Concept actuel de paraphrénie et lien avec les troubles thymiques

Concept actuel de paraphrénie et lien avec les troubles thymiques

Annales Me´dico-Psychologiques 171 (2013) 645–650 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Communication Concept actuel de paraphre´nie et li...

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Annales Me´dico-Psychologiques 171 (2013) 645–650

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Communication

Concept actuel de paraphre´nie et lien avec les troubles thymiques Actuality of paraphrenia and link with affectives disorders Bruno Rome´o a,*, Walid Choucha b, Ce´cile Hanon c a

Hoˆpital Erasme secteur 92G9, 143, avenue Armand-Guillebaud, 92160 Antony, France Service de psychiatrie adulte, hoˆpital Pitie´ Salpe´trie`re, 47-83, boulevard de l’Hoˆpital, 75013 Paris, France c Hoˆpital Erasme Secteur 92G20, 143, avenue Armand-Guillebaud, 92160 Antony, France b

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Mots cle´s : Attitude the´rapeutique Paraphre´nie Trouble bipolaire Trouble de´lirant persistant Trouble de´pressif re´current

Objectifs. – A` partir d’une observation clinique, nous allons dans un premier temps e´voquer l’inte´reˆt du diagnostic de paraphre´nie et, dans un deuxie`me temps, de´crire les diffe´rents liens possibles entre paraphre´nie et trouble thymique. Observation. – M. B., 42 ans, est hospitalise´ en soins psychiatriques en pe´ril imminent pour troubles du comportement avec ide´es de´lirantes. Initialement, il pre´sente une excitation psychomotrice, une tristesse de l’humeur et un de´lire bien syste´matise´ en secteur, centre´ sur sa famille, avec des the`mes me´galomaniaque et de perse´cution a` me´canisme imaginatif et interpre´tatif. Discussion. – M. B. pre´sente tous les crite`res de paraphre´nie. L’hyperthymie retrouve´e dans la paraphre´nie confabulante pourrait expliquer l’excitation psychomotrice initiale. Dans ce re´fe´rentiel, au niveau thymique, ce patient pre´senterait donc un trouble de´pressif re´current et non, comme il a e´te´ diagnostique´, un trouble bipolaire. Quatre hypothe`ses semblent possibles pour e´voquer un lien entre paraphre´nies et trouble thymique. Conclusion. – La de´termination de ce lien entre ces deux types de troubles pourrait permettre de de´finir une attitude the´rapeutique et une simplification de la prise en charge au long cours. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Keywords: Bipolar disorder Paraphrenia Persistent delusion Recurrent depressive disorder Therapeutic strategy

A B S T R A C T

Objectives. – From a clinical observation, firstly we will discuss the clinical value of such diagnosis of paraphrenia. Secondly, we will describe possible associations between paraphrenia and affective disorder. Observation. – We present the clinical observation of M. B., 42 years, hospitalized in psychiatric department against his will for behavioral troubles and delusional ideas. He previously suffered twice from depression that needed hospitalizations (in 1995 and 2010). After the last hospitalization, a treatment by escitalopram was prescribed but the patient didn’t follow this treatment. When he was rehospitalised, he showed a psychomotor excitation, a depressive mood and insomnia without fatigue. He also had systematized delusions centered on his family, with imagination and interpretation mechanisms and megalomania and persecution thematics. The patient was not desorganised. A treatment by risperidone and valproic acid was prescribed and resulted in a good regression of the different symptoms within two months. Discussion. – If we apply the international classification like the ICM 10, this patient could be diagnosed: ‘‘persistent delirium and bipolar disorder’’. But if we apply other criteriae such as those of Ravidran and al., M. B. could be considered as presenting a paraphrenia. If we consider the euphoria and the psychomotor excitation as being a part of confabulatory paraphrenia, the affective disorder could be considered as a recurrent depressive disorder rather than a bipolar disorder. Thus, this clinical observation may link paraphrenia to affectives disorders and this link could be supported by four hypotheses. First, paraphrenia can be an affective disorder. Two observations support this hypothesis: the cyclic evolution and some symptoms, like the psychomotrice excitation, which are common between paraphrenia and mania. Second, paraphrenia may be considered as a kind of evolution of affectives disorders as a delusional reconstruction

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Rome´o). 0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.08.009

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scarring. Nodet even described the paraphrenia post-mania and the paraphrenia post-depression. Third, patient with a paraphrenia may be more prone to develop an affective disorder and the delusional disorder mixing reality and imaginary elements may result in difficulties for the adaptation to environmental stress. Fourth, same risks factors such as genetic or epigenetic factors, emotional deprivation and/or social isolation are common to paraphrenia and affective disorder. However, paraphrenia is frequently associated with cluster A personality disorder (paranoiac and schizoid) while affective disorder are more linked to cluster B personality disorder (borderline). Conclusion. – The efficacy of a treatment combining neuroleptic and mood stabilizers and the preservation of social insertion are important and indicate a therapeutic strategy that is different from schizophrenia. Thus, the determination of a link between paraphrenia and affective disorders could allow better therapeutic strategy and better follow-up on the long run. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Le terme de paraphre´nie a e´te´ utilise´ pour la premie`re fois par Kahlbaum [11]. C’est une pathologie qui a e´te´ rede´finie en 1912 par Kraepelin [14,15]. De nombreux auteurs ont repris ce concept en de´finissant d’autres troubles de´lirants, on peut citer H. Ey qui de´finira « la psychose fantastique » avant de reprendre le terme de paraphre´nie dans sa sixie`me e´dition du manuel de psychiatrie [8]. Pour Kraepelin, les paraphre´nies s’interposent entre les diagnostics de psychose paranoı¨aque et de troubles schizophre´niques, appele´s a` l’e´poque de´mences pre´coces. Elles permettent d’e´tablir une continuite´ entre ces diagnostics. A` ce jour, elles ne font pas partie des diagnostics reconnus dans les classifications telles que le DSMIV-TR [3] ou la CIM-10 [20] et correspondent aux diagnostics de troubles de´lirants persistants ou de psychoses atypiques. Apre`s avoir pre´sente´ un cas clinique, nous aborderons la question de la paraphre´nie sous deux angles :  quelle est la pertinence et l’actualite´ de ce diagnostic ?  quel lien entretient la paraphre´nie avec les troubles thymiques ? 2. Observation clinique Nous rencontrons Monsieur B., 42 ans, au moment de son hospitalisation dans notre service, pour « troubles du comportement avec ide´es de´lirantes ». Il est adresse´ en soins psychiatriques contraints (SPPI) par le CPOA. Il s’agit de sa troisie`me hospitalisation en milieu psychiatrique, la premie`re en 1995 pour tentative de suicide par ingestion de cyanure suite a` une rupture sentimentale. La deuxie`me en 2010, en SPDT pour e´pisode de´pressif. Un traitement par Escitalopram1 est prescrit, avec une bonne tole´rance et efficacite´. A` la sortie, la rupture the´rapeutique est rapide, il arreˆte le traitement et ne se rend pas au rendez-vous de suivi propose´ par le CMP de secteur. Dans ses ante´ce´dents familiaux, on retrouve une de´pendance a` l’alcool chez son pe`re et un syndrome de Dioge`ne chez la me`re. Il n’y a pas d’ante´ce´dents thymiques retrouve´s. Dans ses ante´ce´dents me´dicaux, il pre´sente un diabe`te non insulinode´pendant traite´ par Gliclazide1 60 mg avec un suivi irre´gulier et une mauvaise observance. Sur le plan biographique, Monsieur B est fils unique. Il a e´te´ marie´ et est en instance de divorce depuis avril 2012. Il a quatre filles, aˆge´es de cinq, sept, neuf et 11 ans. Il a perdu son pe`re d’une maladie cance´reuse, alors qu’il n’avait que 13 ans. Il a e´te´ correctement scolarise´ et est titulaire d’un BTS de Chimie. Depuis 15 ans, il travaille comme chimiste a` la mairie de Paris. Il re´sidait a` Chartres mais est retourne´ vivre chez sa me`re a` Puteaux depuis la se´paration d’avec son e´pouse. En 2011, il est accuse´ de violences conjugales et de ne´gligences vis-a`-vis de ses enfants et une mesure de protection judiciaire est prononce´e. Il lui est alors interdit de se rendre au domicile familial et d’approcher sa femme et ses enfants. Une mesure d’AEMO est

mise en place pour ses filles. Au niveau me´dical, la de´signation d’un expert afin d’examiner le patient ainsi qu’une injonction de prise en charge psychologique sont stipule´es dans l’ordonnance de protection judiciaire. Histoire re´cente : trois semaines avant son admission, Monsieur B. va se rendre a` Chartres, au domicile familial, ou` il constatera des changements (peinture des murs, disposition des meubles ainsi que la disparition de nombreux objets accumule´s dans la maison e´voquant e´galement un syndrome de Dioge`ne chez notre patient) dont il dira qu’ils l’ont perturbe´. Il est rapidement interpelle´ par les forces de l’ordre et mis a` distance du domicile, rien de plus. Cette interpellation va entraıˆner ce qu’il qualifiera de « choc e´motionnel », et s’installe alors un e´tat d’excitation psychique avec anxie´te´. Il cherche alors a` consulter son psychiatre traitant, mais celui-ci est en conge´. Il prend rendez-vous au CMP de secteur (ou` il n’est pas connu ni suivi) mais il y a deux mois d’attente. Il se pre´sente enfin au CPOA, mais ce sera pour y demander des soins psychiatriques pour. . . son e´pouse et non pour lui ! A` son arrive´e, il pre´sente une excitation psychomotrice, une logorrhe´e avec diffluence, une certaine tristesse de l’humeur, des troubles du sommeil a` type d’insomnie ainsi qu’un sentiment de culpabilite´. Cette symptomatologie e´voque donc un e´tat mixte. Des ide´es de´lirantes sont verbalise´es et s’organisent en secteur autour de sa « sphe`re intime » (selon les dires du patient) correspondant a` sa famille. Les me´canismes retrouve´s sont l’imagination, l’interpre´tation, et les the`mes sont la perse´cution, la me´galomanie et la religion. En particulier, il est persuade´ que son e´pouse est atteinte d’une maladie rare, e´trange, dont il a pris conscience re´cemment. Il la nomme « histonie », terme qu’il explique par le me´lange d’une forme d’hyste´rie et d’un hermaphrodisme. Il n’y aurait que trois fac¸ons de traiter cette atteinte : faire un enfant tous les deux ans, suivre des se´ances d’hypnose ou de psychothe´rapie. De fait, des enfants, il en a eu depuis huit ans de manie`re effective tous les deux ans ! Il de´crit sa volonte´ tre`s appuye´e d’avoir un garc¸on, ce qu’il conside`re comme « une mission » pour perpe´tuer son nom. Or, comme il n’a eu que des filles, il en a conclu que sa femme e´tait une « amazone hermaphrodite » et que, par de´finition, elle ne pouvait pas avoir de garc¸on. Elle aurait pre´sente´, a` la naissance, une malformation urinaire ayant ne´cessite´ de multiples ope´rations durant les six premie`res anne´es de sa vie. A` partir de cet e´le´ment de re´alite´, Monsieur B. e´labore sa construction de´lirante et conclut que « l’hystonie » dont souffre sa femme est conse´cutive aux multiples ope´rations qu’elle a subies pour soigner son « hermaphrodisme » et qu’elle pre´sente une anomalie anatomique du sexe qui rend impossible le fait d’avoir un garc¸on. L’adhe´sion au de´lire est totale, la conviction et la participation affective sont majeures. Initialement, le patient pre´sente une attitude de toute-puissance et une rigidite´ dans le contact. Les troubles du comportement qu’ils pre´sentent sont anciens, et consistent essentiellement en des bris d’objets, a` une fre´quence fixe´e d’« une fois tous les six mois ». Il nous explique qu’il « casse »

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des objets auxquels il tient particulie`rement « afin de montrer son autorite´ et sa puissance » a` son entourage. Plus tard, il se montrera e´galement violent physiquement envers sa femme et son beaupe`re. Il y a une banalisation importante de ces comportements. Monsieur B. ne pre´sente aucun syndrome dissociatif ni de discordance. Le contact est de bonne qualite´, il n’est pas re´ticent. Il ne pre´sente ni bizarrerie ni froideur affective. Au niveau de sa personnalite´, il se de´crit comme « carte´sien », assez autoritaire, impulsif, pouvant meˆme eˆtre violent. Cependant, aucune me´fiance, rancune, surestime de soi ne sont retrouve´es. Il de´crit e´galement ˆ t pour les activite´s solitaires un isolement social important, un gou (philate´lie). Sur le plan para-clinique, le bilan biologique d’entre´e ne retrouve aucune anomalie, avec notamment une HbA1c a` 6,9 %, les glyce´mies sont bien e´quilibre´es et il n’y a pas d’anomalie thyroı¨dienne. L’EEG ne retrouve pas d’anomalie de nature e´pileptique et l’IRM ce´re´brale est totalement normale. Au cours de l’hospitalisation, un traitement par risperidone, a` posologie de 8 mg par jour, et divalproate de sodium, a` posologie de 1 g par jour, est instaure´. Tre`s rapidement, l’excitation psychomotrice, la rigidite´ psychique et l’attitude de toute puissance s’estompent. Les ide´es de´lirantes sont progressivement mises a` distance et la reconnaissance des troubles est exprime´e. Il explique : « J’ai construit ce de´lire pour me prote´ger d’une situation difficile avec ma femme », sans remettre en cause la totalite´ des ide´es de´lirantes. Au niveau thymique, nous constatons une ame´lioration partielle avec une tristesse re´siduelle persistante. 3. Analyse et discussion diagnostique Si l’on se re´fe`re aux classifications internationales, Monsieur B. pre´sente :  un trouble de´lirant persistant (F22,9). En effet, on retrouve la pre´sence d’ide´es de´lirantes persistantes depuis plusieurs anne´es sans symptoˆme schizophre´nique tel qu’un syndrome d’influence ou un syndrome dissociatif. Le bilan somatique ne met pas en e´vidence d’affection organique ;  un trouble bipolaire en e´pisode mixte (F31,6). Le trouble bipolaire de type I se justifie par la pre´sence de deux ante´ce´dents d’e´pisodes de´pressifs et l’e´pisode mixte actuel. Il est de de´couverte tardive (autour de 40 ans) ce qui correspond a` 21,9 % des cas de bipolarite´ de type I selon Bellivier et al. [4]. Le facteur de´clenchant de cet e´pisode pouvant eˆtre la se´paration d’avec son environnement familial et, dans une moindre mesure, le « choc e´motionnel » repre´sente´ par l’interpellation des forces de l’ordre. Les autres diagnostics a` discuter sont :  un e´pisode thymique de´lirant. Cependant, les ide´es de´lirantes pre´ce`dent la de´compensation thymique et demeurent pre´sentes en intercritique ;  un de´lire chronique paranoı¨aque (F22,0). Cette hypothe`se semble peu probable car la perse´cution n’est pas du tout au premier plan et le me´canisme principal est l’imagination. Le patient ne pre´sente pas non plus de personnalite´ paranoı¨aque pre´morbide et il y a une mise a` distance des ide´es de´lirantes sous traitement. Enfin, l’hypothe`se de la paraphre´nie confabulante associe´e a` un e´pisode de´pressif majeur dans le cadre d’un trouble de´pressif re´current nous est apparue comme pertinente et inte´ressante a` conside´rer. En effet, le de´lire est ancien, il e´volue depuis plus de six mois, il est syste´matise´, e´volue en secteur touchant sa famille. Les ide´es

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de´lirantes s’enrichissent progressivement, de manie`re cyclique, et meˆlent des faits imaginaires a` des faits re´els. Il n’y a pas de de´sorganisation de la vie psychique associe´e. Le maintien d’une bonne insertion sociale est pre´serve´. Ces signes cliniques correspondent tout a` fait aux crite`res de paraphre´nie de´finis par Ey et rede´finis par Ravindran et al. [8–23]. Les troubles du comportement qu’il a pre´sente´s s’inscrivent dans un de´lire me´galomaniaque et de toute-puissance et non dans un de´re`glement thymique type maniaque. Enfin, il pre´sente quelques facteurs de risque de paraphre´nie : l’aˆge (de´but avant 49 ans) et un isolement affectif et social. De nombreuses descriptions de paraphre´nies, notamment confabulantes [12], e´voquent une part d’excitation psychomotrice voire d’hyperthymie. Cette hyperthymie pourrait eˆtre la cause de l’excitation psychomotrice rencontre´e chez notre patient et donc questionner le diagnostic d’e´pisode mixte et de fait celui de trouble bipolaire. En effet, il pourrait s’agir d’un e´pisode de´pressif majeur dans le cadre d’un trouble de´pressif re´current associe´ a` une exacerbation de paraphre´nie. Ce changement de paradigme entraıˆne une re´percussion sur le plan the´rapeutique car il justifie l’utilisation d’un antide´presseur au long cours a` la place d’un thymore´gulateur associe´ a` un neuroleptique antipsychotique. 4. Discussion scientifique Deux angles de discussion seront aborde´s. Tout d’abord, l’inte´reˆt de poser le diagnostic de paraphre´nie de nos jours et ensuite, le possible lien avec un trouble thymique. La dernie`re classification internationale de´crivant le diagnostic de paraphre´nie est la CIM-9 [19]. Dans les classifications ulte´rieures (CIM-10 et DSM-IV), il n’existe plus en tant que tel. Sont de´crits le trouble de´lirant persistant, la psychose atypique ou encore le trouble schizoaffectif. L’inte´reˆt de poser ce diagnostic est multiple. Il permet d’e´tablir une continuite´ au sein des diagnostics de psychose, entre schizophre´nie et psychose paranoı¨aque (Fig. 1), permettant de maintenir une certaine cohe´rence clinique. Munro, qui faisait partie du comite´ consultatif pour la re´daction du chapitre sur les troubles psychotiques pour le DSM-III-R [1], avait propose´ des crite`res spe´cifiques pour la paraphre´nie dans le DSM IV [2], lesquels n’ont pas e´te´ accepte´s (Fig. 2). Pour lui, l’inte´reˆt e´tait de permettre de rendre le diagnostic de schizophre´nie plus pre´cis en en retirant les cas qui n’y correspondent pas ; et de mieux le de´finir pour en ame´liorer la compre´hension et la prise en charge. Le pronostic est e´galement diffe´rent. Sous traitement neuroleptique, la pense´e est totalement adapte´e dans 69,2 % des cas, ce qui est bien plus important que dans la schizophre´nie. Les troubles du comportement ne sont pre´sents que dans 23,1 % des cas et seulement 26,9 % des patients pre´sentent des symptoˆmes re´siduels sous traitement [23]. On constate aussi une conservation de l’insertion sociale. La stabilite´ du diagnostic au cours du temps reste mode´re´e. Selon une e´tude de Mayer-Gross [17] qui a re´e´value´, au moins dix ans plus tard, 78 patients ayant e´te´ diagnostique´s paraphre`nes par Kraepelin, ce diagnostic persiste encore chez 28 patients (soit 35,9 %). Toujours selon cette e´tude, si on de´taille en fonction des diffe´rents types de paraphre´nies, on retrouve une stabilite´ diagnostique dans 37,8 % pour la forme « syste´matique », dans 38,4 % pour la forme « expansive », dans 54,5 % pour la forme « confabulante » et dans 0 % pour la forme « fantastique ». Cette e´tude montre aussi une e´volution vers la schizophre´nie chez 41 % des patients et vers d’autres troubles (paranoı¨a, trouble bipolaire) chez 23 % des patients. Mantelet [16], dans sa the`se de me´decine, avait fait une enqueˆte aupre`s de 61 psychiatres, en 1995. Elle proposait un questionnaire en 10 items sur la l’individualisation et la spe´cificite´ de la paraphre´nie.

[(Fig._1)TD$IG]

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[(Fig._2)TD$IG]

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Fig. 1. Continuite´ diagnostique.

Fig. 2. Crite`res propose´s pour la paraphre´nie par Munro dans le cadre du DSM IV.

A` la question : « Quelle est selon vous l’actualite´ du concept de paraphre´nie ? », 75 % des re´pondants e´taient favorables au maintien du concept et du diagnostic de paraphre´nie. Les arguments avance´s pour justifier ces re´ponses e´taient que ce trouble demeurait diffe´rent des autres psychoses, et qu’il gardait une spe´cificite´ dans sa description, son e´volution et son pronostic. Par ailleurs, contrairement a` notre hypothe`se, Mantelet e´voque le fait que la paraphre´nie pourrait eˆtre conside´re´e comme une dimension plutoˆt qu’une cate´gorie diagnostique. De nombreux auteurs de´crivent un lien entre paraphre´nie et les troubles de l’humeur. Plusieurs hypothe`ses e´mergent (Fig. 3). [(Fig._3)TD$IG]

La premie`re (Fig. 3A) serait de classer la paraphre´nie parmi les troubles de l’humeur. Pour cela les auteurs s’appuient, d’une part sur l’e´volution cyclique par acce`s, d’autre part sur la pre´sence de certains symptoˆmes thymiques lors des de´compensations de paraphre´nie (par exemple l’hyperthymie). Koehler et Jacobi [13] iront jusqu’a` e´voquer le fait que la paraphre´nie confabulante pourrait eˆtre une forme de manie « unipolaire ». Une deuxie`me (Fig. 3B) serait de de´finir la paraphre´nie comme le mode de re´solution d’un processus primitif sous la forme d’une reconstruction de´lirante cicatricielle [25]. Dans cette hypothe`se, elle pourrait eˆtre l’e´volution d’un trouble bipolaire comme l’avait

Fig. 3. Hypothe`ses de liens entre troubles thymiques et paraphre´nie.

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synthe´tise´ Nodet [18] a` partir des travaux de Ey en de´crivant les paraphre´nies post-maniaques ou post-de´pressives. Sarfati et al. [25] e´voquent une autonomisation progressive d’un de´lire paraphre´nique au de´cours d’une e´volution d’un trouble bipolaire de type I. Ils e´voquent comme principal facteur de risque un mauvais e´quilibre de la maladie bipolaire devenu tre`s rare selon eux du fait de l’ame´lioration des the´rapeutiques. Une troisie`me hypothe`se (Fig. 3C) pourrait eˆtre que les patients paraphre`nes sont plus susceptibles de de´velopper un trouble de l’humeur. En effet, l’intrusion dans la vie psychique d’ide´es de´lirantes peut de´stabiliser, de manie`re de´favorable, les capacite´s d’adaptation aux stress environnementaux. Cette diminution de l’adaptation pourrait entraıˆner une certaine susceptibilite´ aux e´pisodes thymiques. La cine´tique de la paraphre´nie, notamment confabulante, avec cet enrichissement progressif du de´lire s’inspirant de fait re´el avec syste´matisation, pourrait expliquer qu’initialement les symptoˆmes thymiques soient au premier plan [23]. Par la suite, les symptoˆmes psychotiques, devenant de plus en plus conse´quents, pourraient s’autonomiser et devenir pre´ponde´rants durant les de´compensations. Cette hypothe`se semble la plus probable pour notre patient du fait de l’ame´lioration thymique due a` la disparition des ide´es de´lirantes sous traitement antipsychotique et thymore´gulateur mais sans traitement antide´presseur. Une dernie`re hypothe`se (Fig. 3D), moins convaincante, serait qu’il y ait des facteurs de risques communs aux deux pathologies. Si l’on reprend les facteurs de risque de paraphre´nies [6,21,23], on retrouve l’isolement social, le ce´libat ou les divorces, les troubles de la personnalite´ du cluster A (notamment schizoı¨de ou paranoı¨aque), les troubles lie´s a` des de´saffe´rentations sensorielles ainsi que les ante´ce´dents psychiatriques dans la famille. Pour les troubles thymiques, on retrouve le facteur ge´ne´tique comme facteur de risque important (risque multiplie´ par 3 pour les e´pisodes de´pressifs et par 4 a` 6 pour les troubles bipolaires) [7,22,24] ainsi que les interactions ge`ne–environnement [5,9]. Certains e´ve´nements de vie tels les deuils pre´coces ou les carences affectives repre´sentent un autre facteur de risque [10]. Le ne´vrotisme est e´galement de´crit, l’instabilite´ e´motionnelle entraıˆnant une vulne´rabilite´ au stress [7–10]. Certains troubles de la personnalite´ du cluster B (histrionisme ou trouble borderline) sont aussi des facteurs de risques [7,10,24]. 5. Conclusion Dans cet article, nous pre´sentons le cas d’un patient qui souffre d’une paraphre´nie confabulante associe´e a` un trouble thymique. Initialement, le patient a e´te´ conside´re´ en e´tat mixte associe´ a` un trouble de´lirant persistant selon les classifications internationales. Il a donc e´te´ instaure´ une bithe´rapie par thymore´gulateur (acide valproı¨que) et par un neuroleptique antipsychotique (risperidone). Malheureusement, notre hypothe`se de paraphre´nie confabulante associe´e a` un e´pisode de´pressif majeur dans le cadre d’un trouble de´pressif re´current est survenue tardivement et nous n’avons pas pu mettre en place un traitement par antide´presseur associe´ a` un neuroleptique antipsychotique pour la valider. Cependant, la persistance d’une tristesse re´siduelle pourrait eˆtre en faveur de notre hypothe`se. Tout d’abord, nous avons e´voque´ la viabilite´ du diagnostic avec d’une part une clinique particulie`re et pre´cise, d’autre part une e´volution du de´lire en secteur s’enrichissant progressivement au cours du temps et des e´ve´nements de vie. La bonne re´cupe´ration sous traitement antipsychotique ainsi que le maintien de l’insertion sociale sont particulie`rement inte´ressants dans le cadre de la prise en charge qui en sera fortement facilite´e et diffe´rente de celle des patients

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schizophre`nes [26]. D’autre part, nous avons discute´ les diffe´rentes hypothe`ses de liens avec les troubles thymiques. Ce lien entre ces deux pathologies est ope´ratoire et pertinent a` mettre en e´vidence car il permet de de´crire une attitude the´rapeutique spe´cifique. En effet, si l’on montre que l’une des pathologies entraıˆne l’autre, il suffit de stabiliser la maladie causale pour stabiliser le patient. En aigu, il est envisageable d’instaurer une bithe´rapie initiale associant un neuroleptique antipsychotique et un antide´presseur. Par la suite, une monothe´rapie peut eˆtre propose´e et faciliter, de fait, la tole´rance et l’observance. Celle-ci est guide´e par la maladie causale, a` savoir un antide´presseur en cas de trouble de´pressif re´current initial, ou un neuroleptique en cas de paraphre´nie initiale. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

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B. Rome´o et al. / Annales Me´dico-Psychologiques 171 (2013) 645–650

Discussion Dr Marc Masson.– Je vous fe´licite pour cette inte´ressante pre´sentation clinique qui rappelle la valeur du tableau clinique relativement rare (comme la paraphre´nie ou le syndrome de Dioge`ne). Ils ont leurs caracte´ristiques cliniques spe´cifiques, leurs re´ponses aux traitements (favorables aux neuroleptiques dans ce cas). Vous avez expose´ quatre hypothe`ses de la place des paraphre´nies par rapport aux troubles thymiques. L’une d’entre elles a-t-elle votre pre´fe´rence ? Re´ponse du Rapporteur.– L’hypothe`se que je privile´gie est que les patients paraphre`nes seraient plus susceptibles de de´velopper un trouble thymique. En effet, notamment dans la paraphre´nie confabulante, l’enrichissement progressif du de´lire au cours de la vie peut entraıˆner une plus grande difficulte´ d’adaptation aux stress environnementaux classiques et donc pourrait faire de´compenser, sous une forme thymique, un patient. Pr B. Lafont.– Je m’interroge sur la nature de la relation de cette affection car elle implique la coexistence d’une adaptation a` la re´alite´ et d’une production de´lirante avec les troubles thymiques expansifs classiques dont les manifestations sont permanentes. Comment comprendre ce qui apparaıˆt ici comme un trouble de l’humeur « partiel » ? Re´ponse du Rapporteur.– Je ne pense pas que l’on puisse parler de trouble de l’humeur « partiel ». Je pense que la production de´lirante qui est constante dans certains types de paraphre´nie et

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.08.009 0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.08.010

peut e´galement avoir une cine´tique d’enrichissement au cours du temps dans d’autres types peut entraıˆner des difficulte´s d’adaptations pour les patients atteints de ce trouble. Ils auraient donc une diminution de leurs capacite´s d’adaptation aux stress environnementaux. Cette difficulte´ pourrait alors eˆtre a` l’origine de de´compensation thymique soit sous forme d’e´pisodes de´pressifs, soit sous forme d’e´pisodes maniaques authentiques. Pr E. Pewzner-Apeloig.– Si j’ai bien compris, vous plaidez pour le maintien de l’entite´ paraphre´nie dans la nosographie, et ce souci, que je partage, m’a fait penser a` la tre`s belle observation rapporte´e par le Docteur Cyril Koupernik lors d’une communication pre´sente´e a` la Socie´te´ Me´dico-Psychologique en 1991. Le Dr Koupernik insistait e´galement pour le maintien de cette entite´ dans la nosographie. Avez-vous connaissance de cette observation ? D’autre part, je crois qu’il aurait pu eˆtre inte´ressant de parler ici du cas du Pre´sident Schreber chez qui l’on retrouve, d’une part, un e´pisode me´lancolique et, d’autre part, un grand de´lire paraphre´nique. Re´ponse du Rapporteur.– Non malheureusement je n’ai pas connaissance de cette communication, mais je vais me renseigner pour la retrouver. Quant a` la deuxie`me partie de votre question, je vous remercie de ce commentaire e´claire´.