Données probantes et intérêt de santé publique des nouveaux antipsychotiques

Données probantes et intérêt de santé publique des nouveaux antipsychotiques

Données probantes et intérêt de santé publique des nouveaux antipsychotiques R. LAUNOIS (1) Il est important d’évaluer, dans l’appréciation des médic...

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Données probantes et intérêt de santé publique des nouveaux antipsychotiques R. LAUNOIS (1)

Il est important d’évaluer, dans l’appréciation des médicaments, le niveau de (la) preuve dans l’évaluation économique, et son impact en matière de santé publique. L’évaluation correspond à un impératif éthique vis-à-vis du patient ; elle revêt également une fonction collective qui doit être assumée : il est nécessaire de quantifier l’impact de toute décision politique. L’évaluation médico-économique consiste surtout en l’évaluation des bénéfices apportés au malade en contrepartie des sommes investies. Le bénéfice clinique est représenté par l’efficacité thérapeutique réelle, et la capacité du produit à contrôler la maladie. Le bénéfice humain est représenté par les bénéfices de vie apportés par les médicaments : réduction du handicap social, amélioration de la qualité de vie des patients, accroissement de la satisfaction des bénéficiaires de la prise en charge. Enfin, le bénéfice financier est évalué par la réduction du fardeau et des coûts de la maladie pour les familles et pour la société. LES TECHNIQUES D’ÉVALUATION MÉDICO-ÉCONOMIQUE DES SOINS AUX PATIENTS SOUFFRANT DE SCHIZOPHRÉNIE Les techniques d’évaluation sont nombreuses. Il faut tout d’abord former les évaluateurs et les cliniciens à l’apprentissage à la lecture critique, base de l’EBM (Evidence Based Medicine). La recherche documentaire doit être systématique, donc protocolisée : il s’agit d’une revue quantitative (méta-analyses), qualitative, et narrative. Il faut examiner les recommandations de pratiques cliniques (RPC), puis procéder à l’évaluation économique des actes, des dispositifs et des technologies de santé (Health Technology Assessment : HTA). L’Évaluation des Prati-

ques Professionnelles (EPP) et la certification des établissements et des Réseaux doit parfaire le processus. Ces diverses évaluations sont réalisées par des organismes « balkanisés », et non par un système de monopole bilatéral entre la Sécurité sociale et les « producteurs de soins ». Aujourd’hui, on retrouve trois acheteurs dans le système de santé : l’Assurance-maladie, qui passe convention avec les professionnels libéraux, l’ARH qui négocie avec les acteurs hospitaliers (publics, privés à but non lucratif, privés à but lucratif), enfin le CEPS. Les consommateurs de soins sont représentés par les patients et les familles, les producteurs de soins par les hôpitaux, les médecins libéraux et les industriels, et la collectivité par la HAS, la DGS et le Ministre de la Santé. Or ces diverses entités éprouvent de grandes difficultés à travailler entre elles de façon cohérente.

LA TRIPLE EXPERTISE DU SYSTÈME D’ÉVALUATION Le système d’évaluation comporte une expertise médicale, une expertise administrative et une expertise économique. L’expertise médicale nécessite de définir la population cible et les enjeux de santé publique ; elle permet de classer, selon des critères d’incidence et de gravité, le service médical rendu et la « quantité d’effet » associée à l’innovation ; par ailleurs, l’intérêt de santé publique (ISP) est également défini, reposant sur la qualité de vie, l’organisation des soins, la modification des pratiques. Les autorités administratives sont contraintes par les limitations de leurs domaines de compétence : ainsi, la DGS ne peut faire aucune analyse coût-efficacité ; le CEPS ne doit raisonner qu’en termes d’impact budgétaire du prix du médicament, sans tenir compte des répercussions que pourrait avoir l’utilisation d’un médicament sur les dépenses de soins ambulatoires ou hospitaliers ; et de

(1) Économiste, Université Paris XIII. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 861-5, cahier 3

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plus les trois premiers niveaux d’ASMR sont régis par des prix européens. L’expertise d’économie sanitaire a pour objet d’optimiser la répartition des moyens entre les traitements et entre les spécialités, à la recherche du meilleur retour sur investissement en termes cliniques, humains et financiers. Le classement des projets et des innovations se fait en fonction de leur utilité sociale relative, et est ensuite confronté à son acceptabilité par les divers acteurs et par la population.

LA MÉDECINE FONDÉE SUR LES PREUVES : QUELLES PREUVES ? Les lois de la preuve médicale sont complexes. Face à une question posée, une recherche systématique des articles scientifiques pertinents est effectuée, prenant en compte l’état actuel des connaissances médicales ; ces articles sont classés en fonction de la qualité de leur schéma d’étude ou en fonction de la qualité de leur analyse statistique. Néanmoins aujourd’hui, la hiérarchie des niveaux de preuve est relativement dogmatique : les études randomisées sont classées en tête, puis les études observationnelles, et enfin les séries d’observation. Cette hiérarchie doit être remise en question. Face au faisceau de preuves disponibles, il faut ensuite s’interroger sur la quantité d’effet, la convergence des

résultats obtenus, et la pertinence clinique des données probantes. L’ANAES classe les niveaux de preuve en trois grades : les recommandations de grade A lorsque la preuve est scientifiquement établie ; de grade B lorsqu’il existe une présomption scientifique, et de grade C face à un faible niveau de preuve scientifique (figure 1). Sont par exemple classées dans les niveaux de preuve faible les études castémoin, les études comparatives comportant des biais importants, les études rétrospectives, les séries de cas, et les études épidémiologiques descriptives, qu’elles soient transversales ou longitudinales. Face à des exigences importantes des autorités de tutelle en matière de niveau de preuve, il est probable qu’on se dirige vers une hiérarchie moins dogmatique des protocoles d’études (figure 2). LES LIMITES DES ESSAIS RANDOMISÉS Dans les essais randomisés, les comparaisons se font la plupart du temps entre deux produits, et non entre toutes les options possibles. Or le politique souhaite savoir quelle est la place d’un produit par rapport à l’ensemble de l’arsenal thérapeutique existant. Les essais randomisés présentent une version tronquée du génie évolutif de la maladie : ce sont des essais à court terme par rapport à la durée réelle de la maladie, en particulier dans les psychoses schizophréniques.

Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature Niveau 1 – Essais comparatifs randomisés de forte puissance – Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés – Analyse de décision basée sur des études bien menées

Niveau 2 – Essais comparatifs randomisés de faible puissance – Études comparatives non randomisées bien menées – Études de cohorte

Niveau 3 – Études cas-témoin Niveau 4 – Études comparatives comportant des biais importants – Études rétrospectives – Séries de cas – Études épidémiologiques descriptives (transversale,longitudinale)

Grade des recommandations A Preuve scientifique établie

B Présomption scientifique

C Faible niveau de preuve scientifique

FIG. 1. — Grade des recommandations ANAES 2000. S 862

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Étude descriptive – Étude normative Séries d’observations

Absence de preuve Adéquation Faible de la preuve

(1) NON Au même Comparaison OUI moment et sur le même exposée/non exposée ? Groupe ?

OUI

Coupe transversale

Étude Avant-Après

NON (2) A des moments différents et sur le même Groupe ?

OUI

une Seule

Combien de mesures Avant-Après ?

plusieurs

NON Adéquation Modérée de la preuve

(3) A des moments différents sur deux groupes et Attribution controlée ?

NON

Quels paramètres définissent les groupes ?

les événements ±

Séries Temporelles Interrompues Étude cas-contrôle

les risques ±

OUI

Schéma d’étude de cohorte avec critères d’inclusion ?

NON

Schémas AA ou STI avec groupe contrôle

NON

Cohorte rétrospective avec contrôle interne

OUI Prospective ?

OUI (4) Attribution aléatoire au risque ?

Adéquation Forte de la preuve

OUI (5) Niveau de randomisation

NON Cohorte prospective avec contrôle interne

Individus

Essai comparatif non randomisé

Randomisation par patient

Centres

Randomisation par établissement

FIG. 2. — Vers une hiérarchie des protocoles d’études moins dogmatique ?

Les essais multicentriques randomisés nient les réalités épidémiologiques et institutionnelles locales. Autre limite : les essais randomisés scotomisent des éléments décisifs pour la prise de décision politique, comme les événements indésirables, la qualité de vie, la trajectoire du patient dans le système de soin et ses contacts avec les professionnels de santé, les tarifs comparatifs des différents modes de prise en charge, et toutes les informations autres que celles se rapportant à la taille de l’effet. Les modèles expérimentaux apparaissent trop éloignés de la pratique courante : ils sont trop centrés sur la maladie, en négligeant le malade ; ils sont trop restrictifs dans leurs critères d’inclusion, dans leurs critères de jugements, temporellement limités dans leur suivi, excessivement rigoristes dans leurs protocoles de surveillance, et trop homogènes dans les populations étudiées.

indésirables ; sur les plaintes psychosociales liées à la maladie, en s’appuyant par exemple sur des échelles de qualité de vie ; ou encore en se penchant sur les répercussions des traitements sur les trajectoires de soins ou les contacts avec les soignants. Ces enquêtes observationnelles se déroulent sans comparateur : une enquête est dite observationnelle lorsque tout se serait passé de la même façon s’il n’y avait pas eu d’étude. Ces études observationnelles partent des réalités de terrain pour les décrire de la manière la plus fidèle possible, mais l’absence de plan expérimental augmente les risques de biais et rend plus difficile l’analyse de causalité.

LES ENQUÊTES OBSERVATIONNELLES

Le dilemme de l’évaluateur est donc de chercher un moyen de combler l’écart entre la prise en charge réelle et l’expérimentation, en particulier par des études postAMM. Il faut donc rechercher l’efficacité populationnelle des traitements : aujourd’hui la prise en charge globale des malades repose sur la création de recueils d’informations cliniques, humaines, économiques et sociales en santé, dans le cadre de la pratique médicale quotidienne.

Parallèlement aux études randomisées, des études observationnelles à visée exclusivement descriptives se préoccupent plus de l’usager de soins (« malade » ou « client »), en se penchant sur les effets des comportements sur l’efficacité, en particulier les comportements d’observance thérapeutique par rapport aux effets

LA DÉMARCHE QUALITÉ EN SITUATION NORMALE D’USAGE

S 863

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La démarche de l’évaluateur chargé de l’analyse des données est de s’interroger sur les différents axes de qualité : qualité des plans expérimentaux, qualité du recueil des informations, qualité des pratiques médicales par rapport à des référentiels définis, qualité de vie des patients, et qualité de la formation des patients. Des études se sont par exemple intéressées, sur des cohortes de patients schizophrènes, d’une part à la domiciliation des patients : en hôpital, en domicile privatif, ou en résidence collective (appartements protégés, maisons de retraites…) ; d’autre part à l’intensité des soins, à l’aide d’un indicateur de poids de prise en charge, en fonction du nombre de jours d’hospitalisation complète, d’hospitalisation de jour, d’hospitalisation de nuit, et du nombre d’actes ambulatoires. Ces deux séries de données permettent la construction d’un algorithme de décision, permettant de classer durant 3 ans de suivi les patients suivant la filière suivie au cours de la prise en charge (figure 3). La prise en charge des patients pouvait ainsi être classée en prise en charge intensive et prise en charge courante, par des coupes transversales des cohortes réalisées tous les 6 mois. Il est ainsi possible d’objectiver des différences de prise en charge selon les sites étudiés, par exemple en terme de retour des patients à l’hôpital, ou du développement de la prise en charge ambulatoire. L’évaluation de l’éducation thérapeutique est également très importante. Le terme d’éducation thérapeutique reflète un changement profond dans les modalités de prise

en charge : l’alliance thérapeutique, où le malade est un partenaire, est à distinguer du colloque singulier, où le malade, dans une relation très asymétrique, renonce à défendre ses propres intérêts en demandant au médecin de le faire à sa place ; on passe d’une logique d’enseignement à une logique d’apprentissage, où se développent les capacités d’auto-prise en charge du patient et son implication personnelle, puisqu’il a le sentiment qu’il peut agir sur sa santé et sur sa vie.

APPROCHE MÉDICO-ÉCONOMIQUE Les données cliniques et les paramètres économiques doivent désormais s’apprécier de façon conjointe : il n’est plus possible d’évaluer une pratique clinique sans prendre en compte son versant financier. Il est nécessaire de privilégier la mise en œuvre du traitement qui offre les meilleurs bénéfices thérapeutiques pour une somme globale allouée. Les données cliniques sont des données individuelles, sujettes à des fluctuations aléatoires ; à partir du tableau clinique, l’évaluation des pratiques médicales et du suivi thérapeutique permet une quantification du résultat (en terme de survie, de récidive, et d’effets indésirables) et du bénéfice thérapeutique. Les données qui doivent être recueillies sur le plan administratif concernant le coût des soins sont les dépenses de soins ambulatoires reconnues et remboursées par

Durée d'hospitalisation complète > 120 jours ?

non Durée d'hospitalisation complète > 30 jours ou indicateur de prise en charge > 120 points ? oui

oui

non

Prise en charge intensive en ambulatoire

Prise en charge courante en ambulatoire

Prise en charge à domicile ?

Prise en charge à domicile ?

oui Prise en charge lourde à l'hôpital

Prise en charge intensive à domicile

non

non

Prise en charge intensive Prise en charge courante Prise en charge courante en résidence à domicile en résidence

FIG. 3. — Algorithme de classement par filière. S 864

oui

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malade consommant et par an au titre des assurances santé avant et après intervention, les dépenses de consultations auprès du médecin généraliste et du spécialiste avant et après intervention, les dépenses de prescriptions avant et après intervention, et la structure des dépenses de prescriptions avant et après intervention, ceci dans le groupe témoin et dans le groupe expérimental. Pour déterminer le montant à investir pour obtenir le résultat attendu, il faut raisonner en terme de rapport investissement additionnel/quantité d’effet induit, ou rapport coût/efficacité. Lorsqu’un nouveau traitement est plus efficace (ou mieux toléré) et plus cher, la question qui se pose à l’économiste est de déterminer si le surcoût est justifié par l’importance du bénéfice supplémentaire obtenu. La limite pour accepter un nouveau traitement plus cher est ainsi du registre de la « solidarité des bien-portants », qui sont prêts à payer plus (en terme de prélèvements obligatoires et de cotisations sociales) seulement si le « retour sur investissement » est suffisamment important.

décision : efficacité thérapeutique, préférences du patient, qualité de vie, efficacité économique ; puis effectuer une synthèse généralisée des données probantes en utilisant les essais cliniques randomisés, les essais comparatifs, les études de cohorte, les études miroir, la pratique clinique, les avis d’experts… Cette synthèse de l’information peut être effectuée par des outils spécifiques, fournissant des méta-analyses décisionnelles permettant de comparer les investissements et l’utilité pour la collectivité. Ces méta-analyses décisionnelles permettent de structurer l’information dans un cadre de référence unique, de considérer simultanément les bénéfices, les risques et les coûts, d’estimer, non plus de manière intuitive, mais quantitativement la fréquence de survenue des événements évolutifs, et de reconstituer les trajectoires de prise en charge et de chaîner les coûts.

CONCLUSION COMMENT ÉCLAIRER LA DÉCISION POLITIQUE ? L’évaluation du rapport bénéfice/coût apporté par un nouveau traitement peut également s’exprimer en terme de gain net de santé publique, positif ou négatif, apporté par un nouveau traitement. L’évaluation de « l’intérêt de santé publique » conduit à choisir un nouveau traitement par rapport à l’ancien lorsque le gain net de santé publique est positif, pour une valeur donnée du risque financier socialement acceptable. Pour éclairer la décision politique, il est nécessaire de rassembler tous les éléments qui participent à la prise de

L’apparition de bases de données alimentées par les professionnels bouleverse les méthodes d’évaluation. De nouveaux protocoles d’étude sont mis en œuvre, des critères de jugements nouveaux apparaissent, portants par exemple sur l’évaluation de la qualité de vie, ou l’estimation du surcroît d’investissement requis pour obtenir le service attendu. Globalement, une perspective nouvelle apparaît par rapport aux devoirs des médecins et des soignants : comment prodiguer des soins et fournir le meilleur service possible, mais ceci en rapport avec l’argent investi.

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