la me´moire de l’e´quipe soignante car une partie des patients avait pu participer a` des re´unions d’information colle´giales ou individuelles. La me´thodologie a consiste´ en une analyse re´trospective de cas. Sur le plan me´dical, nous avons repris les donne´es cliniques et biologiques. Sur le plan sociologique, nous avons analyse´ l’e´volution des positions dans l’e´tude des trajectoires, l’e´tude des parcours migratoires, et l’analyse des carrie`res, militantes ou professionnelles. La me´thodologie de´veloppe´e dans cette recherche a croise´ ces deux approches. Concre`tement, nous reprenions les dossiers et les me´decins faisaient le re´cit de la situation, des rencontres avec le patient, sa famille, d’autres professionnels de sante´. Puis le sociologue re´digeait ce premier mate´riau, en l’anonymisant afin qu’il puisse eˆtre utilise´ comme mate´riau de recherche, puis suivaient des se´ances d’analyse et un va-et-vient du texte ici propose´.

3. E´tudes de cas Un premier constat est que tous les cas de traitement conservateur e´tudie´s ici se sont ave´re´s concerner des patients aˆge´s de plus de 85 ans, ce dont les me´decins n’avaient pas conscience avant ce travail de recherche. Cela montre que le crite`re de grand aˆge joue un roˆle de´terminant. Les re´sultats montrent que tous les cas e´tudie´s peuvent eˆtre explique´s par deux variables, celles-ci pouvant se combiner : lorsque le patient souffre de polypathologies lourdes ; lorsque le patient vit cette insuffisance re´nale comme un trouble normal lie´ a` l’aˆge. 3.1. Lorsque le patient souffre de polypathologies lourdes L’insuffisance re´nale n’est en effet re´gulie`rement que l’un des proble`mes de sante´ parmi d’autres, dans un tableau clinique grave, en particulier chez le patient aˆge´. 3.1.1. Premier cas Georges, aˆge´ de 89 ans, fait partie de ces patients qui ne veulent rien savoir. Il a un passe´ me´dical charge´, avec des e´pisodes de complications cardiovasculaires multiples. Il ne vient en consultation que sur pression de sa femme, mais souhaite alors qu’on le re´conforte, en lui affirmant que tout va bien. Il dit ˆ res et des prises de sang (une seulement qu’il a peur des piqu aiguille dans le bras lui pose proble`me). Malheureusement, la progression de l’insuffisance re´nale impose qu’une de´cision soit prise quant a` l’e´ventualite´ d’une prise en charge en dialyse. L’impression de l’e´quipe est qu’au vu de ses ante´ce´dents et de ce que le patient exprime, la dialyse repre´senterait un choix ve´cu comme trop violent pour ce patient. L’aide d’un ge´riatre, qui travaille dans l’e´quipe du centre est demande´. Celui-ci confirme

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le diagnostic de troubles cognitifs et sensoriels importants. Georges a par ailleurs des troubles de l’orientation. Il ne veut pas qu’on lui parle de dialyse et demande plutoˆt une diminution de ses traitements. La position de sa femme est plus ambigue¨ car, meˆme si elle est consciente de l’e´tat de son mari, elle est toujours dans la demande d’une solution me´dicale. D’ailleurs, e´galement en raison de son attitude et bien que la de´cision d’une abstention du traitement par dialyse lui ait e´te´ communique´e par le me´decin du centre, son mari est souvent hospitalise´ en urgence et expose´ a` des prises en charge au moins autant invasives par d’autres spe´cialistes. 3.1.2. Second cas Agathe, tre`s aˆge´e, rele`ve du meˆme cas de figure. Elle est confie´e, apre`s la de´couverte de son insuffisance re´nale, a` l’un des me´decins du centre. Mais lors de la premie`re consultation, elle dit ne pas comprendre ce qu’elle vient faire la`. Son e´tat ge´ne´ral est alte´re´, Agathe a une pathologie cance´reuse se´ve`re pour laquelle a e´te´ de´cide´ uniquement un suivi clinique. Mais ces meˆmes me´decins, qui la re´cusent pour le traitement du cancer, lui ont conseille´ la dialyse. Le me´decin ne´phrologue juge cependant qu’il n’y a aucune logique, soulignant l’incohe´rence de discuter des soins pour la dialyser alors que les investigations pour le cancer ont e´te´ arreˆte´es. Apre`s concertation et en accord avec la patiente, il est de´cide´ de confier a` nouveau son dossier aux me´decins qui l’ont prise en charge initialement au CHU. La suite des investigations re´ve`le que la maladie cance´reuse est a` un stade tre`s avance´ ; cela annihile toute velle´ite´ de dialyse et la patiente est transfe´re´e dans un secteur de soins palliatifs. 3.2. Lorsque le patient vit cette insuffisance re´nale comme un trouble normal lie´ a` l’aˆge Ces patients, et en ge´ne´ral leurs proches, vivent leur insuffisance re´nale non pas comme une maladie, mais comme une usure normale de l’aˆge ; ils ne souhaitent pas de traitement invasif par rapport a` ce de´ficit, mais souhaitent ne´anmoins eˆtre accompagne´s au mieux au plan me´dical. 3.2.1. Troisie`me cas Marthe, aˆge´e de 91 ans, est une vieille dame autonome, qui vit seule chez elle et s’y de´brouille bien. Elle est toutefois dans une situation tre`s pre´caire au plan re´nal. Elle a perdu un rein suite a` une thrombose de l’arte`re, et l’autre rein est en pe´ril car son arte`re est tre`s re´tre´cie et risque elle aussi de se boucher. En attendant, Marthe peut se trouver en de´tresse respiratoire du fait d’œde`mes pulmonaires aigus, compte tenu de ce proble`me arte´riel. Lorsque cette arte`re re´nale sera bouche´e, Marthe n’urinera plus. Toutefois, le ne´phrologue juge qu’un geste sur cette arte`re est trop dangereux, risquant de pre´cipiter les ennuis en aggravant encore la fonction re´nale, a` la fois par la toxicite´ de l’iode ne´cessaire au geste et a` cause du risque de libe´rer des emboles de cristaux de choleste´rol. Il s’agit donc d’une situation extreˆmement fragile que vit cette dame. Elle a e´te´ hospitalise´e re´cemment pour un œde`me pulmonaire. Elle s’est sentie suffoquer. Le traitement a fonctionne´ cette fois. Mais si son e´tat ne s’ame´liore pas, il faudra bientoˆt ajouter de la morphine et l’accompagner dans la fin de vie. Pour le moment, elle dit qu’elle ne veut pas aller plus loin compte tenu de son aˆge, et qu’elle n’est pas geˆne´e par la situation. Ce qu’elle vit difficilement, c’est d’eˆtre appele´e par le laboratoire lorsque ses re´sultats biologiques sont mauvais. L’enjeu, pour elle, est de vivre avec ce doute constant ; personne ne sait quand cette arte`re va se boucher. On sait que ce sont des maladies progressives, mais l’on n’a pas de date. Il faut, pour le me´decin, e´quilibrer les dosages, surveiller, regarder s’il y a des facteurs pre´cipitants que l’on peut re´gler.

3.2.2. Quatrie`me cas Kim, aˆge´e de 86 ans, est une restauratrice vietnamienne, veuve, qui a eu six enfants en France. Lors d’une hospitalisation au CHU en 2011, elle est oriente´e vers un traitement par dialyse a` domicile et un cathe´ter de dialyse pe´ritone´ale est mis en place. Ces soins posent proble`me a` la famille. De plus, le bilan sanguin s’ame´liore un peu, ce qui fait douter de la pertinence du choix re´alise´. C’est une femme qui bricole son usage des me´dicaments. Par exemple, en 2012, elle a tout arreˆte´ durant un mois en raison d’un de´ce`s dans sa famille. Le me´decin ne´phrologue la voit tous les trois mois, repoussant la de´cision de dialyse. Sa fonction re´nale s’est stabilise´e. . . Jusqu’a` la de´cision d’enlever le cathe´ter. A` ce moment, la cre´atinine est malheureusement remonte´e. Le me´decin a explique´ a` son fils qu’un traitement me´dical seul est peut-eˆtre suffisant (sachant que l’on est pourtant dans la zone de dialyse) et a retire´ un me´dicament prescrit par le cardiologue pour son insuffisance cardiaque. Malgre´ le risque d’œde`me pulmonaire, la famille a ne´anmoins choisi le traitement conservateur. Ils ont confirme´ qu’il s’agissait du souhait de la patiente (les discussions sont uniquement avec le fils, la patiente ne parlant pas franc¸ais), bien qu’elle ait e´te´ hospitalise´e a` diffe´rentes reprises pour la meˆme raison. Il reste encore une marge de manœuvre du traitement diure´tique par voie intraveineuse en cas d’essoufflements. Lors des consultations, l’objectif est de limiter les hospitalisations, par un controˆle du poids et de la tension arte´rielle. Ce qui est lourd pour la patiente est la sensation d’e´touffement. La morphine pourrait eˆtre efficace. L’horizon pour cette femme est de deux ans maximum, vraisemblablement plutoˆt un. Il ne serait pas diffe´rent a priori si elle e´tait dialyse´e. Dans ces oppositions me´dicales, la famille a investi le ne´phrologue du centre comme celui qui est capable de re´sister au CHU. Lors de la dernie`re hospitalisation au CHU, les me´decins voulaient changer le traitement de la patiente, la famille a refuse´. 3.2.3. Cinquie`me cas Violette e´tait aˆge´e de 87 ans lorsqu’elle est venue consulter pour la premie`re fois pour une insuffisance re´nale terminale d’origine multifactorielle, alors qu’elle e´tait de´ja` prise en charge pour le cœur par le re´seau local d’insuffisance cardiaque, avec une surveillance rapproche´e. Il s’agit d’une dame vive, au regard pe´tillant, qui vit avec sa fille depuis qu’elle a perdu son mari, il y a environ deux ans. Sa fille est e´galement veuve et les deux femmes, assez inde´pendantes l’une et l’autre, fonctionnent bien ensemble. Violette ne peut presque plus marcher car l’articulation de sa hanche gauche a e´te´ comple`tement de´truite par l’arthrose, et les changements de positions (position assise a` position debout) lui sont tre`s pe´nibles. Son e´tat cardiaque contre-indique une intervention ne´cessitant une anesthe´sie ge´ne´rale. Elle compense son immobilite´ force´e par la lecture, sa vue encore tout a` fait correcte lui permettant de de´vorer les livres. Son suivi pour insuffisance re´nale remonte a` quelques anne´es. Elle a beaucoup discute´ avec le me´decin ne´phrologue et, de`s 2009, a eu toutes les informations sur les diffe´rentes techniques de dialyses possibles (he´modialyse et dialyse pe´ritone´ale), mais e´galement sur le traitement conservateur. C’est pour ce dernier traitement qu’elle opte, et sa fille la soutient dans ce choix. Elle est donc vue mensuellement par son ne´phrologue qui adapte les traitements diure´tiques, les doses d’e´rythropoı¨e´tine et corrige dans la mesure du possible les troubles ioniques. Elle tole`re tre`s bien des taux d’ure´e tre`s e´leve´s tout en gardant une certaine vivacite´ ; ainsi, elle s’inte´resse a` la vie politique dans une pe´riode de campagne e´lectorale. Lorsque son e´tat s’est de´grade´, quand sa vigilance s’est alte´re´e, elle a e´te´ prise en charge chez elle par l’hospitalisation a` domicile, jusqu’a` son de´ce`s. Elle est de´ce´de´e en 2012, avant les re´sultats des e´lections dont elle de´plorait quand meˆme de ne pas connaıˆtre le re´sultat (cela l’amusait). Le me´decin a ve´cu cette prise

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en charge facilement, d’une certaine manie`re ; Violette e´tait consciente de son aˆge, affirmant sereinement que la vie n’est pas e´ternelle.

4. Discussion 4.1. Le de´bat me´dical sur l’opportunite´ de dialyser les patients tre`s aˆge´s Cette recherche, centre´e sur des cas singuliers, entre en e´cho avec un de´bat plus ge´ne´ral agitant le monde me´dical et plus particulie`rement celui de la ne´phrologie, quant a` l’inte´reˆt et les limites de la prescription d’un traitement de remplacement par dialyse de patients tre`s aˆge´s [6–8]. Reprenons dans les grandes lignes les termes de ce de´bat. Le risque d’e´volution vers le stade dit terminal (stade V) de la MRC, ne´cessitant le recours a` une technique de remplacement de la fonction re´nale (dialyse ou greffe), est faible dans l’absolu, la pre´valence de l’insuffisance re´nale chronique terminale e´tant de l’ordre de 1 pour 1000. De nombreuses e´tudes montrent qu’aux stades avance´s de la MRC, le risque re´nal et le de´ce`s cardiovasculaire sont concurrentiels (risque compe´titif) ; les donne´es du registre ame´ricain USRDS font e´tat d’un taux d’hospitalisations et de mortalite´ d’environ 40 % plus important pour un malade avec une MRC par rapport a` un patient avec fonction re´nale non alte´re´e. Ce surcroıˆt de morbidite´ et mortalite´ par rapport a` la population ge´ne´rale de re´fe´rence s’explique par des facteurs de risque associe´s a` la MRC, en particulier cardiovasculaires, et des facteurs de risque plus proprement lie´s a` l’e´tat ure´mique [9,10]. La population des nouveaux patients dialyse´s se caracte´rise par une fre´quence e´leve´e de patients aˆge´s, de diabe`te associe´ et par la pre´sence d’au moins une comorbidite´ cardiovasculaire chez plus d’un malade sur deux. A` noter que, de`s l’entre´e en dialyse, 18 % de ces patients ont une incapacite´ totale a` la marche ou ont besoin de l’assistance d’une tierce personne pour se de´placer. Il existe d’importantes variations re´gionales en termes de caracte´ristiques cliniques des patients qui pourraient avoir des conse´quences sur la charge en soins, l’acce`s a` la greffe et la survie. Par ailleurs, les indicateurs de prise en charge analyse´s montrent la grande diversite´ des pratiques d’une re´gion a` une autre, fruit des habitudes, de la formation des ne´phrologues, de l’historique de l’offre de soins et parfois de la ge´ographie de la re´gion [11]. Concernant le moment optimal pour de´buter la dialyse, il faut souligner que nous e´tions ces dernie`res anne´es dans une incertitude. La pratique clinique au de´but des anne´es 2000 consistait a` prendre en dialyse les patients de manie`re anticipe´e, pour des de´bits de filtration glome´rulaire (DFG) de 15 mL/min. Cette pratique s’est re´ve´le´e de´le´te`re tant au niveau de la survie ge´ne´rale qu’au niveau de la qualite´ de vie [12]. On sait maintenant que la mesure du DFG est un marqueur imparfait de la toxicite´ ure´mique et qu’il est errone´ de de´buter la dialyse en se basant sur une valeur pre´cise de DFG [13]. Depuis la grande e´tude de Cooper, qui date de 2010, l’indication du de´marrage du traitement de supple´ance par dialyse est pose´e davantage sur des crite`res cliniques (symptoˆmes et complications) que sur des crite`res biologiques [14]. Cette notion est difficile a` appre´hender car l’analyse fine de symptoˆmes cliniques est parfois plus exigeante et consommatrice de temps que de se baser sur des chiffres de valeurs biologiques, qui sont finalement simples et rapides a` utiliser. La recommandation de se baser sur les signes cliniques est e´galement difficile a` appliquer car elle est encore re´cente et me´connue de nombreux professionnels de sante´ en dehors du domaine de la ne´phrologie. La` encore, les donne´es du registre REIN montrent qu’il persiste des e´carts entre la pratique clinique et les recommandations publie´es, notamment en termes de pre´paration a` l’initiation du traitement de supple´ance.

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Souvent incrimine´, le diagnostic, la plupart du temps tardif, des maladies re´nales est une re´alite´ mais n’explique probablement pas a` lui seul ces diffe´rences. Concernant l’indication meˆme de la dialyse, sa pertinence pose de re´elles questions chez les sujets tre`s aˆge´s. Quelques e´tudes ont compare´ la survie des sujets tre`s aˆge´s en dialyse ou en traitement conservateur. Il apparaıˆt que meˆme si la survie est diminue´e chez les patients mis sous traitement conservateur, elle est loin d’eˆtre ne´gligeable, voire meˆme similaire a` celle des patients mis en dialyse lorsqu’il existe des comorbidite´s importantes [15]. Par ailleurs, depuis qu’une place a e´te´ faite aux e´tudes de qualite´ de vie, on sait que cette dernie`re est tre`s alte´re´e, en particulier dans la dimension physique et le fardeau de la maladie, au cours de la MRC traite´e par dialyse, sans compter que la dimension douleur constitue sans doute un aspect sous-estime´ du retentissement de la maladie re´nale sur la vie quotidienne. Plus de 3 patients sur 4 ont au moins l’un des scores de qualite´ de vie en dessous des valeurs de re´fe´rence en population ge´ne´rale (e´cart a` la moyenne de plus de deux e´carts-types). Outre les facteurs sociode´mographiques classiquement retrouve´s (sexe, aˆge, niveau socio-culturel. . .), la qualite´ de vie est influence´e par la pre´sence de comorbidite´s, notamment cardiovasculaires, la qualite´ de l’e´tat nutritionnel estime´e par le niveau de l’albumine´mie et le type de dialyse (qualite´ de vie supe´rieure chez les patients en dialyse pe´ritone´ale) [5–8,16]. Au total, chez les sujets tre`s aˆge´s, le faible e´cart de survie et l’impact ne´gatif sur la qualite´ de vie et l’autonomie font que la dialyse peut, dans certains cas, se re´ve´ler uniquement un pourvoyeur de complications plus ou moins se´ve`res, et constituer une forme d’obstination de´raisonnable de traitement [7,8]. Deux grandes questions peuvent ici eˆtre mises au jour a` partir de ces analyses de cas, l’une interrogeant la pratique me´dicale, l’autre l’autonomie du patient. La premie`re question rele`ve de la pratique me´dicale, et tient a` l’influence de deux groupes de crite`res toujours pre´sents dans les de´cisions a` prendre : les informations issues de diffe´rents bilans biologiques et d’imagerie (les examens paracliniques), et les informations cliniques issues de l’interrogatoire et de l’examen du patient et de la discussion avec ses proches. La seconde question rele`ve de l’autonomie du patient, et peut eˆtre analyse´e ici au regard de sa capacite´ a` formuler des choix et a` les avoir partage´s avec ses proches, mais aussi a` vivre dans son aˆge, en l’occurrence son rapport a` son corps qui vieillit et a` la finitude de son existence. 4.2. Une pratique me´dicale base´e sur des examens paracliniques ou sur un examen clinique Dans l’absolu, cette question ne devrait pas se poser ; d’ailleurs, la re´ponse simple apporte´e par les praticiens est ge´ne´ralement qu’ils prennent en compte les deux, les bilans et l’examen clinique. Au-dela` de cette position de principe et finalement tre`s the´orique, il est nombre de cas ou` le bilan paraclinique recommande un type de de´cision et l’examen clinique un autre type. Comme cela a e´te´ dit plus haut, cette variabilite´ de la pratique me´dicale repose en grande partie sur une modification re´cente des connaissances et des recommandations sur le moment ide´al de de´marrage de la dialyse. Cependant, il existe e´galement un degre´ supple´mentaire de complexite´ qui est de savoir si chez les patients tre`s aˆge´s, il faut respecter ou pas les indications classiques de mise en dialyse. Il s’agit pour le me´decin d’ope´rer un de´placement dans sa pratique qui consiste a` renoncer a` appliquer les recommandations valables pour la plupart des patients, pour se recentrer sur la personne du patient qui ne´cessite un traitement adapte´. Il s’agit de passer d’une approche qui semble plus objective et controˆle´e a` une approche plus subjective et incontroˆle´e.

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Lorsqu’un choix est ne´cessaire, en particulier en ce qui concerne un traitement lourd comme la dialyse, la question se pose ainsi : dans ces cas de patients tre`s aˆge´s, faut-il in fine suivre les recommandations ge´ne´rales ou bien revenir a` une re´flexion qui peut paraıˆtre moins technique, qui rejoint davantage une me´decine d’accompagnement, une me´decine personnalise´e, sans qu’elle ne soit pour autant palliative ? Ce conflit de valeurs va eˆtre tre`s corre´le´ au rapport que chacun des me´decins concerne´s entretient a` l’excellence me´dicale. Pour autant, cette recherche a permis de mettre en e´vidence que ce qui semble moins performant est, dans les faits, une me´decine d’excellence, extreˆmement exigeante, faisant appel a` une expe´rience confirme´e et a` des savoir-faire complexes. Les cas montrent que les choix de ne pas mettre sous dialyse s’accompagnent d’un suivi clinique des patients extreˆmement re´gulier et approfondi, de prescriptions me´dicamenteuses adapte´es, voire d’interventions chirurgicales lorsqu’elles sont ne´cessaires. Cette me´decine continue a` suivre des examens paracliniques, a` adapter des traitements. Mais elle accorde plus d’importance a` la personnalisation des soins qu’a` une application standardise´e des investigations et des traitements. Cette prise en charge est donc nettement plus complexe que l’ide´e courante d’abstention utilise´e de fac¸on re´currente dans le langage me´dical de base et dans le de´bat public. Les cas montrent en effet que la pratique me´dicale qui de´roge au standard me´dical est un « faire autrement » et non un « ne pas faire », ni « faire moins ». Cela suppose un suivi clinique tre`s de´veloppe´, re´gulier, et des interventions multiples accompagnant les symptoˆmes les plus geˆnants. Le choix de soins personnalise´s se justifie d’autant plus que la dialyse est un traitement lourd qui entraıˆne pour le patient une charge de soins conside´rable, avec un risque non ne´gligeable de perte d’autonomie et d’aggravation de son e´tat ge´ne´ral. A` titre d’exemple, la mise en dialyse risque de faire perdre au malade sa diure`se. De plus, la dialyse n’est pas un traitement curatif qui permet au patient de retrouver son e´tat ante´rieur a` la maladie, mais un traitement substitutif qui transforme profonde´ment la vie de la personne malade tous les jours qui lui restent a` vivre. Le choix d’un traitement personnalise´ peut faire entrer le ne´phrologue re´fe´rent en conflit avec les autres professionnels de sante´ et les proches du patient. La de´cision de quitter les recommandations de bonne pratique « standard » peut ne pas eˆtre partage´e par les autres intervenants aupre`s du patient, incluant le me´decin traitant, les proches et les autres e´quipes hospitalie`res. Comme nous l’avons vu dans l’un des cas, l’e´quipe du CHU a provoque´ un conflit en revenant a` une attitude the´rapeutique standard rompant avec les soins personnalise´s. De meˆme, les laboratoires d’analyse me´dicale ont un syste`me d’alerte qui est base´ uniquement sur les valeurs biologiques d’alarme standard, alors que le projet the´rapeutique personnalise´ peut accepter des limites d’alarme diffe´rentes. Ces conflits soulignent l’importance de la communication et de la pe´dagogie qui doit eˆtre mise en place par l’e´quipe soignante re´fe´rente, autour de la de´cision de soins personnalise´s, en direction de l’ensemble des intervenants. Enfin, il peut exister des pressions e´conomiques, au niveau de l’e´tablissement de sante´, entre une approche centre´e sur la dialyse et une approche centre´e sur le traitement conservateur, qui est beaucoup moins valorise´e dans le cadre de la tarification a` l’activite´. Ces pressions ne s’expriment pas directement sur le cas d’un patient particulier, mais elles s’expriment de fac¸on plus ge´ne´rale et insidieuse, lors de re´unions avec les directions d’e´tablissement au cours desquelles les tableaux d’activite´ sont pre´sente´s. Elles peuvent aboutir a` mettre en position difficile les me´decins qui choisissent de re´aliser des traitements personnaˆ teux en temps et moins rentables sur le plan lise´s, plus cou tarifaire.

4.3. Des patients raisonnables et responsables Le corps me´dical ne de´cide pas seul, mais, selon nos lois, avec le « consentement e´claire´ » du patient, meˆme si bon nombre de critiques, y compris de l’inte´rieur du champ me´dical, mettent en cause la re´alite´ de l’exercice de cette autonomie suppose´e [17]. Plus l’approche du me´decin est technique et plus le patient est de´muni dans ce choix, s’en remettant plutoˆt au savoir me´dical de celui qui le conseille [18]. La relation de confiance va eˆtre plus de´terminante dans ce choix que l’expertise du patient. En revanche, lorsque la discussion porte sur l’impact des choix the´rapeutiques sur le mode de vie du patient, et non pas seulement sur la balance be´ne´fices/risques en termes de re´sultats me´dicaux, le patient peut plus facilement donner son avis et de´crire le mode de vie qui lui conviendrait le mieux. Meˆme la notion d’acharnement the´rapeutique (ou obstination de´raisonnable) devient plus compre´hensible et discutable. En effet, face a` un me´decin qui vous dit que le standard me´dical, dans votre cas, est de faire telle chose, en l’occurrence une dialyse, personne ne pense obstination the´rapeutique. Et pourtant, si l’on inte`gre l’aˆge, les autres pathologies, les effets iatroge`nes de tout traitement, la question peut de nouveau eˆtre ouverte et le patient peut prendre une part dans cet e´change. Une notion centrale pour penser cette question est la diffe´rence montre´e entre risque et incertitude. Le risque est certain, il faut intervenir, sinon on connaıˆt les de´gaˆts dus au fait de ne pas intervenir. La plupart des situations, d’autant plus avec des patients tre`s aˆge´s, rele`vent non du risque, qui serait absolu, mais de l’incertitude ; le me´decin a des doutes sur ce qu’il convient de faire. La re´ponse n’est alors plus « il faut agir sinon », mais « faut-il agir ou s’abstenir » [19]. Encore faut-il que le patient se sente autorise´, le´gitime, pour donner son point de vue. Le grand aˆge est particulie`rement un aˆge de l’ambivalence, d’envie de se soigner ou de laisser faire. La plupart des patients aˆge´s n’ont pas d’avis tre`s tranche´s (a` l’inverse de ce que l’on nous dit dans les de´bats sur l’autonomie en fin de vie). Ils souhaitent aller mieux, mais pas a` n’importe quel prix, suivent un traitement mais pas l’autre, y compris dans leur usage des me´dicaments. On sait que cette expression est aussi socialement diffe´rencie´e [20]. L’e´thique pratique des me´decins (c’est-a`-dire en acte et non dans une e´thique affiche´e) va concerner le temps et les moyens que se donne le praticien pour explorer la volonte´ du patient. On l’a vu, certains malades expliquent ce qu’ils souhaitent et pourquoi, d’autant plus facilement qu’ils connaissent bien leur me´decin. D’autres sont mutiques, disent des choses contradictoires, ou ambivalentes. Cette capacite´ a` instaurer une ne´gociation, a` e´changer sur des troubles corporels, est socialement de´termine´e. Il faut se sentir le´gitime pour dire, expliquer, avoir droit au chapitre. Mais cela ne´cessite e´galement que le me´decin de´veloppe les conditions de cette expression. On l’a vu dans les cas e´tudie´s, cela passe le plus souvent par l’intervention de tiers : du coˆte´ des proches du malade, mais aussi du ge´riatre, de l’assistante sociale, de confre`res, du me´decin ge´ne´raliste. Ici encore, prendre au se´rieux cette question de la recherche du consentement, ou cette de´mocratie sanitaire maintenant affiche´e, suppose de prendre du temps et demande des aptitudes qui ne sont pas du coˆte´ de la connaissance des techniques me´dicales, mais du coˆte´ des capacite´s relationnelles, en acceptant de renoncer a` la prescription me´dicale base´e sur les recommandations standard. Enfin, et nous l’avons observe´ de fac¸on criante dans les cas e´tudie´s, un e´le´ment central est l’interpre´tation faite par le patient de cette usure du corps. Une fonction urinaire de´faillante, comme un cœur plus capricieux, une me´moire qui s’effiloche, des articulations qui se grippent, sont autant de troubles d’usure normaux de l’aˆge. De plus, ils sont cumulatifs. Plus les patients vivent cela comme un e´tat normal, annonc¸ant la finitude de leur

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existence, et plus ils ont partage´ cet e´tat de fait avec leur entourage, qui accepte aussi ces diminutions du fait de l’aˆge, et plus il est facile au patient, mais aussi au me´decin, de proposer des solutions moins invasives, de suivi rapproche´, faites de petites de´cisions successives pour vivre au mieux ces anne´es qui restent. 5. Conclusions Notons que ce traitement conservateur, dont le nom ne suffit pas a` couvrir toute la complexite´, est un bon symptoˆme du malaise engendre´ par ces pratiques atypiques. Sans doute y a-t-il ne´cessite´ de re´fle´chir a` la fac¸on de nommer ce « faire autrement ». Ces pratiques prennent aujourd’hui les noms de soins palliatifs pre´coces, ou plus justement de projet personnalise´ de soins. Ces noms illustrent le fait que ces pratiques, qui peuvent paraıˆtre au premier abord moins performantes que les prises en charges classiques, sont en train d’eˆtre reconnues et qu’elles illustrent au contraire la recherche d’excellence au service des personnes malades. Ces approches, maintenant pre´vues par la le´gislation franc¸aise, ne sont cependant pas assez diffuse´es et reconnues. Trop d’e´quipes ont un fonctionnement qui reste base´ sur des attitudes standardise´es, non adapte´es aux patients. L’e´poque contemporaine est marque´e par d’importantes controverses, que ce soient celles de la slow science (moins c’est mieux), de la fin de vie, de l’acharnement the´rapeutique, mais aussi des transformations juridiques, en particulier concernant le consentement du patient, les directives anticipe´es, la de´mocratie sanitaire. . . L’un des effets de ces transformations et des de´bats publics associe´s est que ces normes et valeurs des soignants, mais e´galement des patients, qui fonctionnaient dans le passe´ comme des implicites, des e´vidences allant de soi, sont aujourd’hui questionne´es. On peut faire l’hypothe`se que ces de´bats publics actuels, sur la fin de vie ou l’acharnement the´rapeutique, vont avoir des effets sur les normes et valeurs des patients, comme ils en ont actuellement sur les e´quipes soignantes, quant a` ce qui apparaissait comme un allant de soi des progre`s me´dicaux. La question pose´e par ces cas est celle des limites, du raisonnable et de ce qui est adapte´ a` la personne. Les patients ont leur mot a` dire, qui passe par un rapport a` leur aˆge apaise´, acceptant comme une e´volution normale l’usure des organes, en l’occurrence une fonction urinaire diminue´e, corre´le´e a` d’autres fonctions elles aussi diminue´es. Nous avons pu mettre en e´vidence dans ces cas qu’une notion cle´ de l’e´change patient–professionnels renouvele´ est de se re´fe´rer dans la consultation et dans les de´cisions a` prendre a` la question des avantages/inconve´nients pour la vie du patient et non pas seulement a` la question du rapport entre les re´sultats et les risques me´dicaux, afin d’e´changer avec le patient sur sa vie future et non pas seulement sur l’e´tat de son organe de´faillant.

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De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Remerciements Les auteurs tiennent a` remercier le Professeur Philippe Brunet pour ses suggestions et ses encouragements fournis pour ce travail.

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