Corrélats cérébraux de la pédophilie : apports de la neurologie et de la neuro-imagerie

Corrélats cérébraux de la pédophilie : apports de la neurologie et de la neuro-imagerie

L’Encéphale (2012) 38, 496—503 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP NEUROPHYSIOLOGIE ...

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L’Encéphale (2012) 38, 496—503

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

NEUROPHYSIOLOGIE

Corrélats cérébraux de la pédophilie : apports de la neurologie et de la neuro-imagerie Pedophilia: Contribution of neurology and neuroimaging techniques V. Fonteille , F. Cazala , V. Moulier , S. Stoléru ∗ Inserm unité 669, 123, rue de Reuilly, 75012 Paris, France Rec ¸u le 16 d´ ecembre 2010 ; accepté le 28 d´ ecembre 2011 Disponible sur Internet le 9 juin 2012

MOTS CLÉS Cerveau ; Pédophilie ; Excitation sexuelle ; Neuro-imagerie

KEYWORDS Brain; Pedophilia; Sexual arousal; Neuroimaging



Résumé La pédophilie, trouble caractérisé par l’attirance sexuelle durable d’un adulte pour les enfants pré-pubères, a suscité des travaux en neurologie et, plus récemment, en imagerie cérébrale. Les études de cas de patients cérébrolésés suggèrent l’implication de régions frontales, temporales et sous-corticales dans ce trouble. Des études en imagerie par résonance magnétique structurale ont retrouvé une diminution de la matière grise dans ces régions, mais leur localisation spécifique varie d’une étude à l’autre. Les travaux en neuro-imagerie fonctionnelle suggèrent un pattern d’activation cortical et sous-cortical analogue chez les patients pédophiles en réponse à des photographies d’enfants et chez les témoins sains en réponse à des photographies d’adultes. Ces travaux sont en revanche discordants concernant les régions qui s’activent davantage chez les patients que chez les témoins en réponse à des images d’enfants. Cette discordance implique de conduire des études complémentaires sur les corrélats cérébraux de la pédophilie. © L’Encéphale, Paris, 2012. Summary Introduction. — Pedophilia is characterized by a persistent sexual interest of an adult for prepubescent children. The development of neuroimaging techniques such as functional Magnetic Resonance Imaging (fMRI) is starting to clarify the cerebral basis of disorders of sexual behavior such as pedophilia, which had been previously suggested by case studies. Objective. — To review structural and functional neuroimaging studies of pedophilia. Method. — An exhaustive consultation of PubMed and Ovid databases was conducted. We obtained 19 articles presented in the present review of the literature. Results. — Case studies have demonstrated various changes of sexual behavior in relation to brain lesions, including the late appearance in adults of a sexual attraction to prepubescent children. In most cases of pedophilia associated with brain lesions, these lesions were located in frontal or in temporal regions. Structural neuroimaging studies have compared pedophiles with healthy subjects and tried to relate pedophilia to anatomical differences between these

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Stoléru).

0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012. doi:10.1016/j.encep.2012.01.003

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two groups. The location of structural changes is inconsistent across studies. Recent functional neuroimaging studies have also attempted to investigate the cerebral correlates of pedophilia. Results suggest that the activation pattern found in pedophiles in response to pictures of prepubescent nude girls or boys is similar to the pattern observed in healthy subjects in response to pictures of adult nude women or men. However, regions that become more activated in patients than in healthy controls in response to the presentation of pictures of children vary across studies. Conclusion. — Studies that have begun to investigate the cerebral correlates of pedophilia demonstrate that it is possible to explore them through neuroimaging techniques. These initial results have to be confirmed by new studies backed with objective measurements of sexual arousal such as phallometry. © L’Encéphale, Paris, 2012.

Introduction La pédophilie, paraphilie caractérisée par l’attirance sexuelle durable d’un adulte pour les enfants pré-pubères [1,2], est un problème de santé publique majeur en raison des conséquences graves des agressions sexuelles sur la santé mentale des enfants, à court et à long terme. Les corrélats cérébraux de la pédophilie sont mal connus. Les premières connaissances proviennent d’études de patients cérébrolésés chez lesquels une attirance sexuelle pour les enfants était apparue tardivement. Depuis une vingtaine d’années, les techniques d’imagerie cérébrale permettent l’exploration anatomique et fonctionnelle du cerveau humain et renouvellent les perspectives de connaissance des bases neurales de ce trouble.

Objectif L’objectif de cette revue est de rapporter les connaissances sur les corrélats cérébraux de la pédophilie à partir d’études de patients présentant des lésions neurologiques et d’études en imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle.

Méthode Nous avons réalisé une recherche sur les bases de données PubMed et Ovid avec pour mot-clé « pédophilie » croisé aux mots-clés : cerveau, neurologie, imagerie par résonance magnétique (IRM) structurale, imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), tomographie par émission de positons (TEP), neuro-imagerie fonctionnelle. À cette recherche s’ajoutent les références citées dans les articles identifiés.

Résultats Cette recherche a identifié 19 articles dont six études neurologiques [3—8], cinq en neuro-imagerie anatomique [9—13], une en électroencéphalographie quantitative [14] et sept en neuro-imagerie fonctionnelle [15—21].

Apports de la neurologie à la connaissance de la pédophilie Von Krafft-Ebing [8] rapporta une étude anatomique du cerveau d’un sujet présentant une pédophilie. Il observa des « changements morbides des lobes frontaux, des premières et deuxièmes circonvolutions temporales et d’une partie des circonvolutions occipitales ». Plus récemment, des manifestations sexuelles, dont certaines peuvent impliquer un comportement de type pédophile [22], ont été observées dans certaines crises d’épilepsie ou suite à des lésions cérébrales [23]. Miller et al. [7] rapportèrent le cas d’un patient hétérosexuel de 34 ans qui se mit à collectionner de la pornographie infantile et à faire des propositions sexuelles à de jeunes enfants, dont sa fille de sept ans. L’autopsie révéla un gliome sous-cortical, allant du tronc cérébral au thalamus, et affectant l’hypothalamus, le mésencéphale ventral et le pont. L’hypersexualité liée à des lésions sous-corticales a été confirmée par des études plus récentes [24,25]. D’autres études indiquent la présence de lésions corticales. Lesniak et al. [4] rapportèrent le cas d’un homme de 60 ans, chez lequel apparurent augmentation de la libido, pédophilie, activités incestueuses avec sa fille, exhibitionnisme, masochisme et sadisme. Ces troubles s’accompagnaient d’une modification globale de la personnalité (instabilité émotionnelle, irritabilité, agressivité). Les tests neuropsychologiques révélèrent des éléments en faveur d’une démence. Les examens montrèrent une tumeur dans le lobule paracentral du lobe frontal droit. Dans l’étude de Burns et Swerdlow [3], une pédophilie apparut chez un patient de 40 ans sans antécédent. Bien que conservant une conscience morale, il était incapable d’inhiber ses pulsions sexuelles. Une volumineuse tumeur déplac ¸ant le cortex orbitofrontal droit et déformant le cortex préfrontal dorsolatéral fut découverte. Après résection de la tumeur, les symptômes pédophiles disparurent. Dix mois plus tard, le patient ayant recommencé à collectionner de la pornographie, un examen IRM révéla une récidive tumorale. Dans l’étude de Mendez et al. [5], une pédophilie d’apparition tardive dirigée vers les garc ¸ons fut observée chez deux patients de plus de 60 ans, l’un souffrant de démence frontotemporale, l’autre de sclérose hippocampique bilatérale. Les examens en TEP au fluorodésoxyglucose (TEP-FDG) montrèrent un hypométabolisme

498 temporal, plus marqué à droite. L’hypométabolisme temporal droit commun aux deux cas suggère l’implication de cette région dans leur trouble sexuel. Ce dysfonctionnement temporal droit a-t-il un rôle causal dans la pédophilie, ou faciliterait-il plutôt l’expression d’une orientation pédophile chez des individus prédisposés ? D’après Klüver et Bucy [26], le cortex temporal exercerait une activité inhibitrice sur le comportement sexuel. Chez ces patients, des tendances pédophiles latentes, antérieures à leurs troubles neurologiques, étaient probables d’après l’anamnèse [5]. Récemment, Mendez et al. [6] ont rapporté huit cas manifestant, pour la première fois à l’âge adulte, des comportements sexuels dirigés vers les enfants. Les diagnostics et les localisations principales des lésions étaient démence frontotemporale (n = 2 ; lésions frontales et temporales droites ; lésions frontales droites), maladie de Parkinson (n = 2 ; ganglions de la base dans un cas ; pas d’anomalie visible en neuro-imagerie dans l’autre), d’Alzheimer (n = 1 ; lésions temporales droites), de Huntington (n = 1 ; ganglions de la base), sclérose hippocampique (n = 1 ; lésions temporales droites) et démence vasculaire (n = 1 ; ganglions de la base). Les lésions cérébrales communes aux patients vont, d’après Mendez et al. [6], dans le sens d’un défaut d’inhibition menant à des comportements sexuels pédophiles.

Neuro-imagerie anatomique et fonctionnelle Neuro-imagerie anatomique À la fin des années 1980, quelques études utilisèrent la tomographie axiale calculée par ordinateur (CT scan) pour identifier des anomalies cérébrales chez les auteurs d’agressions sexuelles sur enfants. Ces études suggérèrent une implication des régions frontales et temporales, mais étaient limitées par la résolution spatiale des scanners et par de forts biais méthodologiques [10,13]. L’étude de Wright et al. [13] ne comporte pas d’appariement entre patients et témoins et ne constitue pas une réplication indépendante des travaux de Hucker et al. [10], car une partie des sujets est commune aux deux études. Une méthodologie plus rigoureuse couplée à une technique d’imagerie plus moderne — l’IRM structurale — fut appliquée dans trois récentes études [9,11,12]. Les techniques d’analyse utilisées étaient la morphométrie basée sur les voxels (voxel-based morphometry [VBM]) ou la volumétrie. La VBM utilise la cartographie statistique paramétrique (Statistical Parametric Mapping ou SPM) et compare les densités de matière grise voxel par voxel dans le groupe sur lequel est centrée l’étude et dans un groupe témoin. La volumétrie consiste à dessiner des régions cérébrales d’intérêt à partir des images d’IRM structurale ou de CT scan et à calculer ensuite le volume de ces régions. Schiltz et al. [12] comparèrent 15 hommes présentant une pédophilie (six attirés par les fillettes, trois par les garc ¸ons et six par les fillettes et les garc ¸ons) à 15 témoins sains (orientation sexuelle non précisée). Les analyses en volumétrie et en VBM montrèrent un volume de matière grise inférieur dans l’amygdale droite chez les patients (Fig. 1, coupe coronale passant par la coordonnée y = 3 mm).

V. Fonteille et al. L’analyse en VBM montra également un volume de matière grise inférieur dans la région septale droite (Fig. 1, y = 3), le noyau du lit de la strie terminale (y = 3), l’hypothalamus (y = −7 et y = 3) et la substantia innominata (y = 3). Les auteurs conclurent que les patients présentaient des altérations structurales de régions cérébrales jouant un rôle critique dans le développement sexuel. Comme la réduction du volume amygdalien droit n’était pas corrélée à l’avancement en âge, elle ne paraissait pas résulter d’une atrophie ou d’une dégénérescence, mais reflèterait un trouble développemental cérébral. Ces résultats étayent l’hypothèse étiologique neurodéveloppementale et rejoignent les travaux rapportant une prévalence anormalement élevée de traumatismes crâniens avant l’âge de 13 ans chez des pédophiles [24,27]. Schiffer et al. [11] étudièrent en VBM 18 patients (neuf attirés par les fillettes et neuf par les garc ¸ons) appariés en âge à 24 témoins sains (12 hétérosexuels et 12 homosexuels, sans antécédents criminels). Les patients présentaient un volume de matière grise inférieur dans plusieurs régions corticales : (i) de manière bilatérale : partie postérieure du cortex orbitofrontal (Fig. 1, y = 23), gyrus cingulaire postérieur (y = −27 et y = −37), insula (y = −7 et y = 3), précuneus (y = −77), gyrus parahippocampique (y = −27 et y = −37), gyrus temporal supérieur (y = −27 et y = −47) et (ii) à droite : gyrus temporal moyen (y = 13). Un volume de matière grise inférieur fut aussi observé, de manière bilatérale, dans le cervelet (y = −67 et y = −47) et le putamen (y = 3). La diminution bilatérale du volume de matière grise dans la partie postérieure et médiale des gyri orbitofrontaux (y = 23) et dans le putamen (y = 3) était corrélée au score à l’échelle d’obsession du MMPI-2. La diminution du volume de matière grise dans le gyrus frontal médial bilatéral (non montré sur la figure) et dans le gyrus rectus droit (y = 23) était corrélée au score à l’échelle de dépression. Les auteurs suggérèrent que ces anomalies du circuit fronto-striatal n’étaient pas spécifiques de la pédophilie, puisqu’elles sont également impliquées dans d’autres troubles tels que les comportements compulsifs. Toutefois, notons le moindre volume de matière grise dans plusieurs régions temporales et frontales, particulièrement mises en exergue dans les études lésionnelles [3,26,28]. Ces résultats [11,12] n’ont pas été confirmés par Cantor et al. [9]. Ces derniers estimèrent que les travaux précédents n’identifiaient pas les corrélats neuroanatomiques de la pédophilie, mais ceux de la criminalité en général, car les patients étaient comparés à des témoins sans antécédent criminel. Cantor et al. [9] comparèrent les IRM structurales de 44 patients (90,9 % avec antécédents d’agressions sexuelles contre des fillettes et 31,8 % contre des garc ¸ons) à celles de 53 agresseurs non sexuels. Ils n’observèrent pas de différence volumétrique concernant la matière grise, mais montrèrent chez les patients un volume de matière blanche inférieur dans le lobe temporal, de manière bilatérale, et dans le lobe pariétal droit [9]. Ces patients présentaient également un volume de matière blanche inférieur dans le corps calleux. L’analyse en VBM indiqua que ces régions suivaient le trajet de deux faisceaux majeurs : (i) le faisceau frontooccipital supérieur, qui s’étend du pôle occipital vers le gyrus frontal moyen, l’opercule frontal et la partie operculaire du gyrus frontal inférieur et (ii) le faisceau arqué droit, qui s’étend de l’opercule pariétal à l’opercule temporal. Ces

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Figure 1 Modifications structurales et fonctionnelles observées chez des patients pédophiles comparés à des témoins sains. Les formes géométriques sont centrées sur les coordonnées des maxima des foyers de modifications trouvés lors des analyses. Les résultats sont projetés sur des coupes coronales d’une IRM pondérée en T1 [cerveau ch2, fourni par le logiciel MRIcro (http://www.mricro.com)]. Le chiffre au-dessus de chaque coupe correspond à sa coordonnée y. La coordonnée y, définie dans l’espace stéréotaxique du Montreal Neurological Institute (MNI, Canada), est la distance sur l’axe antéropostérieur entre la commissure antérieure et la coupe (y > 0 : coupe devant la commissure ; < 0 : derrière la commissure).

résultats reflèteraient une déconnexion entre des réseaux fonctionnels cérébraux dans la pédophilie. Cependant, le groupe témoin présentait plus de problèmes d’alcoolisme que le groupe des patients. Or, la dépendance alcoolique est elle-même associée à des diminutions de volume de matière grise et de matière blanche [29].

Neuro-imagerie fonctionnelle Une étude en électroencéphalographie (EEG) quantitative [14] montra, chez des patients exclusivement attirés par les enfants, une augmentation de la puissance des fréquences delta, thêta et alpha lors de tâches verbales ainsi

500 qu’une diminution de la cohérence interhémisphérique lors de tâches langagières sollicitant l’hémisphère dominant. La première étude en TEP compara 12 patients pédophiles à dix patients de radiologie sans anomalies cérébrales (sept hommes et trois femmes) et à dix témoins sains [17]. Chez les patients pédophiles, elle révéla un flux sanguin cérébral globalement diminué au niveau des régions grises du cerveau, et cela quelle que soit la localisation du capteur sur le crâne. Néanmoins, cette étude était limitée par le caractère peu élaboré de la méthodologie et de la technique utilisée. Cohen et al. [15] utilisèrent la TEP au fluorodésoxyglucose marqué et comparèrent sept patients à sept témoins sains. Lors de la condition neutre, qui consistait en une lecture de mots du dictionnaire, les patients présentèrent une diminution non significative du métabolisme dans le cortex temporal inférieur droit et dans la partie ventrale du gyrus frontal supérieur droit. Cependant, lors de la condition neutre les patients présentaient une érection partielle, non observée chez les témoins : ils n’étaient donc pas à proprement parler dans un état neutre. La première étude en IRMf [16] rapporta les réponses cérébrales d’un patient attiré par les garc ¸ons à la présentation de photographies de femmes adultes en maillot de bain ou en sous-vêtements, de garc ¸ons en maillot de bain ou en sous-vêtements, et d’images non figuratives. Comparé à deux témoins sains hétérosexuels, il présentait, en réponse aux photos de garc ¸ons, une activation du cortex orbitofrontal droit, du gyrus cingulaire antérieur et des ganglions de la base. Cependant, les analyses effectuées, les seuils de significativité statistique et les coordonnées des clusters activés ne sont pas spécifiés. Walter et al. [21] comparèrent les réponses cérébrales de 13 patients exclusivement attirés par les enfants à celles de 14 témoins sains à la présentation de photographies érotiques de femmes, de photographies émotionnelles non sexuelles (condition émotionnelle) et de photographies neutres, toutes issues de l’International Affective Picture System (IAPS) [30]. En condition érotique [contraste statistique : (Érotique—Émotionnel)témoins —(Érotique—Émotionnel)pédophiles ], les patients présentaient une plus faible activité dans l’hypothalamus (Fig. 1, y = −7), la substance grise périaqueducale (y = −27), le gyrus temporal moyen droit (y = −47), le cortex occipital droit (y = −77), l’insula gauche (y = 13) et le cortex préfrontal dorsolatéral gauche (y = 43). Cette étude est cependant limitée par l’absence de stimuli sexuellement excitants pour les patients. Elle ne permet pas de conclure que les moindres activations observées chez ces patients leur sont spécifiques. Une moindre activation dans l’hypothalamus en réponse à la présentation de photographies érotiques de femmes adultes a d’ailleurs été retrouvée chez des sujets homosexuels comparés à des sujets hétérosexuels [31]. Schiffer et al. [19] étudièrent, en IRMf, 11 patients attirés par les garc ¸ons, appariés en âge, latéralité et statut socio-économique à 12 témoins sains homosexuels. La condition sexuellement stimulante consistait en la présentation de photographies de garc ¸ons ou d’hommes nus, tandis que la condition contrôle utilisait des photographies de garc ¸ons et d’hommes habillés. En réponse aux photographies de garc ¸ons nus (contraste statistique :

V. Fonteille et al. Garc ¸ons Nus—Garc ¸ons Habillés), les patients présentaient, de manière bilatérale, une activation du gyrus frontal moyen (Fig. 1, y = 13 et y = 33), du gyrus cingulaire antérieur (y = 13 et y = 33), des gyri temporaux supérieurs (à droite, y = 13 ; à gauche, y = 23) et moyens (à gauche, y = −67 ; à droite, y = 3), du gyrus occipital moyen (y = −87) et, dans l’hémisphère droit, une activation des gyri frontaux inférieurs (y = 23, y = 33 et y = 43), du gyrus fusiforme (y = −47), du precuneus (y = −47), du lobule pariétal supérieur (y = −57) et du gyrus postcentral (y = −27). Toutefois, en réponse aux images d’enfants, seules deux régions cérébrales s’activèrent davantage chez les patients que chez les témoins : de manière bilatérale, le cortex cingulaire antérieur et, du côté droit, le cortex préfrontal ventromédial. La seule région qui, en réponse aux photographies d’hommes nus, s’activa plus fortement chez les témoins fut le noyau caudé (Fig. 1, contraste : [(Hommes Nus—Hommes Habillés)témoins —(Hommes Nus—Hommes Habillés)pédophiles ] ; y = 13 et y = 23 [19]. En réponse à leurs stimuli préférés respectifs (garc ¸ons pour les patients ; hommes pour les témoins), les patients présentaient une activité supérieure dans le gyrus fusiforme gauche et le cortex préfrontal dorsolatéral gauche. Cependant, les cotations de l’excitation sexuelle perc ¸ue par les patients en réponse aux stimuli « Garc ¸ons Nus » étaient plus élevées que celles des témoins en réponse aux photographies d’hommes nus. Cette différence pourrait contribuer à expliquer les activations plus élevées observées chez les patients. Dans une seconde étude, Schiffer et al. [20] comparèrent huit patients attirés par les fillettes à 12 témoins sains hétérosexuels. Le paradigme expérimental était identique à l’étude précédente [19], à l’exception du genre des personnages présentés. En réponse aux photographies de fillettes nues (contraste statistique : Fillettes Nues—Fillettes Habillées), les patients présentaient : (i) une activation bilatérale du cortex préfrontal dorsolatéral (Fig. 1, y = 23 et y = 33), des gyri parahippocampiques (y = −37 et y = −47), temporaux inférieurs (y = −47 et y = −57), occipitaux inférieurs (y = −77 et y = −87), temporaux moyens (y = −57, y = −67 ; y = −77) et occipitaux moyens (y = −67, y = −77 et y = −87) ; (ii) une activation à droite du cortex frontopolaire (y = 57), de l’insula (y = 23), du gyrus précentral (y = 13), du precuneus (y = −77), du cortex pariétal supérieur (y = −57) ; (iii) une activation à gauche du gyrus cingulaire antérieur (y = 3), du gyrus fusiforme (y = −67) et du lobule pariétal inférieur (y = −47). Toutefois, en réponse aux images d’enfants seules trois régions s’activèrent davantage chez les patients : de manière bilatérale, l’hippocampe et le gyrus fusiforme et, du côté droit, un noyau thalamique, le pulvinar. Les régions qui s’activèrent plus fortement chez les témoins en réponse aux photographies de femmes nues [contraste : (Femmes Nues—Femmes Habillées)témoins —(Femmes Nues—Femmes Habillées)pédophiles ] furent le cortex cingulaire antérieur droit et gauche (Fig. 1, y = 13, y = 23, y = 33), le cortex cingulaire postérieur gauche (y = −57), le gyrus temporal supérieur droit et gauche (y = −7 et y = 13), le cunéus droit (y = −77), le précunéus gauche (y = −57 et y = −67), le gyrus lingual gauche (y = −67) et le gyrus fusiforme droit (y = −77) [20]. En réponse à leurs stimuli préférés respectifs, les patients se distinguaient des témoins par une activation plus élevée dans le cortex préfrontal dorsolatéral droit (aire de

Corrélats cérébraux de la pédophilie Brodmann [AB] 46). Inversement, les témoins présentaient une activation plus élevée dans le cortex orbitofrontal latéral gauche et droit (AB 47), le cortex préfrontal frontopolaire droit (AB 10), le cortex cingulaire antérieur bilatéral (AB 24, AB 32), le cortex prémoteur bilatéral (AB 6) et le lobule paracentral gauche (AB 37). De fac ¸on concordante, dans ces deux études [19,20] le cortex préfrontal dorsolatéral était plus activé lors de l’excitation sexuelle chez les patients comparés aux témoins, mais l’activation était latéralisée à droite pour les patients attirés par les fillettes et à gauche pour les patients attirés par les garc ¸ons. Les patterns d’activation cérébrale mis en évidence par les contrastes « Enfants Nus—Enfants Habillés » différaient entre les patients attirés par les fillettes et ceux attirés par les garc ¸ons (Fig. 1). Les régions cérébrales activées de fac ¸on commune pour ces deux groupes étaient : (i) le gyrus fusiforme : AB 37 gauche pour les patients attirés par les fillettes (Fig. 1, y = −37 et y = −57) et AB 37 droite pour les patients attirés par les garc ¸ons (Fig. 1, y = −47) ; (ii) le gyrus temporal moyen (AB 39 ; bilatéral pour les patients attirés par les fillettes et gauche pour les patients attirés par les garc ¸ons) (Fig. 1, y = −67 et y = −77 pour les patients attirés par les filles ; y = −67 pour les patients attirés par les garc ¸ons) ; (iii) le lobule pariétal supérieur droit (AB 7) (Fig. 1, y = −57, où les symboles des deux groupes de patients sont superposés) ; (iv) le gyrus occipital moyen bilatéral (AB 19) (Fig. 1, y = −67, y = −77 et y = −87 pour les patients attirés par les fillettes ; y = −77 et y = −87 pour ceux attirés par les garc ¸ons) et (v) la substance noire (y = −17). Poeppl et al. [32] comparèrent neuf patients (sept attirés par les garc ¸ons, deux par les fillettes) à 11 auteurs d’agressions non sexuelles (témoins hétérosexuels). Au cours de l’IRMf furent présentées des photographies d’individus nus (des deux sexes) se distinguant selon trois catégories d’âge (enfants pré-pubères, enfants pubescents, adultes) et des stimuli neutres. Pour le contraste « Enfants pré-pubères—Neutre », les patients présentaient une activation plus élevée dans le gyrus temporal moyen droit (Fig. 1, y = −37), le gyrus cingulaire postérieur droit (y = −37), le thalamus gauche (y = −17), l’hippocampe droit (y = −17) et la partie droite du cervelet (y = −47). Pour le contraste « Adultes—Neutre », les témoins présentaient une activation plus élevée dans l’insula droite (y = 13). Sartorius et al. [18] comparèrent dix patients attirés par les garc ¸ons à dix témoins sains hétérosexuels. Des images de garc ¸ons, de fillettes, d’hommes et de femmes, tous vêtus de maillot de bain ou de sousvêtements, furent présentées de fac ¸on brève (une seconde). Sartorius et al. [18] réalisèrent des analyses portant uniquement sur l’amygdale. Ils montrèrent une activation amygdalienne plus forte chez les patients lors de la présentation de stimuli « enfants » [contraste : (Garc ¸ons—formes géométriques)pédophiles —(Garc ¸ons—formes géométriques)témoins ; (Fig. 1, y = −7 et y = 3)].

Discussion Dans la littérature, on dénombre seulement 45 cas de patients chez qui l’apparition d’un comportement sexuel dirigé vers les enfants coïncide chronologiquement avec

501 la survenue d’une affection neurologique [3—8]. Cependant, ce chiffre faible peut être trompeur car on ignore le nombre des cas non publiés et des cas non diagnostiqués parce que non explorés neurologiquement. La description des cas publiés ne permet pas toujours de déterminer s’ils remplissent l’ensemble des critères diagnostiques de pédophilie. Les localisations des lésions les plus fréquemment observées sont frontales et temporales, en particulier du côté droit, ainsi que les ganglions de la base. L’apparition du comportement hypersexuel pourrait provenir d’une désinhibition sous l’effet des lésions frontales — normalement inhibitrices — et cette hypersexualité revêtirait, chez des individus prédisposés, une forme pédophile [6]. Un mécanisme similaire pourrait opérer en cas de lésions temporales. En effet, l’ablation bilatérale des lobes temporaux provoque un comportement hypersexuel chez l’homme et les primates non humains, avec parfois apparition de comportements dirigés vers des enfants [26]. Les études en IRM structurale ne sont pas concordantes (Fig. 1). Il n’y a aucune région pour laquelle les trois études s’accordent à montrer une anomalie. Les études en IRMf indiquent que de nombreuses régions qui s’activent chez les patients en réponse à la présentation d’images d’enfants (contraste Enfants nus—Enfants habillés) ont aussi été trouvées activées chez les sujets sains en réponse à la présentation d’images d’adultes : cortex occipito-temporal, pariétal, orbitofrontal, frontal médial, cingulaire, insula, thalamus, amygdale, noyaux gris centraux. Une grande partie de ces activations, à l’exception du cortex préfrontal dorsolatéral, se produit dans des régions formant la base d’un modèle théorique neurophénoménologique du désir sexuel [33,34]. Ce modèle comprend quatre composantes (cognitive, motivationnelle, émotionnelle et physiologique) associées à l’activation d’un ensemble de régions cérébrales, tandis que des processus inhibiteurs contrôlent ces mécanismes activateurs. La composante cognitive comprend un processus d’évaluation au cours duquel un stimulus est catégorisé comme sexuel et évalué quantitativement comme tel. Ce processus serait associé à une activation du cortex orbitofrontal latéral droit. Partant de ce modèle, Schiffer et al. [20] interprètent le défaut d’activation orbitofrontale chez les patients pédophiles hétérosexuels en réponse à des photographies de fillettes comme une dysfonction de la composante cognitive. Soulignons cependant que même les études chez les sujets sains ne sont pas toujours concordantes, ce qui complique l’interprétation des résultats obtenus chez les patients. Par ailleurs, l’hypothèse d’un défaut d’inhibition chez les patients pédophiles est suggérée par l’hypométabolisme temporal droit observé chez plusieurs patients [5,6]. Or, le modèle cité [33,34] comprend un mécanisme d’inhibition tonique exercé par les régions temporales latérales et orbitofrontales médiale et latérale gauche, inhibition devant être levée pour qu’un état d’excitation sexuelle apparaisse. L’apparition d’une attirance sexuelle pour les enfants chez des patients porteurs de lésions orbitofrontales médiales [3] ou temporales [5] est cohérente avec ce modèle. De même, les niveaux d’activité du cortex orbitofrontal médial (AB 11), orbitofrontal latéral gauche (AB 47) et préfrontal dorsolatéral bilatéral (AB 9) sont corrélés négativement au score obtenu à la sous-échelle « Agression sexuelle d’enfants » du MSI [35]. Ainsi, plus les sujets avaient commis d’agressions

502 sexuelles sur enfants, moins leur activité cérébrale dans ces trois régions était élevée, ce qui pourrait correspondre à un défaut d’activité inhibitrice. Les résultats concernant les régions qui s’activent davantage chez les patients que chez les témoins [contraste (Enfants nus—enfants habillés)patients —(Enfants nus—enfants habillés)témoins ] sont discordants d’une étude à l’autre [18—20,32], même lorsque l’on compare, avec le même protocole, les patients attirés par les enfants de sexe féminin et ceux qui sont attirés par les enfants de sexe masculin. Remarquons cependant que plusieurs études montrent, en réponse à des photos d’enfants, une activation plus élevée dans l’hippocampe chez les patients que chez les témoins [20,32]. Enfin, il n’y a guère de cohérence entre les résultats des études neuro-anatomiques et fonctionnelles. La diminution du volume de matière grise dans certaines régions [11,12] ne coïncide pas dans la plupart des cas avec l’observation d’une moindre activation dans ces régions. Cependant, la réduction du volume de matière grise dans le lobe temporal droit [11] coïncide avec la réduction de la réponse temporale droite des patients à des images de femmes adultes [21].

Conclusion Un nombre croissant d’études aborde la pédophilie sous l’angle de ses corrélats cérébraux et démontre la possibilité d’étudier ces corrélats grâce aux techniques d’imagerie cérébrale. Ces études sont néanmoins discordantes dans une large mesure. Les discordances soulignent la nécessité de poursuivre ces travaux de neuro-imagerie fonctionnelle en recueillant de manière détaillée les réactions subjectives des sujets à la présentation des stimuli et en enregistrant des indices objectifs de l’excitation sexuelle, tels que la réponse érectile [33].

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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