Regards de jeunes sur notre société

Regards de jeunes sur notre société

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Jean Tulet

JEAN TULET, DBl6guB interministkiel B I’insertion des jeunes D&l&gation interminist&ielle, 194, avenue du Pr&sident Wilson, 93217 Saint Denis la Plaine cedex.

’ N&l Daubech-Bernard Deljarrie, avec la fondation Dexia Credit Local et la DClegation lnterminist&ielle B I’insertion des jeunes. <
Quels regards portent les jeunes sur notre soci&te ? Le thGme des journkes d’&ude permet de mettre l’accent sur un aspect particulier de la jeunesse qui prboccupe plus prkiskment les missions locales : celui de la citoyennete des jeu?es. A cette fin, le point de depart de I’kude s’appuie sur un constat, t&s simple, que tout le monde fait. Depuis plus d’un an, de nombreux rendezvous klectoraux se sont tous traduits par des records d’abstention, Zi I’image notamment du taux de 40 % pour le second tour des klections legislatives de 2002. On peut parler de crise du syst&me de repkentation, de dbfiance 2 I’kgard des Glus et des glites ; mais en regardant de plus prk la nature de ce comportement, on s’aperGoit qu’il touche particulikement les jeunes de 18 3 25 ans dont plus de la moitie s’abstient 2 chaque klection, et qui par ailleurs portent un regard trk critique sur la vie politique et sur I’action publique en g&-&al. Cette situation interroge particulikrement les glus locaux qui sont trPs impliquk notamment dans l/action des missions locales. La commune pourtant r&put&e comme I’institution publique la plus proche des habitants ne susciterait-elle plus d’intkret pour les jeunes citoyens ? Les efforts que manifestent de nombreux blus ?I travers leurs politiques locales seraient-ils mal compris de la population en g&&ale et des jeunes en particulier ? Quel dialogue subsiste-t-il aujourd’hui entre les institutions locales et les jeunes et notamment ceux des quartier en difficult& qui posent le plus de probkmes i la soci& d’aujourd’hui ? Toutes ces questions de democratic locale interpellent fortement les missions locales. Avec la fondation Dexia et ce r&eau d’initiatives locales que sont les missions locales, nous avons explork et analysb les rksultats a ces questions. En effet, les missions locales reqoivent A peu prk chaque an&e 400 000 jeunes nouveaux, 365 000 pour l’annke 2002. Des jeunes en situation particulikre puisqu’ils ont quit&!

Sauvegarde

de I'enfance,

2003,

vol. 58, no 3, 100-103

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I’kole et sont en attente d’un emploi. Ainsi, quelques 90 000 jeunes sortent chaque an&e du systPme scolaire avec un faible niveau de qualification et quelques 60 000 quittent le syst&me bducatif sans aucun dipl8me. Certains sont demandeurs d’emploi, certains sont en situation d’errance physique et/au sociale, et d’autres absents des statistiques officielles. En fait, le public des missions locales est peu connu de I/opinion. Pourtant, il s’agit d’une jeunesse qui fait I’objet d’une attention particuliPre des pouvoirs publics depuis prks de 20 ans puisque les missions locales se sont particulkrement attach&es & offrir des projets et des solutions 2 ce type de public. Comment qualifier ces jeunes qui ne sont plus dans le syst&me educatif, qui ne trouvent pas encore leur place sur le march& de I’emploi, qui n’ont pas de statut, contrairement aux lyckens et aux ktudiants 3 Ils sont dans une pkiode, souvent de rupture, en recherche de rep&es, de rkfkences sociales, kconomiques voire affectives. Certes, on est majeur ?I 18 ans, on peut voter mais quel est le sens de l’exercice du droit de vote quand on se trouve sans statut social ? Quel crgdit finalement accorder a une socW et 2 ses institutions lorsque l’on est sans qualification, sans emploi et parfois m&me sans domicile ? C’est done bien cette p&iode de transition, moment particulikement difficile de la vie des jeunes, conskquence de la transformation dans notre pays comme ailleurs des conditions de passage de l’enfance 2 la vie d’adulte, qui nous a intkressks. Mais c’est kgalement, et les missions locales s’y attachent fortement, une etape d’intbgration ?I la vie sociale, une pkiode d’insertion, de cet entre-deux dont parle Robert Castel. C’est bien ces politiques d’insertion qui constituent la raison d’etre du r&eau des missions locales, initik en 1982 5 la suite du rapport de Bertrand Schwartz, et qui est le rkultat d’une volont& commune de I&at et des collectivitks locales, qui mtinent depuis plus 20 ans une action de proximitk pour que tous les jeunes

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accedent a l’autonomie et deviennent des citoyens a part entiere. Les deux concepts fondateurs de cette forme originale d/action publique restent d’actualite : [‘insertion professionnelle est indispensable et indissociable de l’insertion sociale. Tous les acteurs d’un territoire doivent @tre mobilises pour apporter des reponses aux jeunes en difficult& d’acces a I’emploi, et c’est pourquoi nul ne peut douter aujourd’hui qu’une education a la citoyennete doit constituer un element majeur des parcours d’insertion. Le reseau des missions locales paraissait etre le partenaire ideal pour agir au plus pres des elus locaux, et pour met&e en oeuvre un programme pluriannuel de recherche et de soutien aux initiatives citoyennes des jeunes. C’est le sens du protocole d/accord sign6 entre la fondation Dexia, la delegation interministerielle a I’insertion des jeunes et le conseil des missions locales a Grenoble au debut de I’annee 2002, qui vise a mettre en ceuvre concretement des actions impliquant les jeunes dans des actions ci toyennes. Mais auparavant, avant d’apporter un soutien financier aux differentes initiatives, dans le cadre d’un appel d’offres, nous avons souhaite contribuer a une reflexion sur le sens de la citoyennete. Nous avons decide de commencer par une etude originale a plusieurs titres. La demarche citoyenne a l’origine du projet, n’a pas un caractere scientifique. Les quelques tableaux de resultats traduisent I’effort de certaines missions locales pour capitaliser la parole des jeunes de ces missions, qui ont rarement l’occasion de s’exprimer publiquement sur les grands sujets de societe. Plutijt que d’avoir recours a une enquete d’opinion classique, nous avons associe les jeunes euxmemes ainsi que les professionnels en contact quotidien avec eux, pour la construction et la mise en ceuvre des questionnaires. Dans un premier temps, pour ne pas imposer notre conception de la citoyennete, nous avons laisse les jeunes definir cette notion au tours d’entretiens collectifs et nous avons meme form6 les conseillers au sein des missions locales. Les resultats de I/etude sont riches de nombreux constats. Une veritable defiance s’exprime pour ces jeunes a l’egard des institutions. Mais malgre leur desarroi de ne pas trouver une place dans une societe qui semble multiplier les obstacles dans leur acces a la citoyennete, cette question ne les laisse pas indifferents lorsqu’on suscite le debat. Tous les jeunes, quelle que soit leur origine, temoignent d’un fort attachement a la

Regards

de jeunes

France, a ses valeurs, au fonctionnement democratique de la societe. Bien que pour eux le passage a l’acte ne soit pas une chose aisee, ils manifestent tous une volonte de faire bouger les chases autour d’eux par des actions concretes et susceptibles de changer la vie quotidienne. Sur les 400 jeunes interroges par une dizaine de missions locales, il ressort quatre points essentiels : ils revendiquent fortement la citoyennete ; il y a de multiples freins et de nombreuses discriminations ; les voies traditionnelles de la citovennete ne fonctionnent pas, mais ils sont p&s a un engagement et a des actions citoyennes. I

Une revendication de la citoyennetQ

Claire

Pour la quasi-totalite des jeunes rencontres, la citoyennete est un acquis, un droit qui ne souffre ni discussion ni remise en cause. Certes, le mot citoyen ne fait pas partie du vocabulaire quotidien de ces jeunes. Cependant, au-deli du terme, ils se sentent et se veulent citoyens. Mais il ne s’agit pas d’une adhesion passive au sens ou le mot serait vide de toute signification ; on est citoyen tout simplement parce que l’on est francais, que l’on est n6 sur le territoire franfais, qu’on est fier de I’etre. Ainsi, 51 % d’entre eux se declarent tres attaches a la France, a ses valeurs et au fonctionnement democratique de la societe. Pour beaucoup d’entre eux, la France constitue un cadre de reference dans lequel ils se situent et dans lequel ils se sentent relativement bien s’ils le comparent a d’autres. Le vote, la liberte d/expression, les droits de I’homme, la conquete de droits sociaux, I’existence de la securite sociale sont present& comme autant d’acquis et de points forts qui font de I’identite franqaise un sentiment d’appartenance. Notamment, beaucoup de jeunes femmes issues de I’immigration manifestent fortement leur adhesion et leur volonte d’integration. On est citoyen parce qu’on a envie de I’etre : etre citoyen c’est avant tout avoir des droits, notamment economiques et sociaux. Citoyennete rime avec insertion professionnelle : etre citoyen c’est avoir un travail et des revenus detents. Citoyennete rime avec les droits sociaux : Ptre citoyen c’est beneficier d’une protection sociale. Au-dela des droits et des acquis sociaux auxquels les jeunes estiment pouvoir pretendre, la

sur notre sock%

citoyennete devrait pouvoir se traduire dans la vie sociale au quotidien par la mise en acte des valeurs d’egalite, de justice, de respect. Etre citoyen, c’est etre reconnu dans I’entreprise pour ses competences et son role, ne pas subir de discriminations a l’embauche du fait de la couleur de sa peau, de sa culture ou de son quartier. Le manque de confiance des chefs d’entreprise notamment par rapport a l/absence de diplomes est un autre point souligne par I’enquete. Ils sont conscients egalement de leurs devoirs. Sur un plan theorique, ils expriment clairement la notion de devoir qui contrebalance celle des droits attaches a la notion de citoyennete. Devoirs de respecter les lois, de se conformer a toutes les regles emises par la societe. Comme ils disent : N un citoyen est toujours en regle, ne commet pas de delit, ne vole pas, paie ses impots, se tient droit )). Cette etude n’est pas exempte de contradictions, mais lorsqu’on les interroge sur les comportements citoyens, les jeunes jugent comme inacceptable : - a 94 % : conduire sans permis ; - a 92 % : terminer un match par une bagarre ; - a 91 % : conduire sans assurance ; - a 73 % : agresser une personne et l’insulter ; - a 66 % : se procurer des biens illegalement ; - a 63 % : tagger ; - a 46 % : le non-paiement d’un titre de transport.

Les multiples freins et discriminations Tous les jeunes ne sont pas egaux dans I’acces a la citoyennete. Au regard du capital culture1 et du niveau de formation, on se sent plus ou moins reconnu en tant que citoyen. La difficult& d’acceder au marche du travail revient comme un leitmotiv dans la plupart des propos des jeunes. Les freins a I’acces au travail alimentent un sentiment de frustration, tout comme les origines culturelles. A la question : (( quelles ameliorations permettraient de limiter les difficult& de leur vie quotidienne ? )), ils repondent : - a 98 % : un travail ; - a 89,6 % : un soin gratuit ; - a 85,6 % : une meilleure education ; - a 83 % : la suppression des discriminations ; - a 82 % : un logement ; - a 73 % : le revenu minimum pour les jeunes ;

Sauvegarde

de I’enfance,

- a 73 % : la famille plus soudee ; - a 60 % : reprendre des etudes ; - a 56 % : I’amelioration des transports ; - a 51 % : plus de dialogue avec les politiques locaux. Ils sont egalement tres sensibles a la stigmatisation des jeunes par les medias, et les hommes politiques sont fortement decries.

Les voies traditionnelles d’expression de la citoyennete fonctionnent mal ou ne fonctionnent pas Les jeunes interview& marquent leur defiance a I’egard des institutions, et des voies leur permettent une d’expression sensees meilleure expression et une plus grande contribution a la vie sociale. Pour eux, le monde dans lequel ils vivent est peu intelligible. Pour les moins dip&m& notamment, mais quel que soit le niveau culturel, le monde ne suscite pas la confiance. Ils ne comprennent pas I’environnement institutionnel, administratif et politique. Tout leur parait abstrait, complique, eloigne de leurs preoccupations. De nombreux jeunes font &at, au sens litteral du terme, de leur incomprehension du discours des hommes politiques. IIs ne percoivent pas les differences entre les hommes et les partis, a I’exception des poles extremistes au langage juge plus clair. L’eloignement des jeunes par rapport aux institutions politiques representatives, meconnues et percues comme t&s eloignees de leurs preoccupations, est flagrant. La municipalite par exemple, dont on pourrait penser qu’elle pourrait repondre aux attentes de proximite et etre une instance de dialogue, est institutionnalisee et done assimilee par les jeunes a une administration parmi tant d’autres, a un guichet. Les assemblees territoriales (conseils general et regional) sont quant a elles totalement ignorees, y compris par les plus diplomes du public des missions locales. L’Europe est une abstraction aux contours flous qui suscite plus de mefiance que de curiosite. Ainsi, le sentiment d’appartenance des jeunes est : - la famille : a 86 % ; - la France : a 50 % ; - le quartier : a 28 % tres attache, a 32 % moyennement, a 37 % peu attache ; - la ville : a 25 % ; - la region : a 22 %.

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II en est de meme pour les institutions en terme de defiance : - la gendarmerie : a 50,3 % - la police : a 66 % ; - la justice : a 66 % ; - I’ecole : a 29 %. Pour I’ecole, il est interessant de constater qu’a 71 % les jeunes font confiance a cette institution et qu’elle conserve une image positive chez les jeunes interroges. Les hommes politiques sont quant a eux largement decredibilises et les affaires sont largement &es dans la mefiance a I’egard des politiques. Ainsi, parmi les personnalites jugees exemplaires en termes de citoyennete, sont citees : Coluche (73 %), I’Abbe Pierre (36 %), Lady Diana (32 %) pour son action contre les mines antipersonnelles, Zinedine Zidane (16 %), Djamel Debouze (15 %), Arlette Laguiller (8 %), Lionel Jospin et Jacques Chirac (4 %), Joey Star, Noel Mamere et Le Pen (2 %I. S’agissant des organisations et des personnes connues par les jeunes, les missions locales sont citees a 91 %, l’assistante sociale (62 %I, I’educateur (49 %) et le centre social (42 %). Dans ce contexte, les jeunes sont p&s pour construire des actions citoyennes. Engagement citoyen et actions citoyennes des jeunes Dans leur grande majorite, les jeunes manifestent leur volonte de s’engager et de se mobi-

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de jeunes

liser x pour que les chases bougent autour d’eux B. Au regard de la mefiance et de la distance avec l’environnement politique et institutionnel, ils ont tendance a s’inscrire et a privilegier des actions concretes et tangibles dont ils peuvent mesurer I’impact au quotidien. Les caracteristiques de I’action citoyenne id&ale sont la proximite, I’immediatete et la solidarite. Cette derniere est la forme d’engagement privilegiee par les jeunes. L’action citoyenne ne s’inscrit pas pour eux dans le champ politique ou le militantisme pour une grande cause, mais davantage dans le champ de la solidarite de la vie quotidienne. Ils seraient prets a s’engager : - a 91 % : dans des actions aupres des personnes demunies ; - a 87 % : dans des actions humanitaires ; - 2 85 % : dans des actions en faveur de I’insertion des jeunes ; - a 81 % : aupres des enfants malades ; - a 76 % : dans des actions en faveur de I’ecologie ; - a 76 % : aupres des personnes agees. Cette etude est une approche significative de la comprehension de la societe par les jeunes des missions locales. En s’appuyant sur cette etude, nous pourrons alimenter un travail extremement concret que les missions locales engageront avec l’ensemble de leurs partenaires 3i ,p; i;lpra‘II 9% dans les prochaines annees.

sur notre soci&