Complication des arthroplasties par prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell (Link®)

Complication des arthroplasties par prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell (Link®)

Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2009) 95, 634—641 MÉMOIRE ORIGINAL Complication des arthroplasties par prothèses totales de geno...

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Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2009) 95, 634—641

MÉMOIRE ORIGINAL

Complication des arthroplasties par prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell (Link®)夽 Complications following rotating hinge Endo-Modell (Link® ) knee arthroplasty B. Guenoun a,∗, L. Latargez a, M. Freslon a, G. Defossez b, N. Salas a, L.-E. Gayet a a b

Service d’orthopédie-traumatologie, CHU de Poitiers, 2, rue de la Milétrie, BP 577, 86021 Poitiers cedex, France Institut universitaire de santé publique, CHU de Poitiers, 2, rue de la Milétrie, BP 577, 86021 Poitiers cedex, France

Acceptation définitive le : 3 septembre 2009

MOTS CLÉS Prothèse totale de genou ; Charnière ; Complications

Résumé Préalable. — Les prothèses à pivot rotatoire sont indiquées dans les révisions avec laxité majeure ou lors de déviations frontales importantes rendant difficile l’équilibrage ligamentaire avec une prothèse à glissement. Malgré son utilisation depuis près de 50 ans, ce type d’implant conserve une mauvaise réputation par son taux important de complications. Hypothèse. — les complications sont fréquentes après ce type d’arthroplastie et leur taux est équivalent qu’il s’agisse d’arthroplastie primaire ou de reprise. L’objectif de ce travail a été de rendre compte des résultats à moyen terme de ces implants et d’en déterminer les facteurs prédictifs afin de pouvoir affiner nos indications opératoires. Patients et méthode. — Dans cette étude rétrospective de patients opérés entre 1998 et 2006, 85 prothèses à pivot rotatoire Endo-Modell (Link® ) ont été posées (61 femmes et 24 hommes). L’âge moyen lors de l’intervention était de 72,4 ans (32 à 92 ans). Cinquante-deux arthroplasties étaient primaires et 33 secondaires à des reprises pour descellement (24) ou pour infections profondes (neuf). Le recul moyen était de 36 ± 22 mois (zéro à 75 mois). Résultats. — Des complications ont été notées chez 24 patients (28,2 %), dont neuf infections profondes, quatre complications patellaires et trois descellements aseptiques. Aucune différence significative n’a été retrouvée entre les arthroplasties de première intention et les reprises quel que soit le type de complication. Il a été retrouvé un lien significatif entre l’apparition d’une complication et l’existence de plusieurs facteurs de comorbidités associés (obésité, cardiopathies, diabète. . .).

DOI de l’article original : 10.1016/j.otsr.2009.07.013. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics & Traumatology: Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Guenoun). 夽

1877-0517/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rcot.2009.09.018

Complication des prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell

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Discussion. — L’utilisation de ce type de prothèse comporte un risque élevé de complications, plus élevé que les prothèses à glissement quelle que soit l’indication opératoire et sur tous les points de comparaison. Les critères de mauvais résultats fonctionnels apparaissent être l’indication (gonarthrose avec laxité ligamentaire importante en première intention) et le nombre de comorbidités associées. Elles doivent donc être limitées à des indications spécifiques et notamment lorsque les prothèses à glissement sont largement dépassées. Type d’étude. — Rétrospective, niveau IV. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction La mise en place d’une prothèse à pivot rotatoire est une alternative de la chirurgie prothétique du genou. Les premières prothèses à charnières mises au point dans les années 1950 par Judet et par Walldius et Shiers [1] ont connu un nombre considérable de complications (descellements, infection) [2,3]. Le mécanisme articulaire initial consistait en une charnière fixe sans liberté de rotation. Très rapidement, il est apparu que la rotation externe normale sur un genou sain pendant la marche était entre 9 et 13◦ , ce qui provoquait une contrainte en torsion excessive sur l’interface os-ciment avec ce type d’implant. Une deuxième génération de prothèses a donc été conc ¸ue en modifiant différents éléments (axe de rotation avec arrêt, nouveau dessin de l’articulation fémoropatellaire afin de faciliter le cheminement de la patella, apparition d’une embase tibiale en métal pour diminuer l’usure du polyéthylène et amélioration des tiges afin de faciliter l’ostéofixation). Ces améliorations ont permis l’apparition progressive de nombreux modèles dont les principaux sont la prothèse Guepar en 1970 (avec décalage de l’axe de rotation en arrière et en haut) [4,5], la prothèse Stanmore [6] en 1971 ou la prothèse Saint-Georg d’Engelbrecht, Nieder, Keller et Strickel en 1979 (ancêtre de l’Endo-Modell [Link® ]) [7,8]. Malgré ces évolutions importantes, il persiste alors encore un taux de complications inacceptable pour une prothèse totale de genou. Ainsi, David et al. [9] rapportaient pour la Rotaflex (utilisé entre 1980 et 1984) un taux de complication de près de 80 % à type de fracture du matériel ou de rupture de l’appareil extenseur. Il était donc nécessaire, dans les années 1980, d’effectuer de nouvelles modifications (mécanisme antiluxation. . .) afin de faire évoluer ce type d’implant vers les modèles de troisième génération dont fait partie la prothèse charnière à rotation Endo-Modell (Link® ). La prothèse totale de genou à rotation Endo-Modell (Link® ) a pour principe de fonctionnement une flexion autour d’un axe sans changement de centre de rotation (Fig. 1). Par l’étude des courbes reproduisant le mouvement naturel du genou, l’axe de compromis du centre de rotation a pu être déterminé par Nieder [10] à 22,5 mm au-dessus du point le plus bas du plateau tibial et à 16 mm en arrière de l’axe du tibia. Lors de mouvements de rotations extrêmes, les composants transmettent brusquement le couple de force à l’interface os-ciment, en augmentant théoriquement le risque de descellement. Sur un genou sain, l’augmentation de la rotation avec la flexion se réalise surtout entre 0 et 30◦ de flexion. La liberté de rotation de l’articulation soumise

à charge est limitée par la compression du cartilage, par l’augmentation de l’adaptation des surfaces articulaires et enfin par l’augmentation de l’énergie cinétique de la masse corporelle liée au mécanisme de vissage/dévissage correspondant à la rotation automatique en flexion. Il a donc été nécessaire de limiter la quantité de rotation afin de diminuer le risque de descellement. La prothèse totale de genou à rotation Endo-Modell (Link® ) tente de reproduire ce phénomène par l’utilisation de rampes dans la forme du composant tibial pour commander la flexion, avec limitation de rotation selon la flexion. En pleine extension, le genou a une limitation de rotation, qui augmente de 15 à 20◦ à partir de 50◦ de flexion. Malgré ces améliorations conséquentes des implants [11—13], la prothèse de genou à pivot rotatoire conserve une mauvaise réputation contrairement aux prothèses à glissement dont les résultats sont devenus la norme (2 à 6 % de complications). Néanmoins, ces prothèses à charnières peuvent se révéler intéressantes dans certaines indications spécifiques telles qu’une gonarthrose associée à une instabilité ligamentaire majeure, un défect osseux distal fémoral ou proximal tibial d’origine tumorale ou post-traumatique, ou en reprise sur descellement aseptique ou septique avec défect osseux majeur ou insuffisance ou destruction des plans ligamentaires collatéraux. Notre étude a donc pour objectif dévaluer le taux de complications après la pose de prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell (Link® ) et d’en définir les facteurs prédictifs. Nous formulons l’hypothèse que les complications sont fréquentes mais que leur taux est équivalent qu’il s’agisse d’arthroplastie primaire ou de reprise.

Patients et méthode Patients Entre juin 1998 et juillet 2006, 85 patients ont été opérés. Seules les arthroplasties unilatérales ont été retenues, afin d’éliminer les facteurs non indépendants des patients ayant subi une intervention bilatérale. S’agissant d’une étude de complications, tous les dossiers ont pu être retenus, y compris les 39 patients perdus de vue, grâce aux documents établis lors de la dernière révision. Dans la même période, 364 prothèses totales de genou à glissement ont été posées dans le service. L’âge moyen, à la date d’intervention, était de 72,4 ± 9,2 ans (de 31,9 à 92,6 ans). Le recul moyen était

636

B. Guenoun et al.

Figure 1

Prothèse à pivot rotatoire Endo-Modell sans et avec bouclier trochléen [6].

de 36 ± 22,0 mois (zéro à 99 mois) avec 60,0 % ayant un recul supérieur à deux ans. Il y avait 61 femmes et 24 hommes. L’indice American Society of Anesthesiologists (ASA) des patients était en moyenne de 2 et 39 % des patients présentaient au moins deux comorbidités associées (obésité, diabète, cardiopathies, pneumopathies, pathologies cancéreuses. . .). Dans 52 cas, il s’agissait d’une chirurgie de première intention, et dans 33 cas d’une reprise de prothèse totale de genou. Les indications opératoires des arthroplasties de première intention et de reprise sont résumées dans le Tableau 1.

Technique opératoire La technique opératoire a toujours été identique. L’incision était médiane avec arthrotomie parapatellaire médiale et luxation latérale de l’appareil extenseur. Les ligaments

Tableau 1 reprise).

Indications opératoires (première intention et Effectif

Pourcentage

Première intention Gonarthrose primitive Gonarthrose primitive avec laxité ligamentaire Varus important Valgus important Tumeur Gonarthrose secondaire Post-traumatique Polyarthrite rhumatoïde

52 37 9

61,2 43,5 10,6

21 7 1 14 8 6

24,7 8,2 1,2 16,5 9,4 7,1

Reprise Sepsis Descellement aseptique

33 9 24

38,8 10,6 28,2

collatéraux étaient désinsérés tangentiellement à l’os fémoral en sous-périosté, puis la capsule postérieure et les coques étaient libérées. L’extrémité distale du fémur et proximale du tibia étaient préparées à la scie oscillante grâce à l’ancillaire spécifique Link® pour la mise en place des implants cimentés (deux doses de ciment à la gentamicine). Le choix de l’implant était adapté au défect osseux, avec ou sans bouclier trochléen. Aucun équilibrage ligamentaire n’était nécessaire. Un émondage articulaire de la patella était réalisé à la scie oscillante afin de permettre la réduction en face de la trochlée prothétique. Il n’était jamais implanté de bouton patellaire. Le plateau de polyéthylène était alors mis en place et fixé par le système antiluxation vissé (Fig. 2). La durée opératoire a été en moyenne de 126,4 ± 49,1 minutes (60 à 260). Un protocole d’antibioprophylaxie était utilisé dans tous les cas mais dans 16 cas (18,8 %), il n’était pas scrupuleusement respecté. L’appui et la marche étaient repris dès le deuxième jour associés à une mobilisation passive sur arthromoteur dès j0.

Méthode Les dossiers ont été revus par un seul examinateur différent des opérateurs. Des corrélations entre l’apparition de complications et les différents facteurs cliniques pertinents ont été recherchées. Une analyse radiologique a été effectuée sur des clichés standard du genou opéré de face, de profil et sur un défilé fémoropatellaire, afin de rechercher des signes de fracture osseuse, de fracture de matériel et des liserés évolutifs ou d’ostéolyses signes de descellement. La position de la patella sur le cliché de profil a été évaluée selon les critères d’Insall et al. [14,15].

Analyse statistique L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel SAS version 9.0 sous Windows.

Complication des prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell

Figure 2

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Radiographies préopératoires et postopératoires d’une patiente de 79 ans présentant un genu valgum de 22◦ .

Les résultats sont présentés en effectif et en pourcentage pour les variables qualitatives, et en moyenne ± écart-type et les extrêmes (minimum-maximum) pour les variables quantitatives. Les comparaisons de pourcentage pour les variables qualitatives ont été réalisées par le test du Khi2 de Pearson (test exact de Fisher en cas d’effectifs faibles). Les comparaisons de moyennes pour les variables quantitatives ont été réalisées par le test t de Student, ou par le test non paramétrique de Wilcoxon-Mann-Whitney pour les comparaisons de deux moyennes et par le test de Kruskall et Wallis pour les comparaisons de trois moyennes (distributions anormales, non-homogénéité de variances). La corrélation entre deux variables quantitatives était étudiée à l’aide du coefficient de corrélation de Pearson. Le seuil de significativité était fixé à 0,05.

Résultats Complications Une seule complication peropératoire a été notée. Il s’agissait d’un choc au ciment ayant entraîné le décès de la patiente 48 heures après l’intervention. En postopératoire précoce (inférieure à un mois), cinq complications ont été rapportées. Il y a eu deux infections ayant nécessité une reprise pour un lavage articulaire, deux lésions neurologiques périphériques avec atteinte du nerf fibulaire commun partiellement résolutive et une ischémie aiguë du membre inférieur ayant nécessité la réalisation d’un pontage artériel en urgence (Tableau 2). Au plus grand recul, en plus des complications aiguës, 21 complications ont été observées. Sept infections profondes ont été observées. Dans quatre cas, les infections ont nécessité une reprise chirurgicale pour ablation de la prothèse avec repose dans deux cas et arthrodèse dans deux autres cas avec des résultats satisfaisants. Dans les autres cas d’infection (trois), une reprise chirurgicale a été réalisée associant un lavage abondant, un débridement et un changement du polyéthylène sans changement de l’implant. Un seul de ces trois cas a présenté à 46 mois de recul, une infection profonde ayant nécessité une reprise chirurgicale.

Tableau 2

Complications.

Complications Infection Complications patellaires Rupture appareil extenseur Clunck syndrome Luxation rotule Autres complications Synovite chronique Choc au ciment Ischémie aiguë Mb. inférieure Atteinte SPE Désunion cutanée Descellement aseptique

n 9 4 1 1 2 11 3 1 1 2 4 3

% 10,6 4,7 1,2 1,2 2,4 12,9 3,5 1,2 1,2 2,4 4,7 3,5

Trois descellements aseptiques ont été observés. Quatre complications patellaires ont été observées dont deux luxations de la patella, une rupture de l’appareil extenseur et un clunck syndrome. Seule la rupture de l’appareil extenseur a conduit à une reprise chirurgicale à type de suture tendineuse. Ainsi, nous rapportons un taux global de complications de 28,4 %, avec un taux de 30,8 % dans le groupe chirurgie de première intention et de 24,2 % dans le groupe chirurgie de reprise (pas de différence significative, p = 0,31) (Fig. 3). La survie de l’implant, si l’on considère comme échec l’ablation de la prothèse quelle qu’en soit la cause, était de 89,4 % à trois ans. En revanche, si l’échec pris en compte était l’apparition d’une complication, quelle qu’elle soit, la survie était de 75,1 % à un an, 65,2 % à trois ans.

Facteurs prédictifs Des corrélations ont été recherchées entre l’apparition d’une complication (descellement aseptique, infection profonde, complications patellaires ou autres complications) et certains facteurs tels que l’indication, la présence d’un diabète, la présence d’au moins deux comorbidités et enfin la durée opératoire supérieure à 120 minutes.

638

B. Guenoun et al.

Figure 3

Répartition des complications selon indications.

Les facteurs ayant augmenté le taux de complication global étaient : une gonarthrose primitive avec laxité ligamentaire (66,7 % ; p = 0,018), la présence d’un diabète (57,1 % ; p = 0,07), la présence d’au moins deux comorbidités (36,4 % ; p = 0,017) et enfin une durée opératoire supérieure à 120 minutes (42,3 % ; p = 0,05). Le seul facteur protecteur retrouvé est l’indication pour déviation axiale en varus supérieur à 10◦ (14,3 % ; p = 0,05). En examinant spécifiquement chaque type de complication, aucun facteur statistiquement significatif d’apparition ou de protection de telle ou telle complication n’a pu être retenu, porbablement du fait des faibles effectifs. Sur l’ensemble des tests statistiques, l’indice ASA, le type d’antibioprophylaxie et a fortiori les erreurs dans l’application des protocoles ne sont pas apparus comme des facteurs d’apparition de complication qu’elle soit septique ou non. Vingt-cinq liserés évolutifs étaient notés chez 16 patients. Plus de 50 % d’entre eux ne présentaient qu’un seul liseré. Ni le siège, ni le nombre de liserés évolutif n’était des facteurs prédictifs significatifs de survenue d’une complication et plus particulièrement d’un descellement aseptique. L’analyse de la hauteur de la patella montrait 73,5 % de patella haute, 11,8 % de patella basse et 14,7 % de patella normopositionnée. La position de la patella en postopératoire influait sur l’apparition d’une complication : 16 % des patellas hautes et 50 % des patellas basses présentaient une complication (p = 0,04). Aucune complication spécifique n’était dépendante de la hauteur de la patella et plus particulièrement des complications patellaires.

Discussion La série Notre série de 85 prothèses de genou Endo-Modell (Link® ), évaluée avec un recul moyen de 36 mois, est comparable aux séries récentes de la littérature en ce qui concerne l’âge (72 ans), le sex-ratio (avec une prédominance féminine) et le nombre de sujets. Seules les séries des concepteurs [11,12] présentaient un nombre de patients beaucoup plus important (respectivement de 1074 et de 1937 patients) (Tableau 3). La variabilité de nos étiologies diffère de la

littérature avec une prédominance de reprise pour Utting et Newman [16], ou une prédominance de première intention pour la plupart des autres études [11,12,17—19]. Malgré le nombre important de perdus de vue, l’ensemble des dossiers a pu être analysé pour l’étude des complications. Notre survie globale de l’implant est de 89,4 % à 36 mois. Nieder et al. [12] rapportent un taux de survie à sept ans de 95 %, Petrou et al. [20], sur une série de 100 prothèses totales de genou, ont une survie de 96,1 % à deux ans et de 80,3 % à 12 ans.

Complications Le taux de complication est élevé, mais pas inattendu dans une série incluant une majorité de patients nécessitant une chirurgie de sauvetage du genou. L’infection a été la complication la plus fréquente (10,6 %), ce qui correspond aux données habituelles de la littérature [12,19,20] (Tableau 3). Shaw et al. [21] ont par exemple 16 % d’infection profonde. Seuls, Nieder [13], Zinck et Sellckau [17] et Reignier [19] rapportent un taux global de complication d’environ 6 %, dont 2 % seulement de complications septiques. Dans notre série, nous observons un taux de 30,8 % de complications lors de la chirurgie de première intention et de 24,2 % lors des reprises sans que la différence soit statistiquement significative (p = 0,31). Notre taux de complication sur chirurgie primaire est supérieur aux séries de la littérature (entre 2 et 6 %) (Tableau 3) alors qu’il est conforme dans le groupe reprise [22,23]. Il nous apparaît intéressant, pour expliquer ces résultats, de préciser les critères d’inclusion de chaque série. Ainsi, notre population présente un taux important de patients ayant plusieurs facteurs de risque de complication (âge moyen élevé, association de comorbidités [obésité, diabète, troubles cardiologiques ou pulmonaires. . .]) et un faible taux de « genoux vierges ». Des taux similaires sont retrouvés dans les séries d’Utting et Newman [16], d’Inglis et Walter [24] et de Springer et al. [22], tous ayant des critères d’inclusions similaires. Notre étude rapporte donc des résultats moins favorables que les études spécifiques (première intention exclusive, patient jeune. . .) du fait de l’étendue de son recrutement.

Comparaison des différentes séries de prothèses à charnière rotatoire. Notre série

Springer [24]

Zinck [19]

Nieder [5]

Argenson [20]

Engelbrecht [4]

Rinta-Kiikka [26]

Reignier [21]

Type d’implant

Endo-Modell

Endo-Modell

Endo-Modell

Endo-Modell

Endo-Modell

Endo-Modell

Axel

Indications

1re intention Reprise 85 72,4 36

Modular segmental kinematic rotating hinge 1re intention Reprise 69

1re intention

1re intention

1re intention

1re intention

1re intention

1837 66 78

194 68 75

1074

75,2

2682 69 64

1re intention Reprise 48 68,5 66

10

1,7

1,3

1,0

0,8

1,5

6,0

2,0

1,9

1,3

20,0

1,9 0,5

5,2

1,9

Nombre de cas Âge moyen (ans) Recul moyen (mois) Problèmes mécaniques (%) Descellement aseptique (%) Sepsis (%) Complications neurologiques (SPE) (%) Complications rotuliennes (%) Patellectomie (%) Luxation d’axe (%) Fractures du fémur (%) Scores

Test statistique

0 3,5

2,8

10,6 2,4

14,5

1,6 0,8

1,9

2,5

4,7

13

3,9

1,8

5,0

0,3

1,0 1,0

0 0 0

1,4 0,8 0,2

IKS, flexion, radiographies SF36, Charnley

IKS, flexion, Charnley

Khi2 , Fisher

Wilcoxon signed rank

210 71 105

Complication des prothèses totales de genou à pivot rotatoire Endo-Modell

Tableau 3

0,5

Flexion Questionnaire de satisfaction Taux de survie

4,0 2,0

0,9

IKS, flexion, radiographies

639

640 Tout comme Reignier [19] et Utting et Newman [16], nous constatons un très faible taux de descellement aseptique, de l’ordre de 3,5 % mais avec un recul faible de 36 mois. Ce faible taux est également retrouvé dans les séries avec des reculs plus importants (deux à dix ans), ce qui nous permet de valider la rotation axiale comme protecteur du scellement des tiges intramédullaires. Aucune luxation de l’axe n’est à déplorer dans notre série, bien que cela ait déjà été décrit par Wang et Wang [26] dans la littérature, probablement en rapport avec l’utilisation systématique du dispositif antiluxation vissé dans les implants de troisième génération. Le seul facteur protecteur retrouvé dans notre série est l’indication pour déviation axiale en varus supérieur à 10◦ (14,3 % ; p = 0,05), indication rapportée dans la littérature comme présentant les meilleurs résultats par Hulet et al. [27]. La position de la patella est le facteur prédictif radiologique d’apparition de complication retrouvée dans notre série : plus la patella est basse, plus le risque de complications augmente. Schwab et al. [15] dans une série de 43 reconstructions post-tumorales par une prothèse à pivot rotatoire rapportent les mêmes conclusions. Le maintien de la hauteur patellaire et du niveau de l’interligne est donc un objectif primordial.

Indications Le taux de complications est plus important dans les prothèses à pivot rotatoire que dans les prothèses moins contraintes. À la vue des ces résultats, il nous apparaît donc toujours préférable d’utiliser une prothèse moins contrainte chaque fois que possible. L’implant à charnière rotatoire ne peut être mis en place que dans certaines indications spécifiques. En première intention [22,28,29] : une perte fonctionnelle des ligaments latéraux [6,30], une impossibilité d’effectuer la balance ligamentaire en flexion ou en extension en peropératoire, une déformation majeure en valgus ou varus, un défect osseux distal fémoral ou proximal tibial d’origine tumorale ou mécanique, une fracture comminutive ou une pseudarthrose du fémur distal chez le sujet âgé [4]. En chirurgie de reprise : un descellement aseptique avec défect osseux majeur ou une insuffisance des plans latéraux, une reprise septique avec défect osseux majeur [31], une fracture supracondylienne du fémur sur prothèse totale de genou sans possibilité d’ostéosynthèse [5]. Il est donc nécessaire d’étudier, pour l’ensemble des auteurs, en préopératoire de fac ¸on spécifique tous les critères cliniques et radiologiques afin de déterminer la pertinence de l’utilisation de ce type d’implant [27,29,32]. Il est important, dans ce type de dossier compliqué, d’effectuer l’ensemble des étapes du planning préopératoire : examen clinique (balance ligamentaire), radiographies standard (pangonogramme, incidences en stress) afin de déterminer l’étendue du défect osseux [33] et de l’insuffisance ligamentaire. Reignier [19] propose l’utilisation, après étude de sa série de modèles Axel, ce type d’implant dans les gonarthroses complexes et même d’élargir les indications habituelles des prothèses à pivot rotatoire à certaines gonarthroses moins sévères pour des patients de plus de 80 ans avec une faible

B. Guenoun et al. demande fonctionnelle présentant une laxité ou un facteur extra-articulaire surajouté. C’est ce qui a été fait dans le service et qui a été rapporté dans l’étude dans les indications de gonarthrose primitive avec laxité ligamentaire. Pourtant, après étude spécifique de ces patients, il apparaît un taux inacceptable de complications (66,7 % avec 33,3 % d’infection profonde). Ce taux élevé est à rapprocher évidemment du type de patient opéré (80 ans de moyenne d’âge, ASA supérieur à deux, nombre de comorbidités supérieur à deux), mais on peut tout de même remettre en cause la pertinence de ce type d’indication. L’importance de la déformation ne constitue pas en soit une indication de prothèse à charnière, car elle peut être contournée par un certain nombre d’artifices technique telle la réalisation d’une ostéotomie associée à une prothèse postéro-stabilisée avec des résultats satisfaisants sans geste de libération ligamentaire périphérique ou du pivot central [27]. Lachiewicz et Falatyn [8] obtiennent des résultats très satisfaisants (plus de 87 % de bons ou très bons résultats à cinq ans) avec une prothèse postéro-stabilisée dans les indications de gonarthrose avec laxité ligamentaire isolée.

Conclusion Les prothèses à charnière pivot rotatoire ont, dans nos mains, un taux de complications supérieur à celui observé avec les prothèses à glissement [34] et ce qu’il s’agisse d’une arthroplastie de première intention ou de reprise. Devant ces résultats, l’indication doit être posée de fac ¸on sélective après avoir confirmé l’impossibilité d’utiliser une prothèse moins contrainte. La prothèse postéro-stabilisée reste la référence. Cependant, il reste encore des indications à ce type d’implant lorsqu’il existe des défects osseux importants (reconstruction impossible) d’origine tumorale ou posttraumatique, ou lors de très grandes déviations axiales. Il faut également associer un terrain favorable à la mise en place de cet implant : patient âgé avec une faible demande fonctionnelle et présentant peu de comorbidités.

Conflit d’intérêt Aucun.

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