Indication différentielle des psychothérapies adaptées au trouble de la personnalité limite

Indication différentielle des psychothérapies adaptées au trouble de la personnalité limite

L’Encéphale (2011) 37, S77—S82 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MISE AU POINT Ind...

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L’Encéphale (2011) 37, S77—S82

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

MISE AU POINT

Indication différentielle des psychothérapies adaptées au trouble de la personnalité limite夽 Differential indications for psychotherapies in borderline personality disorder L. Cailhol a,∗,b, E. Bui c,d, L. Rouillon d, N. Bruno d, A. Lemoalle d, K. Faure d, R. Klein e, P. Lamy d, J.-D. Guelfi f, L. Schmitt c,d a

Inserm CIC 9302 Toulouse, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, pavillon Riser, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 09, France Unité fonctionnelle d’urgences psychiatriques, pôle urgence réanimation, CHG, 100, rue Léon-Cladel, 82000 Montauban, France c Laboratoire du stress et du trauma, JE 2511, 170, avenue de Casselardit, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex, France d Service de psychiatrie et de psychologie médicale, CHU Casselardit, 170, avenue de Casselardit, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex, France e Secteur de psychiatrie G08, CHS Gérard-Marchant, 134, route d’Espagne, 31057 Toulouse, France f Clinique des maladies mentales et de l’éncéphale, hôpital Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris cedex 14, France b

Rec ¸u le 23 septembre 2008 ; accepté le 11 f´ evrier 2010 Disponible sur Internet le 23 mai 2010

MOTS CLÉS Trouble de personnalité limite ; Psychothérapie ; Efficacité ; Revue de littérature

Résumé Le trouble de personnalité limite (TPL) représente 10 % de l’activité psychiatrique ambulatoire. Le risque de suicide est important, ainsi que l’altération du fonctionnement psychosocial. L’objectif de notre revue de littérature est de déterminer l’efficacité des psychothérapies adaptées aux sujets présentant un TPL sur la sphère affective, comportementale, le fonctionnement interpersonnel et global ainsi que sur la personnalité. Pour cela, nous avons réalisé une revue de littérature de 1990 à 2008 sur Medline recoupant les mots clefs, « borderline personality disorder » et « psychotherapy » avec les limites « randomised control trial » ou « meta analysis ». Nous avons retenu 39 résumés, dont 17 (44 %) ont été sélectionnés, après application des critères d’exclusion (méthode non contrôlée, étude centrée sur un psychotrope, étude ne correspondant pas à notre objectif). Les psychothérapies apparaissent efficaces dans la prise en charge de plusieurs aspects touchant au TPL. La thérapie comportementale et dialectique possède le plus haut niveau de preuve, notamment concernant son action sur les comportements autoagressifs. La thérapie basée sur la mentalisation possède le plus large spectre d’action. La thérapie cognitive manualisée et la formation d’inspiration

夽 Ce travail a d’abord été présenté sous forme de poster au congrès de l’Encéphale à Paris en 2007, puis a été complété et représenté en 2008. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Cailhol).

0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.04.002

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L. Cailhol et al. systémique à la prédiction émotionnelle et à la résolution de problème offrent la faisabilité la plus importante. En l’état actuel, il existe des différences d’indication probable en fonction des symptômes cibles et des ressources sanitaires disponibles. © L’Encéphale, Paris, 2010.

KEYWORDS Borderline personality disorder; Psychotherapy; Efficacy; Literature review

Summary Background. — Borderline personality disorder (BPD) accounts for 10% of outpatient psychiatric practice. The risk of suicide attempts is high and the psychosocial impairment significant. Different theoretical streams have suggested psychotherapeutical approaches for BPD. Objective. — to examine the efficacy of psychotherapy for BPD patients on affective symptoms, behavioural outcomes, interpersonal and social functioning, as well as BPD criteria. Methods. — We reviewed the medical literature from 1990 to 2008 on Medline by combining the following keywords ‘‘borderline personality disorder’’ and ‘‘psychotherapy’’ (inclusion criteria). We restricted the analysis to ‘‘randomised control trial’’ or ‘‘meta analysis’’. Results. — Of the 39 abstracts that came out from the search, we selected 17 (44%) after applying the exclusion criteria. According to our review, different types of psychotherapies have shown some efficacy on reducing affective symptoms and BPD criteria, as well as improving behavioural outcomes and psychosocial functioning. Dialectical behavioural therapy presents the best-documented efficacy, notably on reducing self-mutilating and suicidal behaviours (five randomized controlled trials [RCT]). Mentalization based treatment seems to be efficient on the four types of outcomes, but has been the object of only one RCT. Finally, some evidence suggests that Manual Assisted Cognitive Treatment and Systems Training for Emotional Predictability and Problem Solving are the most cost-effective and easiest to be implemented. Conclusion. — According to our review, some evidence supports an efficiency of psychotherapies in the management of several features of BPD. It is likely that, depending on the target symptoms, one type of therapy might be more efficient than another. The acceptability of these long-term treatments is however unknown. © L’Encéphale, Paris, 2010.

Introduction Le trouble de personnalité limite (TPL) se caractérise selon le DSM IV par un mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects ainsi que par une impulsivité marquée [1]. Le TPL est une pathologie psychiatrique sévère de par le risque suicidaire élevé (4—10 %), l’altération du fonctionnement psychosocial associé, l’utilisation importante des services de soins et le coût pour la société [6,10,20,29,38]. Actuellement, le traitement repose sur une prise en charge de psychothérapie au long cours, associée à des psychotropes ciblant certains symptômes (impulsivité, instabilité affective, symptômes psychotiques ou dissociatifs) [2]. L’Association américaine de psychiatrie proposait, en 2001, une prise en charge psychodynamique ou cognitivocomportementale [2]. Ces propositions sont soutenues, malgré plusieurs réserves, par les méta-analyses disponibles, portant sur des données antérieures à 2003 [7,17,19]. La conclusion de ces travaux suggère que ces deux catégories de thérapies, malgré leurs divergences, aboutissent à des résultats similaires dans cette indication. L’hypothèse soulignant la prédominance des facteurs communs, tel que l’alliance thérapeutique, dans le processus de changement, permettrait de rendre compte de ces données [14]. La question d’une indication différentielle des psychothérapies, en fonction des moyens à disposition et des cibles thérapeutiques visées, peut trouver des éléments de réponse parmi les études contrôlées publiées dans cette indication. L’objectif de notre revue de littérature est de

déterminer l’efficacité des psychothérapies adaptées aux sujets présentant un TPL sur les niveaux suivants : • affectif : anxiété et dépression ; • comportemental : tentative de suicide et automutilations ; • fonctionnel : psychosocial, interpersonnel ; • personnalité : évolution diagnostique ou de sévérité.

Méthode Pour répondre à notre objectif, nous avons réalisé une revue de littérature de 1990 à février 2008 sur Medline recoupant les mots clefs Medical Subject Heading (MeSH), qui représentaient nos critères d’inclusion : « borderline personality disorder » et « psychotherapy » avec les limites « randomised control trial » ou « meta-analysis ». Une veille bibliographique a été mise en place à partir de février 2008.

Résultats Bibliographie De la recherche bibliographique, nous avons retenu 39 résumés dont 17 (44 %) ont été sélectionnés après vérification des critères d’exclusion. Quatorze ont été exclus pour des raisons méthodologiques ou d’objectif, c’est-àdire n’étant pas des études randomisées contrôlées (RCT) ou ne s’intéressant pas à l’efficacité (présentation d’étude,

Description des psychothérapies étudiées.

Nom anglais

Traduction

Bref (quelques semaines) ou long (mois/années)

Groupe ou individuel

Principe

Dialectical Behavior Therapy (DBT)

Thérapie comportementale et dialectique (TCD)

L

G/I

Schema Focused Therapy (SFT)

Thérapie orientée sur les schémas (TOS)

L

I

Elle repose sur une approche intégrative (comportementale, cognitive, zen) fondée sur un modèle de compréhension biopsychosocial du trouble, où la régulation émotionnelle est considérée comme le problème principal Elles postulent que le sujet traite l’information de son environnement à travers des schémas cognitifs appris et inscrits dans la mémoire à long terme. Leur activation inadaptée est source de souffrance émotionnelle

Cognitive and Behavioral Therapy (CBT) Manual Assisted Cognitive Treatment (MACT) Systems Training for Emotional Predictability and Problem Solving (STEPPS)

L

I

B

I

B

G

Mentalization Based Treatment (MBT)

Thérapie cognitive et comportementale (TCC) Traitement cognitif manualisé (TCM) Formation d’inspiration systémique à la prédiction émotionnelle et à la résolution de problème (SERP) Traitement basé sur la mentalisation (TBM)

L

G/I

Transference Focused Psychotherapy (TFP)

Thérapie centrée sur le transfert (TCT)

L

I

Psychothérapies adaptées à la personnalité borderline

Tableau 1

Forme de traitement bref et en groupe, fondée sur la gestion émotionnelle, cognitive et la résolution de problème, impliquant le système de soins et les proches Postule un défaut des patients à mentaliser leur état psychique ou celui des autres, probablement par la difficulté à se construire une théorie de l’esprit lorsque les attachements aux figures maternantes ne sont pas sûrs Postulant un princeps du clivage des relations d’objet, elle propose un traitement axé sur le transfert

B : bref ; L : long ; G : groupe ; I : individuel.

S79

S80

L. Cailhol et al.

Tableau 2 Comparaison des données d’efficacité sur les symptômes affectifs.

Tableau 3 Comparaison des données d’efficacité sur les symptômes comportementaux.

Thérapie

Symptôme

Taille d’effet (durée du suivi)

Thérapie

Symptôme

Taille d’effet (durée du suivi)

TBM

Dépression

−2 (18 mois) à −0,8 (36 mois) −1,4 (18 mois) à −1,9 (36 mois) −0,9 (1 an) −0,3 (20 semaines) à −0,2 (1 an) −0,2 (2 ans)

TBM

Tentative de suicide Automutilation Tentative de suicide Tentative de suicide Automutilation

−1 (8 ans) −0,9 (36 mois) −0,4 (1 an) −0,6 (2 ans) −0,6 (8 mois)

Anxiété TCT SERP

Dépression Affects négatifs

TCC

Anxiété

TBM : traitement base sur la mentalisation ; TCT : thérapie centrée sur le transfert ; SERP : formation d’inspiration systémique a la prédiction émotionnelle et à la résolution de problème ; TCC : thérapie cognitive et comportementale.

mesure de processus psychothérapiques). Six études ont été exclues car elles s’intéressaient à d’autres pathologies que le TPL à proprement parler. Deux ont été exclues car elles s’intéressaient à l’efficacité de psychotropes associés à des psychothérapies. Un article concernant le suivi à distance d’une étude a été inclus au décours de la période de recherche bibliographique.

TCD TCC TCM

TBM : traitement base sur la mentalisation ; TCD : thérapie comportementale et dialectique ; TCC : thérapie cognitive et comportementale ; TCM : traitement cognitif manualisé.

Tableau 4 Comparaison des données d’efficacité sur le fonctionnement psychosocial. Thérapie

Taille d’effet (durée du suivi)

TCD TCT TBM SERP

5,5 (24 mois) 0,95 (1 an) 1,1 (8 ans) 0,6 (20 semaines puis disparition à 1 an)

TCD : thérapie comportementale et dialectique ; TCT : thérapie centrée sur le transfert ; TBM : traitement basé sur la mentalisation ; SERP : formation d’inspiration systémique à la prédiction émotionnelle et à la résolution de problème.

Psychothérapies étudiées De cette fac ¸on, nous avons noté l’évaluation de deux courants théoriques de psychothérapie (psychanalytique et cognitivocomportemental) (Tableau 1). La thérapie la plus anciennement (1991) et largement (cinq études randomisées) validée [11,18,21—24,28,30—32] est la thérapie comportementale et dialectique (TCD). Les autres modèles cognitivocomportementaux sont la thérapie orientée sur les schémas (TOS) [15], la thérapie cognitive et comportementale (TCC) [12], le traitement cognitif manualisé (TCM) [33] et la formation d’inspiration systémique à la prédiction émotionnelle et à la résolution de problème (SERP) [8] ; chacun de ces modèles bénéficie d’une étude randomisée contrôlée. Deux modèles psychanalytiques ont été étudiés dans trois études [3—5,11,15] : traitement basé sur la mentalisation (TBM) et thérapie centrée sur le transfert (TCT).

Variables d’efficacité Symptômes affectifs Les symptômes dépressifs sont évalués dans sept études et l’anxiété dans trois (Tableau 2). Contre traitement habituel. La TBM montre une supériorité face au traitement habituel, sur les symptômes dépressifs et les symptômes anxieux [3—5]. La TCD ne montre pas un effet dans toutes les études sur cette sphère (trois études positives, un similaire au traitement habituel) [24]. La SERP montre un effet transitoire [9]. La TCC ne montre pas de supériorité face au traitement habituel pour la dépression [12]. Entre traitements. Pour la TCT ou la TCD, il n’existe pas de différence par rapport à une psychothérapie de soutien [14].

Symptômes comportementaux Huit études apportent des résultats sur les comportements suicidaires et les automutilations et quatre possèdent des variables concernant les idéations suicidaires (Tableau 3). Les variables utilisées par les auteurs rendent difficile la synthèse des résultats. Contre traitement habituel. Les études concernant la TCD retrouvent une supériorité constante face aux groupes témoins, sur au moins l’une des composantes suicidaires et/ou automutilatoires. L’étude de Linehan et al. comparant la TCD à un traitement fourni par des experts permet d’apporter des informations sur l’effet distinct pour les comportements suicidaires et automutilatoires [24]. Les premiers sont réduits de moitié dans le groupe TCD face au groupe témoin (number need to be treated [NNT]1 : 4,24 à deux ans). Dans cette sphère, la TBM (23 % de tentatives de suicide à huit ans) fournit des données de supériorité face au traitement habituel (73 % de tentatives de suicide à huit ans) [5]. La TCM est supérieure au groupe témoin sur la fréquence et la sévérité des actes automutilatoires [33]. Entre traitements. Les études comparatives n’ont pas choisi ce critère. Fonctionnement psychosocial et interpersonnel Cinq études rapportent des données concernant le fonctionnement global, les relations interpersonnelles et/ou la qualité de vie (Tableau 4).

1 Il s’agit du nombre de patients à traiter pour observer un événement. Dans ce cas, il faudrait traiter quatre patients avec la TCD pour éviter une tentative de suicide par rapport à des patients traités avec une autre méthode.

Psychothérapies adaptées à la personnalité borderline Contre traitement habituel. La TCD est supérieure au traitement habituel sur les hétéroévaluations, mais pas sur l’autoévaluation [22]. La TBM montre une supériorité par rapport au traitement habituel [4,5]. La SERP montre une différence transitoire face au traitement habituel [11]. Entre traitements. La TCT et la TCD n’ont pas montré de différence significative face à la psychothérapie de soutien [11]. Sur des échelles de qualité de vie, la TOS a montré une supériorité face à la TCT [15]. Personnalité Trois études rapportent des données en rapport avec l’intensité symptomatique du TPL. Contre traitement habituel. La TCC a montré une supériorité face au traitement habituel sur l’amélioration des schémas cognitifs à deux ans [12]. La TBM montre une supériorité à huit ans sur le traitement habituel [5]. Enfin la SERP a montré une supériorité à 20 semaines, sans que cela soit confirmé à un an [8]. Entre traitements. La TOS a montré une efficacité supérieure à la TCT, qui est néanmoins associée à une amélioration, dans l’intensité symptomatique du TPL [15].

Discussion Nos résultats récents confirment ceux rapportés dans plusieurs méta-analyses et soulignent les différences d’efficacité des thérapies, en fonction de la sphère symptomatique étudiée [7,17,19]. La TBM paraît une psychothérapie de large spectre agissant sur les quatre composantes choisies, avec une taille d’effet importante. La TCM et la SERP sont les thérapies aux spectres les plus étroits. Concernant les aspects affectifs, la TBM présente l’effet le plus important. Sur les sphères comportementales, hormis la TCT et la TOS qui n’ont pas étudié cet aspect, toutes les psychothérapies ont montré un effet soit sur les automutilations, soit sur les tentatives de suicide. La qualité des études souffre des problèmes habituels en recherche en psychothérapie (individualité des cas, place des facteurs non spécifiques, choix du comparateur, difficulté à maintenir aveugle l’évaluateur, pas d’aveugle du thérapeute et du patient, influence de l’allégeance de l’équipe de recherche et/ou des thérapeutes) [13]. Alors même que l’évolution du trouble est jugée favorable sur les études de cohorte [36,39], ces biais majorent a priori les effets observés. Par ailleurs, les co-occurrences connues avec d’autres troubles cliniques [34—37], comme la dépression ou des troubles anxieux, qui ne sont pas pris en compte dans les études rapportées, limitent la transposition aux situations cliniques où le motif de recours au soin des patients n’est généralement pas la personnalité. La principale limitation pour notre objectif visant à différencier les différences entre les psychothérapies tient au nombre limité d’études les comparant les unes aux autres. Enfin, cet article n’aborde pas les développements actuels des psychothérapies de ce trouble, ne bénéficiant pas encore d’études contrôlées. Notamment, la cognitive analytic therapy [27], les stratégies basées sur l’acceptation [16], la mindfullness therapy, actuellement validée pour la prévention des rechutes et récidives dépressives, ou

S81 d’autres stratégies intégratives proposent des solutions novatrices [25,26].

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