Conséquences du tabac sur la fertilité masculine

Conséquences du tabac sur la fertilité masculine

J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (Hors série n° 1) : 3S102-3S111. Question 2 Quelles sont les conséquences du tabagisme sur la grossesse et l’a...

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J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (Hors série n° 1) : 3S102-3S111.

Question 2 Quelles sont les conséquences du tabagisme sur la grossesse et l’accouchement ?

Conséquences du tabac sur la fertilité masculine S. Sepaniak, T. Forges, P. Monnier-Barbarino Centre d’Assistance Médicale à la Procréation, Maternité Régionale et Universitaire A.-Pinard, 10, rue du Docteur-Heydenreich, 54042 Nancy Cedex. RÉSUMÉ Les différentes études menées sur les répercussions du tabac sur la fertilité masculine depuis une quinzaine d’années mettent en évidence une diminution de la qualité du sperme chez les fumeurs. En effet, les composants de la fumée de cigarette passent la barrière hématotesticulaire et entraînent de ce fait une altération des paramètres spermiologiques et de la qualité du noyau des spermatozoïdes. Au-delà de cette diminution de la fertilité masculine, le tabac semble également avoir un impact sur la descendance des fumeurs : embryons de moindre qualité, risques accrus de développer un cancer dans la prime enfance. Les mécanismes physiopathologiques en cause ne sont pas encore clairement établis, mais il semble que le stress oxydatif généré par le tabac soit une des hypothèses les plus probables. Il en résulte essentiellement une fragmentation de l’ADN qui compromet les chances de grossesse. En plus du spermogramme, le clinicien dispose désormais de quelques examens complémentaires pour évaluer cette fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes (TUNEL Assay, SCSA…), disponibles dans des laboratoires spécialisés. Il peut également proposer un traitement antioxydant pour essayer de diminuer cette fragmentation et ainsi augmenter les chances de grossesse. Mots-clés : Tabagisme • Fertilité masculine • Fragmentation de l’ADN • Stress oxydatif • Antioxydants. SUMMARY: Consequences of cigarette smoking on male fertility. The different studies conducted over the last fifteen years on the consequences of cigarette smoking on male fertility have shown a decrease of sperm quality in smokers. In fact, the components of cigarette smoke pass through the blood-testis barrier and thus induce an alteration of sperm parameters and nucleus quality of the spermatozoa. Beyond this decrease of sperm quality, cigarette smoking also appears to have an impact on the smoker’s offspring: lower embryo quality, increased risks to develop a childhood cancer. The pathophysiologic mechanisms are not yet clearly understood, but one of the most likely hypotheses is the production of an oxidative stress which is responsible for DNA fragmentation compromising the chances of pregnancy. In addition to the spermogram, further tests available in specialized laboratories can be prescribed to evaluate spermatozoal DNA fragmentation (TUNEL Assay, SCSA…). Antioxidant treatment can be administrated to reduce DNA fragmentation and increase the chances of pregnancy. Key words: Cigarette smoking • Male fertility • Oxidative stress • DNA fragmentation • Antioxidant treatment.

Si les effets délétères du tabac sur la santé générale (systèmes cardio-vasculaire et pulmonaire, développement de cancers…) sont connus, largement diffusés auprès du grand public et considérés comme un important problème de santé publique, ses répercussions sur la fertilité sont encore peu évaluées et de ce fait, mal maîtrisées. Selon un rapport de l’OMS de 1997 [1], plus du tiers de la population mondiale âgée de plus de 15 ans fume. Depuis le début des années 90, une tendance globale et régulière à la baisse de la consommation est observée, avec cependant une progression chez les femmes et chez les jeunes. Malgré cette tendance à l’augmentation chez les femmes, il reste encore plus d’hommes consom-

mateurs de tabac. Ce sont les femmes qui ont fait l’objet des premières études sur les conséquences du tabagisme [2-3], orientées sur la grossesse et le fœtus, puis sur les périodes pré et post-conceptionnelles, mettant en évidence un retard à la conception, une altération de la réserve ovarienne, une augmentation des aneuploïdies ovocytaires ou encore une ménopause plus précoce de 2 ans en moyenne [4]. La préservation de la fertilité féminine représente un argument supplémentaire en faveur d’un arrêt précoce du tabac en cas de projet parental. Or ce projet concerne tout autant les hommes chez lesquels l’impact du tabac sur la fertilité commence seulement à susciter l’intérêt. Ce n’est que depuis une quinzaine

Tirés à part : T. Forges, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

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d’années que les études sur le sujet se développent. Un des facteurs qui a motivé leur réalisation a été la constatation d’une diminution des chances de conception naturelle chez les fumeurs [5]. Puis, les patients consultant dans les services d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) ont fait l’objet d’études complémentaires grâce aux différentes techniques disponibles dans les laboratoires. Toutefois, l’interprétation des résultats reste encore délicate en raison d’un certain nombre de biais difficiles à contourner. Le premier écueil est le recrutement. Beaucoup d’analyses sont effectuées dans des centres d’AMP, et les patients qui consultent présentent déjà un problème d’hypofertilité le plus souvent multifactoriel. De plus, les effectifs sont souvent assez faibles, ne permettant pas d’obtenir des valeurs significatives. Un autre biais provient de la quantification du tabagisme ; la plupart du temps, elle est établie grâce à des questionnaires distribués aux patients et donc de fiabilité relative. Un autre problème difficile à maîtriser est la probable potentialisation des effets de la fumée de cigarette par la pollution environnementale, susceptible d’interagir également avec la fertilité masculine. Enfin, il semblerait que les fumeurs soient plus souvent consommateurs de caféine, théine, alcool ou parfois de drogues dont on sait qu’ils ont également une action probable sur les spermatozoïdes [6-7]. Après avoir explicité la réalité de la relation entre le tabagisme et la présence de certaines substances de la fumée de cigarette dans le plasma séminal, nous envisagerons l’impact du tabac sur la qualité du sperme et les mécanismes physiopathologiques en cause. Dans un deuxième temps seront abordés les outils diagnostiques permettant d’évaluer les conséquences sur la fertilité masculine et les stratégies thérapeutiques possibles dans la prise en charge des fumeurs ayant un projet parental. LA MÉTHODOLOGIE D’ÉTUDE

La base Medline a été consultée pour rechercher les références parues sur ce thème, entre 1980 et 2004. Les publications ont été sélectionnées en croisant « cigarette smoking » et « male fertility ». Puis, « cigarette smoking » a été croisé de façon plus spécifique avec les différents paramètres spermiologiques (density, mobility, morphology, longevity), et en ajoutant les mots-clés « sperm DNA », « offspring » et « IVF » (In Vitro Fertilization). Les études ont été caractérisées par un niveau de preuve scienti-

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fique (NP) selon les critères du groupe canadien sur l’examen médical périodique. LA PRÉSENCE DE SUBSTANCES DE LA FUMÉE DE CIGARETTE DANS LE PLASMA SÉMINAL : UNE RÉALITÉ

La fumée de cigarette comprend plus de 4 000 composants — tous n’ont pas encore été identifiés — parmi lesquels : le monoxyde de carbone, des alcaloïdes dont la nicotine, des hydrocarbures poly-aromatiques, des métaux lourds dont le cadmium. Plus de 40 de ces composants sont reconnus comme étant mutagènes et carcinogènes, et ainsi susceptibles d’interférer avec la qualité des gamètes. Cette hypothèse a été étayée par plusieurs équipes qui ont mis en évidence la présence de telles substances dans le liquide séminal des fumeurs [6, 8] et ce, à des taux proportionnels aux taux sériques ou urinaires, et au nombre de cigarettes fumées par jour. Pacifici et al. (1995) [9] ont également montré la présence de cotinine (métabolite de la nicotine) dans le plasma séminal de non-fumeurs, suggérant le rôle du tabagisme passif et l’importance de l’exposition à un environnement enfumé. Ces études semblent montrer qu’il existe un passage actif de la barrière hématotesticulaire de certains composants de la cigarette depuis les artères testiculaires vers les tubes séminifères via les cellules de Sertoli. Les spermatozoïdes des fumeurs se retrouvent ainsi dans un environnement « toxique », susceptible d’entraîner une diminution de leur pouvoir fécondant. À partir de ces constatations, différentes équipes ont mis en évidence l’existence d’effets délétères du tabac sur les paramètres spermiologiques classiques, sur le noyau des spermatozoïdes et sur les embryons qui en sont issus. LES RÉPERCUSSIONS DU TABAGISME SUR LA QUALITÉ DU SPERME Les paramètres spermiologiques

Le nombre de spermatozoïdes Le nombre de spermatozoïdes est mesuré lors de la réalisation d’un spermogramme, en comptant les spermatozoïdes au microscope optique dans une cellule de comptage. Il est exprimé en millions par millilitre d’éjaculat (M/ml). Les valeurs normales sont comprises entre 20 et 150 M/ml. L’analyse de la littérature pour ce paramètre, comme pour les autres, est complexe en raison du faible nombre d’études menées sur ce thème et du

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manque de recul que nous avons. Au milieu des années 80, une équipe a passé en revue 10 études sur l’association entre le nombre de spermatozoïdes et la consommation de tabac et a observé une diminution d’environ 22 % de ce nombre chez les fumeurs [10] (NP3). Une dizaine d’années plus tard, une méta-analyse plus précise réalisée sur ce même paramètre, prenant en compte l’origine des patients (population générale ou patients consultant en AMP) et la quantité de tabac consommée, retrouve également une diminution de la numération, de l’ordre de 13 à 17 %, mais statistiquement non significative [11] (NP3). Aucune relation dose-réponse n’est démontrée entre le nombre de cigarettes fumées par jour et une diminution du nombre de spermatozoïdes. Cependant, d’autres équipes semblent noter une corrélation positive entre l’ancienneté du tabagisme et une diminution de la numération [12] (NP1). Les différences entre les équipes sont la plupart du temps attribuables à des erreurs de randomisation et des échantillons trop petits. Les mécanismes par lesquels la cigarette affecte la numération ne sont pas encore clairement établis. La nicotine et d’autres composants retrouvés dans le plasma séminal sont sans doute impliqués. En effet, des études menées chez le rat ont montré qu’une exposition chronique à la nicotine entraîne une atrophie testiculaire (diminution du volume testiculaire, atrophie des tubes séminifères) et altère la spermatogenèse (NP3) [13]. En résumé, concernant la relation tabac-nombre de spermatozoïdes, la puissance de ces analyses reste souvent faible et les différences peu significatives. Il faut ajouter à cela une variabilité inter et intra-individuelle importante de ce paramètre. Ainsi les auteurs préfèrent-ils parler de tendance à une diminution du nombre de spermatozoïdes. Ce paramètre est facilement mesuré et fait partie du spermogramme. Il est important de tenir compte, dans son interprétation, de la quantité et de la durée du tabagisme (NP4). La vitalité des spermatozoïdes La vitalité est habituellement mesurée par le test à l’éosine. Ce colorant vital, mélangé au sperme, reste exclu des spermatozoïdes vivants, dont la membrane est intacte, alors qu’il pénètre dans les spermatozoïdes dont la membrane est altérée. De ce fait, ces derniers apparaissent colorés en rose. La vitalité est exprimée en pourcentage de spermatozoïdes vivants. Le seuil de normalité est fixé à 50 % de spermatozoïdes vivants, au-dessous, on parlera de nécrospermie.

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De très rares études ont évalué les répercussions de la consommation de tabac sur la vitalité des spermatozoïdes. Une équipe a comparé la vitalité et la survie à 48 heures de spermatozoïdes de fumeurs (n = 20) et de non-fumeurs (n = 20) dans une étude plus globale sur les conséquences du tabac sur la fertilité masculine [14]. Les auteurs ont observé une diminution de la vitalité des spermatozoïdes de fumeurs (NP4). Ils ont également noté une moindre vitalité des spermatozoïdes de non-fumeurs replacés dans du plasma séminal de fumeurs et une meilleure vitalité des spermatozoïdes de fumeurs replacés dans du plasma séminal de non-fumeurs. La toxicité du plasma séminal des fumeurs est ainsi mise en évidence ; elle semble cependant réversible. Au total, pour la vitalité des spermatozoïdes, le faible nombre d’études réalisées invite à la prudence ; il semble préférable de parler d’une tendance à une altération de la vitalité des spermatozoïdes chez les fumeurs. D’autres analyses sont nécessaires pour confirmer ces premières conclusions (NP4). La mobilité des spermatozoïdes Elle est mesurée à la première et à la troisième heure et exprimée par le pourcentage des 4 catégories de spermatozoïdes : a (progressifs rapides), b (progressifs lents), c (non progressifs) et d (immobiles). Elle est évaluée par un personnel entraîné, au microscope optique, ou par lecture dans un système automatisé de type CASA (Computer Assisted Sperm Analysis). Ce paramètre a fait l’objet d’un plus grand nombre d’études, permettant d’obtenir des résultats plus homogènes. Parmi les composants de la fumée de cigarette, certains (hydrocarbures, aldéhydes…) sont responsables d’une inhibition du mouvement ciliaire au niveau des cellules ciliées du tractus bronchique [15]. Ces substances, retrouvées dans le plasma séminal des fumeurs, semblent avoir une action similaire sur les spermatozoïdes. Une des premières analyses de la mobilité des spermatozoïdes de fumeurs mettait en évidence une diminution statistiquement significative du pourcentage de cellules mobiles (étude portant sur 44 fumeurs et 50 non-fumeurs) [16]. Gandini et al. [17] ont utilisé un modèle in vitro pour savoir si la diminution de la mobilité était due à la nicotine ou à son métabolite, la cotinine, ou si d’autres substances de la cigarette étaient impliquées. La mobilité a été analysée de façon objective, par un système automatisé (CASA), comprenant le pourcentage de mobilité progressive, la vitesse

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curvilinéaire, l’index de linéarité et l’amplitude du débattement latéral de la tête. Les spermatozoïdes étaient incubés soit avec de la nicotine ou de la cotinine seules, soit avec de la fumée de cigarette, les deux types d’échantillons étant comparés à des contrôles non-fumeurs. Aucune différence statistiquement significative n’a été observée pour les spermatozoïdes exposés à la nicotine ou à son métabolite, alors qu’une diminution nette a été notée pour les spermatozoïdes exposés à la fumée de cigarette. Les effets du tabac sur la mobilité sont réels, mais relèvent d’autres substances que la nicotine ou la cotinine (NP3). Une étude en microscopie électronique (29 fumeurs et 15 non-fumeurs) a montré que le tabac provoquait des anomalies structurales du flagelle, essentiellement au niveau de l’axonème [14]. Chez les fumeurs, l’anomalie la plus fréquemment isolée est la disparition d’un ou plusieurs doublets périphériques de microtubules, ou du doublet central, entraînant une diminution de la mobilité, voire une immobilité totale. Ainsi, même si tous les mécanismes d’action du tabac sur la mobilité des spermatozoïdes ne sont pas encore clairement établis, il semble qu’une des explications possibles soit l’altération ultrastructurale du flagelle par certains composants autres que la nicotine ou la cotinine (NP3). La morphologie des spermatozoïdes La morphologie est évaluée par la réalisation d’un spermocytogramme. Il s’agit de l’étude morphologique détaillée de 100 spermatozoïdes après coloration de Harris-Shorr. Seront évaluées pour chaque spermatozoïde les anomalies de la tête, de la pièce intermédiaire et du flagelle. Il faut tenir compte du nombre total d’anomalies rencontrées et de celui des anomalies associées. Le rapport des deux donne l’Index d’Anomalies Multiples (I.A.M.). Ainsi, le résultat est rendu sous forme de pourcentage (formes normales et anormales), et/ou d’I.A.M. Au-delà de 75 % de formes anormales, on parle de tératospermie. Ce dernier paramètre analysé ne semble pas échapper aux effets néfastes de la cigarette. Plusieurs études ont montré une corrélation négative entre la consommation de tabac et le pourcentage de spermatozoïdes de morphologie normale. Le plus souvent, les marqueurs du tabagisme utilisés sont la nicotine ou la cotinine présentes dans le plasma séminal des fumeurs, suggérant leur implication dans l’altération de la morphologie des spermatozoïdes [6, 18-19]. Il semble qu’il existe une relation dose-effet

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entre le degré de tératospermie et la quantité de tabac consommé [20]. Les différentes équipes notent une augmentation significative de la tératospermie chez les fumeurs, avec une prévalence plus importante des anomalies de la tête (NP3). Parmi ce type d’anomalies, Rubes et al. (1998) [21] notent une augmentation nette du nombre de spermatozoïdes microcéphales (NP5). De tels spermatozoïdes ont été associés à une augmentation des risques d’hypofertilité (NP3) [22]. Comme pour les autres paramètres, les mécanismes conduisant à une augmentation de la tératospermie ne sont pas encore compris. Une relation avec l’induction par le tabac d’une fragmentation de l’ADN est une des hypothèses invoquées [23]. En résumé, le tabac entraîne une augmentation de la tératospermie, portant plus particulièrement sur la tête des spermatozoïdes. De telles anomalies sont associées à une augmentation des risques d’hypofertilité (NP3). Comme pour les autres paramètres, les mécanismes en cause ne sont pas encore compris. Au total, les études menées sur les répercussions de la consommation de tabac sur les paramètres spermiologiques n’ont pas encore abouti à des résultats univoques. Elles mettent cependant en évidence une tendance à une altération de la qualité globale du sperme, et font craindre une diminution du pouvoir fécondant des spermatozoïdes chez les fumeurs. Il semble donc impératif de poursuivre les investigations sur les effets du tabac sur la fertilité masculine, afin de mieux évaluer son impact réel et d’en comprendre les mécanismes d’action. La qualité nucléaire des spermatozoïdes

La mesure des paramètres spermiologiques classiques ne permet pas d’évaluer la qualité et l’intégrité nucléaires des spermatozoïdes. Or parmi les composants de la fumée de cigarette se trouvent des substances mutagènes et carcinogènes, comme les benzopyrènes ou les hydrocarbures poly-aromatiques qui sont susceptibles de traverser la barrière hématotesticulaire et d’interagir avec les cellules précurseurs des spermatozoïdes et les cellules de Sertoli. Toutes les équipes s’accordent à reconnaître les effets délétères de la cigarette sur le noyau des spermatozoïdes. Plusieurs études ont montré l’implication du tabac dans l’altération de la qualité du noyau en mettant en évidence l’existence d’une fragmentation simple ou double brin de l’ADN. Zenzes et al. [24] ont montré une augmentation de la fragmentation de l’ADN chez les fumeurs (n = 12) en utilisant comme marqueur de l’intoxication tabagique la présence de benzopyrène

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dans le liquide séminal. Le mécanisme de cette fragmentation n’est pas encore clairement établi, mais il semble que la conséquence majeure de la présence de certains composants de la fumée de cigarette dans le plasma séminal soit la production de radicaux libres [25] (NP3). Ces radicaux libres (que l’on peut aisément mesurer par chimiluminescence) ont 3 origines principales : l’existence d’une leucospermie (présence de leucocytes dans le plasma séminal), une diminution du pouvoir antioxydant des spermatozoïdes et leur présence dans la fumée de cigarette. La leucospermie peut s’expliquer par la production d’une réaction inflammatoire au sein du tractus génital mâle par les métabolites de la fumée de cigarette. Ceci entraîne un relargage de médiateurs de l’inflammation, comme l’interleukine 6 et l’interleukine 8, qui vont, à leur tour, provoquer le recrutement de nouveaux leucocytes [26] (NP2). Ceux-ci génèrent des radicaux libres en grand nombre, entretenant et amplifiant le phénomène. Une étude chez le rat [27] a montré qu’une inhalation chronique de fumée de cigarette provoquait non seulement une augmentation du taux de radicaux libres dans le plasma séminal, mais également une diminution simultanée du taux des substances antioxydantes comme le glutathion ou la glutathion peroxydase (NP5). Ce déséquilibre provoqué par une consommation chronique de tabac pourrait être un des mécanismes entraînant une altération du tissu testiculaire et de la spermatogenèse. De plus, parmi les 4 000 composants de la fumée de cigarette, plusieurs sont eux-mêmes des radicaux libres, comme l’anion superoxyde, le peroxyde d’hydrogène ou encore les radicaux hydroxyls [28]. Le déséquilibre entre l’augmentation importante des radicaux libres et la diminution du pouvoir antioxydant est à l’origine du stress oxydatif. Tous les composants cellulaires (protéines, lipides, sucres, acides nucléiques…) sont susceptibles d’être les cibles de ce stress oxydatif. Les spermatozoïdes matures possèdent très peu de mécanismes de défense : leur membrane cytoplasmique, riche en acides gras poly-insaturés, y est particulièrement sensible, et leur cytoplasme contient très peu d’enzymes capables de neutraliser et d’éliminer les radicaux libres [29]. Normalement, l’ADN des spermatozoïdes est protégé du stress oxydatif par 2 facteurs essentiels : la compaction spécifique de la chromatine et le taux d’antioxydants dans le plasma séminal [30]. Chez les fumeurs, la diminution du pouvoir antioxydant, cou-

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plée à une altération de la spermatogenèse et une dégradation de la membrane cytoplasmique, concourent à la production de dommages de l’ADN. Plusieurs équipes ont souligné le rôle essentiel du peroxyde d’hydrogène (H2O2), en mettant en évidence une relation doseeffet entre une exposition directe des spermatozoïdes à l’H2O2 et l’induction de taux élevés de fragmentation de leur ADN [31-33] (NP4). Au total, l’excès de radicaux libres générés par le tabac est source d’un stress oxydatif entraînant une fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes. Cette fragmentation est volontiers observée chez des hommes hypofertiles comme cela est décrit dans l’étude de Sun et al. portant sur 298 patients [34]. En effet, les auteurs ont observé une relation entre l’existence d’une fragmentation de l’ADN et un mauvais pronostic en AMP (NP5). Il est donc probable que ce facteur intervienne également en procréation naturelle. La plupart des équipes estiment qu’au-delà de 30 % de spermatozoïdes présentant un ADN fragmenté, les chances de succès en FIV et fécondation in vitro avec injection intracytoplasmique du spermatozoïde (FIVICSI) sont très sérieusement compromises [35-36]. La constatation d’une atteinte de l’intégrité nucléaire des spermatozoïdes a conduit les différentes équipes à poursuivre leurs recherches sur les chromosomes. Déjà dans les années 80, des modèles expérimentaux ont permis de mettre en évidence l’implication de la fumée de cigarette dans la survenue d’aneuploïdies [37]. Les techniques d’hybridation in situ, utilisées en routine pour les cellules somatiques, ont été appliquées aux cellules germinales, afin d’étudier la prévalence de telles anomalies chromosomiques [38]. Quelques auteurs ont ainsi mis en évidence une augmentation statistiquement significative de la prévalence de certaines disomies chez les fumeurs. Les chromosomes les plus touchés sont des autosomes : chromosomes 1 et 13 [7], mais aussi les gonosomes, avec une augmentation des disomies Y [21] (NP4). Les mécanismes par lesquels la fumée de cigarette induit de telles anomalies ne sont pas tout à fait compris. Une hypothèse vraisemblable est l’interaction de certaines substances mutagènes avec le fuseau méiotique, entraînant des phénomènes de non disjonction. De plus, il semble que tous les chromosomes ne soient pas également sensibles à cette non disjonction. Le risque d’atteinte des cellules germinales par la fumée de cigarette, mais aussi par d’autres polluants, paraît plus important chez les hommes que chez les femmes [39]. Ceci serait dû au grand nombre de divisions méiotiques et mitotiques pendant la spermatogenèse, rendant les cellules germinales mâles plus sensibles aux mutations [40]. Par ailleurs, la grande

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vulnérabilité des spermatides et des spermatozoïdes matures face aux agents mutagènes pendant la période post-méiotique représente un facteur de risque supplémentaire d’anomalies chromosomiques. Au total, de nombreuses équipes s’accordent sur l’existence de répercussions du tabac sur le matériel nucléaire des spermatozoïdes, ce d’autant plus que les mécanismes physiopathologiques en cause sont mieux analysés et compris. Deux conséquences essentielles prédominent ; la première est la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes, liée au stress oxydatif généré par les radicaux libres et qui compromet les chances de grossesse (NP3). La seconde est l’augmentation de la prévalence de certaines anomalies chromosomiques, liée à l’interférence de substances mutagènes de la fumée de cigarette avec le fuseau méiotique (NP3). LES RÉPERCUSSIONS DU TABAGISME PATERNEL SUR LA DESCENDANCE

En raison des faibles capacités de réparation des spermatozoïdes, la constatation d’une atteinte de leur intégrité nucléaire a poussé quelques équipes à évaluer le risque de transmission de certaines anomalies chromosomiques à la descendance des hommes fumeurs. L’AMP représente, dans cette perspective, une approche intéressante pour l’étude des embryons de ces patients, puisque cette analyse est impossible en reproduction naturelle. Seul un petit nombre d’études ont été menées sur ce sujet, certains pays n’autorisant pas la recherche sur l’embryon humain. Plusieurs auteurs ont cependant montré une augmentation de la fragmentation cellulaire et un aspect morphologique anormal des embryons issus de couples dont l’homme fumait [41] (NP5). Les radicaux libres semblent être incriminés et notamment les taux importants de peroxyde d’hydrogène dans le plasma séminal des fumeurs [42] (NP2). Une étude menée par Zenzes [24] a retrouvé, d’une part une augmentation des dommages de l’ADN chez les embryons issus de fumeurs, comparés à des embryons de non-fumeurs, et d’autre part un degré d’altération de l’ADN similaire, que les embryons soient issus de 2 parents fumeurs ou uniquement de pères fumeurs. Ces résultats suggèrent que la transmission des altérations nucléaires est plutôt paternelle (NP5). Les faibles capacités de réparation des spermatozoïdes pourraient être l’une des explications de cette transmission d’anomalies au futur zygote. Cela compromet sans doute le développement in utero, entraînant une mauvaise implantation, des fausses couches précoces [43]

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et semble même avoir des conséquences après la naissance. En effet, plusieurs équipes ont noté une relation entre le tabagisme paternel et l’apparition précoce de certains cancers chez leurs enfants. Une étude de Ji [44] portant sur 642 enfants de 0 à 5 ans dont les pères avaient fumé avant leur conception et dont les mères ne fumaient pas, a permis de montrer une association entre le tabagisme paternel et un risque plus élevé de développer certains cancers comme des leucémies aiguës ou des lymphomes (NP5). D’autres auteurs ont noté une prévalence plus élevée de tumeurs cérébrales sur une population de 3 600 enfants [45], de neuroblastomes et de rhabdomyosarcomes sur une population de 492 enfants [46] (NP5). Le développement de ces pathologies semble lié à la quantité de tabac consommé, évaluée en paquets-années, et à la présence de substances carcinogènes et mutagènes de la cigarette. Celles-ci agiraient directement sur les cellules germinales. Ainsi les effets délétères du tabac ne se limitent pas aux seuls spermatozoïdes. Ils se répercutent également sur les embryons issus de ces spermatozoïdes et sur les enfants (NP5). Les études ne portent que sur les conséquences retrouvées chez les jeunes enfants. En effet, la plupart de études prospectives menées sur ce sujet sont récentes et ne permettent pas d’avoir un recul suffisant, au-delà de la prime enfance. On peut alors redouter des conséquences à plus long terme pour la descendance des hommes fumeurs. LES DIFFÉRENTS OUTILS DIAGNOSTIQUES L’évaluation de l’intoxication tabagique

La quantification du tabagisme est indispensable pour évaluer ses effets délétères, tant sur la santé générale que sur la fertilité. Cette évaluation repose sur 2 étapes : l’interrogatoire du patient et la mesure de marqueurs du tabagisme. L’interrogatoire permet au clinicien d’aborder différents éléments essentiels, comme l’âge de début de la consommation, le nombre de cigarettes fumées par jour, l’ancienneté du tabagisme et les éventuelles tentatives et réussites temporaires de sevrage. Sur le plan biologique, plusieurs marqueurs permettent de mesurer de façon objective cette consommation. Le monoxyde de carbone Le clinicien peut, dans un premier temps, évaluer de façon rapide et non invasive l’intoxication tabagique du patient grâce à un analyseur de monoxyde de car-

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bone (CO). Cet appareil permet de mesurer le taux de CO expiré, en particules par million de particules expirées. Le résultat est immédiat et peut être soumis au patient afin de le sensibiliser [47]. Chez un non-fumeur, le taux de CO dans l’air expiré est compris entre 0 et 5 particules par million (ppm) ; chez un fumeur d’un paquet de cigarettes par jour, les taux de CO dépassent les 20 ppm. Ces valeurs varient cependant au cours de la journée, en fonction de l’activité physique, et surtout du temps écoulé depuis la dernière cigarette. Aussi, la mesure du taux de CO permet-elle de quantifier le tabagisme des dernières heures précédant l’examen. Dosages de la nicotine ou de la cotinine Elles peuvent être dosées par chromatographie liquide haute performance (HPLC) ou par méthode immuno-enzymatique (ELISA : Enzyme-Linked Immuno-Sorbant Assay), dans différents liquides biologiques : plasma sanguin, urine, salive, plasma séminal. Plusieurs études ont montré une corrélation entre les taux sériques et séminaux de nicotine et la consommation de tabac [6, 8] (NP3). Ces examens sont à la charge du patient et trouvent leur indication en recherche clinique. Évaluation des répercussions sur les paramètres spermiologiques

Le spermogramme-spermocytogramme : il permet de façon simple et rapide d’analyser la numération, la mobilité, la vitalité et la morphologie. Cet examen doit cependant être réalisé par un personnel entraîné, dans un laboratoire habitué à ces analyses, afin d’obtenir une interprétation adéquate. Certes, l’existence d’anomalies ne peut être mise sur le compte exclusif de la cigarette, mais elle fournit au prescripteur et au patient un argument supplémentaire pour motiver l’arrêt du tabagisme. Évaluation de la qualité nucléaire des spermatozoïdes

Pour étudier la qualité nucléaire d’un spermatozoïde, on dispose de 3 types de techniques : celles évaluant la condensation chromatinienne et la maturité nucléaire, celles évaluant la fragmentation de l’ADN et celles évaluant les anomalies chromosomiques comme les aneuploïdies. Les techniques évaluant la condensation chromatinienne et la maturité nucléaire n’ont pas fait l’objet d’études corrélatives avec la consommation de tabac dans la littérature et ne seront pas détaillées dans ce travail.

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Étude de la fragmentation de l’ADN Il existe 2 approches possibles pour l’évaluation de la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes : l’une, indirecte par le Sperm Chromatin Structure Assay (SCSA), la Nick-Translation in situ ou le dosage de la 8-hydroxydésoxyguanosine dans le plasma séminal, l’autre, directe par le Terminal Deoxynucleotidyl Transferase-mediated dUTP Nick-End Labelling Assay (TUNEL Assay) et le COMET Assay. – Le SCSA : cette technique mesure la résistance à la dénaturation de l’ADN par la chaleur ou l’acide. Elle utilise un fluorochrome, l’acridine orange qui s’intercale entre les bases de la double hélice d’ADN, permettant d’évaluer les quantités d’ADN natif — double brin — et d’ADN dénaturé — simple brin. Lorsque l’acridine s’intercale entre les bases, l’accumulation du colorant entraîne l’émission d’une fluorescence rouge, témoin de la dénaturation de l’ADN. Lorsque l’ADN est intègre, c’est-à-dire double brin, l’acridine orange ne peut pas s’intercaler ou très peu, et la fluorescence émise apparaît verte. Une lecture en cytométrie en flux permet d’évaluer les quantités respectives d’ADN intègre et dénaturé de façon rapide et reproductible [35]. Après traitement informatique des résultats obtenus, un index de fragmentation de l’ADN (DNA fragmentation index : DFI) est défini [25]. Des études menées sur des patients d’AMP ont montré que plus le DFI est élevé, plus les échecs en FIV sont importants [25, 48] (NP3). Cet examen présente l’avantage d’être commercialisé sous la forme d’un kit depuis peu de temps ; ceci permet une standardisation de la technique et un usage aisé. Plusieurs laboratoires l’utilisent déjà. Mais le SCSA mesure une fragilité de l’ADN plutôt qu’une fragmentation telle qu’elle peut être générée par le tabac. — La Nick-Translation in situ : cette technique permet de mettre en évidence des cassures endogènes de l’ADN des spermatozoïdes. Une enzyme, la DNase I crée des coupures aléatoires simple brin ou « nicks » sur des zones de fragilité de l’ADN. La DNase I possède 2 activités différentes : l’une exonucléasique qui détruit l’ADN au niveau des nicks induits, l’autre polymérasique qui resynthétise l’ADN. On repère ensuite l’ADN nouvellement synthétisé grâce au marquage des désoxynucléotides ajoutés par un fluorochrome [49]. La lecture se fait en microscopie à fluorescence ou en cytométrie en flux. Cette technique est peu utilisée et encore mal standardisée ; elle trouve son application plutôt dans le cadre de la recherche clinique, au sein de laboratoires spécialisés.

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Question 2 • Conséquences du tabac sur la fertilité masculine

— Le dosage de la 8-hydroxydésoxyguanosine (8-OHdG) : la 8-OHdG est un des principaux métabolites de la dégradation de l’ADN. Elle peut être dosée dans le plasma séminal par des techniques de chromatographie liquide haute performance, et représente un bon reflet de l’altération de l’ADN. Dans une de leurs études, Shen et al. [23] ont confronté les taux de cotinine et de 8-OHdG présents dans le plasma séminal des fumeurs et le nombre de cigarettes fumées par jour. Ils ont mis en évidence une corrélation positive entre ces 3 paramètres (NP5). Ce dosage, bien qu’évaluant indirectement des dommages de l’ADN, semble être intéressant dans le contexte d’un tabagisme. Il n’est cependant pas encore utilisé par de nombreux laboratoires et s’intègre plus volontiers dans le cadre de la recherche clinique. — Le TUNEL Assay : cette technique mise au point dans les années 90 permet d’évaluer de façon directe le taux de fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes. Lorsque l’ADN est fragmenté, des extrémités 3’OH sont générées, au niveau desquelles une enzyme — la Terminal Deoxynucleotidyl Transferase — polymérise des désoxynucléotides marqués par un fluorochrome, en l’absence d’amorce ou de brin monocaténaire en regard. Seuls les spermatozoïdes à ADN fragmenté émettent une fluorescence. La lecture se fait soit en microscopie à fluorescence, soit en cytométrie en flux. Cette technique permet de quantifier les spermatozoïdes qui présentent une fragmentation de l’ADN telle qu’elle est générée par la fumée de cigarette. Mais elle n’est pas encore standardisée et nécessite des adaptations propres à chaque laboratoire. De plus, les seuils de taux de fragmentation de l’ADN à partir desquels une altération de la fertilité est à craindre ne sont pas encore clairement définis. En effet, pour certains, aucune grossesse n’est possible au-delà de 30 % de fragmentation (NP5) [35], pour d’autres, il existe une diminution statistiquement significative des chances de succès dès 10 % (NP5) [36]. Cette technique semble être la technique de choix pour évaluer la fragmentation de l’ADN induite par un stress oxydatif, dont le tabac est l’une des causes. — Le COMET Assay : c’est une technique plus lourde à mettre en place au sein d’un laboratoire, mais elle permet d’évaluer de façon semi quantitative le taux de fragmentation de l’ADN cellule par cellule. Il s’agit d’une électrophorèse sur lame de spermatozoïdes mélangés à un tampon de lyse et marqués au bromure d’éthidium. La lecture se fait au microscope à épifluorescence. On obtient une image de migration

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qui ressemble à une comète dont la tête représente la tête du spermatozoïde et la queue, l’ADN fragmenté dont on évalue l’importance. Si l’ADN est peu fragmenté, la migration est minime, donnant à la comète un aspect circulaire ; si l’ADN est très fragmenté, la migration est importante et donne un aspect en queue de comète plus ou moins long [50]. C’est une technique reproductible qui ne requiert l’analyse que d’un petit nombre de cellules (une cinquantaine), mais qui nécessite des adaptations propres à chaque laboratoire et qui est chronophage. Au total, les techniques évaluant la fragmentation de l’ADN sont récentes et encore peu diffusées dans les laboratoires. Elles relèvent pour la plupart de laboratoires spécialisés et leur prescription est encore confidentielle chez les cliniciens. Le SCSA semble être plus employé puisque utilisable sous forme de kit, mais il met en évidence une fragilité de l’ADN plutôt qu’une fragmentation. Le TUNEL Assay est plus adapté à l’évaluation de la fragmentation de l’ADN telle qu’elle est générée par la fumée de cigarette, mais seules quelques équipes au sein de laboratoires spécialisés le maîtrisent. Avant toute prescription, le clinicien doit s’informer sur les laboratoires capables d’effectuer cette technique. Enfin, quelque soit la technique employée, ces examens sont encore hors nomenclature des actes de biologie médicale et sont à la charge des patients. Recherche d’anomalies chromosomiques En raison de l’augmentation de la prévalence de certaines anomalies chromosomiques comme les disomies, une enquête génétique peut être intéressante [7, 21]. L’hybridation in situ en fluorescence (FISH) permet, grâce à des sondes spécifiques de certains chromosomes d’évaluer l’existence de telles anomalies. C’est une technique largement utilisée pour les cellules somatiques, mais qui est également applicable aux spermatozoïdes. Dans ce cas, elle est réservée à des laboratoires spécialisés. La recherche de répercussions du tabac sur les spermatozoïdes n’est pas l’indication première de cette technique. Elle est utilisée essentiellement dans le cadre de la recherche clinique. En résumé, la technique de choix pour évaluer les répercussions du tabac sur la qualité nucléaire des spermatozoïdes semble être le TUNEL Assay, qui permet d’évaluer le taux de fragmentation de l’ADN, induit, entre autre, par le stress oxydatif. Cette fragmentation semble être un facteur prédictif des chances d’obtenir une grossesse ; le seuil à partir

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duquel les chances de succès sont compromises varie de 10 à 30 % selon les équipes et reste encore à définir de manière plus fine (NP5). LES STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES

Ces stratégies thérapeutiques, même si elles sont peu nombreuses, méritent d’être tentées, tant pour la santé générale du patient que pour l’aspect tout particulier de sa fertilité. Face à un patient fumeur, il est indispensable de le sensibiliser à la nécessité d’un sevrage tabagique complet et définitif. Dans ce but, il convient de lui proposer une prise en charge en consultation de tabacologie et/ou un soutien grâce à des associations d’aide à l’arrêt du tabac [47]. Dans le cadre d’un projet parental, il est indispensable de le sensibiliser aux effets du tabac sur la fertilité masculine et d’insister sur la nécessité d’un sevrage avant toute prise en charge. Quand cette démarche est effectuée par le patient, il est possible de lui proposer un traitement médicamenteux complémentaire pour essayer d’augmenter ses chances de paternité. En effet, il semble que l’on puisse agir en partie sur la fragmentation de l’ADN générée par les radicaux libres. Une supplémentation en antioxydants pourrait diminuer le taux de fragmentation dû au stress oxydatif [51] (NP5). Il s’agit d’une association de vitamines A (150 mg/j), C (400 mg/j), E (400 mg/j), de β carotène (60 mg/j), de zinc (50 mg/j) et de sélénium (0,4 mg/j), qui est commercialisée en France, mais non remboursée par la Sécurité Sociale. Ce traitement est administré par voie orale, pendant au moins 6 mois, c’est-à-dire le temps de 2 cycles de spermatogenèse, et éventuellement reconduit si la diminution du taux de fragmentation n’est pas suffisante pour proposer une AMP, en l’absence de grossesse spontanée dans l’intervalle. CONCLUSION

En conclusion, le passage de la barrière hématotesticulaire des composants de la cigarette n’est plus à démontrer. Le plasma séminal des fumeurs devient ainsi un environnement toxique pour les spermatozoïdes. La fumée de cigarette entraîne une altération de certains paramètres spermiologiques et de la qualité du noyau, compromettant les chances d’obtenir une grossesse. Au-delà de la diminution du pouvoir fécondant, les embryons issus de tels spermatozoïdes semblent être de moindre qualité, et les enfants pourraient être exposés à un sur-risque pour certains cancers.

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Le clinicien ne dispose que de peu d’analyses réalisables en pratique courante pour essayer d’évaluer les conséquences du tabagisme d’un patient sur sa fertilité : le spermogramme-spermocytogramme est, pour le moment, le seul examen de prescription facile. C’est un bon examen de débrouillage qui peut l’orienter vers une altération de sa fertilité ; mais les causes d’altération des paramètres spermiologiques sont très diverses, et le tabac n’est que l’une d’elles. Les analyses plus fines quant à l’existence d’un stress oxydatif lié au tabac ne sont réalisées que par un petit nombre de laboratoires spécialisés et la plupart du temps dans le cadre de protocoles de recherche. Dans ce contexte, il semble que le TUNEL Assay soit la technique la plus appropriée. Si le taux de fragmentation de l’ADN est élevé, un traitement par anti-radicaux libres peut être associé au sevrage tabagique afin d’augmenter les chances de grossesse. La multiplication des recherches sur les effets du tabac sur la fertilité masculine permettra sans doute une meilleure diffusion et une amélioration de ces techniques dans les années à venir. À l’heure actuelle, ces examens ne font pas partie de la nomenclature des actes de biologie médicale et restent à la charge des patients. RÉFÉRENCES 1. World Health Organization. Tobacco on health. A global status report. Geneva (Switzerland): WHO, 1997. 2. Herriot A, Billewicz WZ, Hytten FE. Cigarette smoking in pregnancy. Lancet 1962; 1: 771-3. 3. Stahlmann E. The dangers of cigarette smoking for the female sex. Landartz 1965; 41: 688. 4. Wainer R. Tabagisme et fertilité ovarienne. Gynecol Obstet Fertil 2001 ; 29 : 881-7. 5. Hughes EG, Brennan BG. Does cigarette smoking impair natural or assisted fecundity? Fertil Steril 1996; 66: 679-89. 6. Wong WY, Thomas C, Merkus H, Zielhuis GA, Doesburg W, Steegers-Theunissen R. Cigarette smoking and the risk of male factor subfertility: minor association between cotinine in seminal plasma and semen morphology. Fertil Steril 2000; 74: 930-5. 7. Shi Q, Ko E, Barclay L, Hoang T, Rademaker A, Martin R. Cigarette smoking and aneuploidy in human sperm. Mol Reprod Dev 2001; 59: 417-21. 8. Vine MF, Hulka BS, Margolin BH, Truong YK, Hu PC, Schramm MM et al. Cotinine concentrations in semen, urine, and blood of smokers and nonsmokers. Am J Public Health 1993; 83: 1335-8. 9. Pacifici SD, Altieri L, Gandini L, Lenzi A, Passa AR, Pichini S et al. Environmental tobacco smoke: nicotine and cotinine concentration in semen. Environ Res 1995; 68: 69-72. 10. Stillman RJ, Rosenberg MJ, Sachs BP. Smoking and reproduction. Fertil Steril 1986; 46: 545-66. 11. Vine MF, Margolin BH, Morrison HI, Hulka BS. Cigarette smoking and sperm density: a meta-analysis. Fertil Steril 1994; 61: 35-43.

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