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CHIRURGIE AMBULATOIRE
Dossier thématique
Éditorial
Presse Med. 2014; 43: 275–277 ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Développement de la chirurgie ambulatoire en France : plus de contraintes pour plus de performance ? Gilles Bontemps
Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médicosociaux, 23, avenue d’Italie, 75013 Paris, France Disponible sur internet le : 10 février 2014
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Development of day surgery in France: More constraints for more performance?
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introduction de la chirurgie ambulatoire en France a été plus tardive que dans les autres pays européens ou anglo-saxons. Sa reconnaissance légale trouve son origine dans la loi no 91748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière et dans les décrets d’application d’octobre 1992. Vingt ans après, et malgré toutes les mesures prises en faveur de son développement, seulement 40 % des interventions chirurgicales sont prises en charge en ambulatoire en France (PMSI 2012. Source ATIH), confirmant son statut de « lanterne rouge » des pays de l’OCDE, alors que 70 % des pratiques chirurgicales sont ambulatoires dans les pays d’Europe du Nord, 79 % en Grande-Bretagne et 83 % aux États-Unis. Au rythme actuel du développement de la chirurgie ambulatoire en France (1,5 % d’augmentation annuelle moyenne depuis 2009), la volonté politique affichée par les pouvoirs publics en 2011 d’un taux cible ambulatoire de 50 % à l’issue des Schémas régionaux d’organisation sanitaire de 3e génération (soit en 2016) ne pourra être satisfaite. Pour l’atteindre, il faudra attendre 2019. Pour approcher le taux de 70 % (taux actuel dans les pays d’Europe du Nord), il faudra attendre 2033. Et pour arriver au taux américain de 85 %, il faudra attendre 2043 ! Le développement très modeste de cette pratique en France traduit une non-optimisation des prises en charge chirurgicales pour les patients et donc un manque de performance de notre système de soins. Comment rendre notre système de santé plus performant ? Comment mettre en oeuvre des organisations plus efficientes ? Doit-on contraindre ? Doit-on mettre en place de nouveaux incitatifs ? Pourtant, les bénéfices de la chirurgie ambulatoire sont maintenant admis par tous les acteurs. La chirurgie ambulatoire constitue un véritable saut qualitatif dans la production de soins, en contraignant à organiser la prise en charge dans une unité de lieu, de temps et d’action : réduction du temps de séjour au strict minimum nécessaire ; raccourcissement de la chaîne de soins par des circuits courts, des circuits autonomes et des court-circuits ; élimination des temps morts inutiles et
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lutte contre les gaspillages de toutes natures qui sont autant de rupture dans le processus de prise en charge et de moins-value pour les patients et les structures ; renforcement de la cohésion et de la coordination des équipes médicales et administratives. Cette unité de lieu, de temps et d’action se traduit par une moindre exposition aux infections nosocomiales, une réhabilitation plus précoce, une plus grande satisfaction des patients et une dédramatisation de l’acte chirurgical, tout particulièrement aux âges extrêmes de la vie. La chirurgie ambulatoire constitue aussi un enjeu pour le personnel des hôpitaux et des cliniques dans la mesure où elle améliore leurs pratiques professionnelles, leurs conditions de travail et leur qualité de vie : optimisation du temps médical en offrant une meilleure organisation et rationalisation du temps paramédical en apportant qualité de vie et satisfaction par la suppression des contraintes du travail de nuit et de weekend. Elle traduit enfin une organisation plus efficiente avec un impact stratégique et économique : meilleure productivité des structures (bloc opératoire, consultations. . .), amélioration de la gestion des ressources humaines par redéploiement du personnel vers l’ambulatoire plus efficient, augmentation de l’attractivité de la structure et des parts de marché par effet concurrentiel. L’impact de la chirurgie ambulatoire dans ces trois dimensions (qualité des soins, conditions de travail des personnels, efficience économique) est la définition même de la performance d’un système de santé selon l’Organisation mondiale de la santé ! Pourquoi la chirurgie ambulatoire se développe-t-elle si faiblement alors que des équipes médico-chirurgicales étendent leurs indications ambulatoires vers de la chirurgie de plus en plus lourde ? Des premières françaises ambulatoires ont été enregistrées sur une prothèse totale de genou (mars 2012) [1], une prothèse totale de hanche (décembre 2012) [1], une colectomie (février 2013) [1] et une néphrectomie totale (juillet 2013) [2]. Pourtant, la politique volontariste affichée par les pouvoirs publics pour sa reconnaissance est constante depuis 20 ans : depuis le discours de mars 1995 de la ministre de la Santé, Simone Veil « Ma conviction est, lorsque l’indication le justifie, que la chirurgie ambulatoire n’est pas une autre façon de traiter le patient mais bien la meilleure façon de le traiter » jusqu’à l’instruction ministérielle aux Agences Régionales de Santé du 27 décembre 2010 [3] « Il s’agit de changer de paradigme (. . .) e´tendre ce mode de prise en charge a` l’ensemble des patients e´ligibles a` la chirurgie ambulatoire et a` l’ensemble de l’activite´ de chirurgie, la chirurgie ambulatoire devenant la re´fe´rence ». Pourtant, les pouvoirs publics ont pris de nombreuses mesures incitatives : publication de rapports, mesures réglementaires, tarifaires, de contractualisation. De très nombreux rapports de référence ont été diffusés en France : Académie de médecine,
Académie de chirurgie, Enquête programme national interrégimes d’Assurance Maladie, Conseil national de la chirurgie, Abécédaire de chirurgie ambulatoire. . . Les mesures réglementaires en faveur du développement de la chirurgie ambulatoire en France ont été nombreuses dans la première décennie de ce siècle1. Elles l’ont été encore plus ces dernières années, puisque pas moins de 10 textes ministériels ont été publiés entre juillet 2010 et juillet 20132. De nombreuses mesures tarifaires ont aussi été mises en oeuvre depuis 2004 : revalorisation des tarifs ambulatoires en 2004, rapprochement des tarifs ambulatoires et d’hospitalisation complète pour 15 couples de Groupe homogène de séjours (GHS) en 2007 et 2008, mise en place d’un tarif identique entre le séjour ambulatoire et le premier niveau de sévérité en hospitalisation complète pour 18 GHS en 2009–2010, revalorisation des tarifs ambulatoires en 2011, élargissement du champ des GHS à tarif identique et suppression de certaines bornes basses en 2012. . . Toutes ces mesures ont été complétées par une démarche de contractualisation mise en place depuis 2004 avec des primes sur objectifs : contrats négociés entre l’État et les Agences régionales d’hospitalisation (ARH) puis entre l’État et les Agences régionales de santé (ARS), entre la CNAMTS et les Caisses régionales d’Assurance Maladie, entre les ARS et les établissements de santé (CPOM). En pratique, tous ces bénéfices, bienfaits, affichages politiques, mesures incitatives, pratiques professionnelles innovantes n’ont pas permis de combler notre retard français. Force est de constater que seules les mesures basées sur les contraintes ont eu un impact. En France, les deux seules périodes où la courbe de développement de la chirurgie ambulatoire a eu la pente la plus forte, ont correspondu aux périodes où les contraintes étaient maximales : taux de change et mise sous accord préalable (MSAP). En effet, les taux de change dérogatoire dans les années 1990 ont obligé les cliniques privées à fermer des lits de chirurgie pour ouvrir des places de chirurgie ambulatoire et ainsi développer leur activité chirurgicale : la subordination de la création de places de chirurgie ambulatoire à la fermeture
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Décret de mai 1999 ; ordonnance de septembre 2003 ; circulaire Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins (DHOS) de mars 2004 ; circulaire Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) de mai 2004 ; document cadre DHOS/CNAMTS de janvier 2005 ; plans d’action CNAMTS 2007 et 2008 ; circulaire DHOS d’avril 2008 ; Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) 2007 ; LFSS 2008 (Mise Sous Accord Préalable : MSAP).
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Directive du ministère de la Santé de juillet 2010 ; instruction ministérielle de décembre 2010 ; circulaire Schéma Régional de l’Organisation Sanitaire (SROS) de février 2011 ; circulaires Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) formation continue de juin 2011 et juin 2012 ; circulaire guide Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) de janvier 2012 ; décret du 20 août 2012 ; campagnes MSAP 2010– 2011 et 2012 ; circulaire interministérielle COmité interministériel de la PERformance et de la Modernisation de l’Offre de soins hospitaliers (COPERMO) de juin 2013.
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Développement de la chirurgie ambulatoire en France : plus de contraintes pour plus de performance ?
préalable de lits de chirurgie pouvait aller jusqu’à la suppression de 3,25 lits pour l’ouverture d’une place. Cela a permis aux cliniques privées de prendre des parts de marché chirurgicales aux dépens des hôpitaux publics et de mettre ainsi en place un monopole sur l’activité chirurgicale dans certaines spécialités et dans de nombreuses régions. Ensuite, la procédure de MSAP introduite dans la LFSS 2008 a bien été une procédure normative considérant que la chirurgie ambulatoire est la norme et, qu’en cas d’hospitalisation traditionnelle, le chirurgien devait justifier son choix auprès des tutelles à partir de stricts critères médicaux ou psychosociaux. Le taux moyen de chirurgie ambulatoire des cinq gestes marqueurs les plus fréquents (chirurgie de la cataracte, arthroscopie du genou, chirurgie des varices, adénoïdectomies, extractions dentaires) a ainsi augmenté de 9 points l’année suivant la mise en place de la MSAP. La contrainte a été aussi systématiquement retrouvée comme facteur essentiel et déclenchant dans le benchmark des 15 établissements français les plus performants et représentatifs en chirurgie ambulatoire et dont les résultats ont abouti à la publication des recommandations organisationnelles conjointes : Agence nationale d’appui à la performance (ANAP) et Haute Autorité de santé (HAS) (recommandation D [4]). Cette contrainte pouvait être subie (environnement extérieur) ou voulue et mise en place par l’établissement, mais, dans tous les cas, elle permettait d’enclencher une prise de conscience de tous les acteurs (médecins, infirmières, brancardiers, directeurs. . .), développant une intelligence collective pour contourner ces freins. Car la chirurgie ambulatoire ne se développe pas spontanément, tant elle modifie les comportements anciens et redessine les territoires des acteurs. La contrainte est aussi systématiquement retrouvée dans tous les pays qui ont aujourd’hui des taux importants de chirurgie
ambulatoire : contrainte de la bureaucratie dans les hôpitaux américains amenant la création de centres ambulatoires indépendants (introduisant une pression concurrentielle entre les structures avec pour conséquence le développement important de l’activité ambulatoire), problématique des listes d’attente opératoires en Grande-Bretagne avec comme corollaire la création des centres indépendants (favorisant la productivité des structures et la mise en tension des hôpitaux), interdiction de la pratique ambulatoire dans les hôpitaux en Allemagne amenant la création de centres indépendants (autonomisant les structures ambulatoires et rendant le développement plus ample). . . En conséquence, si la France veut répondre aux nombreux défis qu’attend son système de santé (déficit de l’Assurance maladie, développement exponentiel des pathologies chroniques, financement de la recherche et du progrès, amélioration de la qualité et de la performance), il apparaît indispensable de dégager des marges de manoeuvre que seul permet le développement de la chirurgie ambulatoire. Il faut donc sans délai mettre en place une politique de contraintes fortes : fermer massivement les lits de chirurgie (48 000 lits chirurgicaux sont potentiellement excédentaires en France [5]) ; arrêter la construction de « cathédrales » surdimensionnées qui demain seront des navires vides et des gouffres financiers ; autoriser la création de centres indépendants pour provoquer des réactions d’ajustement concurrentiel en stimulant les autres établissements publics et privés à prioriser le développement de l’ambulatoire ; fermer les structures à faible activité chirurgicale et regrouper les structures pour permettre l’atteinte d’un seuil d’activité chirurgicale minimal, condition indispensable pour un modèle performant et économiquement viable.
Éditorial
Chirurgie ambulatoire
Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références
[2]
Académie nationale de chirurgie. La chirurgie ambulatoire 2013. Séance du 20 mars 2013; 2013 [Accès au site le 08/01/ 2014]http://www2.academie-chirurgie.fr/ sean/?cle_seance=507. Hospices civils de Lyon. Communiqué de presse « Première mondiale : l’ablation d’un rein par chirurgie robotique en ambulatoire »; 2013 [Accès au site le 08/ 01/2014]http://www.chu-lyon.fr/web/ actualite_4324.html.
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In struc t ion DG OS/R 3/201 0/457 du 27 décembre 2010 relative à la chirurgie ambulatoire : perspectives de développement et démarche de gestion du risque. BO Santé, Protection sociale, Solidarité 2011; 1:183. HAS, ANAP. Ensemble pour le développement de la chirurgie ambulatoire. Recommandations organisationnelles; 2013 [Accès au site le 08/01/2014]http://www. anap.fr/detail-dune-publication-ou-dun-
[5]
outil/recherche/recommandations-organisationnelles/. ANAP, HAS, AFCA. Les 8 constats partagés de la puissance publique, novembre 2010; 2010 [Accès au site le 08/01/2014]http:// www.anap.fr/fileadmin/user_upload/03projets/Chirurgie_ambulatoire/8_constats_ partages_puissance_publique_novembre_ 2010.pdf.
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