Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 26 (2007) 474–476
RUBRIQUE MÉDICOLÉGALE COMMENTÉE : CORRESPONDANCE
Discussion du dossier médicolégal commenté Discussion about heading medicolegal commented on
Monsieur le rédacteur en chef, Nous vous remercions de nous donner l’opportunité de répondre aux trois lettres adressées à la rédaction, à propos de la discussion du dossier médicolégal de « décès au cours d’une adénoïdectomie avec anesthésie générale réalisée intégralement par une IADE seule » [1]. Dans la lettre du Club d’anesthésie–réanimation libérale française, les auteurs s’interrogent sur les conditions de relecture des textes de cette rubrique avant publication [2]. Cette relecture a été faite, comme pour le premier cas médicolégal publié dans le numéro précédent des Afar, par un groupe de relecteurs ad hoc, mis en place par la rédaction lors de la création de cette rubrique. Des corrections nous ont d’ailleurs été demandées, que nous avons prises en compte. Par ailleurs, les membres du Club d’anesthésie–réanimation libérale française considèrent que la phrase concernant le médecin anesthésiste « une IADE doit pouvoir l’assister en particulier au début et en fin d’anesthésie » sous-entend une obligation d’être assisté d’une IADE et ne ferait pas partie des recommandations de la Sfar. Cette phrase fait bien partie des recommandations concernant la surveillance des patients en cours d’anesthésie (page 3 du paragraphe traitant du personnel) [3]. Le libellé de cette phrase : «... doit pouvoir l’assister », ne veut nullement dire qu’il s’agit d’une obligation d’être assisté mais de la possibilité de se faire assister. S’il s’était agi d’une obligation, il aurait été écrit sans ambiguïté : « doit être assisté » Les auteurs des trois lettres contestent le troisième point de l’encadré « Les messages pour la pratique », à propos de l’obligation de mettre en place une voie veineuse avant l’induction de l’anesthésie, quels que soient le type et la durée de l’acte chirurgical. Cet encadré en fin d’article est une initiative (heureuse) de la rédaction, à la demande des relecteurs, qui reprend les points forts de l’article et rappelle
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doi of original article 10.1016/j.annfar.2006.12.003.
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la réglementation et les recommandations de la Sfar qui, s’ils avaient été suivis, auraient évité la catastrophe. Nous sommes d’accord avec l’ensemble de ces messages et ne souhaitons pas qu’ils soient modifiés. Certes, comme le fait remarquer le Pr Murat, ce n’est pas l’absence d’abord veineux qui a été à l’origine de l’accident, mais il a constitué pour le moins une perte de chance de survie [4]. C’est en effet au moment où a été constaté l’arrêt cardiaque que l’anesthésiste a recherché une veine pour pouvoir injecter les médicaments efficaces. Nul ne peut contester qu’à ce stade où il n’y a plus de circulation périphérique, seule l’injection intravasculaire directe peut être couronnée de succès, à condition qu’il n’y ait pas eu de retard dans l’administration du traitement. Or trouver un abord vasculaire fiable dans ces circonstances et chez de petits patients n’est pas toujours aisé et de précieuses minutes seront perdues, amputant les chances de survie. Le cas présent en est une illustration : la réanimation a été inefficace car trop tardivement administrée. Le deuxième collège d’experts l’avait d’ailleurs remarqué, en concluant : « le médecin anesthésiste est fautif de ne pas avoir réalisé l’induction anesthésique, de ne pas avoir vérifié que les appareils de surveillance (cardioscope, saturomètre) fonctionnaient et étaient correctement mis en place, alarmes réglées, de ne pas avoir aidé l’IADE à avoir mis en place un accès veineux fiable ». Les Prs Murat et Ecoffey considèrent qu’il n’est pas justifié de mettre en place une voie veineuse chez l’enfant lors d’anesthésie par inhalation pure (surtout avec le sévoflurane) pour des interventions brèves, dont la durée de l’acte est plus courte que le temps de mise en place de la voie veineuse [4,5]. Mais la survenue d’une complication liée à l’anesthésie n’a rien à voir avec la durée de celle-ci ni de l’acte chirurgical. Les anesthésistes ont assez répété depuis des années qu’ « il n’y a pas de petites anesthésies » !! Le même raisonnement pourrait concerner l’utilisation du matériel de monitorage (cardioscope, saturomètre), dont la vérification avant chaque patient, le réglage spécifique des alarmes, et la mise en place demandent beaucoup plus de temps que la durée de l’acte chirurgical... et pourtant, il ne vient à l’idée d’aucun anesthésiste de ne pas le mettre en place (car décret oblige...). De plus, il est illusoire de croire que les complications peuvent être maîtrisées en administrant les traitements par des voies alternatives à la voie veineuse telles les voies intratrachéale, intralinguale, intramusculaire. Il s’agit de fausse sécurité. En cas de détresse vitale, seule la voie intravasculaire est efficace. Un cas récent survenu en 2004, en cours d’instruction, en est une illustra-
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tion. Il s’agit d’un enfant de 30 mois endormi au masque au sévoflurane 7 % pour adénoïdectomie. Une détresse respiratoire est survenue dès l’induction rapidement aggravée avec cyanose majeure, tachycardie, non corrigée par l’intubation trachéale. La ventilation était très difficile, voire inefficace et l’administration intratrachéale de salbutamol et d’adrénaline n’ont pas permis de l’améliorer. Après de très multiples tentatives de mise en place d’une voie veineuse périphérique, un abord veineux fémoral a enfin pu être posé pour réaliser la réanimation cardiocirculatoire. Un arrêt cardiaque anoxique était en effet survenu pendant ce temps, corrigé momentanément par massage, défibrillation puis adrénaline quand l’abord veineux a pu être mis en place, mais il y a eu rechute et finalement décès. Il s’agissait pourtant bien d’une anesthésie de très courte durée, réalisée avec du sévoflurane suivant les règles de l’art, mais une difficulté est intervenue qui n’a pas pu être traitée par voie intratrachéale. L’absence de voie veineuse a incontestablement retardé l’administration des médicaments de l’arrêt cardiocirculatoire. C’est à la lumière de dossiers récents comme ceux-ci qu’il faut savoir réévaluer certaines pratiques qui ont été instituées depuis longtemps et restent érigées en dogme sans fondement scientifique. Et ne nous trompons pas d’objectif concernant l’utilisation des recommandations : elles sont, avant tout, faites pour éviter des morts de patients et non pour envoyer des anesthésistes en prison.
RÉFÉRENCES [1]
[2] [3] [4] [5]
Sicot C, Laxenaire MC. Décès au cours d’une adénoïdectomie avec anesthésie générale réalisée intégralement par une IADE seule. Ann Fr Anesth Reanim 2007;26:184–8. Cittanova ML, et le Club d’anesthésie-réanimation libérale. Attention aux recommandations non fondées ! Ann Fr Anesth Reanim 2007;26. Recommandations de la Sfar concernant la surveillance des patients en cours d’anesthésie. Janvier 1994 (http://www.sfar.org/recomperop.html). Murat I. Décès au cours d’une adénoïdectomie. Ann Fr Anesth Reanim 2007;26. Ecoffey C. La voie veineuse systématique est-elle nécessaire en anesthésie pédiatrique ? Ann Fr Anesth Reanim 2007;26.
C. Sicot Le Sou médical–Macsf, 10, cours du Triangle-de-l’Arche, TSA 40100, 32919 La Défense cedex, France Adresse e-mail :
[email protected] (C. Sicot).
M.-C. Laxenaire * Département d’anesthesie–réanimation, hôpital central, 29, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, CO n° 34, 54035 Nancy cedex, France Adresse e-mail :
[email protected] (M.-C. Laxenaire).
* Auteur correspondant. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 26 (2007) 474–475 doi:10.1016/j.annfar.2006.12.003
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Réponse du rédacteur en chef Reply to redactor in chief
Nous remercions vivement les auteurs des trois lettres de leur intérêt pour la rubrique médicolégale récemment ouverte dans le journal et les auteurs pour leur réponse argumentée [1–4]. Les contraintes spatiales de l’éditorial du numéro de janvier 2007 ne permettaient pas une explication détaillée des principes, objectifs pédagogiques et méthodes de cette rubrique et nous remercions les auteurs de nous fournir l’occasion de les expliciter. Le principe de l’ouverture de cette rubrique a été approuvé à l’unanimité par le comité de rédaction dans sa séance du 27 septembre 2006. Cette proposition a été validée par le conseil d’administration de la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) en décembre 2006. Le comité de rédaction s’est inspiré de l’incontestable succès des sessions de cas cliniques médicolégaux commentés depuis dix ans par des experts dans le cadre du programme du congrès national élaboré par le comité scientifique. L’objectif pédagogique de la rubrique recouvre en grande partie celui des sessions médicolégales du congrès national : fournir au lecteur un éclairage sur le processus d’expertise médicojudiciaire et apporter aux anesthésistes–réanimateurs des éléments de réflexion susceptibles de les aider à améliorer leurs pratiques dans des domaines essentiels de la spécialité. Les sujets sélectionnés correspondent à des thèmes d’intérêt majeur dans notre discipline et sont considérés comme particulièrement fréquents et/ou graves par les compagnies d’assurance. Le cas anonymisé est exposé, avec le jugement rendu, puis décortiqué par un expert ayant participé à un grand nombre d’affaires médicolégales. À la demande des auteurs, le comité de rédaction a prévu un encadré reprenant les points importants de l’argumentaire qui, selon l’opinion de l’expert, constituent des messages forts destinés à améliorer les pratiques. Le processus éditorial comprend la relecture critique systématique du texte par un second expert chevronné auprès des tribunaux. Enfin, un responsable de la rubrique médicolégale du journal (dont fait partie le rédacteur en chef) effectue une lecture du manuscrit pour en vérifier la conformité avec les recommandations aux auteurs. La richesse des échanges épistolaires sur cette rubrique, la reconnaissance de la pertinence et du « caractère didactique évident » de cette rubrique par les auteurs des lettres à la rédaction ne peuvent que réjouir le comité de rédaction. Il souhaite cependant rebondir sur des éléments particulièrement pertinents de la correspondance pour améliorer le contenu de la rubrique. Ainsi, les conclusions des experts telles qu’elles sont exposées dans les articles et les encadrés reflètent, avant tout, leur opinion personnelle et ne peuvent être considérées de facto comme des recommandations de bonne pratique labellisées par la Sfar. Pour renforcer la légitimité de ces messages, nous nous engageons désormais