Crit res pharmacocin6tiques du choix d'un antibiotique pour I'antibioprophylaxie en chirurgie Pharmacokinetic criteria for the choice of an agent for antibiotic prophylaxis in surgery R. GARRAFFO, D. PHARM Unit6 de Pharmacocin6tique Clinique, HOpital Pasteur, CHU de Nice, BP 69, 06002 Nice Cedex.
RteSUMI~ : L'optimisation de l'antibioprophylaxie en chirurgie passe par le choix judicieux de l'antibiotique, de sa posologie et du moment de son administration. Si les crit~res bact6riologiques sont, l'6vidence, impliqu6s dans ce choix, la connaissance de la pharmacocin6tique s6rique et tissulaire des antibotiques ainsi que l'interpr6tation des relations concentration/effet sont des informations incontournables. L'int6gration des param~tres pharmacocin6tiques et des 616ments de pharmacodynamique devrait permettre, sous contr61e d'essais th6rapeutiques appropri6s, de d6finir dans les ann6es h venir, les r6gles rationnelles du choix d'un antibiotique ~ vis6e prophylactique en chirurgie, prenant en compte le patient, l'6cologie bact6rienne et la nature de l'intervention.
1. INTRODUCTION
L'infection postop6ratoire reste un probl6me essentiel lors de la r6alisation d'un acte chirurgical. Ce risque est permanent en chirurgie, puisque l'on trouve des bact6ries pathog~nes dans plus de 90 % des plaies op6ratoires, au moment de la fermeture. Ces bact6ries, m~me peu nombreuses, peuvent prolif6rer car elles trouvent dans la plaie un milieu favorable (h6matome, isch6mie, 6panchements liquidiens d'origine sanguine et tissulaire...) ; de plus, l'acte chirurgical peut induire des modifications des d6fenses immunitaires qui perdent ainsi de leur efficacit6 [7]. M~me si les chiffres sont quelque peu controvers6s, il est actuellement admis qu'une moyenne de 30 % des patients hospitalis6s en chirurgie ont h l'admission, ou d6veloppent pendant leur hospitalisation, une infection, et dans certains h6pitaux am6ricains les infections en chirurgie repr6sentent 70 % des infections nosocomiales [2]. Le coot de ces infections est donc tr~s 61ev6, tant sur le plan financier que m6dical (morbidit6, mortalit6, qualit6 des suites op6ratoires). La pr6vention des infections lors des actes de chirurgie est donc un aspect important de la recherche en prophylaxie. Elle d6pend de nombreux facteurs, parmi lesquels : le type de chirurgie (propre, propre contamin6e, contamin6e ou sale) et la dur6e de l'intervention, la qualit6 du mat6riel et des locaux utilis6s, le <
d'antibiotiques. L'av~nement de l'antibioth6rapie avec la d6couverte de la p6nicilline et de la streptomycine, il y a un demi-si~cle environ, a laiss6 penser que le probl~me des infections postop6ratoires allait 6tre r6solu. En effet d~s 1939, GARLOCK et SEELEY [12] d6montraient que l'administration de sulfonamide en phase pr6op6ratoire r6duisait l'incidence des infections de paroi en chirurgie colorectale. Mais cette <
CRIT#RES PHARMACOCINI~TIQUES
~.
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exclusif, du choix optimal d'un antibiotique et de ses modalit6s d'administration. Nous envisagerons donc dans le cadre de cet article la connaissance des param6tres pharmacocin6tiques importants pour le choix d'une antibioprophylaxie et leur int6gration aux param6tres pharmacodynamiques importants pour l'utilisation des antibiotiques chez le patient devant subir un acte chirurgical. 2. RELATIONS ENTRE PHARMACOCINETIQUE DES ANTIBIOTIQUES ET PROPHYLAXIE ANTI-INFECTIEUSE EN CHIRURGIE
En 1969, POLK et LOPEZ-MAYOR [21], dans une 6tude prospective en double aveugle en chirurgie digestive, ont montr6 que l'administration de c6faloridine juste avant et apr~s l'intervention am61iorait de faqon significative la pr6vention des infections cicatricielles et intraabdominales. Les r6sultats obtenus 6taient directement corr616s ~. l'obtention de concentrations efficaces d'antibiotique dans le s6rum et au niveau de la plaie. Ce type d'6tude a permis la d6finition du principe de base de l'antibioprophylaxie en chirurgie : l'antibiotique doit ~tre pr6sent ~_ une concentration ~ efficace ~ au niveau de la plaie op6ratoire et des tissus environnants susceptibles d'6tre contamin6s, au moment de l'incision et en permanence pendant la dur6e de l'intervention. L'6tude des caract6ristiques de la p6ndtration tissulaire des antibiotiques est donc un 616ment majeur du choix d'une mol6cule pour la prophylaxie des risques infectieux en chirurgie. 2.1. P 6 n 6 t r a t i o n tissulaire d e s a n t i b i o t i q u e s
De nombreux facteurs sont susceptibles de modifier la concentration tissulaire d'un antibiotique. I1 s'agit notamment de la structure chimique et de la taille de la mol6cule, de sa solubilit6 dans l'eau et les graisses, de son degr6 de liaison au prot6ines, de la valeur de sa demi-vie d'61imination, de la pr6sence ou de l'absence d'une inflammation au site de diffusion, de la nature et de l'6tat d'ait6ration des membranes des capillaires des tissus concern6s, de la pr6sence de transporteurs, du rapport entre la surface d'6change et le volume de diffusion [4]. 2.1.1. Interpretation des dosages tissulaires
Beaucoup d'6tudes ont tent6 de corr61er les concentrations s6riques aux concentrations tissulaires d'antibiotique, mais de nombreux probl~mes sont apparus tant au niveau des m6thodes de dosage que de l'interpr6tation des ph6nom~nes observ6s. Un antibiotique pr6sent dans un tissu aura en fair la possibilit6 de se r6partir, en fonction de ses propri6t6s physico-chimiques et pharmacocin6tiques, entre trois secteurs: vasculaire, interstitiel et intracellulaire. Les bact6ries qui peu-
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vent contaminer les plaies op6ratoires se d6veloppent en g6n6ral darts le liquide interstitiel. De plus, lors d'une incision de la peau, il y a une augmentation significative, au niveau de la plaie, des fluides provenant des secteurs vasculaires et interstitiels. I1 est donc essentiel de d6finir les relations entre concentration d'antibiotique dans le sang et dans le liquide interstitiel. I1 faut, ~. ce niveau, attirer l'attention sur les erreurs d'interpr6tation possibles des dosages tissulaires d'antibiotiques, r6alis6s g6n6ralement ~_ partir d'homog6nats de tissus, inaptes h d6crire la distribution de l'antibiotique entre ces trois secteurs. Nous ne reviendrons pas sur les erreurs, bien-connues, inh6rentes au degr6 de contamination sanguine des divers 6chantillons tissulaires, mais insisterons plut6t sur la distribution de l'antibiotique au sein m6me du tissu. En effet, si l'on consid6re des antibiotiques peu liposolubles et franchissant difficilement les membranes biologiques, comme les [3-1actamines, la concentration de l'homog6nat traduira essentiellement la pr6sence de la mol6cule dans le liquide interstitiel. La valeur du dosage exprim6e par rapport au poids total de tissus aura <~sous-estim6 ~, cette concentration interstitielle, qui sera 6ventuellement jug6e trop faible, alors que l'antibiotique est principalement pr6sent au site o~) se d6veloppe l'infection. Au contraire, si l'on se r6f~re ~ des r6sultats obtenus avec des mol6cules liposolubles diffusant bien ~. travers les membranes biologiques comme les macrolides ou les fluoroquinolones, la concentration tissulaire totale ~ surestimera ,~ la concentration interstitielle et traduira surtout une concentration intracellulaire d'antibiotique qui sera d'abord int6ressante pour l'activit6 vis-~.-vis des bact6ries ~ d6veloppement intracellulaire (chirurgie vasculaire et infection des cellules endoth61iales). Ces probl~mes d'interpr6tation ont parfaitement 6t6 d6crits [8, 24] et sont illustr6s par le tableau I. Ce tableau montre les r6sultats de dosages d'antibiotiques au niveau du myom6tre et du muscle squelettique de lapin, dans le liquide interstitiel (obtenu par bulle de succion) et dans l'eau intra-
Tableau I. - - Problemes dosages tissulaires [21]
specifiques
d'interpretation
des
Rapports entre concentrations s6riques et tissulaires Antibi0tique C6famandole C6fotaxime C6foxitine Ciprofloxacine Enoxacine
Fluide interstitiel (bullede succi0n)
Fluide intracellulaire
H0m0g6nat tissulaire Muscle
Myom~tre
0,81 0,80 1,12 1,17 1,14
< 0,01 0,04 - 0,31 < 1 6- 7 3,6 - 4
0,15 0,11 0,23 6,1 1,4
0,48 < 0,10 0,54 3,6 1,7
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cellulaire (h l'aide de polynucl6aires). On remarque que dans le cas des [3-1actamines la concentration interstitielle est ~~ de la concentration interstitielle d'un facteur 1,2 ~5. 2.1.2. Principes gen6raux r6gissant la p6n~tration tissulaire des antibiotiques
Les points principaux ~ consid6rer sont: la nature des barri6res biologiques et les m6canismes de diffusion des antibiotiques ~ travers celles-ci, ainsi que le degr6 de fixation aux prot6ines du secteur vasculaire et extravasculaire. M6canismes de diffusion. De faqon sch6matique, on peut admettre qu'un antibiotique pr6sent dans le sang rencontre deux types de barri6res biologiques s'opposant ~ leur passage tissulaire. La p6n6tration vers les sites dits ~>, c'est-~-dire le SNC, l'~eil et la prostate, le passage se fera a travers des capillaires ~ 6pith61ium non poreux et les propri6t6s physico-chimiques (taille et liposolubilit6) des mol6cules deviendront alors le facteur limitant du passage tissulaire. Except6 pour la prostate, il existe dans la plupart des cas des ph6nom6nes de transport aetif qui favorisent l'influx ou l'efflux. Ceci explique en particulier le fait que des mol6cules tr6s peu liposolubles comme les 13-1actamines passent mal h travers les m6ninges non enflamm6es, alors que le chloramph6nicol et le m6tronidazole, tr6s solubles dans les graisses, se trouvent en grande quantit6 dans le LCR. Enfin, les sites d'excr6tion, comme les reins et le foie, sont des cas particuliers off l'on trouve de grandes quantit6s de m6dicament grglce h la raise en jeu de transporteurs actifs. Ces m6canismes de base peuvent 6tre largement modifi6s par plusieurs ph6nom6nes survenant au sein d'un tissu. Ainsi, lorsqu'il existe une effraction des tissus et une r6action inflammatoire, la perm6abilit6 vasculaire augmentera, favorisant largement le passage des mol6cules du secteur vasculaire vers le liquide interstitiel ; c'est ce qui explique qu'au cours de la phase initiale des m6ningites les p6nicillines et les aminoglycosides peuvent diffuser dans le LCR malgr6 leur hydrosolubilit6. De m6me, il peut se produire des ph6nom6nes de ~> ; c'est le cas avec les macrolides qui se fixent fortement sur les organites intracellulaires, ou lorsqu'il y a des modifications du pH local qui, en changeant le degr6 d'ionisation des -
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antibiotiques, modifiera aussi le degr6 de fixation aux prot6ines et la liposolubilit6 des antibiotiques pr6sents dans le milieu. Dans la majorit6 des cas, la concentration tissulaire sera fonction de ph6nom~nes de diffusion passive au sein de sites <~non sp6cialis6s >~ ; deux param6tres jouent dans ce cas un r61e important ; le rapport surface d'6change/volume de diffusion entre le fluide contenant l'antibiotique et le tissu, et le degr6 de liaison aux prot6ines plasmatiques et tissulaires. Le rapport entre la surface de diffusion et le volume de diffusion (S/V) est un facteur important de la pharmacocin6tique d'un antibiotique dans le liquide interstitiel ; il est r6gi par la loi de diffusion de FICK [29]: ds/dt = - DA.dc/dx avec : ds/dt = vitesse de transport des mol6cules dans le solut6 (ixg. s -1) dc/dx = gradient de concentration _(Ixg- cm -4) D = coefficient de diffusion (cm 2. s -l) A = surface de diffusion (cm z) Par analogie, on peut consid6rer que la concentration d'antibiotique au niveau de la plaie chirurgicale est directement proportionnelle ~ la surface disponible pour la diffusion de l'antibiotique et inversement proportionnelle au volume de liquide dans le tissu concern6. La plupart des tissus de l'organisme, y compris une plaie chirurgieale, pr6sentent un rapport S/V 61ev6, c'est-~-dire avec une large surface capillaire ~ travers laquelle l'antibiotique pourra diffuser dans un volume relativement faible de liquide interstitiel [22]. Au niveau de l'incision, c'est doric la phase liquide (d'origine vasculaire et tissulaire) qui constitue le site principal off risque de se d6velopper une bact6rie contaminante. Une des caract6ristiques des espaces extravasculaires ~ S/V 61ev6 est qu'ils ont une r6ponse rapide aux variations de concentrations s6riques de m6dicaments. Cela signifie que l'6quilibre sang/liquide interstitiel s'6tablit tr6s rapidement [3]. Ainsi, ROSEN et coll. [23] ont pu montrer chez le chien que les taux interstitiels de c6fazoline ou de gentamicine s'6quilibraient tr6s rapidement avec ceux du s6rum. Dans ces conditions, on observera au niveau de la plaie des concentrations d'antibiotique libre tr6s proches et suivant les m6mes variations que celle du s6rum (fig. 1 A). Cela a 6t6 confirm6 avec la ceftazidime, la ceftriaxone et le timentin chez des volontaires sains ~ l'aide des mod61es de bulles de succion et de fils de coton implant6s en sous-cutan6 [18, 25, 33] ; les auteurs trouvent des taux d'antibiotiques comparables ceux du liquide interstitiel. Dans ces conditions, on peut admettre que les concentrations s6riques sont un bon reflet des concentrations au niveau de la plaie.
CRITERES PHARMACOCINETIQUES
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notamment antibact6rienne, de diffuser depuis le sang vers les tissus extravasculaires h travers les capillaires, d'6tre 61imin6e par filtration glom6rulaire ; • la fraction libre est tr~s rapidement en 6quilibre avec la fraction li6e darts un milieu donn6
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(< 0,03 s).
Rapport
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Rapport
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_
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interstitiel
Fig. 1. - - Effets du r a p p o r t S/V sur le profil des concentrations libres plasmatiques et tissulaires des antibiotiques [3].
Cependant, certains sites anatomiques particuliers, comme les phlegmons, le p6ritoine, la pl6vre, le fluide synovial, ont un S/V faible induisant des 6changes entre les milieux extra et intravasculaire beaucoup plus lents et par cons6quent, n6cessitant un temps d'6quilibrage entre les deux compartiments beaucoup plus long (fig. 1 B). On en d6duit que le temps n6cessaire pour voir apparaitre l'antibiotique dans la plaie est inversement proportionnel au rapport S/V. Si ce rapport est faible, la concentration maximale dans ce type de site sera atteinte plus tardivement et sera souvent inf6rieure h celle du s6rum. Une 6tude [34] a valid6 ces hypotheses en 6tudiant la p6n6tration de 8 [3-1actamines dans du liquide p6riton6al. Dans ce cas on remarquera, comme l'indique la figure 1, que la mesure des concentrations plasmatiques h la fin de l'intervalle d'administration sous-estime les concentrations au niveau de la plaie. Tous ces 616ments impliquent que non seulement t o u s l e s antibiotiques ne se distribuent pas de faqon identique, tant en quantit6 qu'en qualit6, dans les tissus de l'organisme, mais qu'un antibiotique donn6 ne p6n6trera pas forc6ment dans les m6mes proportions dans t o u s l e s tissus. C'est pourquoi la notion de volume apparent de distribution, qui est un param6tre utile pour comparer les capacit6s de p6n6tration tissulaire de plusieurs antibiotiques, reste tr6s impr6cise et en tout cas insuffisante, si elle n'est pas compl6t6e d'informations pr6cises sur la p6n6tration au site concern6, pour orienter le choix en prophylaxie chirurgicale. - - R61e de la liaison aux prot6ines Tout m6dicament introduit dans l'organisme est susceptible d'interagir avec des mol6cules endog6nes, en particulier avec les prot6ines circulantes, essentiellement l'albumine. La liaison aux prot6ines est une r6action r6versible entre le site de liaison, qu'il soit s6rique ou tissulaire, et l'antibiotique. On admet q u e : • seule la forme libre du m6dicament est susceptible d'avoir une activit6 pharmacologique,
La connaissance de la liaison aux prot6ines d'un antibiotique est donc un param6tre h consid6rer avant l'utilisation clinique. L'antibiotique susceptible de se lier aux prot6ines in vivo subit diff6rents 6quilibres. La fraction libre sera rapidement en 6quilibre entre les diff6rents compartiments oh elle pourra diffuser (plasma et fluides tissulaires) et avec la fraction li6e au sein de chaque compartiment. Le pool d'albumine extravasculaire est tr6s sup6rieur ta celui du sang, mais le volume sanguin est si faible par rapport h celui des fluides extravasculaires que la concentration en albumine est sup6rieure dans le plasma. Ceci explique que si l'on mesure la concentration totale (libre + li6e) d'un antibiotique fortement li6 h l'albumine (comme les p6nicillines), les concentrations plasmatiques seront g6n6ralement sup6rieures aux extravasculaires, mais la quantit6 de forme libre est 6quivalente dans les deux sites (fig. 2). En revanche, il est logique de penser que les antibiotiques fortement li6s donneront moins de forme libre, susceptible de diffuser vers les tissus, que ceux faiblement li6s. C'est ce qu'ont d6montr6 HOFFSTEDT et WALDER [14] en trouvant une relation inverse entre le degr6 de fixation aux pro-