La Revue de médecine interne 34 (2013) 279–283
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Mise au point
Corticothérapie systémique : les mesures d’accompagnement Systemic glucocorticoid therapy: Associated measures L. Sailler ∗ , G. Pugnet , P. Arlet Service de médecine interne, université de Toulouse, CHU Purpan, pavillon Sénac, 31059 Toulouse cedex 09, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 10 janvier 2013 Mots clés : Glucocorticoïdes Effets indésirables Prévention Myopathie Mesures adjuvantes
r é s u m é La corticothérapie générale prolongée est à l’origine de nombreux effets indésirables. Si la prévention de l’ostéoporose fait l’objet de recommandations officielles, la prévention des autres effets indésirables n’est pas toujours bien codifiée. Faute d’études interventionnelles, elles relèvent de consensus de cliniciens ou parfois de la simple habitude. Un régime peu calorique et pauvre en hydrate de carbones et la pratique régulière d’une activité physique adaptée paraissent indispensables pour limiter la prise de poids, la lipodystrophie et le risque de diabète. Le soutien régulier par une diététicienne ou un nutritionniste peut être très utile. L’activité physique est aussi destinée à limiter la myopathie cortisonique, dont la prévention est souvent négligée, et à réduire le risque vasculaire. Le régime sans sel n’a aucun effet sur la lipodystrophie et son intérêt pour prévenir l’hypertension artérielle (HTA) n’est pas démontré. Une benzodiazépine est souvent utile et efficace lorsque les symptômes neuropsychiques (anxiété, insomnie, nervosité, hyperactivité, etc.) sont trop gênants. Les corticoïdes n’étant pas ulcérogènes, la prescription de protecteurs gastriques et d’antiulcéreux n’est généralement pas indiquée. Les patients développant une hypokaliémie sont rares. Nous préférons contrôler la kaliémie à un et trois mois de traitement à la prescription systématique de potassium. La corticothérapie est aussi associée à un risque d’événements cardiovasculaires accru. En l’absence d’étude sur le rapport bénéfice–risque, le seuil d’intervention pour la prescription d’une statine est celui recommandé pour la population générale. L’impact de ces médicaments chez les patients traités par corticoïdes n’est pas connu. Aucune mesure ne permet de prévenir l’atrophie cutanée ; en revanche il est fortement recommandé de ne pas utiliser d’adhésifs sur les peaux les plus fragiles, des décollements cutanés importants pouvant survenir. La prévention des infections fait l’objet d’une autre mise au point. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Glucocorticoids Adverse events Prevention Associated measures
Long-term treatment with glucocorticoids results in many adverse effects. Prevention of osteoporosis is well codified, but prevention of other adverse effects is not. If there is some consensus on the prevention of glucocorticoid-induced adverse events, there are also many habits since interventional studies are lacking. A low caloric and low carbohydrate diet as well as a regular physical training are certainly necessary to avoid lipodystrophy, weight gain and diabetes mellitus. Some patients benefit from the repeated intervention of a dietetic or nutrition specialist. Physical training is often neglected though it is efficacious to limit severity of glucocorticoid-induced myopathy and probably to reduce vascular risk. Low sodium intake has no effect on lipodystrophy and its efficacy to prevent hypertension is doubtful. Benzodiazepines may be useful against anxiety, insomnia and nervousness when these symptoms are cumbersome. Anti-ulcer drugs are generally not indicated because glucocorticoids are not ulcerogenic. Hypokaliemia rarely occurs, so we prefer controlling serum potassium level 1 and 3 months after glucocorticoid initiation rather than systematically prescribe potassium supplementation. Patients on glucocorticoids are
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Sailler). 0248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.12.003
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at increased risk for cardiovascular events. Due to the lack of studies specific to patients on long-term glucocorticoid therapy, the rules for the prescription of statins are the same as in the general population. There is no known prevention for cutaneous atrophy. However, use of adhesive tape should be strictly avoided when skin atrophy is severe. Prevention of infections is developed elsewhere. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
La corticothérapie prolongée est responsable d’un « syndrome de Cushing iatrogène ». Les composantes de ce syndrome sont bien connues et apparaissent plus ou moins rapidement sous glucocorticoïdes. Dès les premiers jours de la corticothérapie apparaissent le déséquilibre glycémique et les troubles neuropsychiatriques dominés par l’irritabilité et l’insomnie ; l’imprégnation chronique conduit à la prise de poids (souvent avec polyphagie) et à la répartition facio-tronculaire des graisses, expression la plus visible de la lipodystrophie induite par les glucocorticoïdes. Plus tardivement apparaissent l’HTA, la myopathie, la fragilité osseuse et la fragilité cutanée. Le diabète peut également apparaître de fac¸on retardée. À moyen et long termes, l’exposition aux glucocorticoïdes est associée à une morbidité cardiovasculaire accrue. Des mesures d’accompagnement de la corticothérapie sont donc indispensables afin de prévenir ces effets indésirables. L’effort doit porter avant tout sur les mesures hygiénodiététiques afin de limiter le recours à la médication chez des patients aux ordonnances souvent chargées. Dans la plupart des cas, le rapport bénéfice–risque des moyens médicamenteux n’a d’ailleurs pas été évalué. Dans cet article, nous ne traiterons pas de la prévention de l’ostéoporose, ni de celles de l’insuffisance surrénalienne ou du risque infectieux abordées dans d’autres sections de ce numéro spécial. 1. Prise de poids et lipodystrophie La prise de poids au profit de la masse grasse et la lipodystrophie font partie des plaintes les plus constantes chez les patients suivant une corticothérapie prolongée [1,2]. La crainte de leur survenue est souvent exprimée par les patients en raison de leur impact esthétique, notamment chez les femmes jeunes. Les caractéristiques de la lipodystrophie et ses relations avec le risque cardiovasculaire ont été décrites par Fardet et al. [2–5]. Ainsi, les patients britanniques développant un syndrome de Cushing cortico-induit (dont la lipodystrophie est l’élément clinique le plus apparent) ont un risque d’événements cardiovasculaires toutes causes confondues multiplié par 4,16, de maladie coronarienne multiplié par 2,27, d’insuffisance cardiaque multiplié par 3,77 ; d’accident vasculaire ischémique multiplié par 2,27 après ajustement sur les autres facteurs de risque cardiovasculaire [5]. La connaissance des facteurs de risque de lipodystrophie est encore limitée. Il existe incontestablement un effet dose des glucocorticoïdes, mais également une forte variabilité individuelle dont tous les déterminants n’ont pas encore été décrits. Dans une étude prospective incluant 80 patients, un âge inférieur à 50 ou 60 ans, le genre féminin et un apport calorique quotidien supérieur à 30 kcal/kg étaient des facteurs de risque indépendants importants de lipodystrophie [4,6]. En revanche, les rations glucidiques, lipidiques ou protidiques ne paraissaient pas jouer un rôle significatif. Toutefois, cette étude ne différenciait pas les sucres lents des sucres rapides et ne prenait pas en compte l’activité physique des patients (cf. infra). D’autres facteurs sont associés au développement de la lipodystrophie : une clairance de la prednisolone plus faible [7–9], un indice de masse corporelle plus élevé au diagnostic et la dose cumulée de corticoïdes [4]. On notera que si prise de poids et lipodystrophie sont souvent associées, la lipodystrophie peut s’installer sans prise de poids chez un tiers des patients. À ce jour, aucune étude interventionnelle n’a
été réalisée afin de déterminer si la restriction en sucres, lents ou rapides, permet de diminuer l’aspect lipodystrophique. Dans notre pratique, nous recommandons la restriction en sucres rapides, dont on peut attendre aussi à un bénéfice sur l’équilibre glycémique. En revanche, contrairement à une idée fréquemment exprimée par les patients, la restriction sodée n’a pas d’effet attendu sur l’aspect cushingoïde : on voit d’ailleurs mal par quelle alchimie le sodium serait transformé en lipides, ou comment le secteur interstitiel échapperait aux lois universelles de la gravitation. En pratique, il convient donc d’être particulièrement vigilant sur l’évolution du poids chez les patients, surtout s’ils sont jeunes et de sexe féminin. L’accompagnement régulier par une diététicienne, voire un nutritionniste dans les cas difficiles, est dans notre expérience une aide précieuse pour prévenir la prise de poids. Malgré l’absence de preuve d’efficacité, nous maintenons la restriction en sucres rapides tant que les patients restent au-dessus de 5 mg/j de prednisone, même si une négociation apparaît souvent entre 7,5 et 10 mg/j. 2. Myopathie cortisonique La faiblesse musculaire et la fatigabilité sont des plaintes fréquentes chez les patients recevant une corticothérapie générale prolongée. Elles sont perc¸ues par 15 % des patients recevant une corticothérapie initialement fortement dosée [2]. Ces symptômes résultent généralement des effets combinés de la myopathie cortisonique et de la désadaptation à l’effort liée à la maladie. Il peut s’agir aussi des manifestations d’une hypokaliémie. L’impact de ces manifestations sur la qualité de vie ou la survenue d’événements indésirables graves n’a pas été mesuré. Les conséquences prévisibles de la myopathie cortisonique sont l’aggravation de l’ostéoporose cortisonique et du risque vasculaire du fait de la réduction de l’activité physique, le risque de chute chez le sujet âgé, le repliement social, etc. Les mécanismes de la toxicité musculaire des glucocorticoïdes sont complexes et ont fait l’objet d’une mise au point récente [10]. Il existe une myopathie aiguë qui apparaît dès les premiers jours d’exposition à une corticothérapie fortement dosée. Cette forme est rare et ses mécanismes mal connus. La forme la plus commune résulte d’un catabolisme accru et d’un anabolisme diminué qui se traduisent par une atrophie musculaire proximale, une faiblesse et une fatigabilité. Au plan histologique, on note une raréfaction des fibres musculaires de type II et une diminution du contenu myofibrillaire. La protéolyse musculaire serait largement médiée par le système ubiquitine–protéasome. La diminution de l’anabolisme musculaire serait dépendante d’une sécrétion diminuée d’IGF1 et accrue de myostatine [10]. L’activité physique régulière a fait la preuve de son efficacité pour améliorer les performances physiques des patients traités au long cours par glucocorticoïdes [11–16]. Aucun médicament n’est indiqué afin de prévenir ou corriger la myopathie cortisonique et aucune mesure diététique n’est spécifiquement recommandée. La prise de créatine a des effets modestes chez les patients atteints de myopathie pratiquant un programme d’activité physique standardisé et ses risques sont mal connus [17]. L’exercice physique peut être conduit en endurance et en résistance [16] et doit bien sûr être individualisé et adapté aux capacités et comorbidités du patient. Cet exercice régulier s’accompagne d’une augmentation de la masse maigre, une diminution de la
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masse grasse, une amélioration de la capacité à l’effort (VO2 max) et des modifications histologiques et métaboliques importantes. Ainsi, chez des patients souffrant de myosite, un programme d’entraînement en résistance sur sept semaines s’accompagnait d’une amélioration de la force musculaire, d’une réduction marquée d’expression des gènes pro-inflammatoires et pro-fibrosants et d’une diminution des lésions histologiques de fibrose, ainsi qu’une adaptation vers un métabolisme musculaire de type oxydatif [15]. Cette activité physique régulière est certainement aussi un élément important de lutte contre l’ostéoporose et le risque cardiovasculaire, mais aucune étude n’a exploré ce point chez les patients traités par corticoïdes. L’effet bénéfique de l’exercice physique régulier sur la lipodystrophie a également été rapporté [12,18]. Curieusement, les médecins paraissent peu au courant ou sont peu convaincus de l’opportunité des mesures de prévention de la myopathie cortisonique. Plus de 70 % d’entre eux ne recommanderaient que rarement la pratique d’une kinésithérapie d’entretien musculaire [19], souvent utile pour entretenir la motivation des patients. L’entretien musculaire ne nécessite d’ailleurs pas forcément l’intervention d’un kinésithérapeute et peut consister en la pratique régulière de la marche, du vélo (d’appartement si nécessaire) ou de la natation, etc., selon les âges ou les goûts.
3. Hypertension artérielle, œdèmes, fibrillation auriculaire et insuffisance cardiaque L’HTA induite par les corticoïdes est « intuitivement » et classiquement volo-dépendante, liée à la rétention hydrosodée provoquée par les glucocorticoïdes [20]. Les travaux les plus récents insistent plutôt sur l’augmentation des résistances vasculaires médiées par des mécanismes beaucoup plus complexes [21]. Il n’y a en fait pas de preuve expérimentale de la responsabilité de la rétention hydrosodée dans l’hypertension induite par les corticoïdes [22]. Les études en population générale chez les patients non exposés aux glucocorticoïdes ont montré que le risque cardiovasculaire était d’autant plus élevé que l’apport de sel est important [23]. Mais les résultats concernant les études interventionnelles dans l’HTA primitive sont surprenants. Ainsi, la restriction sodée induit une diminution de 1 % de la pression sanguine chez les patients normotendus, de 3,5 % chez les hypertendus, mais elle s’accompagne aussi d’une augmentation significative de la réninémie, de l’aldostéronémie et des concentrations d’adrénaline et de noradrénaline, du cholestérol et des triglycérides [24]. Concernant les événements cardiovasculaires, une méta-analyse portant sur plus de 6000 patients ne permet pas de conclure à un effet favorable de la restriction sodée et retrouve même une mortalité accrue chez les patients insuffisants cardiaques [25] ! Aucune donnée d’étude observationnelle ou interventionnelle n’est disponible chez les patients traités par corticoïdes. Dans l’ensemble, les arguments fondés sur les preuves pour imposer une restriction hydrosodée aux patients recevant une corticothérapie en prévention de l’HTA sont donc minces. Certains patients développent par ailleurs des œdèmes en l’absence d’insuffisance cardiaque. Ceux-ci sont habituellement discrets et aisément contrôlés par le port de bas de contention ou de faibles doses de diurétiques. Concernant la supplémentation potassique, aucune donnée de la littérature ne justifie une prescription systématique. Peu de patients développent une hypokaliémie. Lorsque celle-ci apparaît, ses effets néfastes sur le fonctionnement du muscle strié squelettique et cardiaque justifient une supplémentation. En particulier, on peut se demander si la fréquence accrue de fibrillation auriculaire [26,27] observée sous corticoïdes ne serait pas due en partie à une kaliopénie. Des études sont nécessaires pour juger de l’intérêt d’une supplémentation chez les patients normo-kaliémiques. Un dépistage de l’hypokaliémie
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par un ionogramme après un et trois mois de traitement nous paraît adapté. 4. Diabète Le diabète cortico-induit est une complication fréquente. Une étude américaine à estimé le risque relatif d’introduction d’un médicament hypoglycémiant après initiation d’une corticothérapie à 2,23, avec un effet dose évident [28]. Une étude épidémiologique britannique indique un risque accru de diabète (Odds ratio [OR] : 1,36) chez les patients exposés à une corticothérapie générale [29]. Les patients diabétiques recevant une corticothérapie ont aussi des taux d’hémoglobine glyquée plus élevés que les patients diabétiques ne recevant pas de corticoïdes. Les glycémies à jeun sont en revanche comparables. La relation entre cette élévation et la survenue d’événements cardiovasculaires est cependant incertaine [30]. Il est d’usage de recommander aux patients exposés aux glucocorticoïdes d’adapter leur alimentation pour se rapprocher d’un régime de type diabétique. L’impact de cette recommandation en termes d’apparition d’un diabète ou de complications cardiovasculaires est inconnu. Il est vraisemblable que la limitation de la prise de poids et l’exercice physique régulier sont également bénéfiques à l’équilibre glycémique sous corticoïdes. Le seuil d’intervention médicamenteuse ne fait l’objet d’aucun consensus. L’intérêt d’introduire un traitement hypoglycémiant pour restaurer le seul équilibre glycémique vespéral n’est pas évident. Il existe un risque réel d’hypoglycémie, notamment à la décroissance de la corticothérapie. Le contrôle du syndrome inflammatoire par les corticoïdes permet parfois le retour à un équilibre glycémique satisfaisant ! Certains auteurs appliquent les modalités de traitement du diabète de type 2 et recourent largement aux hypoglycémiants oraux tant que les glycémies post-prandiales ou de l’après-midi n’excèdent pas 3 g/L [31]. 5. Crampes La survenue de crampes musculaires n’est pas rare. Il s’agit le plus souvent de crampes en extension dans les doigts. Elle est la traduction de l’hyperexcitabilité neuromusculaire induite par les corticoïdes. Les crampes sont l’occasion de vérifier la kaliémie et la calcémie, généralement normales. Nous incitons les patients à la patience, cet effet indésirable régressant le plus souvent avec la diminution de posologie. 6. Prévention des effets indésirables neuropsychiatriques L’insomnie est un symptôme pénible pour de nombreux patients. Elle est habituellement facilement combattue par une prescription de benzodiazépines aussi restreinte en dose et en durée que possible. L’excitation psychomotrice pose un problème plus délicat car elle fait redouter le passage à un état maniaque. La prescription de benzodiazépines, et un avis psychiatrique dans les cas les plus sévères, s’impose. En cas d’antécédent de psychose ou de dépression grave psychiatrique, le patient est informé de la possibilité de rechute et peut être orienté vers un psychiatre pour avis sur l’opportunité d’une prescription en prévention. L’entourage doit aussi être informé de ce type d’effet indésirable afin qu’il puisse alerter le médecin généraliste rapidement. Un antécédent de psychose cortisonique ne contre-indique pas de fac¸on formelle une nouvelle prescription en cas de nécessité, mais une surveillance renforcée est alors nécessaire. Enfin, l’humeur dépressive et le risque suicidaire sont aussi plus fréquents chez les patients exposés aux corticoïdes. Le rôle du médicament et celui du retentissement psychique et social de la maladie sur la survenue de ces symptômes sont difficiles à différencier.
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7. Protection gastrique L’idée que les corticoïdes sont ulcérogènes paraît assez largement répandue comme en témoigne la pratique fréquente de prescription d’un antiulcéreux en prévention primaire. Aux États-Unis, cette prescription concerne 7,6 % des patients mais augmente avec l’âge du patient et le nombre de comorbidités, pour atteindre jusqu’à 20 % des patients au-delà de cinq comorbidités [32]. Elle augmente aussi chez les patients recevant plus de 40 mg/j d’équivalent prednisone. Des arguments expérimentaux chez l’animal, le risque accru d’ulcère sous corticoïdes chez les patients recevant des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les résultats d’une première méta-analyse [33] peut-être mal interprétée ont conduit à répandre largement cette idée. En fait, une méta-analyse ultérieure des effets indésirables observés dans les études évaluant une corticothérapie systémique a conclu à l’absence de sur-risque d’ulcère gastroduodénal chez les patients sous corticoïdes [34]. Mais une étude menée chez des patients atteints de maladies systémiques variées a ensuite réalimenté le doute en mettant en évidence une prévalence de 20 % de l’ulcère gastrique ou duodénal par la réalisation d’une endoscopie systématique. Dans cette étude, le risque d’ulcère était accru chez les patients âgés de plus de 60 ans (OR : 6,8), les fumeurs (OR : 7,9) et ceux utilisant un AINS non sélectif (OR : 4,7) [35]. On peut néanmoins penser que cette étude présentait un biais de recrutement, les patients souffrant de douleurs épigastriques, symptômes dyspeptiques ou autres étant sans aucun doute plus enclins à participer que les patients asymptomatiques. Aucune information sur les caractéristiques des patients ayant refusé de participer ne figure d’ailleurs dans l’article. L’absence de lien entre exposition aux corticoïdes et ulcère gastrodudodénal a été confirmée par deux études récentes en population [36,37]. Rappelons la recommandation de la Haute Autorité de santé sur la prescription des inhibiteurs de la pompe à proton : pas de prévention primaire chez les patients recevant une corticothérapie sauf s’ils rec¸oivent en même temps des AINS [38]. Il n’existe pas d’étude sur la durée de traitement ou le risque de rechute après guérison d’un ulcère survenu sous corticoïdes. En l’état actuel des connaissances, la prise en charge de l’ulcère apparu sous corticoïdes devrait donc être identique à celle des patients non traités par corticoïdes.
8. Fragilité cutanée La fragilité cutanée et le purpura par fragilité capillaire sont des complications fréquentes de la corticothérapie prolongée, particulièrement chez la femme et les personnes les plus âgées. Il n’existe aucune mesure préventive efficace à ce jour. Les soignants doivent être très attentifs à ne pas appliquer de sparadrap directement sur les peaux les plus atrophiques, les décollements cutanés pouvant être impressionnants.
9. Conclusion La prévention des effets indésirables de la corticothérapie (hors ostéoporose) passe avant tout par des mesures hygiénodiététiques, la recherche permanente de la dose minimale efficace et la prescription de médicaments d’épargne cortisonique en cas de corticodépendance à un niveau inacceptable. La pratique d’un exercice physique régulier adapté doit être largement recommandée. Le régime désodé, souvent mal vécu, devrait faire l’objet d’une réévaluation par les sociétés savantes. Il n’est pas justifié de surcharger les ordonnances avec certaines prescriptions systématiques qui n’ont fait la preuve d’aucune évaluation (notamment les médicaments préventifs de l’ulcère gastroduodénal et le potassium). En
revanche, l’information du patient et son accompagnement ainsi que le dépistage des complications doivent être rigoureux. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Fardet L, Flahault A, Kettaneh A, Tiev KP, Tolédano C, Cabane J. Histoire naturelle de la lipodystrophie cervicofaciale cortico-induite : suivi prospectif d’une cohorte de 37 patients. Rev Med Interne 2007;28:825–31. [2] Fardet L, Flahault A, Kettaneh A, Tiev KP, Généreau T, Tolédano C, et al. Corticosteroid-induced clinical adverse events: frequency, risk factors and patient’s opinion. Br J Dermatol 2007;157:142–8. [3] Fardet L, Cabane J, Kettaneh A, Lebbé C, Flahault A. Corticosteroid-induced lipodystrophy is associated with features of the metabolic syndrome. Rheumatology (Oxford) 2007;46:1102–6. [4] Fardet L, Cabane J, Lebbé C, Morel P, Flahault A. Incidence and risk factors for corticosteroid-induced lipodystrophy: a prospective study. 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