Table ronde Le FGF23 pour les nuls (CaP)
Rein et FGF23 J. Bacchetta Centre de référence des maladies rénales rares, service de néphrologie, rhumatologie et dermatologie pédiatriques, hôpital femme-mère-enfant, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron Cedex ; institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL), école normale supérieure de Lyon, 46, allée d’Italie, 69364 Lyon Cedex 7 ; université de Lyon, 37, rue du Repos, 69007 Lyon, France
L
’identification en 2000 du fibroblast growth factor 23 (FGF23), par 2 équipes travaillant sur 2 pathologies différentes, les rachitismes hypophosphatémiques génétiques pédiatriques d’une part et les ostéomalacies tumoro-induites chez l’adulte d’autre part, a permis d’améliorer de manière considérable notre compréhension du métabolisme phosphocalcique, en physiologie comme en pathologie. Les pathologies liées au FGF23 peuvent classiquement être classées en 4 grands groupes : • les pathologies avec augmentation primaire du FGF23 (par exemple les rachitismes hypophosphatémiques, ou les ostéomalacies tumoro-induites) ; • les pathologies avec diminution primaire du FGF23 (par exemple les calcinoses familiales tumorales hyperphosphatémiques) ; • les pathologies avec augmentation secondaire du FGF23 (et notamment la maladie rénale chronique, ou MRC) ; • les pathologies avec diminution secondaire du FGF23 (par exemple un déficit en récepteur de la vitamine D ou en 1-alpha hydroxylase, responsable des rachitismes génétiques vitamino-résistants). L’objectif de cette présentation est de faire le point sur la dérégulation du FGF23 en situation de maladie rénale chronique.
1. FGF23 et maladie rénale chronique (MRC) Au sein de l’axe os/rein/parathyroïde, le FGF23 est une hormone phosphaturiante et un inhibiteur de la 1-alpha hydroxylase rénale. Le FGF23 augmente très tôt au cours de la progression de la MRC, avant même que la phosphatémie et la PTH ne commencent à s’élever, en parallèle de la diminution des concentrations circulantes de son cofacteur Klotho. Cette augmentation de FGF23 peut s’expliquer par différents facteurs, comme : • 1/ une diminution de la clairance du FGF23 ; • 2/ un mécanisme compensateur pour tenter de contrer l’augmentation de phosphatémie ; • 3/ une réponse aux traitements par dérivés actifs de la vitamine D ;
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224 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:224-225
• 4/ un mécanisme compensateur à la perte de sécrétion de Klotho au niveau rénal, et/ou • 5/ une augmentation de la synthèse osseuse. Mais tout n’est pas encore clair dans cette régulation en 2014. Quand la MRC progresse, il a été bien montré, à la fois dans des modèles animaux et chez des patients adultes, que la signalisation du FGF23 au niveau de la cellule parathyroïdienne est inhibée, avec d’une part une diminution de l’expression du récepteur spécifique du FGF23 (le FGFR1) et de Klotho dans ces cellules, et d’autre part une résistance à l’action du FGF23, en perdant notamment l’effet inhibiteur sur la synthèse de PTH ; tous ces facteurs peuvent donc expliquer, au moins en partie, la survenue d’une hyperparathyroïdie réfractaire en situation de MRC. D’un point de vue épidémiologique, en 2014, des concentrations circulantes élevées de FGF23 chez les patients MRC adultes ont été associées à de nombreux paramètres cliniques péjoratifs, comme par exemple une augmentation de la morbi-mortalité cardiovasculaire, du risque de développer une cardiomyopathie hypertrophique et de la mortalité globale en dialyse. Par ailleurs, des concentrations circulantes élevées de FGF23 ont également été associées à une diminution de sensibilité aux thérapeutiques à visée phosphocalcique, une accélération de progression de la MRC au stade prédialyse et une moins bonne fonction rénale après transplantation, avec une augmentation du risque de rejet. Même si des études fondamentales ont démontré récemment un rôle toxique direct (et Klotho-indépendant) du FGF23 sur la cellule cardiomyocytaire, il reste néanmoins à faire la preuve que le FGF23 est un vrai coupable et non pas un simple marqueur de risque avant de développer des thérapies ciblées anti-FGF23 en pratique néphrologique quotidienne. À cet égard, la publication de Shalhoub dans le Journal of clinical investigation (JCI) en 2012 montrant que l’utilisation d’un anti-FGF23 chez le rat améliore l’hyperparathyroïdie de la MRC en augmentant la mortalité doit inciter à la plus grande vigilance…
2. FGF23 et maladie rénale chronique pédiatrique Retard de croissance, diminution de la taille finale à l’âge adulte et ostéodystrophie rénale sont autant de complications de la MRC pédiatrique, résultant de facteurs multiples :
Rein et FGF23
résistance à l’hormone de croissance (GH), modifications de l’axe GH/IGF1, déficit en vitamine D, hyperparathyroïdie, hypogonadisme, malnutrition et iatrogénie (corticostéroïdes, inhibiteurs des calcineurines), avec des conséquences majeures, physiques et psychiques. Les conséquences de la MRC pédiatrique sur l’os et la croissance chez le jeune adulte sont loin d’être négligeables : retard de croissance (61 %), atteinte osseuse sévère (37 %) et séquelles dans la vie quotidienne (18 %) ; de plus, le risque de développer des calcifications vasculaires est élevé. Dans ce contexte de MRC pédiatrique, dans l’étude réalisée à l’université de Califorie à Los Angeles (UCLA) sur 52 patients (âge : 2-21 ans), les anomalies de la minéralisation osseuse apparaissent très précocement chez les enfants MRC au stade prédialyse, alors que les anomalies du turnover sont beaucoup plus tardives. D’un point de vue du volume osseux, l’histomorphométrie ne montre pas d’altérations significatives. Parallèlement, la première anomalie biologique est l’augmentation du FGF23 circulant (dès le stade 2), puis celle de la PTH (dès le stade 3), puis enfin de la phosphatémie (aux stades 4/5). Chez les enfants en dialyse, il existe également une association positive entre FGF23 circulant et minéralisation chez des enfants en dialyse péritonéale, suggérant un effet positif du FGF23 sur ce paramètre osseux. L’impact du FGF23 directement sur la croissance ou sur l’os n’a quant à lui à ce jour pas été évalué. Ces données d’augmentation du FGF23 circulant au fur et à mesure que le débit de filtration glomérulaire diminue ont été également retrouvées dans l’étude INU23, qui avait pour objectif de déterminer des valeurs de référence du FGF23 sérique en fonction de l’âge, du sexe et du débit de filtration glomérulaire mesuré par clairance de l’inuline dans une cohorte de plus de 200 enfants lyonnais. Les conclusions de cette étude, outre ces objectifs initiaux, ont été de montrer que les concentrations circulantes de FGF23 ne sont pas dépendantes du sexe dans une population pédiatrique (alors qu’elles sont classiquement plus élevées chez les femmes que chez les hommes dans les populations adultes), mais qu’elles augmentent avec l’âge et l’indice de masse corporelle, mais aussi en cas d’antécédent de transplantation d’organe solide ou de traitement par corticostéroïdes. Malheureusement, les études adultes démontrant une association entre morbi-mortalité et FGF23 chez les patients avec MRC n’ont pas pu être déclinées chez l’enfant, à l’exception d’un article américain montrant un probable moins bon pronostic de la greffe quand les concentrations de FGF23 sont plus élevées.
3. FGF23 après transplantation rénale L’anomalie phosphocalcique la plus évidente en post-transplantation est l’hypophosphatémie multifactorielle : tubulopathie du greffon, FGF23 circulant élevé (au moins en phase précoce) et souvent également hyperparathyroïdie persistante sur un greffon fonctionnel donc sensible à l’action phosphaturiante de ces 2 hormones. En effet, la réalisation d’une transplantation rénale chez un patient antérieurement en dialyse correspond à un passage brutal d’un état de résistance à un état de sensibilité rénale au FGF23. En dialyse, les concentrations circulantes de FGF23 sont extrêmement élevées, allant parfois jusqu’à 5 000 fois la normale. On peut donc imaginer l’effet aigu de telles concentrations sur un rein sain : une étude chez 27 patients greffés avec un donneur vivant a montré que 85 % des patients présentaient une hypophosphatémie précoce (inférieure à 0,8 mmol/L) et 35 % une hypophosphatémie sévère (inférieure à 0,5 mmol/L). De plus, les analyses par régression multiple montraient que le FGF23 était un facteur indépendant prédictif de la phosphatémie et de la fraction d’excrétion urinaire du phosphate, alors que la PTH ne l’était pas. Une étude américaine chez 44 transplantés rénaux pédiatriques dans les 5 premiers jours post-greffe a montré une augmentation des concentrations de calcitriol chez les patients avec un FGF23 en dessous de la médiane avant transplantation, alors que les enfants avec un FGF23 supérieur à la médiane ne modifiaient pas leurs concentrations de 1-25(OH)2D3 . À noter qu’à plus long terme, des concentrations élevées de FGF23 après la greffe ont aussi été associées à un moins bon pronostic de la greffe, avec une augmentation de la fréquence des rejets et une diminution plus rapide du débit de filtration glomérulaire (DFG) ; il reste néanmoins encore à déterminer si le FGF23 a un rôle pathologique dans cette situation ou s’il n’est que le témoin d’un rein moins fonctionnel.
4. Conclusion En 2014, même si le FGF23 a beaucoup apporté à la compréhension de la dérégulation phosphocalcique en situation de MRC, nous sommes encore loin de l’utiliser comme un outil d’adaptation au quotidien des traitements.
Références Les références complètes peuvent être obtenues sur demande auprès de l’auteur.
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