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ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence xxx (2014) xxx–xxx
Article original
Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence Coping, suicidality and borderline personality disorder in adolescence A. Knafo a,∗,b , R. Labelle c,d,e , J.-M. Guilé a , V. Belloncle f,j , C. Mille a , B. Mirkovic f,g,j , D. Cohen h,i , P. Gérardin f,j , J.-J. Breton c,d a Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, université de Picardie, CHU d’Amiens, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens cedex 1, France Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, université Denis-Diderot Paris-7, centre hospitalier universitaire Bichat-Claude-Bernard, 75018 Paris, France c Département de psychiatrie, université de Montréal, Montréal, Canada d Centre de recherche de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal, clinique des troubles de l’humeur, hôpital Rivière-des-Prairies, Montréal, Canada e Département de psychologie, université du Québec à Montréal, Montréal, Canada f Fédération hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (FHUPEA), CHU de Rouen, 76031 Rouen, France g Inserm U 1079 génétique du cancer et des maladies neuropsychiatriques, université de Rouen, 76031 Rouen, France h Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, université Pierre-et-Marie-Curie, AP–HP, groupe hospitalier Pitié-Salpétrière, 75013 Paris, France i CNRS UMR 7222 institut des systèmes intelligents et robotiques, université Pierre-et-Marie-Curie, 75013 Paris, France j Département de pédiatrie médicale, université de Rouen, centre hospitalier du Rouvray, 76300 Rouen, France b
Résumé Le trouble de personnalité limite est le plus important facteur de risque indépendant des conduites suicidaires à l’adolescence. Or, depuis peu, un nouveau regard est porté sur l’évaluation du risque suicidaire, mettant l’accent sur les facteurs de protection dont les stratégies de coping. Le propos de cet article est double. Premièrement, à partir de l’étude des données récentes de la littérature, il souligne l’intérêt d’étudier et de développer les stratégies de coping chez les adolescents suicidants ayant un trouble de personnalité limite. Deuxièmement, sont décrits les résultats préliminaires d’une étude concernant le profil de coping d’adolescents suicidants ayant un trouble de personnalité limite. Sous réserve des analyses portant sur la totalité de l’échantillon, les adolescents suicidants diffèrent par leur profil de coping selon qu’ils présentent ou pas un trouble de personnalité limite. Au regard d’un modèle théorique innovant intégrant facteurs de risque et de protection appliqué aux résultats de l’étude actuelle, développer les stratégies de coping productif (facteur de protection) chez ces adolescents pourrait diminuer l’intensité de certaines dimensions (telles que l’instabilité émotionnelle et l’impulsivité) du construit trouble de personnalité limite (facteur de vulnérabilité) et donc le risque suicidaire. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Conduites suicidaires ; Facteurs de protection ; Facteurs de risque ; Trouble de personnalité limite ; Adolescence ; Coping
Abstract Borderline personality disorder is the most important independent suicidal risk factor during adolescence. Recently, the evaluation of suicidal risk has been studied in a different manner, with a greater emphasis on protective factors including coping strategies. This article has a dual purpose. Firstly, from the study of recent literature data, the article stresses the interest of studying and developing coping strategies for suicidal adolescents with borderline personality disorder. Secondly, the preliminary results of a study focused on the coping profile of suicidal adolescents with borderline personality disorder are described. According to results applicable to parts of the complete sample, suicidal adolescents have a different coping profile depending on whether or not they suffer from a borderline personality disorder. Through a theoretical and innovative model integrating both risk and protective factors applied to the results of the present study, developing the productive coping strategies (protective factor) of these adolescents could decrease the intensity of certain dimensions (such as emotional instability and impulsivity) of the borderline personality disorder construct (vulnerability factor) and thus suicidal risk. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Suicidal behaviors; Protective factors; Risk factors; Borderline personality disorder; Adolescence; Coping ∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Knafo).
0222-9617/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
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1. Introduction 1.1. Le coping Le terme coping provient du verbe anglais to cope (affronter, faire face). To cope trouve son origine étymologique dans le verbe franc¸ais « couper » et au-delà dans le latin « colpus » et le grec « kolaphos » : frapper de fac¸on vive et répétée. L’origine étymologique du terme coping souligne donc le caractère actif et conscient du processus. En effet, le coping était initialement conc¸u comme le corrélat observable de la mise en jeu des mécanismes de défense inconscients [1] mais rapidement cette conception du coping versus les mécanismes de défense évoluera. Des auteurs ont proposé de traduire coping par « stratégie d’ajustement » ou « stratégie d’adaptation » mais ces traductions sont restrictives car elles laissent sous-entendre que la mise en place d’une stratégie de coping est toujours d’une efficacité optimale. Or le coping est le type de réponse produite par un individu face à une situation difficile. Il y a donc autant de stratégies de coping que de types de réponses. C’est pourquoi nous conserverons ici le terme de coping. Le coping est un concept récent décrit pour la première fois en 1966 [2]. Historiquement, la définition de référence est celle de Lazarus et Folkman [3] : les stratégies de coping sont définies comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux utilisés pour maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu. En d’autres termes, le coping désigne les réponses, les réactions que l’individu élabore pour maîtriser, réduire ou simplement tolérer la situation aversive [4]. Le coping est un concept multidimensionnel ; il comprend des cognitions (évaluation de la situation stressante, évaluation de ses ressources, recherche d’informations. . .), des affects (expression ou répression de la peur, de la colère. . .) et des comportements (résolution du problème, recherche d’aide. . .). Lazarus et Folkman soulignent que le coping est un processus (constamment changeant et spécifique) et non une caractéristique générale et stable d’un individu [3]. C’est en ce sens que l’approche du coping selon Lazarus et Folkman est dite transactionnelle ; le coping est un processus changeant qui ne peut être réduit à un phénomène linéaire du type stimulus-réponse. Les stratégies de coping produites par un individu varient constamment en fonction des évaluations incessantes par le sujet de sa relation à son environnement. En effet, le coping est un processus dynamique qui change en fonction des situations et en fonction dont l’individu évalue ces situations. L’évaluation des relations sujet-environnement est influencée par les caractéristiques personnelles antérieures (ressources personnelles) et les variables environnementales. Cela explique pourquoi un même évènement peut être évalué comme une menace par un individu et comme un défi par un autre [5]. Dans le même sens, Frydenberg et Lewis [6] décrivent le coping comme la résultante de l’interaction entre trois éléments : l’individu, la situation à laquelle il est confronté et la perception qu’a l’individu de cette situation. Il est important de préciser qu’une stratégie de coping n’est pas efficace ou inefficace, adaptée ou inadaptée en soi, indépendamment des caractéristiques de la situation et du sujet. En effet, Lazarus et
Folkman [3] soulignent qu’une stratégie de coping est efficace ou fonctionnelle si elle permet à l’individu de maîtriser la situation stressante et/ou de diminuer son impact sur son bien-être physique et psychique. L’efficacité du coping réside donc dans la réduction de la détresse immédiate aussi bien que dans le renforcement du bien-être futur [7]. Les stratégies de coping ne peuvent donc être considérées comme adaptées ou inadaptées en soi ou a priori. Ces précisions rendent compte de l’importance de distinguer les stratégies de coping selon leur style (au sens de caractéristiques) et non selon leur effet (au sens de réussite ou d’échec). En effet, le regroupement de stratégies permet par la suite de dégager des styles de coping dominants. Le style fait référence à la tendance d’une personne à agir d’une fac¸on constante dans un ensemble de circonstances. En revanche, les stratégies varient selon le contexte et la nature du facteur de stress [8]. Les classifications des stratégies de coping sont nombreuses. Nous faisons le choix de détailler ci-dessous deux classifications. En premier lieu, nous décrirons la classification de Lazarus et Folkman [3] parce que ces auteurs sont à l’origine du concept de coping et que leur modèle est la référence encore à l’heure actuelle. En second lieu, nous détaillerons la classification de Paulhan et Bourgeois [9] parce qu’ils sont parmi les premiers à introduire le concept de coping en France dans les années 1990 et que leurs travaux sont fréquemment cités dans la littérature franc¸aise. Lazarus et Folkman [3] décrivent un modèle dichotomique avec 2 styles de coping : le coping centré sur le problème et le coping centré sur l’émotion. À l’origine, Lazarus et Folkman ont construit une échelle de 67 items : la Ways of Coping Checklist ou WCC. Cette échelle a été appliquée à 100 adultes qui devaient y répondre chaque mois pendant un an en pensant à un évènement récent qui les avait perturbés et à la fac¸on dont ils avaient réagi. En regroupant ces réponses par des analyses factorielles, ils ont décrit 8 stratégies regroupées en 2 styles de coping : coping centré sur le problème et coping centré sur l’émotion. Le coping centré sur le problème vise à réduire les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres ressources pour mieux y faire face. Il comprend 2 stratégies : • la résolution du problème (recherche d’informations, élaboration de plans d’action) ; • l’affrontement de la situation (efforts et actions directs pour modifier le problème). Le coping centré sur l’émotion vise à gérer les réponses émotionnelles induites par la situation. Il comprend 6 stratégies : • prise de distance ou minimisation de la menace (« j’ai fait comme si rien ne s’était passé ») ; • réévaluation positive (« je suis ressorti de cette expérience plus fort ») ; • auto-accusation (« j’ai compris que c’était moi qui avais créé le problème) ; • fuite-évitement (« j’ai essayé de me sentir mieux en mangeant, buvant, fumant ou en prenant des médicaments ») ;
Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
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• recherche d’un soutien social (« j’ai discuté avec quelqu’un pour me faire une idée plus précise de la situation ») ; • maîtrise de soi (« j’ai essayé de ne pas suivre ma première impulsion »). Les auteurs insistent sur ce point : face à un évènement non contrôlable (objectivement et subjectivement), le sujet tend à utiliser des stratégies centrées sur l’émotion alors que dans une situation qui lui paraît contrôlable, il utiliserait des stratégies centrées sur le problème. Chabrol et Callahan [1] soulignent également l’importance de ne pas attribuer de valeur positive ou négative à ces deux styles de coping. En effet, comme expliqué précédemment, une stratégie de coping n’est pas adaptée ou inadaptée en soi ou a priori mais dépend des caractéristiques du sujet et de la situation. L’attribution largement répandue d’une valeur positive au coping centré sur le problème et d’une valeur négative au coping centré sur l’émotion est donc une erreur. Paulhan et Bourgeois [9] décrivent de même un modèle dichotomique avec 2 styles de coping : le coping évitant ou coping passif et le coping vigilant ou coping actif. Le coping évitant consiste à détourner son attention de la source de stress. Le coping évitant regroupe des stratégies de substitution comportementales et cognitives (activités sportives, relaxation, loisirs. . .) visant à réduire la tension émotionnelle et des stratégies de fuite. Si les stratégies de substitution peuvent être efficaces pour un individu d’autant plus qu’il y associe des stratégies de confrontation avec l’évènement stressant, les stratégies de fuite ne provoquent qu’un répit temporaire et s’avèrent peu efficaces si la situation persiste. À l’inverse du coping évitant qui détourne l’attention du problème, le coping vigilant dirige l’attention vers celui-ci pour le prévenir ou le contrôler. Le coping vigilant comprend des stratégies de recherche d’informations, de soutien social, de mise en place de plans d’action, de recherche de moyens. Le recours aux stratégies de coping vigilant peut permettre de diminuer la détresse émotionnelle tout en facilitant le contrôle de la situation. Cependant, le coping vigilant peut aussi augmenter la détresse émotionnelle quand la recherche d’informations par exemple révèle que les choses sont pires que ce que l’on pense ou quand rien ne peut être fait pour changer le devenir de la situation. 1.2. Étude sur coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence : quel intérêt ? En référence au travail de Posner et al. [10], le terme de suicidalité (suicidality) renvoie aux idéations suicidaires actives (penser à vouloir mettre fin à sa vie) et passives (désir d’être mort) et aux conduites suicidaires. Les conduites suicidaires incluent les tentatives de suicide (avortée quand le sujet arrête de lui-même son geste, interrompue quand une source extérieure met fin à la tentative, non complétée quand la tentative ne cause pas la mort du sujet) et les suicides complétés ainsi que tout acte préparatoire en vue d’une tentative de suicide. Concernant la définition de la tentative de suicide, l’accent est porté sur l’intentionnalité de mourir présente derrière le passage à l’acte
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auto-agressif, contrairement aux automutilations non suicidaires (non suicidal self-injuries). À l’adolescence, le trouble de personnalité limite (TPL) concerne 11 % des patients suivis en ambulatoire [11], 53 % des patients hospitalisés [12] et 3 % des adolescents en population générale [13]. Les adolescents ayant un TPL sont particulièrement vulnérables quant au risque suicidaire. Ils présentent un risque suicidaire accru en cas de comorbidités psychiatriques (état dépressif majeur, abus de substance) [14] ou lorsqu’ils sont confrontés à un évènement de vie négatif [15]. Le TPL apparaît même comme un facteur de risque indépendant d’une récidive suicidaire à 6 mois chez des adolescents suicidants [16]. Dans ce contexte, l’étude de facteurs de protection des conduites suicidaires (i.e. suicides complétées et tentatives de suicide), dont les stratégies de coping, semble particulièrement pertinente chez ces adolescents. Or, à l’heure actuelle, aucune étude à notre connaissance ne concerne spécifiquement des adolescents suicidants ayant un TPL. Cependant, le coping fait l’objet de plusieurs études en population clinique d’adolescents suicidants. En effet, cette conception récente du risque suicidaire, pensé comme l’interaction de facteurs de risque et de protection, a fait émerger un intérêt particulier pour l’étude et le développement des stratégies de coping. Ainsi, l’Institute of Medicine Committee on the Pathophysiology and Prevention of Adolescent and Adult Suicide (CPPAAS) repère le coping comme un facteur protecteur contre le suicide [17]. Le coping est décrit comme facteur protecteur voire comme facteur de prévention du risque suicidaire dans la mesure où il joue aussi un rôle chez les jeunes qui ne sont pas « à risque » [18]. Les résultats des études portant sur des adolescents suicidants convergent dans le même sens : l’utilisation de stratégies de coping centré sur le problème diminuent le risque suicidaire [18–22] ou modèrent le lien entre un facteur de risque tel que la dépression ou le désespoir et les conduites suicidaires [23]. À l’inverse, le recours à des stratégies de coping centré sur l’émotion ainsi qu’à des stratégies de coping évitant majorent le risque suicidaire [24–27]. Enfin, les filles ont davantage recours à des stratégies de coping centré sur l’émotion que les garc¸ons [24,28]. De plus, on retrouve que les sujets adultes ayant un TPL ont davantage recours à deux styles de coping : le coping centré sur l’émotion et le coping évitant [29–32]. Dans le même sens, dans une population adolescente, Gardner et al. [33] retrouvent une forte corrélation positive entre trouble de personnalité limite et coping centré sur l’émotion. Or l’environnement invalidant pendant l’enfance et l’adolescence des sujets ayant un trouble de personnalité limite majorent encore leurs difficultés à développer des stratégies de coping plus adaptées [34]. Pour conclure, au vu de ces résultats concernant des échantillons d’adolescents suicidants, d’une part, et des échantillons d’adultes et d’adolescents ayant un TPL, d’autre part, il est possible que ces deux styles de coping (coping centré sur l’émotion et coping évitant) jouent un rôle crucial dans le lien entre TPL et conduites suicidaires à l’adolescence. Ces résultats montrent l’intérêt d’étudier le lien entre coping et conduites suicidaires chez les adolescents ayant un TPL.
Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
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2. Coping et trouble de personnalité limite chez des adolescents suicidants : résultats préliminaires 2.1. Résultats Dans le cadre d’une analyse statistique intermédiaire des données d’une étude franc¸aise en cours intitulée « Évaluation des modalités de prise en charge post-hospitalière de la tentative de suicide à l’adolescence », nous présentons ici des résultats préliminaires concernant le profil de coping d’adolescents suicidants ayant un TPL. L’analyse concerne une population clinique de 109 adolescents âgés de 11 à 17 ans (moyenne d’âge de 15 ans) hospitalisés au décours d’une tentative de suicide. Soixante-neuf patients hospitalisés (63 % de l’échantillon total) ont un TPL. Le diagnostic de TPL est établi après passation de la version franc¸aise de l’autoquestionnaire Abbreviated Diagnostic Interview for Borderlines (Ab-Dib) [35]. La version franc¸aise [36] de l’Adolescent Coping Scale (ACS) [6] est utilisée pour évaluer les styles de coping. Cette échelle comprend 79 items (et une question ouverte) regroupés en 18 stratégies de coping. Les stratégies sont réparties en trois styles de coping : productif, non productif et référence aux autres selon que le sujet approche ou évite le problème en faisant ou non référence aux autres. Il n’y a pas de différence significative liée au sexe entre les groupes TPL et non TPL. Les adolescents TPL ont dans leurs antécédents un nombre plus élevé de tentatives de suicide (1,86 ± 1,8 versus 1,06 ± 1,2 ; p < 0,01) et sont plus nombreux à présenter des idéations suicidaires (84 % versus 44 % ; p < 0,001) que les adolescents non TPL. Concernant leur profil de coping, les adolescents TPL développent de fac¸on significative le style de coping non productif comparativement aux adolescents non TPL (56,22 ± 10,5 versus 46,71 ± 10,7 ; p < 0,001). Ils mettent notamment davantage en place les stratégies de coping non productif suivantes (par ordre de significativité décroissante) : s’accuser, utiliser des moyens violents pour faire baisser la tension, garder pour soi, ne rien faire, s’inquiéter et ignorer le problème. Sous réserve des analyses portant sur la totalité de l’échantillon, les adolescents suicidants TPL et non TPL diffèrent donc par leur profil de coping non productif notamment. En outre, en accord avec les données de la littérature précédemment décrites, les adolescents TPL ont un risque suicidaire plus élevé que les adolescents non TPL.
protection est utilisé comme un terme générique pour les modérateurs du risque qui améliorent l’évolution développementale [38]. Nous retrouvons les mêmes variables pour les facteurs de protection que pour les facteurs de risque : les facteurs de protection individuels (génétiques et biologiques) et les facteurs de protection environnementaux (familiaux et sociaux). Chez les enfants, Garmezy [39] décrit trois types de variables identifiés comme facteurs de protection : • les caractéristiques biologiques, psychologiques et socioaffectives de l’enfant lui-même (sur le plan de la santé, du tempérament, de l’estime de soi, du niveau de développement par exemple) ; • les caractéristiques des parents, de l’environnement familial et des interactions parents-enfant ; • les caractéristiques de l’environnement social (ressources disponibles, soutien social par exemple). Les facteurs de protection ne sont pas l’inverse des facteurs de risque ; c’est leur intensité et leur rôle à l’intérieur d’une dynamique particulière qui les caractérisent. C’est dans cette perspective que certains auteurs [40,41] ont mené des études en population générale et/ou en population clinique et construit des modèles théoriques. Ainsi, dans le cadre d’une étude portant sur l’évaluation de facteurs de protection des tentatives de suicide en population générale au Québec, Breton et al. [41] ont bâti un modèle théorique intégratif selon lequel le risque de dépression et d’idéation suicidaire chez l’adolescent est la résultante de l’interaction entre facteurs de risque et facteurs de protection. Selon ce modèle (Fig. 1 et 2), les facteurs de risque comprennent deux catégories de facteurs : • la vulnérabilité ou facteur(s) de risque prédisposant(s) ; • la situation de risque ou facteur(s) de risque précipitant(s).
Situation de risque V Vulnérabilité
2.2. Discussion
Protection Au regard d’un modèle théorique innovant intégrant les facteurs de protection dans l’évaluation du risque suicidaire, ces résultats soulignent l’importance de développer chez ces adolescents les facteurs de protection tels que les stratégies de coping productif. Rappelons d’abord ce que sont les facteurs de protection. On appelle facteurs de protection les attributs des personnes, des environnements, des situations et des évènements qui paraissent tempérer des prédictions de psychopathologie basées sur un statut individuel à risque [37]. Les facteurs de protection offrent une résistance au risque. Le terme de facteurs de
Issue plus positive Fig. 1. Facteurs de protection dominants.
Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
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Situation de risque
Pr Protec tion
5
Situation de risque
Vulnéra bilité Protec P rotec tion coping productif +++
Vulnéra V bilité
Issue plus négative
Risque suicidaire diminué
Fig. 2. Facteurs de vulnérabilité dominants. Fig. 4. Coping productif (facteur de protection) dominant.
Les facteurs de protection ont un effet modérateur qui minimise l’impact des facteurs de risque. En effet, les facteurs de protection agissent contre le développement d’une psychopathologie malgré l’exposition à des facteurs de risque. Les facteurs de protection ne sont donc à l’œuvre chez une personne que face à un (ou des) facteur(s) de risque. Dans ce modèle intégratif, l’évaluation des facteurs de risque reste donc capitale car un facteur n’est protecteur que dans la mesure où il modère l’impact du ou des facteur(s) de risque. Chez un individu, protection et vulnérabilité interagissent selon des modalités inversement proportionnelles. Ainsi, confronté à une situation
de risque, l’individu produira une réponse plus positive si le pôle « protection » est dominant (Fig. 1) ou une réponse plus négative si le pôle « vulnérabilité » est dominant (Fig. 2). Au regard de ce modèle intégratif appliqué aux résultats de l’étude actuelle, développer les stratégies de coping productif (facteur de protection) chez ces adolescents pourrait diminuer l’intensité de certaines dimensions (telles que l’instabilité émotionnelle et l’impulsivité) du construit trouble de personnalité limite (facteur de vulnérabilité) et donc le risque suicidaire (Fig. 3 et 4). Les analyses portant sur la totalité de l’échantillon devraient apporter des éléments supplémentaires pour affiner encore ce modèle intégrant facteurs de risque et facteurs de protection appliqué à la prise en charge des adolescents suicidants ayant un TPL. 3. Conclusion
Situation de risque Protec tion Vulnéra V bilité TPL+++
L’étude des stratégies de coping et plus largement des facteurs de protection associés aux conduites suicidaires chez les adolescents ayant un TPL apporte donc un nouvel éclairage sur la prise en charge de ces patients en ouvrant des perspectives de travail particulièrement intéressantes tant au plan de la prévention que du soin. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références
Risque suicidaire augmenté Fig. 3. Trouble de personnalité limite (facteur de vulnérabilité) dominant.
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Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002
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Pour citer cet article : Knafo A, et al. Coping, suicidalité et trouble de personnalité limite à l’adolescence. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.002