Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 240–246
Article original
De l’intégration à la scolarisation des handicapés : regards sur 30 années de collaboration école–psychiatrie From integration to schooling of disabled: An overview of 30 years of schooling–psychiatric collaboration N. Catheline « Mosaïque », centre hospitalier Henri-Laborit, BP 587, 86021 Poitiers cedex, France
Résumé Trente ans séparent deux lois fondatrices franc¸aises pour la scolarisation des enfants et adolescents handicapés (1975–2005). Cet article propose d’abord une lecture critique des expressions utilisées dans ces deux textes, celles-ci étant le reflet des mentalités de chaque époque ; puis, analyse les avancées et les écueils des deux lois tant du côté des usagers (parents et enfants) que du côté des professionnels. L’auteur s’appuie sur son expérience de 30 années de pédopsychiatre de service public pour faire une analyse diachronique des relations école–pédopsychiatrie depuis l’instauration de la commission départementale de l’éducation spécialisée (CDES) à la mise en place de la Maison de personnes handicapées (MDPH). © 2011 Publi´e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : MDPH ; Handicap ; École ; Médicosocial ; Scolarisation des handicapés
Abstract Thirty years have passed since the establishment of two French laws regarding the schooling of disabled children and adolescents (1975–2005). This article proposes a critical examination of the expressions used in the two texts since they reflect the mentality of each period; followed by an analysis of the progression and pitfalls of the laws from the angle of the users (parents and children) and the professionals. The author relies on her 30 years of experience in the public domain of pedopsychiatry to provide a diachronic analysis of the school–pedopsychiatric relationships since the instigation of the Regional Commission for Specialised Education (Commission départementale de l’éducation spécialisée [CDES]) and the setting up of Houses for the disabled (Maison de personnes handicapées [MDPH]). © 2011 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: MDPH; Handicap; School; Medico-social; Schooling of the disabled
1. Abréviations
AVS CCPE
auxiliaire de vie scolaire commission de circonscription préélémentaire et élémentaire CCSD commission de circonscription du second degré CDES commission départementale de l’éducation spécialisée CDO commission départementale d’orientation
Adresses e-mail :
[email protected],
[email protected] 0222-9617/$ – see front matter © 2011 Publi´e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.neurenf.2010.12.001
2. Introduction Les relations entre l’école et la psychiatrie sont depuis toujours (dès la fin du xixe siècle) complexes et ambivalentes. Il faut en chercher l’origine dans l’objet commun à ces deux institutions : l’enfant. Au nom de son intérêt supérieur, chacune dispute à l’autre la prééminence dans les décisions le concernant et souhaite remplir sa mission sans que l’autre ne vienne l’entraver. Soins et éducation ont ainsi longtemps été opposés jusqu’à ce que la première loi de 1975 en faveur des handicapés crée une obligation de collaboration. Celle-ci a duré 30 ans et a permis une connaissance réciproque des deux institutions. Mais, la loi de 2005 a changé la donne.
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Notre expérience de pédopsychiatre de service public depuis plus de 30 ans nous permet de proposer une lecture critique de ces deux textes de lois et de leurs implications dans le quotidien des praticiens travaillant sur la totalité du territoire franc¸ais. Nous analyserons successivement les deux lois en nous attachant d’abord aux termes utilisés par le législateur car ceux-ci donnent de précieux renseignements sur l’état d’esprit de la société à chaque période ; puis nous ferons une analyse critique de l’application de chacune des lois en dégageant les points positifs et ceux qui nous paraissent plus problématiques ou du moins à élaborer, d’une part, dans l’intérêt de l’enfant et de sa famille et, d’autre part, pour une meilleure collaboration entre l’école et la psychiatrie. 3. La loi de 1975 3.1. L’esprit de la loi de 1975 Le libellé de la loi donne déjà le ton puisqu’on parle de loi d’orientation en faveur des handicapés. « On retiendra pour principe que la meilleure solution est de laisser le jeune handicapé se développer autant que possible dans son milieu de vie habituel et de préserver au mieux la continuité des soins. Il conviendra donc de s’efforcer de le maintenir, grâce à toutes les actions de soutien appropriées, dans sa famille et, s’il est en âge d’y être admis, de le placer ou de le maintenir dans un établissement scolaire normal. C’est seulement en cas de nécessité que l’enfant, au mieux de son intérêt et de celui de sa famille, sera orienté vers un enseignement spécialisé, la révision périodique permettant d’ailleurs sa réintégration en milieu normal » (circulaire d’application 76-156 et no 31 du 22 avril 1976 de la loi d’orientation en faveur des handicapés du 30 juin 1975). On notera : • le ton paternaliste (« le placer ou le maintenir » ; « au mieux de son intérêt ») ; • le bricolage (« la meilleure solution ») ; • l’idéologie caritative (« en faveur », « préserver », « s’efforcer », etc.) ; • la dénomination de la commission qui statue : la CDES. La loi de 1975 s’occupait d’enfants ne pouvant apprendre comme les autres et dont on n’était pas sûr qu’ils y parviennent. De ce fait, la scolarisation était à cette époque considérée comme importante mais non prévalente par rapport à l’équilibre psychique de ces enfants qu’il fallait d’abord stabiliser, rendre sociables (c’est-à-dire capable de supporter un minimum de frustrations, donc de les éduquer) et épanouis avant qu’ils puissent se confronter aux apprentissages. D’ailleurs, le texte de 1975 ne parle pas de scolarisation mais d’obligation éducative : « les enfants et les adolescents sont soumis à l’obligation éducative. Ils satisferont à cette obligation en recevant, soit une éducation ordinaire, soit à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonctions des besoins particuliers de chacun d’eux par la Commission d’éducation spéciale départementale. L’éducation spéciale associe des actions pédagogiques, psychologiques, sociales, médicales et paramédicales ; elle est assurée, soit
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dans des établissements ordinaires, soit dans des établissements ou par des services spécialisés ». La loi de 1975 considérait avant tout les besoins de l’enfant et de l’adolescent en termes d’adaptation de la scolarité avec, à l’époque, le mythe de la « prise en charge globale », du bon lieu réparateur. Elle ne tenait pas compte de l’origine de la difficulté. C’était parfois sur le terrain que l’on découvrait l’importance de la pathologie. Le choix de l’accueil en termes de lieu et de professionnels était prévalent et dépassait la recherche du diagnostic. Les équipes avaient à faire à des individus et non pas à des handicaps. Elles se sentaient mobilisées pour faire un projet sur mesure pour chacun des enfants accueillis. Il y avait de la créativité, des défis à relever, des espoirs à réaliser. On découvrait au fur et à mesure de la prise en charge le fonctionnement psychique, les compétences et les fragilités de l’enfant ou de l’adolescent. Certes, les diagnostics n’étaient pas toujours affinés et nombre d’enfants étaient orientés uniquement parce qu’on pensait que « c¸a serait bien pour eux », le plus souvent par incapacité à les supporter en milieu ordinaire. À cette époque également, on parlait de rééducateurs dont la mission était « de redonner le goût d’apprendre aux enfants, de permettre à l’enfant de s’engager dans un processus d’éveil, d’intérêt, de devenir sujet et de devenir créatif, donc de retrouver le désir d’apprendre et la disponibilité pour les apprentissages ». 3.2. Les avancées de la loi de 1975 Deux points nous ont paru constituer une réelle avancée lors de la mise en œuvre de cette loi. Le premier à été la collaboration régulière entre le personnel de l’éducation nationale et les psychiatres de secteur, ce qui a permis la construction d’une culture commune. La deuxième avancée était plus inattendue car la loi avait mis en place une organisation très hiérarchisée avec des commissions de terrain (les CCPE et les CCSD) auxquelles succédaient l’équipe technique de la CDES puis la plénière, or ce dispositif souvent très lourd offrait la possibilité de disposer d’un temps d’élaboration du projet car il permettait de requérir l’avis de nombreux professionnels malgré la course d’obstacle que cela représentait parfois. Développons ces deux points. 3.2.1. La collaboration régulière entre personnel éducation nationale et psychiatrie de secteur Paradoxalement, l’absence de diagnostic obligeait chacun des acteurs à s’impliquer dans le suivi. Non pas que les psy ne soient pas capables de donner le diagnostic au plan technique mais il y avait une réticence à le divulguer par peur de stigmatiser, d’enfermer. De ce fait, il était plus question de fonctionnement psychique, cognitif, relationnel et chaque professionnel pouvait ainsi se saisir d’une représentation de l’enfant et développer dans son champ de compétence une stratégie à mettre en œuvre pour aider ou accompagner l’enfant. Il y avait de la créativité et surtout un engagement personnel. Tout partait de la représentation que se faisait le professionnel de cet enfant et de son rôle auprès de lui. La multiplication des réunions à cette époque témoignait du besoin de réactualiser régulièrement ces représentations, de les mettre en perspective pour créer une représentation commune englobant toutes les autres mais ne s’y substituant pas.
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Par ailleurs, une place importante était accordée à la parole des psy (pédopsychiatres et psychologues) qui siégeaient dans ces commissions. En effet, à cette époque, au début des années 1980, la pédopsychiatrie de secteur s’installait et développait de nouveaux champs d’investigation. L’avis des psy était souvent très attendu pour donner du sens à des comportements incompréhensibles pour les enseignants et les éducateurs. De plus, les psys pouvaient apporter des éléments psychopathologiques concernant le fonctionnement familial ou encore le degré d’acceptation ou de résistance des parents aux soins. Un autre point à souligner : les pédopsychiatres de secteur avaient une bonne connaissance du fonctionnement des établissements médicosociaux ; ils y travaillaient même parfois en tant que vacataires. Ainsi, chaque situation était taillée sur mesure à partir de la connaissance du terrain, des personnes et des relations entre personnes. Mais, cette prévalence souvent donnée à la parole des psy constituait également un point faible ; comment les parents pouvaient-ils résister à un discours qui prônait le bien de leur enfant avec des arguments souvent affectifs ? « Il y sera bien. . . on connaît l’équipe. . . vous n’aurez plus à faire les accompagnements pour les différentes rééducations ou psychothérapie, on vous propose une prise en charge globale, tout sera fait sur place avec des professionnels qui travaillent ensemble », etc. 3.2.2. La multiplication des instances : équipe pédagogique, CCPE ou CCSD, équipe technique de la CDES puis équipe plénière Ces procédures semblaient lourdes et lentes. L’issue en était incertaine et ressemblait à autant d’obstacles à franchir. L’avis dépendant de ses membres, telle commission pouvait dire oui, telle autre non. Cela n’avait rien à voir avec la reconnaissance d’un handicap. Aujourd’hui, il suffit de satisfaire aux conditions et plus aucune commission ne peut le remettre en cause. Mais, ce qui faisait le caractère négatif de cette organisation pouvait aussi constituer une opportunité : celle de rencontrer des professionnels différents. Dans ces situations, les parents avaient ainsi la possibilité de cheminer au fur et à mesure de ces rencontres, de l’écoute de ces différentes énonciations. Un vrai travail d’élaboration pouvait se faire et le temps n’était plus le temps vide de l’attente que le dossier soit étudié mais un temps de rencontre et de maturation. Il faut reconnaître toutefois que ces situations étaient loin d’être majoritaires et les familles vivaient plutôt cette organisation comme une inutile lourdeur administrative. Cette élaboration était surtout utile aux professionnels qui avaient ainsi le sentiment de ne pas prendre de décision seuls ou sans avoir envisagé tous les aspects. La validation de l’avis d’orientation auprès de chacune des commissions légitimait ainsi cette décision. 3.3. Les écueils de cette politique dite « d’intégration » Au regard de l’histoire, deux aspects ont été source de difficultés : le caractère paternaliste des décisions et le fait que la collaboration école–psychiatrie reposait avant tout sur le volontariat de chacune des parties.
3.3.1. Le caractère paternaliste des décisions Les commissions pourtant dites « de terrain » impressionnaient les parents qui se retrouvaient devant un panel de spécialistes appartenant à divers champs. Tous répétaient en écho que « c’était pour le bien de l’enfant, dans son intérêt ». Quant aux CDES, rares étaient les parents qui y étaient invités et lorsqu’ils l’étaient c’était pour s’entendre redire avec des spécialistes encore plus influents que « c’était une bonne décision à prendre ». Comme nous l’avons souligné précédemment, cette absence d’implication des parents a sans doute été à l’origine de la demande actuelle des associations de parents d’handicapés d’être au centre des décisions. À cette époque, les parents étaient peu associés aux décisions d’orientation et de suivi. Pour mémoire, en 1989, lors de la réforme des annexes XXIV, texte qui définit l’organisation des établissements du secteur médicosocial, il y était écrit que les parents devaient être associés aux décisions concernant leurs enfants et qu’à ce titre, ils devaient être régulièrement rec¸us par l’équipe. Les dites équipes étaient à cette époque très inquiètes, car dans les années 1980, la représentation de la pathologie des apprentissages était très marquée par l’approche psychodynamique, c’est-à-dire que présidait au raisonnement l’idée que les symptômes étaient en lien avec des troubles des interactions au sein de la famille : carence, maltraitance, distorsions. À cette époque, les décisions prises étaient le fait unique des professionnels qui n’y voyaient toutefois aucune privation du pouvoir décisionnaire des parents dans la mesure où ces derniers étaient censés ne pas être en mesure d’offrir un milieu épanouissant pour l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant mettait les professionnels au cœur du dispositif d’orientation et ne laissait aucune place aux parents qui n’étaient rec¸us que pour la forme bien souvent et pour requérir leur assentiment. 3.3.2. Des relations école–psychiatrie reposant sur le volontariat Vingt années de pratique de l’intégration avaient fini par habituer l’école à une collaboration avec les services de pédopsychiatrie. Chaque discipline avait fait un bout de chemin, renonc¸ant pour partie à ses préjugés. Mais, l’intégration restait avant tout une affaire de personnes et de volonté individuelle. Certains enfants ne pouvaient en bénéficier du fait de l’hostilité de certains professionnels, par crainte bien souvent mais aussi par manque d’expérience. 4. La loi de 2005 4.1. L’esprit de la loi de 2005 L’intitulé est radicalement différent de celui de 1975 puisqu’on parle cette fois-ci de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. . . À cette fin, l’action poursuivie vise à assurer
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l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. Elle garantit l’accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées ». La commission qui statue est la Commission des droits à l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et il n’est plus question d’éducation spécialisée mais de « droit à la scolarisation ». Ainsi, les termes « d’épanouissement de l’enfant », « de développement personnel », « d’autonomie » et de « reconnaissance des besoins de l’enfant » que l’on retrouvait dans la loi de 1975 ont-ils disparus. La modification du statut de l’enfant en difficulté se retrouve également dans les termes utilisés pour définir la mission des maîtres E intervenant en primaire auprès des enfants en difficultés d’apprentissage. Leur rôle désormais « est de modifier l’image que l’enfant se fait de ses capacités. Le maître E construit une démarche d’apprentissage susceptible d’amener l’enfant à se construire une démarche de travail ». Une telle conception présuppose que l’enfant possède une connaissance de lui-même en tant que sujet, alors que dans les années 1970, on parlait de faire advenir chez l’enfant la notion de sujet. Cette différence est de taille car elle méconnaît tout le champ de la pathologie mentale. Par ailleurs, cette analyse de textes permet de mesurer l’écart entre ces deux abords de l’éducation spéciale : épanouissement, désir, créativité d’un côté (1975), méthode d’apprentissage spécifique de l’autre (2005). En 2005, « tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école la plus proche de son domicile qui constitue son établissement de référence » (article L-112-1 et L-112-2). La scolarisation devient donc la priorité. La loi de 2005 procède différemment de celle de 1975. Il faut reconnaître le handicap d’abord pour se voir attribuer des moyens de compensation spécifiques à chaque handicap : ordinateur pour les dyslexiques et dysorthographiques, AVS pour les enfants et adolescents atteints d’autisme. Les neurosciences veulent structurer le champ du handicap. La notion de droit, en particulier de droit à la scolarisation, a remplacé dans les textes la notion d’épanouissement et de prise en charge globale. Les familles sont non seulement associées mais au centre de la demande. 4.2. Les avancées de la loi de 2005 4.2.1. Le respect des familles et de leurs décisions Nous avons précédemment développé la difficulté pour les parents de pouvoir exprimer leur avis devant des commissions très impressionnantes ou tout simplement de s’opposer à l’avis des professionnels par crainte de conflits ultérieurs dont leur enfant ferait à coup sûr les frais. La loi de 2005 leur donne une place qui leur revient de droit. Toutefois, la lourde responsabilité que comporte cette place n’est de notre point de vue pas réellement prise en compte et rien n’est prévu pour accompagner efficacement les parents. Ceux-ci sont, certes, rec¸us par l’enseignant référent mais celui-ci n’est ni psychologue ni psychiatre et ne peut donc pas travailler le vécu parental par rapport
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à ce « handicap », travail pourtant nécessaire à la bonne mise en œuvre du projet. 4.2.2. La suppression de commissions dont certains débats étaient « pipés » Nous ne reviendrons pas sur le caractère paternaliste de certaines orientations et la pression exercée sur le parents, ainsi que sur les aspects les plus négatifs de cette organisation : obligation de répéter les mêmes propos, sentiment de gravité de la situation (la première commission se passait au sein de l’école et réunissait des personnes déjà connues des parents pour la plupart, les suivantes se passaient à la DDASS en présence de spécialistes souvent inconnus et aux titres impressionnants), tout cela étant dominé par une lenteur des décisions. 4.2.3. L’attribution d’aides techniques (ordinateur, AVS) Ces aides, les plus techniques en particulier, constituent un réel avantage pour les enfants présentant des difficultés d’apprentissage. La plupart des enseignants spécialisés travaillant dans le médicosocial avaient découvert les bienfaits de l’ordinateur bien avant les recommandations officielles pour la prise en charge des dyslexiques, dysorthographiques et autres dyspraxiques. Le rôle des AVS est plus complexe car il implique un lien entre deux personnes. Les qualités personnelles, la pathologie de l’enfant ou de l’adolescent, ainsi que la formation de l’AVS entrent en ligne de compte tout autant que les missions qui lui sont attribuées en termes de disponibilité, par exemple, mais aussi de son acceptation par l’enseignant qui se trouve obligé contre son gré parfois d’accueillir dans « sa » classe un autre adulte dont le regard risque de le mettre à mal. 4.3. Les points d’achoppement de la loi de 2005 4.3.1. Le bouleversement de la place et des fonctions de chacun La prééminence d’une instance fait perdre la conflictualisation nécessaire à l’élaboration d’un compromis, seule solution réellement dynamique et respectueuse de la position de chacun. Les parents ont actuellement cette prééminence et la notion de droit individuel est au-dessus de tout. Les enseignants référents ne sont plus les secrétaires de CCPE, organisateurs des lieux où circulaient des échanges ; ils sont là pour accompagner la demande, aider, expliquer à quoi l’enfant et ses parents ont droit. Ils ne doivent pas proposer de solution. Ils doivent donner les éléments pour que les parents choisissent. Or tous les parents ne bénéficient pas de la même information. Certains sont bien au fait de leurs droits, d’autres non. Pour exemple, dans une MDPH départementale, l’équipe pluridisciplinaire a du établir un ordre de passage avec tous les aléas que comporte une telle organisation mais celle-ci lui a paru plus respectueuse du droit des usagers car sinon les premières personnes qui avaient déposé leur dossier le voyaient étudié en premier, sans tenir compte de la gravité ou de l’urgence de la situation. La démocratie suppose que tout le monde a les mêmes droits mais elle présuppose aussi que tout le monde les connaît et plus encore est apte à les faire valoir. Les parents peuvent désormais refuser un bilan psychologique ou psychiatrique. Ce qui fait, par exemple, que nombre de
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dyspraxies ne sont jamais considérées comme un des éléments d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble envahissant du développement. La MDPH ne reconnaît que le handicap. Les parents s’engouffrent dans cette vision des choses pour de multiples raisons, au premier chef le sentiment qu’un trouble bien défini permet un traitement bien défini. Par ailleurs, il est toujours plus facile, du moins dans un premier temps, de considérer la difficulté comme résultant d’une anomalie propre au sujet et non dépendante de son environnement, ce qui engagerait la responsabilité parentale. Les associations de patients porteurs de ces troubles militent pour leur reconnaissance et surtout pour la codification des rééducations et autres aménagements scolaires. 4.3.2. Le découpage des difficultés en handicap sans repenser la notion de développement, sans associer les différentes lignées développementales Avec la notion de handicap, tout se passe comme si seul le handicap existait et n’avait aucun impact sur les lignées développementales. Dans cette nouvelle définition des difficultés, le handicap est à l’origine des troubles et les autres symptômes sont considérés comme des conséquences mais ne sont pas intégrés dans un tableau plus global où les buttées développementales d’une lignée modifient inéluctablement le développement de l’autre. Dans la conception actuelle du handicap, les liens établis sont des liens de causalité alors que l’approche psychodynamique, contrairement à une idée répandue, ne se propose pas seulement d’expliquer la survenue du symptôme par une altération des relations de l’enfant avec son environnement mais étudie aussi et surtout la manière dont le symptôme organise la personnalité de l’enfant, son registre relationnel, son rapport au savoir et son affectivité. Par ailleurs, au-delà de la connotation toujours péjorative en particulier dans les pays latins du terme « handicapé », les représentations de ces deux expressions « être handicapé » et « avoir des difficultés », sont très différentes. La première fait surgir l’idée d’un trouble définitif avec peu d’espoir d’amélioration, tandis que la seconde s’inscrit dans une visée plus développementale et laisse espérer un traitement ou du moins une aide conséquente. Mais la définition du handicap a changé, c’est désormais celle utilisée par les pays anglo-saxons qui doit être retenue. Le handicap dans cette acception considère l’écart existant au moment de l’examen médical entre les possibilités d’une personne valide et celle de la personne examinée. Ainsi, le handicap n’est pas définitif mais peut évoluer avec le temps, voire même disparaître si la personne a recouvré tout son potentiel. Pourquoi alors ne pas avoir demandé à des pédopsychiatres de siéger plutôt qu’à des médecins non spécialistes de ce développement qui ne peuvent de ce fait pas toujours évaluer les progrès dans l’évolution ? Les mentalités ne sont pas encore prêtes à ce changement conceptuel. Dans un tel contexte, la MDPH commence à se rendre compte que l’annonce du handicap n’est pas facile et nécessite un travail d’explicitation particulièrement chronophage. Pour exemple, dans une MDPH régionale, l’obligation de rendre une décision dans les quatre mois suivant le dépôt du dossier avait contraint l’équipe pluridisciplinaire à étudier 50 dossiers par session. Trois ans après, cette même équipe n’en voit plus que 20 mais rec¸oit quasi systématiquement les familles et engage un réel dialogue avec elles, ce qui
est plus satisfaisant en termes individuels mais peu rentable en termes administratifs. Nous retrouvons la lenteur décisionnelle si critiquée auparavant. 4.3.3. L’insuffisante prise en compte des difficultés ne relevant pas du handicap Un aspect important de la clinique n’est pas pris en compte dans cette nouvelle organisation. En effet, toutes les difficultés doivent désormais être rattachées à un handicap : dyslexie, dyscalculie, dyspraxie. Que se passe-t-il alors pour les enfants ayant de simples retards d’apprentissage quelle qu’en soit l’origine (sociale, familiale, pédagogique) ou des intelligences limites, c’est-à-dire entre 75 et 85 de QI ? Il n’existe plus pour les enfants du primaire de commissions d’orientation, comme jadis les CCPE ni de classes spécialisées dépendant uniquement de l’Éducation nationale. Pour intégrer une CLIS, il faut désormais être handicapé. Mais curieusement, l’école qui ne reconnaît pas les difficultés d’apprentissage simples ou du moins qui refuse de mettre en place des structures adaptées en primaire pour ces enfants les a conservé pour le secondaire. Il n’y a plus de classe de perfectionnement mais il demeure des SEGPA. C’est-à-dire que l’école ne reconnaît que le handicap et rien d’autre du moins avant le collège. En primaire, l’école dispose encore d’équipes pédagogiques (RASED) mais voit de plus en plus se restreindre les possibilités d’aide aux enfants en difficultés, sauf à passer par la case « handicap ». L’école avec la création de la MDPH ne veut (ne peut ?) plus reconnaître le déficit intellectuel ou les retards d’apprentissages provoqués par la carence sociale, l’inhibition ou d’autres troubles névrotiques. Tout se passe comme si l’école ne voulait plus s’occuper que du handicap, reléguant les autres troubles (en particulier ceux du comportement) vers le secteur médicosocial ou la psychiatrie institutionnelle. Il en est ainsi des enfants présentant une limitation des capacités cognitives sans que l’on puisse parler de retard mental avéré. La suppression de la catégorie intermédiaire (entre 75 et 85 de QI) a été une catastrophe. On connaît la fréquence des troubles du comportement en lien avec la limitation intellectuelle, en particulier à l’adolescence où l’individu a besoin, pour faire face à tous les remaniements relationnels qui surviennent, de disposer de capacités de jugement et de sens critique, tout spécialement dans le domaine de la relation sexuée. Ces adolescents n’ont pas été reconnus handicapés dans leur jeune âge et n’ont de ce fait pas bénéficié des aménagements scolaires nécessaires à leurs difficultés d’apprentissage. L’adolescence favorisant l’émergence de troubles du comportement, ceux-ci deviennent alors trop envahissants pour permettre le maintien de ces élèves en milieu ordinaire. Ils sont alors orientés vers des ITEP au lieu d’être orientés vers des SEGPA ou EREA (qui prendraient mieux en compte leurs difficultés d’apprentissage) au motif qu’ils présentent des troubles du comportement attribués le plus souvent à des dysfonctionnements familiaux, ce qui justifie la mise en internat. À la différence de l’approche psychodynamique qui considère le symptôme comme ayant un sens à décrypter, ce qui permet d’associer l’école et les psy dans les aménagements du cadre de vie, la position du « tout ou rien » (être ou ne pas être handicapé) ne favorise pas le rapprochement avec les services de soins, en particulier avec la pédopsychiatrie de secteur.
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5. Quelles perspectives d’évolution ? Il est assez logique que les psychiatres n’aient pas été d’emblée inscrits dans un dispositif qui dit se contenter de faire respecter les droits des usagers. Une demande faite à la MDPH présuppose que les personnes se reconnaissent déjà handicapées et veulent faire reconnaître leurs droits. Cela est sans doute une ouverture très généreuse pour les adultes mais qu’en estil des enfants ? Car ce sont les parents qui en font la demande. Lorsqu’on annonce à un enfant qu’il pourra bénéficier d’un ordinateur mais que cela passe par le retrait d’un dossier de maison des personnes handicapées, de nombreux enfants ou adolescents refusent. Si par le passé la position parfois excessivement paternaliste des professionnels faisait violence aux parents les privant parfois d’être associés au projet ; actuellement, c’est aux enfants que l’on fait violence. En effet, la reconnaissance du statut d’handicapé leur est imposée tant par la société que par leurs parents. Est-ce un progrès ? Par ailleurs, l’idée très intéressante d’un guichet unique oblige l’équipe pluridisciplinaire à un calendrier serré. Même si la plupart des MDPH en France ont créé trois commissions (une équipe pluridisciplinaire « enfants », une « adolescents » pour les 12–20 ans et une « adultes » à partir de 20 ans), les dossiers doivent être étudiés très rapidement. Il n’y a que peu de commissions à la différence des anciennes CDES qui se tenaient tous les mois jusqu’au début juillet et permettaient de travailler durant plusieurs mois l’annonce de l’orientation. Actuellement, tout doit être fait avant le 31 janvier pour une mise en place à la rentrée suivante, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps pour travailler avec l’enfant ou l’adolescent cette notion de handicap. Sera-t-il possible aux psychiatres d’intégrer un dispositif qui les a oublié ? Ils ne sont qu’invités dans le meilleur des cas1 mais n’ont aucun lieu officiel pour se faire entendre. Du temps de la loi de 1975, les psychiatres de secteur intervenaient à tous les niveaux : en tant que consultant, mais aussi en tant qu’expert dans les commissions et dans les équipes éducatives. Il existait de nombreux lieux pour rencontrer les parents. Actuellement, les psychiatres participent peu aux équipes éducatives. Par manque de temps, ils ne se déplacent que pour les cas qui les concernent, ils ne voient pas les autres. Il n’y a plus de culture commune, comme c’était le cas en CCPE où, membre de droit, les psychiatres de secteur étudiaient des situations qu’ils ne connaissaient pas directement mais leur élaboration en commission permettait précisément de créer cette culture commune et des habitudes de travail. Actuellement, les parents ne veulent pas consulter les psychiatres car pour eux les difficultés de leur enfant ne relèvent pas de soins mais d’une reconnaissance de handicap. Ils l’ont vu sur internet ou l’ont entendu dire à l’école. Or ils sont les seuls qui pourraient faire revenir les pédopsy-
1 Certaines MDPH ont continué à fonctionner sur le modèle des CCPE et CDES d’autrefois et ont conservé la présence de psychiatres de secteur en leur conférant une place d’invité permanent, comme l’y autorise la loi. Ces MDPH se sont en quelque sorte « contentées » de changer l’appellation de la commission. D’autres au contraire ont voulu coller à l’esprit de la loi et moderniser le dispositif en ne faisant aucune place spécifique aux psychiatres et en considérant que seule la présence d’un médecin était exigible, quelle que soit sa spécialité.
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chiatres dans le système. En revanche, dès lors qu’apparaissent des troubles du comportement, le risque d’exclusion du système scolaire fait venir les parents en consultation de pédopsychiatrie avec une demande en urgence pour éviter une déscolarisation. La MDPH ne souhaite pas faire appel aux psychiatres car ils ne rentrent pas dans ses missions. Les médecins qui y travaillent sont des médecins d’autres spécialités qui ne peuvent faire autrement dans bien des cas que de lire les certificats médicaux et d’évaluer la demande des parents, ainsi que la faisabilité. Beaucoup de médecins des équipes pluridisciplinaires sont d’anciens médecins des commissions d’orientation (CDES) ; ils ont donc une bonne connaissance clinique de ce type de situations mais que se passera-t-il après leur départ à la retraite ? Par quels médecins seront-ils remplacés ? Par ailleurs, l’avis d’un psychiatre peut être réfuté par les parents. De nombreux changements ont également déstabilisé nos pratiques. Ainsi, nos notes autrefois soumises au secret médical n’étaient lues que par les médecins. Actuellement, le dossier est accessible aux parents. Ils peuvent lire tout ce qui est écrit sur l’enfant. Il nous faudra sans doute apprendre à rédiger nos comptes rendus en présence des parents, comme le font dores et déjà la plupart des médecins somaticiens qui dictent devant le patient leur compte rendu de consultation. De même, les pédopsychiatres travaillant dans les établissements du médicosocial qui accueillent ces enfants ne disposent du dossier que si les parents ont donné l’autorisation de le transmettre. Or nombre de parents ne le savent pas et la MDPH attend que les parents demandent le transfert du dossier, tandis que les établissements du médicosocial habitués à le recevoir sans demande attendent eux aussi pour vérifier que le profil de l’enfant correspond bien au projet de l’établissement. Lorsque les établissements ont trop de demandes par rapport aux places disponibles, la sélection ne se fait plus sur des critères cliniques mais purement administratifs. Il nous faudra quitter nos préjugés et nos habitudes de travail pour nous situer différemment dans l’interface entre les parents et les différentes institutions (école, médicosocial, MDPH) et peut-être découvrirons-nous de nouvelles fac¸ons de travailler plus stimulantes. Il n’est pour s’en convaincre que de se souvenir du tollé qu’avait suscité la parution de la loi de 1975 qui privait les établissements de faire leur recrutement directement auprès des écoles sans passer par une commission alors considérée comme trop administrative et incompétente au niveau clinique. D’autres portes s’ouvriront peut-être. Les équipes pluridisciplinaires ont pris conscience que l’annonce du handicap n’était pas aisé et qu’il ne s’agissait pas seulement de l’attribution des droits. Les équipes commencent au bout de quatre ans à se poser la question d’un autre partenariat avec les psy. Il ne faudrait pas non plus être passéiste. Les années d’intégration à l’école n’ont pas toujours été faciles. Les enseignants rêvaient d’avoir, soit une aide en termes de personnel pour s’occuper de ces enfants, soit d’instruments ou encore de directives précises pour accomplir leur tâche et se sentaient obligés de bricoler avec parfois la mauvaise conscience de refuser un élève qu’ils ne se sentaient pas capables de faire progresser. De leur côté, les psychiatres souhaitaient une école plus ouverte qui saurait s’adapter aux besoins de chaque enfant et pourrait les accueillir en plus grand nombre mais se heurtaient au refus de
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N. Catheline / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 240–246
certains enseignants. Actuellement, la loi est allé au-delà de nos espérances. Les enseignants disposent de techniques (les projets personnalisés de scolarisation : PPS) et de personnel (les AVS) mais le risque est grand de voir les enseignants se démobiliser par rapport à ces « élèves ». Désormais « rassurés », ils risquent de se contenter de les accueillir comme en témoigne cette petite saynète : « Alors c¸a se passe comment l’intégration du petit trisomique ? », réponse de l’enseignant : « Je ne sais pas, il faut demander à l’AVS ». Il faudra attendre que les travaux dans le domaine des neurosciences mais aussi dans celui de l’éthique (en particulier les travaux sur le consentement éclairé de Jean-Claude Ameisen) nous fassent un peu de place et que quelques travaux scientifiques montrent qu’être considéré comme handicapé amène des troubles secondaires gênants pour que l’on fasse appel aux psychiatres et qu’on les interroge sur le droit pour une personne de dire « non ».
se faire en quelques mois. Tout changement est anxiogène. Mais, l’être humain, lui, ne change pas, il a certes besoin de voir ses droits reconnus mais a également besoin de lieux d’écoute, de temps d’élaboration et surtout de prise en compte de sa singularité face un traitement parfois trop codifié par l’administration. Les cliniciens disposent d’un savoir-faire inaliénable susceptibles d’aider grandement les professionnels siégeant dans les commissions mais aussi les parents. Le temps permettra sans doute aux mentalités d’évoluer. Conflit d’intérêt Le Dr Nicole Catheline déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant l’article à paraître dans Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence : « De l’intégration à la scolarisation des handicapés ». Pour en savoir plus
6. Conclusion La loi de 2005 sur le handicap marque un tournant idéologiquement aussi important que ne l’avait fait précédemment la loi de 1975 sur l’éducation spécialisée. Les nouvelles articulations entre les services, ainsi que l’évolution des mentalités ne peuvent
Ameisen JC. Intervention au 2e colloque international de médecine, psychanalyse et droit : « Économie psychique et changement social », Poitiers, le 27–29 novembre 2009. Loi no 75-534 du 30 juin 1975. Loi no 2005-102 du 11 février 2005.