REIN ET PATHOLOGIES
Diabète et rein Michèle Fonfrèdea,*
RÉSUMÉ
SUMMARY
Le diabète est associé à 40 % de nouveaux cas d’insuffisance rénale chronique terminale et en est la première cause. Alors que le développement de la néphropathie diabétique classique est bien connu aussi bien chez les diabétiques de type 1 que de type 2, on observe depuis quelques années, chez un certain nombre de patients, une autre évolution avec développement d’une insuffisance rénale chronique non précédée d’une macro-albuminurie. D’autres atteintes rénales peuvent également être observées chez les sujets diabétiques. La micro-albuminurie reste le marqueur de choix du dépistage de la néphropathie diabétique. Des recommandations quant à son dosage et son mode d’expression sont maintenant clairement décrites. De nouveaux marqueurs sont actuellement à l’étude pour tenter de dépister et diagnostiquer encore plus précocement la néphropathie diabétique.
Kidney disease and diabetes Diabetic nephropathy is the first cause of end stage renal disease. The natural history of diabetic nephropathy was first defined for type 1 and type 2, but it was recently describe that some patients can develop end stage renal disease without presenting macroalbuminuria. Microalbuminuria is the preferred marker for screening diabetic nephropathy. Some new markers are currently studied in order to diagnose diabetic nephropathy earlier in its development. Diabetic nephropathy – proteinuria – microalbuminuria.
Néphropathie diabétique – protéinurie – micro-albuminurie.
1. Introduction La néphropathie diabétique est une des complications microangiopathiques majeures du diabète [1, 2]. C’est la cause la plus fréquente d’insuffisance rénale chronique (IRC) terminale aux États-Unis et en Europe, et de façon préoccupante elle va le devenir en Afrique et dans les pays en voie de développement. C’est également l’une des principales causes d’insuffisance rénale terminale, toutes causes confondues. De manière très simpliste, l’insuffisance rénale du diabétique est définie comme une insuffisance rénale causée par le diabète avec une protéinurie persistante et/ou une diminution du débit de filtration glomérulaire ou DFG (inférieur ou égal à 60 ml/min/1,73 m2). Elle est de ce fait détectée par la persistance de l’augmentation de l’élimination de l’albumine urinaire. La biopsie rénale n’est en principe pas nécessaire pour le diagnostic. Alors que l’incidence de la néphropathie due au diabète de type 1 est actuellement en baisse, on observe un nombre croissant de sujets ayant une néphropathie diabétique en relation avec le nombre croissant de diabétiques de a Laboratoire de biochimie métabolique Groupe hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière – Charles Foix (AP-HP) 47, bd de l’Hôpital 75651 Paris cedex 13
* Correspondance
[email protected] article reçu le 13 juin, accepté le 24 juin 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
type 2, ce qui fait de cette maladie, à l’heure actuelle, un problème majeur de santé publique. En effet, alors qu’il y a seulement une vingtaine d’années, cette pathologie était considérée comme bénigne car associée au processus de vieillissement normal, elle représente actuellement le pourcentage de population le plus élevé en insuffisance rénale terminale en Europe, aux États-Unis et au Japon. De plus, alors qu’elle était classiquement considérée comme la pathologie du sujet âgé, elle apparaît maintenant de plus en plus précocement à cause de l’apparition de diabète de type 2 chez les sujets jeunes. Si la néphropathie diabétique classique est la cause la plus fréquemment observée chez les diabétiques, d’autres atteintes rénales non spécifiques du diabète peuvent apparaître et il sera toujours important de faire un diagnostic précis de l’origine de la néphropathie afin d’adapter le traitement. Le marqueur classiquement décrit dans le dépistage et le suivi de la néphropathie du diabétique est la micro-albuminurie. D’autres marqueurs sont également décrits. Le but de cet article est de faire le point sur les connaissances actuelles sur le développement de la néphropathie diabétique classique, sur la place du « marqueur » de référence qu’est la micro-albuminurie mais aussi de présenter les nouvelles possibilités d’étude biologique de cette maladie.
2. Épidémiologie de la néphropathie diabétique La néphropathie diabétique est définie par une atteinte rénale avec protéinurie persistante. En 2011, 49 % des nouveaux patients nécessitant une dialyse étaient diabétiques. Parmi eux, seulement 6 % étaient des sujets diabétiques de type 1 et donc 94 % étaient des diabétiques de type 2 [3]. Une autre façon de présenter l’importance REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455 //
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de cette maladie est de savoir que 25 à 30 % des patients en insuffisance rénale terminale (IRT) avec dialyse sont des diabétiques et parmi eux 90 % sont de diabétiques de type 2 [4, 5]. En ce qui concerne le diabète de type 1, même si l’incidence de la néphropathie est en baisse, on note une augmentation de l’incidence de l’IRT dans tous les pays, c’est-à-dire que il y a moins de néphropathie mais qu’une plus grande proportion évolue vers l’IRT. Pour le diabète de type 2, du fait de l’augmentation du nombre de sujets atteints, il a été constaté qu’en l’espace de deux ans (2005 à 2007) l’incidence de la néphropathie diabétique chez les sujets avec un diabète de type 2 est passée de 18 à 19,1 %. Rapportés au nombre de diabétiques, il y a donc, à travers le monde, plusieurs millions de sujets atteignant le stade d’IRC par an [6]. Enfin, malgré les chiffres décrivant une augmentation, on a constaté que dans les pays occidentaux, si le nombre de patients avec une IRC liée à la néphropathie diabétique augmente, cela est dû au fait que le nombre de diabétiques augmente car la proportion de sujets avec une IRC diminue [7]. Ceci est probablement dû au fait que, dans les pays occidentaux, le dépistage et la prise en charge de cette maladie sont efficaces. L’effort doit donc être fait dans les pays en voie de développement qui font face à une augmentation du nombre de diabétiques de type 2 mais avec une prise en charge coûteuse donc moins efficace. Force est de constater que tous les diabétiques (qu’ils soient de type 1 ou de type 2) ne développent pas une néphropathie. Plusieurs études mettent en évidence que le risque de néphropathie diabétique classique est fortement déterminé par des facteurs génétiques. Alors qu’on a longtemps pensé que la prévalence de la maladie rénale diabétique chez les Afro-Américains, les Hispaniques et les Indiens était 2 à 3 fois plus élevée par rapport à des sujets caucasiens, une récente étude réalisée en Grande-Bretagne [8] a révélé que ceci semble moins évident et que la plus forte prévalence survient seulement dans quelques minorités ethniques. La plus forte prévalence de néphropathie diabétique est observée chez les sujets d’origine asiatique ou hispanique [9, 10]. Les sujets africains ou originaires des Iles-du-Pacifique ont plus de risque de développer une néphropathie diabétique évoluant vers l’IRC que les sujets européens. Chez les patients originaires du Sud-est asiatique en comparaison avec des sujets caucasiens, il est observé une plus grande prévalence de la protéinurie et une plus faible prévalence de la micro-albuminurie. Ce qui laisserait supposer que la progression vers l’IRC est plus rapide chez les sujets du Sud-est asiatique. En ce qui concerne l’évolution de la maladie vers l’IRT, on sait que chez les diabétiques de type 2, 20 à 40 % des patients ayant une microalbuminurie ont une protéinurie dans les 20 ans qui suivent et que parmi ces derniers 20 % développeront une IRT. En Europe et aux États-Unis (donc dans les pays industrialisés où la prise en charge est optimale), la proportion de nouveaux sujets en IRT liée à la néphropathie diabétique semble stabilisée. Malgré tout, la progression annuelle de sujets diabétiques atteignant l’IRT est de 160 personnes par million et la prévalence de sujets diabétiques actuellement en dialyse est de 650 personnes par million.
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La préoccupation porte maintenant sur les jeunes. En effet, alors que dans un développement classique de néphropathie diabétique, il faut plusieurs décennies à un jeune diabétique de type 1 avant d’arriver au stade d’IRT qui touchera seulement 40 % d’entre eux, il semble que chez les jeunes (adolescents ou adultes jeunes) ayant un diabète de type 2, le risque soit plus grand et l’évolution plus rapide. Dernière constatation épidémiologique, alors qu’il est admis que la prévalence de l’atteinte rénale chez le diabétique augmente (elle est passée d’une augmentation de 2,8 % entre 1999 et 2004 à 3,8 % entre 2005 et 2008), dans les mêmes périodes la prévalence des sujets avec micro-albuminurie a diminué passant de 27,3 à 23,7 %. Ceci suggère que de plus en plus de diabétiques sont susceptibles de développer une néphropathie sans protéinurie [11, 12]. La prévalence cumulée d’IRC et d’IRT a diminué de moitié entre les années avant 1960 et les années 1980 après la « découverte » de la micro-albuminurie.
3. Histoire naturelle de la néphropathie diabétique La néphropathie diabétique fait partie des microangiopathies qui sont caractérisées par l’atteinte de petits vaisseaux dont le diamètre est inférieur à 30 μm [13, 14]. L’histoire naturelle du développement, en 3 phases et 5 stades, a été décrite par Mogensen. À la phase précoce, on observe une hypertrophie des glomérules et des tubules proximaux entraînant une hyper-filtration glomérulaire [15]. La deuxième phase est caractérisée par une hypertrophie du mésangium liée à une augmentation de la matrice extracellulaire et du nombre de cellules mésangiales, et un épaississement de la membrane basale glomérulaire. Cette deuxième phase correspond à un état de glomérulosclérose. La phase suivante est caractérisée par une réduction progressive de la densité capillaire, une modification de la taille des pores de la membrane basale glomérulaire et une diminution de la surface de filtration. Parallèlement, se développent des lésions tubulo-interstitielles. Cette « histoire naturelle » initialement décrite dans le diabète de type 1 a été considérée comme existant de façon similaire pour le type 2. Les 5 stades conventionnels du développement de la néphropathie diabétique, incluant en parallèle les modifications physiopathologiques et la place de l’excrétion urinaire de l’albumine (micro-albuminurie), sont présentés dans le tableau I.
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Tableau I – Évolution naturelle de la néphropathie diabétique. Stade
Caractéristique
Stade 1
Hyperfiltration glomérulaire, réversible
Stade 2
Filtration normale et normo-albuminurie Microalbuminurie et débit de filtration glomérulaire normal Protéinurie
Stade 3 Stade 4 Stade 5
Insuffisance rénale chronique avec évolution vers l’insuffisance rénale chronique terminale (diminution du débit de filtration glomérulaire de 10 ml/min/an)
REIN ET PATHOLOGIES
Il est clair que la manifestation le plus précoce est l’hyperfiltration mais que, cliniquement, elle passe inaperçue essentiellement à cause de l’absence de marqueur. C’est donc le stade 3, grâce à la micro-albuminurie, qui est considéré comme le tournant crucial de la maladie : c’est à ce stade qu’il faut agir par traitement pharmacologique pour ralentir l’évolution voire faire régresser la néphropathie. En effet, des récentes études longitudinales contredisent l’idée que le stade 3 va obligatoirement évoluer vers le stade 4. On a ainsi pu observer que, sur une période de 5 à 12 ans, la probabilité de revenir (même spontanément) à une normoalbuminurie est de 46 % environ, alors que la probabilité de progresser vers la protéinurie n’est que de 24 %. La pathogénie exacte de la néphropathie diabétique est complexe et n’est pas encore totalement élucidée [16]. Plusieurs mécanismes sont impliqués : modifications hémodynamiques, hyperglycémie, anomalies sur les voies métaboliques du glucose et prédisposition génétique [17].
ont une insuffisance rénale sans protéinurie [12, 19]. Entre un tiers et la moitié des diabétiques de type 2 présentent à un moment de l’évolution de la maladie, une diminution du DFG sans protéinurie. La caractéristique commune à ces sujets est une évolution plus lente vers l’IRC terminale associée à plus de risques cardiovasculaires. Cette forme de néphropathie est observée chez des patients plus âgés, qui ont un diabète depuis plusieurs dizaines d’années, qui ont des antécédents de pathologie cardiovasculaires et qui sont traités avec un inhibiteur du système rénine-angiotensine. Enfin, chez un diabétique de type 2, des lésions rénales peuvent exister avant même que l’hyperglycémie chronique soit confirmée. Donc à un stade de « prédiabète », on observe déjà une atteinte rénale en lien avec l’insulinorésitance [20].
4. Les autres atteintes rénales observées chez le diabétique
3.1. Les modifications hémodynamiques Elles sont caractérisées par une augmentation de la pression intra-glomérulaire, elle-même conséquence d’un déséquilibre entre une vasodilatation de l’artériole afférente et une vasoconstriction de l’artériole efférente. Les médiateurs impliqués dans ces modifications hémodynamiques sont le système rénine-angiotensine. En effet, après activation, ce système a pour effet une action hémodynamique entraînant une hyperfiltration.
3.2. Les anomalies des voies métaboliques liées à l’hyperglycémie Elles sont, entre autres, la formation de produits de glycation avancée [18], la formation du sorbitol par la voie des polyols, un stress oxydant, la résultante étant une production de messagers (ROS, AGE’s) dont les effets cumulés aboutissent à la néphropathie. En effet, l’hyperglycémie stimule la synthèse de l’angiotensine II qui exerce à son tour des effets délétères sur les cellules rénales. Parmi les autres facteurs qui sont une conséquence de l’hyperglycémie et jouant sur l’hémodynamique rénale, on trouve le facteur de croissance de l’endothélium (VEGF) et les cytokines dont le TGFβ.
3.3. Les prédispositions génétiques Elles ont déjà été présentées dans l’épidémiologie. En termes d’évolution « naturelle », de nouvelles considérations sont à prendre en charge. r Si la vitesse de dégradation (selon les 5 stades classiques) semble sensiblement équivalente pour les 2 types de diabètes, on sait que pour le diabète de type 1, si l’IRC n’est pas apparue dans les 20 premières années de la maladie, le risque de développement dans les années qui suivent est quasi nul. r A contrario, pour le diabète de type 2, le risque de développer une IRC augmente avec la durée du diabète.
3.4. Néphropathie diabétique sans protéinurie Si la présence d’une protéinurie est classiquement le signe de la néphropathie diabétique, on a observé depuis quelque temps que, dans le diabète de type 2, il existe des sujets qui
Les anomalies rénales chez les diabétiques de type 2 représentent 1/3 de la population si l’on se réfère à la présence d’une micro-albuminurie mais davantage si on tient compte de l’estimation du DFG [21, 22]. Chez les diabétiques de type 2, une atteinte rénale est donc définie par une excrétion urinaire d’albumine supérieure à 30 mg/24 h (ou 20 μg/min ou 20 mg/g de créatinine chez la femme et 30 mg/g chez l’homme) et/ou un DFG estimé inférieur à 60 ml/min/1,73 m2. L’analyse étiologique chez ces patients est primordiale puisqu’il faudra différencier la néphropathie diabétique « classique » des néphropathies chroniques d’origine vasculaire, glomérulaire ou congénitale, ou encore des glomérulonéphrites rapidement progressives. Une atteinte rénale chez un diabétique de type 2 devra donc faire l’objet, au moment de la découverte, de la recherche d’une infection urinaire, d’un obstacle sur les voies urinaires, d’une pathologie artérielle rénale, d’une maladie auto-immune ou d’une origine iatrogène toujours possible chez ces sujets pour lesquels les associations médicamenteuses sont nombreuses [23]. La démarche diagnostique va dépendre du contexte clinique et des examens complémentaires simples sont souvent suffisants.
5. La micro-albuminurie Comme cela a été dit ci-dessus, la micro-albuminurie est le tournant crucial de la néphropathie diabétique [24]. C’est le stade 3 décrit par Mogensen, souvent réversible, et surtout c’est la première phase accessible au clinicien grâce à un examen simple de biochimie urinaire. Le terme de microalbuminurie est un terme impropre ! Le préfixe « micro » signifie en latin petite taille, ce qui laisse supposer que l’albumine urinaire serait de plus petite taille que l’albumine sanguine. Il s’agit bien évidemment d’une petite excrétion. Le terme de pauci-albuminurie serait donc le terme le plus approprié. Pour éviter toute confusion, il est maintenant admis de parler simplement d’albuminurie. L’intérêt pour cette protéine urinaire a vraiment débuté dans les années 1980. Grâce aux travaux de Ken et Chlouverakis [25]
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permettant de doser l’albumine en petite quantité par une technique radioimmunologique et la première publication dans le Lancet sur l’excrétion urinaire chez le diabétique, un nouvel examen venait d’apparaître pour la prise en charge du diabète. C’est en 1983 que Viberti [26] a désigné sous le terme « micro-albuminurie » une excrétion urinaire d’albumine pathologique mais à des concentrations indécelables par les techniques habituelles de cette époque, à savoir les bandelettes réactives ou le dosage des protéines urinaires par colorimétrie. Mais ce n’est que dans les années 1980, à la suite d’études sur un plus grand nombre de sujets qu’initialement décrit, qu’il a été clairement montré que le dépistage de la protéinurie à la bandelette chez les diabétiques était trop tardif dans le développement de la maladie. L’excrétion urinaire de l’albumine chez les diabétiques, mesurée par une méthode immunochimique, était plus petite que chez les sujets dépistés à la bandelette, mais plus grande que chez les sujets sains, c’est pourquoi elle a été appelée micro-albuminurie. Parallèlement, on a parlé de normoalbuminurie chez les sujets pour lesquels l’élimination urinaire d’albumine est inférieure au seuil minimal de la micro-albuminurie, et de macro-albuminurie lorsque la protéinurie est dépistée à la bandelette, soit au-delà du seuil maximal défini pour la micro-albuminurie La micro-albuminurie est l’excrétion urinaire d’albumine comprise entre 20 et 200 μg/min ou 30 et 300 mg/24 h ; il s’agit donc bien d’un débit. Pour exprimer ce débit, il faut un recueil minuté des urines (soit 24 h soit un temps déterminé) et devant la difficulté d’obtenir des urines correctement recueillies, une expression de l’albuminurie par rapport à la créatininurie (ratio albumine/créatinine ou ACR) est possible avec des valeurs tenant compte du sexe (tableau II). Ces valeurs sont valables chez l’adulte ; chez l’enfant de plus de 6 ans la valeur normale de l’ACR est de 8 à 10 mg/g [27]. Cette notion de ratio albumine/créatinine en fonction de l’âge devient importante à prendre en compte dans le diabète de type 1 mais surtout celui de type 2. Dans ce dernier cas, compte tenu du développement actuel de cette pathologie chez les jeunes adolescents, il convient de classer correctement les sujets à risque. La micro-albuminurie a donc été le premier marqueur « précoce » de la néphropathie diabétique classique, indispensable à la prise en charge des diabétiques de type 1 et de type 2. Une question se pose encore : la modification de la perméabilité à l’albumine est-elle due, au début, à une modification de charge (de l’albumine et/ou des protéines de la membrane basale) ou une modification de la taille de pores ? Chez l’animal, différentes études ont montré que la première modification est liée
à une sélectivité de taille alors que chez l’homme, aussi bien pour le diabète de type 1 que de type 2, c’est plutôt une modification de la charge qui est la première cause. Cette modification de charge est due à la glycation des protéines (circulantes et tissulaires) qui rend les protéines plus anioniques.
5.1. Les 3 phases de l’histoire naturelle de la néphropathie diabétique Elles sont concrétisées en 3 phases « d’albuminurie ». r La normo-albuminurie : qui dure environ 10 ans avec un DFG d’abord augmenté puis normal. r La micro-albuminurie : qui, sans traitement, dure de 1 à 5 ans avec un DFG d’abord normal puis diminué. r La macro-albuminurie : qui dure, sans traitement, de 3 à 8 ans avec une diminution progressive du DFG associée à une augmentation de la créatinine et une hypertension artérielle progressive. L’interprétation du résultat doit prendre en compte le fait que l’on peut observer des augmentations d’excrétion de l’albumine urinaire d’origine non pathologique comme par exemple l’exercice physique, la fièvre et, chez l’adolescent, la protéinurie orthostatique [28].
5.2. Comment et quand doser l’albumine urinaire ? r Comment ? Les méthodes de dosage actuelles font toutes appel à l’immunochimie, que ce soit l’immunoturbidimétrie ou l’immunonéphélémétrie [29]. Une standardisation du dosage de l’albumine urinaire est en cours car les méthodes ne sont pas toutes équivalentes, ce qui est principalement lié au fait que l’albumine que l’on retrouve dans l’urine est modifiée par rapport à l’albumine plasmatique et que en fonction du type de calibrant les résultats ne sont donc pas 100 % comparables. Les sensibilités analytiques sont sensiblement équivalentes, de l’ordre de 2 mg/L, et les coefficients de variation (CV) sont compris entre 4 et 6 %. Ces critères analytiques semblent suffisants pour une interprétation du résultat que ce soit pour le diagnostic ou le suivi. À titre d’exemple, les recommandations de l’American diabetes association, pour les méthodes de dosage de l’albumine urinaire, stipulent que le CV soit inférieur à 15 % [30]. r Quand ? Il existe différentes recommandations. Il est décrit que le rapport albumine/créatinine (ACR) est différent selon la miction, qu’elle soit faite au hasard de la journée ou le matin. Ceci peut avoir un impact sur le dépistage [31] : en effet la prévalence de micro-albuminurie dépistée avec le rapport ACR de la première miction du
Tableau II – Catégorie d’albuminurie en fonction du débit ou du ratio ACR (Alb/créat), chez l’adulte.
Normo-albuminurie Micro-albuminurie Macro-albuminurie
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Échantillon minuté (μg/min)
Urines de 24 h (mg/24 h)
< 20
< 30
20 -200 > 200
30 - 300 > 300
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Sexe
ACR (mg/mmol)
ACR (mg/g)
Homme
< 2,5
< 20
Femme
< 3,5
< 30
Homme
2,5 - 25
20 - 200
Femme
3,5 - 35
30 - 300
Homme
> 25
> 200
Femme
> 35
> 300
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matin est de 11,6 % dans la population générale et alors qu’elle monte à 15,2 % avec la même détermination sur un échantillon recueilli au hasard de la journée. Pour un dépistage, le meilleur semble le premier échantillon du matin [29]. Si le résultat est négatif, une détermination un an plus tard est suffisante pour un dépistage. Si le résultat est positif, un contrôle doit être effectué sur un deuxième échantillon recueilli dans une période de 10 jours suivant le premier. Il y a une grande variabilité intra-individuelle, mais si on observe une discordance entre les deux premiers échantillons, un contrôle sera effectué sur un troisième échantillon. Une confirmation sur échantillon minuté est recommandée car c’est ce résultat qui sera important pour le suivi [1, 32]. Actuellement toutes les méthodes ne sont pas équivalentes, il est préférable de suivre un sujet avec toujours le même type de recueil (minuté ou sur 24 h) dans le même laboratoire avec la même méthode. La micro-albuminurie reste le paramètre essentiel du dépistage et il est regrettable de constater que seulement 25 % des diabétiques de type 2 bénéficient d’une détermination de micro-albuminurie chaque année. La micro-albuminurie est un marqueur d’agression rénale ; à ce titre, elle doit être dépistée, confirmée et contrôlée sous traitement. Le fait de déterminer précocement l’élimination urinaire de l’albumine a été bénéfique sur la survie des diabétiques. Alors qu’elle était de 7 à 8 ans à partir de la découverte de la protéinurie, elle est maintenant en moyenne de 22 ans.
6. Autres marqueurs biologiques La néphropathie diabétique atteint toutes les structures du rein (glomérule et tubules). Le tubule proximal est le plus sensible car il est soumis aux modifications métaboliques et hémodynamiques de façon prolongée. C’est la raison pour laquelle d’autres marqueurs de l’atteinte rénale du diabétique sont recherchés comme par exemple la transferrine et l’haptoglobine [33, 34]. En ce qui concerne les marqueurs de glomérulopathie, certains auteurs ont étudié l’intérêt de mesurer la transferrine urinaire. C’est également une protéine de faible masse moléculaire qui est filtrée par le glomérule. Elle est effectivement présente chez les diabétiques de type 1 avant l’apparition de l’albumine, mais sa valeur prédictive n’a encore jamais été montrée faute d’études longitudinales prospectives à grande échelle comme cela a été fait pour l’albumine. Comme elle est moins anionique que l’albumine, elle est peut-être plus rapidement filtrée ou tout au moins l’augmentation de sa filtration pourrait être le premier signe de la modification de charge de la membrane basale en lien avec l’hyperglycémie. Une approche par le collagène IV qui reflète dans l’urine la détérioration de la fonction rénale semble prometteuse, car il a été retrouvé dans l’urine de patients diabétiques avec insuffisance rénale et sans protéinurie. Parmi les marqueurs de tubulopathie, les meilleurs candidats sont NGAL (neutrophil gelatinase associated to lipocaline), KIM-1 (kidney injury molecule 1) et L-FABP (liver fatty acid binding protein) [35]. Le premier est une glycoprotéine que l’on retrouve dans différents tissus dont l’épithélium tubulaire, le deuxième est une protéine transmembranaire, et le troisième une protéine de transport
exprimée entre autre dans le rein (voir l’article « L’exploration du rein en 2013 » dans RFL « Rein et pathologies (1) », N° 451, avril 2013). Malgré leur intérêt physiopathologique, aucun des trois candidats n’a d’intérêt à être mesuré dans l’urine car leur élimination est strictement corrélée à la protéinurie [36, 37]. Il est surtout intéressant de remarquer que des molécules aussi simples que la gamma-glutamyl transpeptidase (γGT) ont été étudiées car leur intérêt est peut-être à venir. La gGT est un marqueur de l’atteinte proximale et elle peut être retrouvée chez des diabétiques avec ou sans micro-albuminurie. Ces dernières années, une nouvelle approche de la néphropathie diabétique est celle que peut apporter la protéomique par une électrophorèse bidimensionnelle [38]. À condition d’avoir une grande résolution, une grande sensibilité, une rapidité de séparation et d’identification, cette technologie permettra peut-être de fournir un marqueur très précoce de la néphropathie diabétique. L’électrophorèse capillaire couplée à la spectrométrie de masse (CE-SM) pourrait également être d’un apport considérable dans le dépistage de l’atteinte rénale chez le diabétique. Malheureusement, à l’heure actuelle il n’y a encore rien d’intéressant, car il faudrait faire des études sur plusieurs centaines de personnes saines et comparer les résultats à ceux d’une population de diabétiques. L’approche protéomique sur les urines est celle qui semble actuellement la plus prometteuse de résultats.
7. Traitement C’est tout d’abord la maîtrise de l’hyperglycémie [39]. Une récente étude a en effet montré que le simple fait d’appliquer un traitement intensif de l’hyperglycémie par rapport à un traitement standard permet de ralentir l’évolution quel que soit le stade de découverte. La différence entre les populations est hautement significative (p < 0,005). Il faut également prendre en compte les mesures hygiénodiététiques comme la diminution du poids, la réduction du tabagisme et un régime hyposodé. Le traitement de l’hypertension est également important ; différentes classes d’antihypertenseurs sont utilisables mais les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2) semblent les plus efficaces.
8. Conclusion Malgré les progrès en terme de compréhension et de nouvelles techniques et de nouvelles molécules, l’albumine urinaire (micro-albuminurie) reste le « gold » standard pour le dépistage, le diagnostic et le suivi de l’atteinte rénale chez les diabétiques de type 1 ou de type 2 [40]. On a changé l’incidence de la néphropathie diabétique dans les pays industrialisés sans pouvoir savoir aujourd’hui si on ne fait que retarder l’évolution naturelle ou bien si on a réellement maîtrisé la maladie par une prévention efficace. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Références
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// REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455