Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite

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G Model

ARTICLE IN PRESS

ENCEP-899; No. of Pages 6

L’Encéphale xxx (2016) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Article de recherche

Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite Mentalization based treatment and borderline personality disorder C. De Oliveira a,∗ , H. Rahioui b , M. Smadja a , M.A. Gorsane b , F. Louppe b a b

Centre de thérapie interpersonnelle, centre médico-psychologique, 39, rue de Varenne, 75007 Paris, France Pôle 75G04, hôpital Henri-Ey, 15, avenue de la Porte-de-Choisy, 75013 Paris, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Rec¸u le 22 juin 2015 ´ 2016 Accepté le 29 fevrier Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Trouble de personnalité limite Thérapie basée sur la mentalisation Attachement Fonagy Bateman TIP

r é s u m é Le trouble de personnalité limite est une affection psychiatrique complexe qui se retrouve chez une part non négligeable des jeunes adultes rencontrés dans les services de psychiatrie. En général, les soignants se trouvent démunis face à ces patients, probablement par manque de connaissance de la psychopathologie à l’œuvre dans les interactions interpersonnelles, y compris avec les intervenants, certainement aussi par la rareté d’offres thérapeutiques, médicamenteuses et psychothérapeutiques. Bien que certaines thérapies aient montré leur efficacité dans la prise en charge de cette pathologie, il en ressort que celles-ci ne permettent pas d’appréhender et traiter ce trouble dans sa globalité de manière holistique. En effet, les thérapies cognitivo-comportementales et la thérapie dialectique comportementale, qui sont les traitements couramment utilisés pour les troubles de personnalité limite, ne ciblent que certains symptômes (anxiété, tristesse de l’humeur, comportements autodestructeurs, etc.). À ce jour, seule la thérapie basée sur la mentalisation, développée en 2004 par Bateman et Fonagy, semble aborder le trouble borderline dans toute sa complexité. Pourtant, contrairement aux autres approches thérapeutiques, la thérapie basée sur la mentalisation reste peu connue en France. L’objectif global de cette approche vise le développement d’un processus thérapeutique ciblant l’esprit du patient pour lui permettre de découvrir sa manière singulière de penser et de ressentir à son sujet et au sujet des autres, et comment ces éléments conditionnent ses interactions interpersonnelles. Ce présent article vise donc à présenter ce modèle basé sur la théorie de l’attachement et le concept de mentalisation, qui renvoie à la capacité de se comprendre soi-même et, de comprendre les autres, en déduisant les états mentaux qui sous-tendent les interactions interpersonnelles. Après les bases théoriques ayant présidé à l’élaboration de cette approche, nous aborderons successivement les étapes d’évaluation, et des interventions à proprement parler dans leur mise en œuvre au niveau de la pratique clinique. ´ Paris. © 2016 L’Encephale,

a b s t r a c t Keywords: Borderline personality disorder Mentalization based treatment Attachment Fonagy Bateman IPT

Theoretical background. – The borderline personality disorder is a complex psychiatric disorder that represents a high number of patients in a psychiatric adult service. Even if some therapies have shown to be effective in the therapeutic care of the borderline personality disorder they only target certain symptoms (e.g. anxiety, sadness, self-mutilation). The aim of this paper is to introduce a therapeutic model little known in France: the mentalization based therapy (MBT) developed in 2004 by Bateman and Fonagy. This therapeutic model apprehends the borderline personality disorder in all its complexity and is based on two main concepts: Bowlby’s attachment theory and the concept of mentalization. The MBT is based on the hypothesis that a deficit of mentalization leads to the development of borderline disorder. The capacity of mentalization, also known as reflexive function, is acquired in infancy through interpersonal relationships, in particular those of attachment, and is the ability to understand the mental state (emotions, needs, thoughts, etc.) of oneself and others which underlies explicit behaviour. This reflexive capacity is of a better quality when the person has a secure attachment style. Indeed, borderline patients have, mainly, a deficit of mentalization capacity associated with an insecure attachment style. Thus,

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. De Oliveira). http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020 ´ 0013-7006/© 2016 L’Encephale, Paris.

Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020

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the main objective of the Bateman and Fonagy approach is to develop and reinforce the mentalization capacity through a therapeutic relationship as a secure base, a group therapy and the concept of insight. Therapy structure and techniques. – Classically, MBT is structured over a period of 18 months divided into 3 distinct phases distributed in two therapeutic axes: group and individual therapy. The initial phase aims to engage the patient in the therapy by evaluating attachment style, mentalization’s ability, interpersonal functioning; providing psychoeducation about borderline disorder and establishing a therapeutic contract. To evaluate attachment style, the authors strongly recommend the use of the Relationship Scales Questionnaire. During the second phase, which includes individual and group therapy, the aim is to stimulate the capacity of mentalization through different techniques according to the patient’s attachment style. These include therapeutic relationship, empathy, affect clarification and elaboration, positive and negative reinforcement. The final phase serves to review the patient’s improvement and to prepare him progressively for the end of the therapy which can be experienced as an abandonment. Clinical trials of MBT and developments. – Effectiveness of MBT in treating borderline disorder has been shown in several studies with short and long term benefits. It can be adapted for other personality disorders and specific populations such as adolescents. Conclusion. – This article introduces the key concepts and aims of mentalization based treatment. The therapy is briefly described in its different phases and the various techniques are discussed. Clinical trials have shown that MBT is effective in treating borderline disorder in adolescent and adult populations. Despite the effectiveness of this therapy, it is difficult to set up and requires substantial resources. Interpersonal therapy based on attachment provides a therapeutic model focused on problematic areas which can offer an alternative therapy and reduce the fields of investigations. ´ © 2016 L’Encephale, Paris.

1. Abréviations

TPL TBM MIO

trouble de personnalité limite thérapie basée sur la mentalisation modèles internes opérants

2. Introduction 2.1. Le trouble de personnalité limite : un problème de santé publique Le trouble de personnalité limite (TPL) est un trouble de la personnalité grave et complexe très fréquent qui toucherait près de 2 % de la population générale, pouvant aller jusqu’à 5,9 % [1,2]. Il est retrouvé majoritairement chez la femme avec une prédominance observée de 75 % [2,3]. Des études épidémiologiques montrent qu’il s’agit d’un trouble répandu dans les structures de soins. Ainsi, 10 % des individus en consultation externe de psychiatrie et 20 % des individus hospitalisés en psychiatrie adulte présentent un TPL [2,4]. Par ailleurs, les TPL font partie des troubles de la personnalité les plus rencontrés en clinique, avec une proportion s’élevant entre 30 à 60 % [5]. Une des particularités du TPL est le risque très élevé de suicide. On estime à ce jour qu’entre 69 à 80 % des patients limites présentent des comportements suicidaires [6] avec un taux de décès par suicide à 10 % [7,8]. Le trouble de personnalité limite se caractérise également par des difficultés dans la régulation des émotions et dans les relations interpersonnelles, une perturbation de l’identité et une fragilité dans le contrôle des impulsions [9]. L’ensemble de ces éléments souligne la complexité que représente ce trouble et ce, aussi bien pour le patient que pour les soignants en termes de prise en charge. Actuellement, on recense différentes psychothérapies validées empiriquement dans la prise en charge du TPL dont la thérapie dialectique comportementale [10,11], la thérapie des schémas [12] et la thérapie focalisée sur le transfert [13] qui sont les traitements couramment utilisés. Bien que ces traitements soient efficaces, il en ressort que ces thérapies ne permettent pas d’aborder le TPL dans toute sa complexité et donc l’obtention d’une amélioration globale du fonctionnement.

Afin d’amener un éclairage supplémentaire sur le TPL et sa prise en charge, Fonagy et al. ont développé un nouveau concept, la mentalisation qui représente la capacité de percevoir et distinguer ses états mentaux et ceux d’autrui et à partir duquel ils vont développer un modèle de prise en charge spécifique : la thérapie basée sur la mentalisation [14,15]. Pour ces auteurs, les TPL peuvent s’expliquer par un déficit de mentalisation et se traiter par le développement de cette capacité. 2.2. La mentalisation La mentalisation, ou fonction réflexive, est le concept central de la thérapie basée sur la mentalisation (TBM). Cela représente la capacité de bien comprendre son propre comportement et celui d’autrui en termes d’états mentaux intentionnels sous-jacents. Les états mentaux sont définis comme les pensées, les émotions, les intentions, les désirs, les motivations et les croyances, qui sont mis en lien avec une action ou une réaction (modifications physiologiques, expressions verbales, etc.) [16] ; les états mentaux et le comportement sont donc indissociables l’un de l’autre [17]. Ainsi, on peut dire que la mentalisation englobe des concepts connus tels que l’empathie [18] et la théorie de l’esprit [19]. D’après Fonagy et al., la mentalisation est un processus essentiel et fondamental dans le développement de bonnes relations interpersonnelles, la régulation des émotions et la construction du soi [20]. En effet, la mentalisation est ce qui permet de se comprendre et de comprendre l’autre à travers soi. Par conséquent, sans cette capacité, nous ne serions pas en mesure d’entretenir de bonnes relations sociales qui demandent un certain degré de partage et ce, tant sur le plan émotionnel que cognitif. De même, un défaut de mentalisation peut rendre difficile le recours à ces capacités de régulation émotionnelle du fait de l’impossibilité à réfléchir et comprendre son propre état émotionnel. La capacité de mentalisation varie d’un individu à l’autre et cette qualité est directement liée à la qualité de nos expériences précoces d’attachement [21,22]. 2.2.1. Mentalisation et théorie de l’attachement La théorie de l’attachement est un concept développé par John Bowlby qui désigne un besoin primaire et inné d’entrer en relation avec autrui [23]. Au fil des interactions avec les personnes

Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020

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significatives qui l’entourent (figures d’attachement), l’enfant va développer sa capacité de mentalisation ainsi que son propre style et système d’attachement. En effet, plus la figure d’attachement (généralement le parent) se montre disponible, dévouée et attentive aux besoins de l’enfant, plus celui-ci va apprendre à associer « en miroir » ses sensations corporelles à ses états émotionnels que lui reflète son parent. Cela aura pour effet de développer la capacité de l’enfant à reconnaître ses propres états mentaux et ceux d’autrui. A contrario, si la figure d’attachement ne se montre pas suffisamment disponible et ne répond pas de fac¸on satisfaisante aux besoins de l’enfant, il va rencontrer des difficultés à mentaliser de fac¸on optimale [22]. Par ailleurs, en fonction des réponses de sa figure d’attachement, l’enfant va développer un sentiment de sécurité plus ou moins élevé qui va se traduire en termes de style d’attachement symbolisé par des modèles de représentations mentales de soi et des autres dits modèles internes opérants (MIO). Ces représentations sont en lien avec le soi (lié à l’image de soi comme digne d’être aimé ou non) et en lien avec les autres (confiance en l’autre quant à sa sensibilité et sa disponibilité aux besoins de l’enfant, en particulier en situation de stress). Ces modèles vont se combiner pour permettre une classification des styles d’attachement [24] : sécure (modèle de soi et des autres positifs), préoccupé (modèle de soi négatif et modèle des autres positif), détaché (modèle de soi positif et modèle des autres négatif) et craintif (modèle de soi et des autres négatif). Une fois intériorisés, ces modèles se généralisent, se maintiennent tout au long de la vie et vont notamment se réactiver dans les situations de stress important. Face à l’inefficacité des stratégies d’attachement primaires, consistant en un équilibre entre activation et désactivation des émotions et donc des comportements d’attachement, la personne va mettre en place des stratégies d’attachement secondaire adaptées aux réponses de sa figure d’attachement pour faire face aux situations de stress [25]. Ces stratégies d’attachement secondaires se caractérisent soit par l’inhibition du système d’attachement associée à une désactivation prématurée des émotions, visant à minimiser l’intimité et éviter la dépendance à l’autre (notamment présent chez les détachés) soit l’hyperactivation où la démonstration émotionnelle est intensifiée (stratégie notamment utilisée chez les préoccupés). Les personnes avec un style d’attachement craintif vont quant à elles présenter une oscillation continuelle et inefficace entre ces deux types de stratégies. Tout comme les MIO, la capacité de mentalisation n’est pas immuable et varie selon les contextes. Elle tend ainsi à se perdre ou se dégrader dans les situations de stress important [21]. Dans ce type de situations, l’individu peut perdre sa capacité à comprendre ou prêter attention à ses ressentis ou ceux d’autrui. Cela s’explique par l’activation du système d’attachement en situations de stress élevé qui entraîne à son tour une désactivation de la capacité à mentaliser. Des études en neuro-imagerie confirment cette notion de réciprocité entre le système d’attachement et la capacité de mentalisation [26,27]. En effet, les résultats de ces études indiquent qu’une activation du système d’attachement entraîne une activation de régions cérébrales (cortex cingulaire antérieur, l’insula et le striatum) qui à leur tour conduisent de manière concomitante à l’inhibition de l’activité cérébrale de plusieurs régions associées au jugement social et à la capacité de mentalisation [26,27]. Toutefois, il semblerait que, selon le style d’attachement nous soyons plus ou moins capables de continuer à mentaliser en situations de stress important. Ainsi, les sujets avec un style d’attachement craintif sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés à mentaliser. En effet, ce style d’attachement est plus souvent et plus rapidement activé que les autres styles d’attachement [21], du fait d’une sensibilité accrue et une hypervigilance aux perceptions de l’environnement vécues comme menac¸antes, ce qui est associé à une désactivation plus fréquente des structures neurales liées à la fonction réflexive (i.e. cortex préfrontal latéral, cortex préfrontal

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médian, etc.). À l’inverse, les sujets avec un style d’attachement sécure sont ceux qui seront le plus à même de continuer à mentaliser ou de retrouver rapidement leur capacité de mentalisation en situations stressantes [28]. Enfin, un niveau de mentalisation élevé permet une meilleure résistance aux conditions de stress. 2.2.2. Mentalisation et TPL Selon Bateman et Fonagy, une carence chronique de la capacité de mentalisation se traduit par des difficultés au niveau de la pensée et/ou au niveau émotionnel qui peut entraîner la survenue de troubles psychopathologiques dont le trouble de personnalité limite. Ces auteurs expliquent que ce trouble serait lié à une vulnérabilité constitutionnelle chez la personne et/ou l’exposition à un traumatisme psychologique [29]. En effet, l’acquisition de la mentalisation est mise en péril lorsque l’enfant évolue dans un contexte de maltraitance [21], contexte très fréquent chez les TPL [30]. De plus, le type et la sévérité de la maltraitance vécue auraient un impact direct sur l’expression du TPL (domaine affectif et cognitif, l’impulsivité et les relations interpersonnelles) mais également sur le degré de sévérité du trouble et des relations sociales [31] et les relations d’attachement (les abus sexuels pendant l’enfance tendraient à générer plus facilement un style d’attachement insécure-ambivalent, tandis que l’attachement insécure-évitant serait davantage associé aux autres types de mauvais traitements) [32]. Ce contexte de maltraitance va donc à la fois faire obstacle à l’établissement d’une relation d’attachement sécurisante, qui va elle-même interférer avec le développement de la capacité de mentalisation, mais également dénoter d’un échec majeur de cette capacité chez le parent maltraitant. Le TPL serait donc la résultante d’un défaut de mentalisation concomitant à un style d’attachement insécure. Ainsi, la perte de la capacité de mentalisation serait consécutive à une activation qui inhiberait l’activité du cortex préfrontal. Cela serait dû, soit à l’hyperactivation du système d’attachement, soit à un niveau élevé d’activité (stress ou hyperstimulation) et/ou comme mécanisme de défense dans un contexte de relation spécifique (lié au vécu traumatique). Ainsi, lors de la perte de cette capacité, la personne va avoir recours à 3 modes de pensée « primaires » décrits par Bateman et Fonagy comme des modes de pensée de pré-mentalisation [21] : • le mode faire semblant : où les états mentaux peuvent être pensés et réfléchis, mais ne peuvent être mis en lien avec la réalité actuelle. Les idées du sujet ne vont pas permettre de faire un pont entre la réalité intérieure et la réalité extérieure ; • le mode de pensée de type équivalence psychique : cela se traduit par un caractère rigide des pensées associées à une valence hostile et une incapacité à élaborer des pensées alternatives. Tout est alors vécu avec une forte certitude, c’est ainsi qu’ils supposent savoir ce que pense leur thérapeute ; • le mode téléologique : le sujet ne parvient pas à intégrer des concepts autrement qu’en se référant à des signes visibles, tangibles et concrets. Il s’agit selon les auteurs du mode de pensée le plus fréquent chez les borderlines. 2.3. La thérapie basée sur la mentalisation La TBM est une thérapie développée en 2004 par Bateman et Fonagy constituée de trois phases distinctes d’une durée variable : la phase initiale, la phase intermédiaire et la phase finale [15]. Elle vise à favoriser les capacités de mentalisation de soi, des autres et des relations, sans générer trop d’effets iatrogènes par stimulation du système d’attachement, et ce, à partir de techniques thérapeutiques favorisant la prise de distance pour parvenir à mieux réguler les affects [21].

Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020

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Afin de mener à bien ces objectifs, la TBM repose sur 4 principes fondamentaux : • la structure : la thérapie se déroule sur une période d’environ 18 mois associant une thérapie individuelle et une thérapie de groupe ; • l’alliance thérapeutique : construction d’un lien patient– thérapeute, c’est-à-dire d’une collaboration active, basée sur la construction commune d’un domaine problématique et sur les solutions à mettre en place ; • la focalisation sur les relations interpersonnelles actuelles ; • l’exploration de la relation qui se joue entre le thérapeute et le patient [33]. 2.3.1. Phase initiale (6 mois) La phase initiale constitue la phase d’engagement de la thérapie. Cet engagement s’effectue sur une période de 6 mois à raison d’une séance individuelle par semaine et passe par différents processus clés. 2.3.1.1. L’évaluation. L’évaluation est triple. On commence dans un premier temps par évaluer la présence et la sévérité du trouble de la personnalité limite selon les critères diagnostiques du DSM5 [2] ou de la CIM 10 [34]. Dans un second temps, on évalue le style d’attachement du patient et le niveau de sophistication de la capacité de mentalisation. Ces évaluations s’effectuent en analysant les éléments de réponse fournis par le sujet lors d’un entretien semi-structuré représenté par la passation de l’Adult Attachment Interview [35], puis en codant ces mêmes réponses à l’aide de l’Échelle de la Fonction Réflexive (RFS : Reflexive Functioning Scale) [36]. Enfin, on effectue un inventaire interpersonnel, c’est-à-dire une exploration des styles et des qualités des relations interpersonnelles dans les 5 dernières années. Cette évaluation permet de définir le contexte relationnel dans lequel intervient le défaut de mentalisation et par conséquent, dans quel contexte il devrait être abordé. De même, cela fournit au thérapeute des éléments sur la position qu’il doit tenir face au patient selon le pattern relationnel prédominant et sur le type d’intervention à utiliser : • le pattern « normal » de relation interpersonnelle présente une certaine sélectivité (choix des partenaires interactifs, allant du plus intime au moins intime), flexibilité (variant l’intimité à plus grande distance ou inversement en fonction des circonstances ou des choix) et stabilité dans le temps. Les relations sont éclectiques, de la plus intime à la plus distante, en formant un tout cohérent. Il existe une certaine constance, le soi n’est pas menacé et ce pattern est corrélé avec un attachement sécure ; • dans le pattern « centralisé », les relations sont instables et rigides. Dans ce pattern, la représentation des états mentaux d’autrui est liée à leur représentation d’eux-mêmes et davantage corrélée au style d’attachement préoccupé et craintif. Chez les borderlines dits « centralisés », il existe une impossibilité de maintenir sa capacité de mentalisation dans ses relations d’attachement, du fait d’une confusion Soi–Autrui. Les sentiments et pensées de chacun deviennent incompréhensibles ; • le pattern « distribué » est marqué par un manque de flexibilité dans le système relationnel, où personne ne peut se rapprocher émotionnellement car l’intimité est vécue comme dangereuse. Ce pattern est davantage corrélé au style d’attachement détaché. Faisant partie intégrante de la thérapie, cette triple évaluation favorise l’engagement du patient dans la thérapie et permet également de l’orienter dans le programme le plus approprié à ses difficultés : TBM en consultation libre (18 mois) ou TBM en hôpital de jour [HDJ] (18 à 24 mois) [21]. Les patients à « haut risque », par exemple présentant un risque suicidaire avec un support social

inadéquat, seront principalement orientés en TBM–HDJ, afin de leur proposer un travail plus soutenant, cadrant et adapté à leurs besoins. 2.3.1.2. Donner le diagnostic et présenter l’approche. Le partage du diagnostic est essentiel (nécessaire et constructif) et recommandé par l’APA [37]. En effet, l’échange autour de ce diagnostic est également indispensable et une bonne base d’entrée dans le travail de mentalisation [21]. Il va s’agir de stimuler le patient à réfléchir sur les différents aspects de sa personnalité mais également à réfléchir sur la pensée du thérapeute sur lui-même. Par la suite, le thérapeute va partager l’étiologie éventuelle du TPL selon le modèle de Fonagy et la théorie de l’attachement pour ainsi proposer l’indication de la TBM. La discussion du diagnostic doit être illustrée par des événements de vie du patient. Le thérapeute explique les causes possibles du trouble et son évolution, les problèmes psychologiques et de mentalisation consécutifs, les objectifs de la thérapie et l’intérêt des thérapies individuelles et de groupes pour stabiliser la capacité de mentalisation. On va ainsi aborder avec le patient l’intérêt de la double prise en charge : en individuel et en groupe. En effet, le suivi en individuel permet d’aborder les principes de la TBM tandis que le suivi en groupe permet de mettre en pratique les éléments vus en individuel. En ce sens, la TBM ne peut être envisagée sans l’un de ces deux axes. 2.3.1.3. Le contrat thérapeutique. On conclut la phase initiale par l’élaboration d’un contrat thérapeutique qui précise : • le cadre de la prise en charge : programme proposé (en CMP ou en hôpital de jour), nombre de séances, durée des séances ; • les objectifs : réévalués tous les 3 mois ; • les recours possibles en cas de crises ; • aspects positifs de la double thérapie. 2.3.2. Phase intermédiaire (6 mois) Associant la thérapie individuelle et groupale, cette phase constitue la phase la plus difficile et complexe pour le patient car elle vise à stimuler sa capacité de mentalisation. Pour maintenir l’engagement du patient et limiter sa frustration, les interventions et techniques employées dans cette phase répondent à certains critères spécifiques. 2.3.2.1. Techniques. 2.3.2.1.1. Réassurance, soutien et empathie. La réassurance, le soutien et l’empathie, composantes indispensables à toutes psychothérapies, permettent d’apaiser le patient et de renvoyer une image du thérapeute comme étant une figure rassurante et soutenante. En ce sens, cela va permettre d’établir une alliance thérapeutique de bonne qualité. Il s’agit d’instaurer une relation d’écoute sans jugement, sans critique et sans interprétation des ressentis du patient. Le recours à ces techniques est recommandé lorsque le patient est dans un état d’excitation émotionnelle important et donc dans l’incapacité de mentaliser. 2.3.2.1.2. Identifier et explorer les mentalisations positives. Cette technique consiste à valoriser des mentalisations positives et explorer ses effets bénéfiques qui y sont associés, c’est-à-dire, comment la mentalisation a permis au patient de comprendre ses propres ressentis et ceux d’autrui. Le but de ces interventions est d’éveiller la curiosité du patient sur les motivations sous-jacentes d’un comportement ou d’une réaction, mais également de lui montrer comment cette compréhension améliore la satisfaction émotionnelle et le contrôle de l’humeur. La valorisation des mentalisations positives est contrebalancée par l’identification des non-mentalisations (explications banales,

Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020

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déclarations méprisantes, hypothèses, rationalisations, etc.) et l’exploration du manque de succès qui y est associé. 2.3.2.1.3. Clarification, défi et élaboration. La clarification est explicite et nécessite peu d’explication. Elle a pour but de donner sens et remettre dans le contexte le comportement qui résulte d’une défaillance de la mentalisation. Pour cela, le thérapeute a une position active et pose beaucoup de question afin de reconstituer les événements qui ont conduit à une rupture de la mentalisation, et d’identifier les sentiments qui y sont associés. La clarification et l’élaboration ont donc pour fonction d’aider le patient à mentaliser ce qu’il ressent et ce qui est arrivé. 2.3.2.1.4. Mentalisation de base. En cas d’échec de la mentalisation ou pour promouvoir sa poursuite, le thérapeute peut utiliser des mentalisations basiques pour rétablir cette capacité ou pour qu’elle puisse devenir une capacité robuste, flexible et non sujette à l’effondrement face à un stress émotionnel. Pour cela, le thérapeute fait une pause dans l’entretien soit pour examiner et explorer le moment en cours, soit amener le patient à retracer le processus et réexaminer le contenu [21]. 2.3.2.1.5. Mentalisation interprétative. La fonction principale des interventions basées sur l’interprétation est de présenter un autre point de vue sur ce que le patient a dit, fait ou ressent. Elle consiste à lier la réaction du patient à un état d’esprit dans une séquence de causalité. Pour cela, il faut clarifier et élaborer l’émotion (et les émotions associées) ainsi que l’expérience vécue par le patient en collaboration avec le thérapeute. Dans un second temps, identifier l’échec de la mentalisation et encourager activement la mentalisation autour du même thème. Finir par présenter un point de vue ou une perspective alternative. 2.3.2.1.6. Mentalisation du transfert. La mentalisation du transfert consiste à encourager et à réfléchir sur la relation thérapeute–patient, afin d’engendrer une réflexion sur un autre esprit que le sien, celui du thérapeute, et de l’aider à différencier la perception de lui-même de la perception des autres sur lui. Cette mentalisation se situe dans l’ici et maintenant interactionnel. Elle ne consiste pas à fournir une explication comportementale aux travers des relations actuelles ou passées, c’est-à-dire engendrer un certain contenu, mais plutôt de l’engager dans le processus de découverte du fonctionnement de l’esprit [21]. 2.3.2.2. Caractéristiques des interventions. Les interventions du thérapeute doivent être simples et courtes dans leur formulation, ce qui permettra d’éviter les malentendus et d’être en accord avec la capacité de mentalisation du patient à ce moment précis [21]. Quand une intervention vient trop stimuler le système d’attachement en éveillant ses états émotionnels, il existe inévitablement une inhibition de sa capacité réflexive. Afin d’être utiles, les interventions sont centrées sur le ressenti du patient ou sur son état d’esprit à l’instant, et non pas sur l’aspect comportemental, par exemple les passages à l’acte, qui viendrait renforcer le défaut de mentalisation. Le comportement doit seulement être utilisé comme indicateur d’une émotion ou d’une pensée mais on ne doit pas demander au patient d’expliquer son comportement car il est dans l’incapacité de le mentaliser. Les interventions doivent également être en lien avec un événement ou une activité récente ou en cours lors de la situation thérapeutique. En effet, tout travail sur le vécu passé, peut être vécu comme confortable et acceptable par le patient, mais est également vécu comme beaucoup moins réel et par conséquent renforcer à nouveau les pseudo-mentalisations. Enfin, elles doivent mettre l’accent sur le contenu conscient ou préconscient. 2.3.2.3. Choix de l’intervention. Les interventions peuvent être organisées sur un ordre de complexité, en termes d’implication émotionnelle (faible/fort niveau d’intensité), allant de l’empathie/soutien (la plus simple et la plus superficielle, mais

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la moins intense émotionnellement) à la mentalisation du transfert (la plus complexe mais impliquant une émotion intense). Selon Bateman et Fonagy [21], les interventions doivent suivre quelques principes généraux : choisir le soutien et l’empathie lorsque le patient est submergé par l’émotion, n’arrivant plus à mentaliser, et la mentalisation du transfert lorsque le patient peut continuer à mentaliser tout en explorant l’émotion. L’intervention choisie doit donc être proportionnellement inverse à l’intensité affective dans laquelle se trouve le patient, c’est-à-dire être en harmonie avec la capacité de mentalisation du patient à ce moment précis. Il faut choisir le soutien et l’empathie lorsque le patient est submergé par l’émotion et que son système d’attachement est activé, et la mentalisation du transfert lorsque le patient peut continuer à mentaliser tout en explorant l’émotion. 2.3.2.4. Phase finale. Cette phase, qui débute au 12e mois de la thérapie associant thérapie individuelle et de groupe, a pour objectif de favoriser l’autonomisation du patient, encourager les réflexions sur l’avenir, considérer et renforcer la stabilité sociale et enfin améliorer la compréhension sur la notion de fin de thérapie. La préparation du patient à l’interruption de la thérapie va se faire au travers du travail sur les sentiments de perte associés à l’arrêt de la thérapie (souvent vécue avec violence). La réflexion sur le maintien des gains et, si nécessaire, le développement, en collaboration avec le patient, un programme de suivi approprié, cohérent et adapté à ses désirs et besoins. Dans ce cas précis, un contrat d’accompagnement post-thérapie peut être discuté. Cette exploration et négociation quant à l’arrêt de la thérapie est indispensable afin de veiller à ce que le patient ne retourne pas à des modes de pensée et de gestion de l’émotion antérieurs à la mentalisation (équivalence psychique, mode faire semblant et mode téléologique), et par conséquent amoindrir sa capacité de mentalisation, qui à son tour peut avoir un impact direct sur son fonctionnement social et interpersonnel. 2.4. Efficacité de la TBM À ce jour, plusieurs prises en charge, psychodynamiques ou cognitivo-comportementales, ont montré leurs efficacités et sont recommandées par les instances internationales pour les patients présentant un TPL [37]. Ces approches psychothérapeutiques ont montré leur intérêt au travers de leur structure : des séances individuelles hebdomadaires, une ou plusieurs séances de groupes et des réunions d’équipe pour maintenir un bon niveau de collaboration et de clarté quant au rôle de chaque intervenant. Bien que ces traitements soient efficaces dans le traitement du TPL, il en ressort que certaines thérapies ciblent uniquement certains symptômes (symptômes dépressifs, anxiété, automutilations, tentatives de suicide). En effet, afin d’atteindre et de maintenir une amélioration de la symptomatologie, des relations interpersonnelles et du fonctionnement global, les psychothérapies doivent répondre à certaines caractéristiques : une durée d’au moins un an, être flexible afin de s’adapter au besoin du patient, proposer une prise en charge multiple (individuelle et groupale) et veiller au bon fonctionnement de l’équipe [37]. La TBM répond non seulement à ces caractéristiques mais se dégage des autres psychothérapies du fait de son efficacité sur 4 composantes principales associées au TPL : le domaine affectif, le domaine comportemental, le fonctionnement social et l’évolution ainsi que le degré de sévérité du trouble. En effet, l’étude de Caihol [38] indique que la TBM comparativement aux traitements habituels, permet une amélioration de l’intensité des symptômes, de la symptomatologie dépressive et anxieuse, une diminution des comportements auto-agressifs et de passage à l’acte suicidaire ainsi qu’une amélioration notable du fonctionnement

Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020

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interpersonnel et/ou de la qualité de vie. Elle est donc la psychothérapie qui propose un spectre d’action plus large. En effet, plusieurs études ont mis en évidence l’efficacité de cette thérapie à court et long terme chez les borderlines. Une réduction des tendances suicidaires, des automutilations et des dépressions est observée à 18 mois et est maintenue à 36 mois [39,40]. L’un des atouts notables de cette thérapie est que ces bénéfices perdurent 8 ans après [41]. On note également sur le long terme une diminution du recours aux soins psychiatriques (durée d’utilisation des services de soins et du traitement médicamenteux), ainsi qu’une amélioration du fonctionnement global et social [41]. 3. Conclusion Encore peu développée et peu connue en France, cette thérapie propose au travers de la théorie de l’attachement, une nouvelle approche du trouble de personnalité limite. En effet, ce modèle thérapeutique permet dans un premier temps d’acquérir une meilleure compréhension du trouble en lien avec la capacité de mentalisation. Dans un second temps, la double prise en charge (individuelle et de groupe) permet d’appréhender le patient dans toute sa complexité soit, à travers ce qui se joue au sein de la relation thérapeutique, mais aussi avec les autres, et ce, tout en développant son autonomie et son indépendance. Enfin, il s’agit d’une thérapie ayant prouvé son efficacité sur le court et long terme. Cependant, elle nécessite une formation et un accompagnement conséquents pour les équipes soignantes. Notre pratique de la thérapie interpersonnelle (TIP) basée sur l’attachement nous permet de proposer une modélisation prenant comme levier thérapeutique les domaines problématiques, comme les conflits interpersonnels ou les addictions, afin de réduire et mieux cibler le champ de l’intervention [42,43]. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Torgersen S, Kringlen E, Cramer V. The prevalence of personality disorders in a community sample. Arch Gen Psychiatry 2001;58(6):590–6. [2] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th Edition). Washington DC, USA: American Psychiatric Association; 2013. [3] Widiger TA, Weissman MM. Epidemiology of borderline personality disorder. Hosp Community Psychiatry 1991;42(10):1015–21. [4] Zanarini MC, Frankenburg FR, Hennen J, et al. Psychosocial functioning of borderline patients and axis II comparison subjects followed prospectively for six years. J Personal Disord 2005;19(1):19–29. [5] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (4th Edition). Washington DC, USA: American Psychiatric Association; 1994. [6] Schneider B, Schnabel A, Wetterling T. How do personality disorders modify suicide risk? J Personal Disord 2008;22(3):233–45. [7] Stanley B, Gameroff MJ, Michalsen V, et al. Are suicide attempters who selfmutilate a unique population? Am J Psychiatry 2001;158(3):427–32. [8] Oldham JM. Borderline personality disorder and suicidality. Am J Psychiatry 2006;163(1):20–5. [9] Skodol AE, Gunderson JG, Pfohl B. The borderline diagnosis I: psychopathology, comorbidity, and personality structure. Biol Psychiatry 2002;51(12):936–50. [10] Linehan MM. Cognitive behavioral therapy of borderline personality disorder. New York, USA: Guilford Press; 1993. [11] Linehan MM. Skills training manual for treating borderline personality disorder. New York, USA: Guilford Press; 1993. [12] Young JE, Klosko JS, Weishaar M. Schema therapy: a practitioner’s guide. New York, USA: Guilford Publications; 2003.

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Pour citer cet article : De Oliveira C, et al. Thérapie basée sur la mentalisation et le trouble de personnalité limite. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.02.020