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Devons-nous consommer moins de sel ? F. Delahaye Service de cardiologie, Hôpital Louis-Pradel, Centre hospitalier universitaire, Lyon
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et article reprend l’exposé fait pendant les Journées européennes de la Société française de cardiologie en janvier 2012 [1], qui s’appuyait largement sur l’excellente revue générale de He et Mac Gregor [2]. La surconsommation de sel entraîne une augmentation de la tension artérielle et de ce fait, une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire et de maladie rénale. Mais la surconsommation de sel a aussi, indépendamment de son effet sur la tension artérielle, un effet direct sur les accidents vasculaires cérébraux, la masse ventriculaire gauche et la progression des maladies rénales et d’une protéinurie. Elle a aussi un effet indirect sur l’obésité via l’augmentation de la consommation liquidienne qu’elle entraîne. Le risque de calculs rénaux et d’ostéoporose est accru. La surconsommation de sel serait liée à la sévérité de l’asthme. Enfin, c’est probablement une cause majeure de cancer de l’estomac. Sel et sodium ne sont pas synonymes. Le sel contient 60 % de chlorure et 40 % de sodium. Une mmol de Na est égale à 23 mg de Na. Pour des raisons de simplicité, dans la suite de l’article, il s’agira de sel. L’augmentation de la tension artérielle est une cause majeure de maladie cardiovasculaire : elle est responsable de 62 % des accidents vasculaires cérébraux et de 49 % des coronaropathies. Le risque augmente tout au long de l’augmentation de la tension artérielle à partir de 115/75 mm Hg. AMC pratique n°230 Septembre 2014
Sel et tension artérielle Les preuves sont très abondantes d’une association entre la consommation de sel et le niveau de tension artérielle. Pas seulement chez l’homme, mais dans de nombreuses espèces animales, le sel joue un rôle important dans la régulation de la tension artérielle. Plusieurs études dans des sociétés primitives n’ayant pas accès au sel ont montré que la tension artérielle était plus basse que dans des sociétés développées. INTERSALT est une grande étude ayant pour but d’étudier des com-
munautés avec une étendue large de consommation de sel, de 0,5 à 25 g/j [3]. La consommation était mesurée par la natriurèse de 24 heures. Ont été incluses 52 communautés, dont 4 avaient une consommation de sel basse () 3 g/j) et dont la plupart consommait entre 6 et 12 g de sel par jour. Aucune n’avait une très forte consommation. Il y a une relation positive significative entre la consommation de sel et la tension artérielle d’une part, l’augmentation de la tension artérielle avec l’âge d’autre part (figure 1). Une augmentation de 6 g/j de la consommation de sel pendant 30 ans conduit à une aug-
Figure 1. Relation entre la consommation de sel et l’augmentation de la tension artérielle systolique avec l’âge. D’après [3].
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mentation de la tension artérielle systolique de 9 mm Hg. Dans plusieurs études, la migration d’une société à faible consommation de sel dans un environnement urbain consommant plus de sel était associée à une augmentation de la tension artérielle. La diminution de la consommation de sel entraîne une diminution de la tension artérielle. Cela a été montré dans plusieurs études d’intervention dans des populations, par exemple au Portugal dans deux villages similaires. Dans le village qui a réduit sa consommation de sel, de 42 % à un an et de 47 % à 2 ans, la différence de tension artérielle par rapport à l’autre village, après deux ans, était de 13/6 mm Hg. Il y a eu plusieurs essais contrôlés de bonne qualité, notamment l’essai DASH (Dietary approaches to stop hypertension), dans lequel il y avait trois groupes de consommation de sel, 8, 6 et 4 g/j, cela pendant quatre semaines. Il y avait une relation dose-réponse claire entre la diminution de la consommation de sel et la diminution de la tension artérielle, systolique et diastolique. Plusieurs méta-analyses confirment ces données, par exemple une méta-analyse des essais randomisés ayant duré plus d’un mois. Avec une réduction même modeste de la consommation de sel, il y a une diminution significative importante de la tension artérielle, chez les hypertendus et chez les normotendus. La relation est de type doseréponse. Une réduction de 6 g/j de la consommation de sel entraîne une diminution de la tension artérielle de 7/4 mm Hg chez les hypertendus et de 4/2 mm Hg chez les normotendus. L’effet de la réduction de la consommation de sel s’ajoute à l’effet d’autres mesures hygiénodiététiques. Cela a été montré notamment dans l’essai DASH pré38
cédemment cité. En plus d’une randomisation en trois groupes en termes de consommation de sel (8, 6 et 4 g/j), il y avait une randomisation en deux groupes de régime alimentaire, soit le régime alimentaire américain habituel, soit le régime DASH, riche en fruits et légumes et pauvre en produits laitiers. La moindre consommation de sel a entraîné une baisse de la tension artérielle et dans le groupe « régime américain habituel » et dans le groupe « régime DASH ». La combinaison des deux, alimentation de type DASH et réduction de la consommation de sel, a un effet plus important sur la tension artérielle que chacune des deux interventions isolément. Les mécanismes de l’augmentation de la tension artérielle avec l’augmentation de la consommation de sel ne sont pas parfaitement connus. Les reins jouent sûrement un rôle très important : les individus chez lesquels la tension artérielle augmente ont un défaut de la capacité des reins à excréter le sodium. Il y a probablement aussi un rôle du volume extracellulaire et un rôle direct du sodium plasmatique.
Sel et maladies cardiovasculaires Comme l’augmentation de la tension artérielle est un facteur de risque majeur de maladie cardiovasculaire, et comme la réduction de la consommation de sel diminue la tension artérielle, cette réduction de la consommation de sel devrait diminuer la fréquence des maladies cardiovasculaires. Mais la réduction de la consommation de sel a aussi des effets bénéfiques sur le système cardiovasculaire indépendamment de son effet sur la tension artérielle, notamment sur les accidents vascu-
laires cérébraux et sur la masse ventriculaire gauche. Donc, l’effet total de la réduction de la consommation de sel sur les événements cardiovasculaires peut être plus important que le seul effet lié à la baisse de la tension artérielle. Dans une méta-analyse des essais randomisés de réduction de la consommation du sel, une réduction de 6 g/j de la consommation de sel entraînerait une réduction de la fréquence des accidents vasculaires cérébraux de 24 % et une réduction de la fréquence des maladies coronaires de 18 %. Cela signifierait 35 000 décès dus à un accident vasculaire cérébral ou à une coronaropathie en moins chaque année en France, 2,5 millions dans le monde. Parmi 12 études de cohortes, 4 ont utilisé la bonne méthode de quantification de la consommation de sel, la natriurèse de 24 heures. Dans une étude finlandaise chez 2 436 hommes âgés de 25 à 64 ans, une augmentation de la consommation de sel de 6 g/j était liée à une augmentation des décès de cause coronaire de 56 %, des décès de cause cardiovasculaire de 36 % et de l’ensemble des décès de 22 %. Plus de 3 000 sujets ont été inclus dans les essais TOHP I et II. La tension artérielle était en moyenne de 127/85 mm Hg et la consommation moyenne de sel de 10 g/j. Dans chacun des deux essais, un des groupes randomisés consommait moins de sel, pendant 18 mois dans TOHP I, 36 à 48 mois dans TOHP II. Par rapport aux sujets contrôles, la réduction de la consommation de sel a été de 25-30 %, la baisse de la tension artérielle a été de 1,7/0,9 mm Hg à 18 mois et de 1,2/0,7 mm Hg à 36 mois. Après la fin des essais, il n’y avait plus de conseil diététique. Après un suivi de 10 à 15 ans après les essais, et après ajustement sur les facteurs de confusion, l’incidence des événements cardiovascuAMC pratique n°230 Septembre 2014
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laires dans le groupe initial « réduction de la consommation de sel » a été de 25 %.
Autres effets délétères de la surconsommation de sel La surconsommation de sel entraîne une rétention de sel et, de ce fait, une rétention d’eau. Il y a un effet direct sur la fréquence des accidents vasculaires cérébraux, indépendamment de la tension artérielle. Cette relation est plus forte que la relation entre la natriurèse de 24 heures et la tension artérielle. L’hypertrophie ventriculaire gauche est un facteur important et indépendant de morbi-mortalité cardiovasculaire. Dans des études transversales, il y a une relation positive entre la natriurèse de 24 heures et la masse ventriculaire gauche, indépendamment de la tension artérielle (figure 2) [4]. Il y a une relation entre la consommation de sel et le taux de cancers de l’estomac. Il y a un lien entre la consommation de sel et l’infection chronique par Helicobacter pylori, en cause dans les ulcères gastroduodénaux et les cancers gastriques. L’excrétion urinaire d’albumine est un facteur de risque important et indépendant d’apparition et de progression des maladies rénales et des maladies cardiovasculaires. Dans plusieurs études épidémiologiques, il y a une association directe entre la consommation de sel et l’excrétion urinaire d’albumine, indépendamment de la tension artérielle. Dans plusieurs essais randomisés, une réduction de la consommation de sel s’est accompagnée d’une réduction de la protéinurie de 24 heures. La consommation de sel est un des déterminants diététiques majeurs de l’excrétion urinaire de calcium. AMC pratique n°230 Septembre 2014
Figure 2. Relation entre la consommation de sel et la masse ventriculaire gauche chez des sujets dont la tension artérielle systolique est supérieure à 121 mm Hg. D’après [4].
Dans plusieurs études épidémiologiques et essais randomisés, une moindre consommation de sel est liée à une moindre excrétion urinaire de calcium. Comme le calcium est la composante principale de la plupart des calculs rénaux, la consommation de sel est donc une cause importante de calculs rénaux. La perte de densité osseuse est, elle aussi, liée à la natriurèse de 24 heures, la relation étant aussi
forte que celle la liant à la consommation de calcium. La consommation de sel n’est pas une cause d’asthme, mais il y a des arguments épidémiologiques et cliniques en faveur d’une liaison entre la consommation de sel et la sévérité de l’asthme. Il y a un lien indirect entre la consommation de sel et l’obésité, par le fait qu’une consommation plus salée entraîne une plus grande
Points essentiels • Les preuves sont abondantes d’une relation entre la surconsommation de sel et l’augmentation de la tension artérielle. • Indépendamment de l’effet sur la tension artérielle, la surconsommation de sel a des effets sur les maladies cardiovasculaires (accidents vasculaires cérébraux, masse ventriculaire gauche). • La surconsommation de sel a aussi des effets sur la progression des maladies rénales et d’une protéinurie, l’obésité, le risque de calculs rénaux et le cancer de l’estomac. • La réduction de la consommation de sel est efficace et coût-effective. • Dans les pays occidentaux, cette réduction ne peut se faire sans la participation de l’industrie alimentaire.
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consommation de boissons non alcoolisées. Avec une consommation de sel passant de 10 g/j à 5 g/j, la consommation de liquides diminue de 350 ml/j.
Coût-efficacité de la réduction de la consommation de sel Plusieurs études montrent que la réduction de la consommation de sel est coût-effective. Dans 23 pays à revenus faibles ou moyens, qui totalisent 80 % des maladies chroniques dans les pays en voie de développement, une réduction de 15 % de la consommation de sel de la population pendant 10 ans ferait éviter 8,5 millions de décès de cause cardiovasculaire, alors qu’une réduction de 20 % de la prévalence du tabagisme préviendrait 3,1 millions de décès de cause cardiovasculaire. Le coût de ces programmes serait de 0,09 $/personne/an pour la réduction de la consommation de sel et de 0,26 $/personne/an pour la réduction du tabagisme.
Rôle de l’industrie alimentaire dans la réduction de la consommation de sel De nombreuses entreprises de l’industrie alimentaire ont compris qu’elles devaient reformuler leurs produits. Mais pas toutes, et ce pour des raisons commerciales. En effet, la consommation de sel est source de profit : • parce que, en consommant plus de sel, on a plus soif, et donc on boit
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plus, des boissons non alcoolisées et de l’eau minérale, que vendent les grands groupes de l’industrie alimentaire ; • parce que l’adjonction de sel augmente le poids des aliments ; • parce que la surconsommation de sel entraîne une demande plus forte d’aliments très salés, et une addiction au sel. Pourtant, l’industrie alimentaire n’a pas à craindre une réduction de la quantité de sel qu’elle ajoute dans ses produits : les aliments moins riches en sel sont plus sains (tension artérielle plus basse, moindre risque de maladie cardio-vasculaire, de maladie rénale, de cancer de l’estomac, d’ostéoporose…). Ainsi, la population vivra plus longtemps, et donc le nombre de consommateurs aura augmenté.
Programmes de réduction de la consommation de sel De nombreux pays ont émis des recommandations sur la consommation de sel souhaitable : moins de 6 g/j aux Etats-Unis et au Royaume Uni, moins de 5 g/j pour l’OMS. En France, l’objectif du Programme National Nutrition Santé (PNNS) 2011-2015 est une consommation de sel inférieure à 8 g/jour chez les hommes adultes et 6,5 g/jour chez les femmes adultes et les enfants [5]. La consommation de sel est de 8,5 g/j chez les adultes, 10 g chez les hommes, 7 g chez les femmes. La consommation est stable avec l’âge, chez les hommes et chez les femmes. Consomment moins de 8 g/j, 33 % des hommes et 74 % des femmes.
Dans la plupart des pays développés, 80 % du sel consommé est du sel rajouté aux aliments au moment de leur préparation (sel naturel : 5 % ; sel durant la cuisine ou sur la table : 15 %). Donc, si l’on veut une réduction de la consommation de sel de la population, cela passe par une réduction du sel ajouté par l’industrie alimentaire.
En conclusion Les preuves sont abondantes de l’intérêt pour la santé de la réduction de la consommation excessive de sel dans nos pays développés. Comme 80 % du sel consommé provient de l’industrie alimentaire, celle-ci doit reformuler ses produits. Conflits d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.
Références [1] Delahaye F. Devons-nous consommer moins de sel ? Presse Med 2012;41:644-9. [2] He FJ, Mac Gregor GA. Reducing population salt intake worldwide: from evidence to implementation. Prog Cardiovasc Dis 2010;52:363-82. [3] Intersalt Cooperative Research Group. Intersalt: an international study of electrolyte excretion and blood pressure. Results for 24 hour urinary sodium and potassium excretion. BMJ 1988;297:319-28. [4] Kupari M, Koskinen P, Virolainen J. Correlates of left ventricular mass in a population sample aged 36 to 37 years. Focus on lifestyle and salt intake. Circulation 1994;89:1041-50 [5] Programme National Nutrition Santé 2011-2015. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNNS_20112015.pdf
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