Texte des experts – Pe´nibilite´ et usure au travail A. Touranchet1,*, A. Jolivet2 1 Pays-de-Loire, 26, rue Vincent Gache, B.P. 46339, 44263 Nantes cedex 02, France 2 IRES, GIS CREAPT, IRES, 16, boulevard du Mont-d’Est, 93140 Noisy-le-Grand cedex, France
Comment faire quand on ne peut plus ? What to do when we cannot any more?
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www.sciencedirect.com
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exposition a` certaines conditions de travail a des effets sur la sante´ [1]. Des proble`mes de sante´ peuvent aussi re´sulter de causes non lie´es au travail. Dans les deux cas, une personne peut se trouver en difficulte´ dans son travail. En fin de carrie`re, les proble`mes de sante´ sont encore plus pre´sents, notamment en raison du cumul de difficulte´s ou de l’exposition a` des conditions de travail usantes tout au long du parcours professionnel. Les caracte´ristiques de l’emploi occupe´, peuvent en outre de´grader son e´tat de sante´. De`s lors qu’un retrait de cet emploi s’ave`re ne´cessaire, quelles possibilite´s existent en fin de carrie`re ? L’arbitrage se re´ve`le de´licat entre rester malgre´ tout, quitte a` accroıˆtre ses proble`mes de sante´, ou s’arreˆter et be´ne´ficier d’un revenu de remplacement dont le montant varie sensiblement selon le statut au regard de la protection sociale.
Les possibilite´s de retrait en fin de carrie`re pour raison de sante´ Trois voies de sortie peuvent be´ne´ficier au moins en partie a` des personnes ayant des difficulte´s de sante´ en fin de carrie`re. La premie`re voie de sortie, celle qui semble la plus e´vidente, correspond a` l’invalidite´, l’inaptitude, le handicap (ces trois situations n’e´tant pas exclusives l’une de l’autre). On y trouve a` la fois des dispositifs compensant l’existence d’une de´ficience, quel que soit l’aˆge auquel elle survient, donc non spe´cifiques a` la fin de carrie`re (allocation pour adulte handicape´) et des dispositifs destine´s a` permettre la sortie d’activite´ en fin de carrie`re prenant en compte des difficulte´s de sante´ ou la pe´nibilite´ du travail en fin de carrie`re (pensions de retraite pour inaptitude ou pour invalidite´ et dans une certaine mesure retraite pre´coce pour longue carrie`re des travailleurs handicape´s). Les arreˆts maladie peuvent aussi permettre a` certains seniors de se * Auteur correspondant. e-mail :
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« retirer » pour une pe´riode longue sinon de manie`re de´finitive [2]. Ces diffe´rents dispositifs ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, ils sont souvent combine´s dans le temps selon l’e´tat de sante´ des salarie´s ou les conditions de travail. La deuxie`me voie de sortie a trait a` la pre´retraite (ASFNE) ou a` la retraite pre´coce/anticipe´e. Il existe, par ailleurs, un certain nombre de dispositifs spe´cifiques aux fins de carrie`re qui prennent en compte l’exposition a` des conditions de travail pe´nibles, voire nocives, au cours de la vie professionnelle (CATS, CAATA). Enfin, la troisie`me est celle du choˆmage, indemnise´ ou non. On y trouve un dispositif non spe´cifique, la dispense de recherche d’emploi, accorde´e au-dela` d’un certain aˆge, et un dispositif de fait, combinant licenciement pour inaptitude et indemnisation jusqu’a` la retraite, qui concerne particulie`rement les personnes en fin de carrie`re ayant des proble`mes de sante´. Les personnes atteintes de proble`mes de sante´ peuvent be´ne´ficier plus ou moins facilement des dispositifs spe´cifiquement pre´vus et se reporter plus ou moins aise´ment sur des dispositifs alternatifs le cas e´che´ant. Entrent en jeu les conditions d’acce`s (dure´e d’activite´ ante´rieure, secteur d’activite´, degre´ d’atteinte), les crite`res d’attribution (origine accidentelle ou non, lie´e au travail ou non, relevant d’une liste pre´cise de pathologies ou non, proble`mes de sante´ ave´re´s ou re´duction de l’espe´rance de vie). Combine´s a` des e´le´ments individuels (notamment, la dure´e de cotisation valide´e a` l’assurance-vieillesse), ces e´le´ments ouvrent plus ou moins largement l’acce`s aux dispositifs spe´cifiques pre´vus. Ainsi, les dispositifs accessibles ne seront pas les meˆmes selon l’aˆge auquel surviennent les proble`mes de sante´. Pour les personnes qui peuvent be´ne´ficier d’une pre´retraite (publique ou d’entreprise) ou d’une retraite anticipe´e pour longue carrie`re, la solution est « simple » et financie`rement satisfaisante. Ne´anmoins, cela ne concerne le plus souvent que des personnes assez proches de l’aˆge minimum de la retraite a` taux plein et moins fre´quemment des femmes et les salarie´s des PME. Pour les autres, restent en principe trois 239
1775-8785/$ - see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2008.03.010 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2008;69:239-240
A. Touranchet, A. Jolivet
possibilite´s : maladie professionnelle ou accident du travail, invalidite´ ou inaptitude. Ces trois possibilite´s sont pour certaines exclusives l’une de l’autre. Il est alors essentiel mais difficile de de´terminer, entre une de´claration de maladie professionnelle ou une invalidite´, quelle est la meilleure solution pour le salarie´. Apparaıˆt, depuis peu d’anne´es, la possibilite´ pour les salarie´s vieillissants en difficulte´ dans l’entreprise, que ce soit du fait de leur e´tat de sante´ ou du fait des conditions de travail, d’envisager une formation pour quitter une entreprise ou` leur e´tat de sante´ peut devenir pe´rilleux.
Arbitrage et articulation des diffe´rents dispositifs Le me´decin du travail joue un roˆle particulier dans la de´cision et l’organisation d’un retrait d’activite´ anticipe´ pour raisons de sante´ [3] : interlocuteur du salarie´, il doit inte´grer dans sa de´cision des conside´rations lie´es a` la sante´ du salarie´, des connaissances sur les exigences du poste de travail mais aussi des arguments financiers, sociaux et, notamment, le niveau du revenu de remplacement auquel le salarie´ concerne´ pourra pre´tendre. La de´cision de retrait anticipe´ est une de´cision complexe qui place souvent le me´decin du travail face a` un dilemme : pre´server la sante´ en prononc¸ant une inaptitude ou repousser cette de´cision pour assurer un de´part dans de meilleures conditions psychologiques et financie`res. Cependant le niveau d’indemnisation et les de´lais de de´cision diffe`rent tre`s fortement selon les dispositifs. Pour un salarie´ donne´, les e´carts d’indemnisation existants selon les diffe´rents cas de figure expliquent que le me´decin « oriente » ce salarie´ : a` partir de 57 ans, de´claration d’inaptitude suivie le plus souvent d’un licenciement, avant 57 ans, classement en invalidite´ deuxie`me cate´gorie, puis inaptitude et licenciement. Cet arbitrage, qui repose en partie sur l’articulation des dispositifs, se trouve fortement contraint par l’e´volution (ou l’absence d’e´volution) de ces dispositifs. Ainsi, les modifications successives des dure´es d’indemnisation du choˆmage pour les 50 ans et plus re´duit les possibilite´s de sortie « satisfaisantes » via l’inaptitude. Pour les salarie´s ayant travaille´ 27 mois au cours des 36 derniers mois, la dure´e maximale d’indemnisation est par exemple passe´e de
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60 mois pour les 55 ans et plus (convention Unedic du 31 de´cembre 2002) a` 42 mois mais seulement pour les 57 ans et plus (avec une condition supple´mentaire : avoir au moins 100 trimestres de cotisations a` l’assurance vieillesse) depuis le premier janvier 2003, puis a` 36 mois a` partir de 50 ans depuis le 18 janvier 2006. L’absence de modification des niveaux d’indemnisation pour accident du travail, en de´pit de nombreux rapports en ce sens, fait obstacle a` l’utilisation de ce dispositif dans les cas qui pourtant rele`veraient de cette indemnisation. Enfin, la contraction des pre´retraites publiques, la remise en cause des retraites pre´coces dans certaines activite´s (fonction publique mais aussi chauffeurs routiers) et l’augmentation de la dure´e de cotisation requise pour l’obtention de la retraite a` taux plein rendent plus difficile une sortie de leur emploi pour les personnes ayant des difficulte´s de sante´. Le me´decin du travail doit non seulement arbitrer, lorsque c’est possible, entre diffe´rents dispositifs a` un moment donne´ (compte tenu de l’e´tat de sante´, du de´lai que peut prendre l’instruction d’un dossier d’indemnisation, de la ne´cessite´ de mettre a` l’abri plus ou moins vite un salarie´), mais aussi, dans le temps, enchaıˆner des dispositifs quand c’est possible (tenir compte des conse´quences sur les revenus dans un ou deux ans, voire au moment de la retraite). Dans l’e´tat actuel des textes et dans l’incertitude de leurs e´volutions, trouver « comment faire quand on ne peut plus », c’est-a`-dire, comment prote´ger la sante´ des salarie´s vieillissants par rapport a` leurs conditions de travail est, a` la fois, toujours plus difficile et peut-eˆtre compromis a` l’avenir. Il est probablement temps de penser a` aider le me´decin du travail dans sa taˆche d’information et d’orientation du salarie´ en fonction des possibilite´s de mise a` l’abri.
Re´fe´rences 1. Lasfargues G. De´parts en retraite et « travaux pe´nibles ». L’usage des connaissances scientifiques sur le travail et ses risques a` long terme pour la sante´, Rapport de recherche du Centre d’E´tudes de l’Emploi no 19, avril 2005, [38 p.] 2. Misse`gue N. Les arreˆts de travail des seniors en emploi, DRESS, Dossiers Solidarite´ et Sante´ no 2, 2007, [23 p.] 3. Bardot F., Touranchet A. Partir plus toˆt pour raisons de sante´ : le dilemme des me´decins du travail, Retraite et Socie´te´ 2006;49:p. 61–75.