Neurochirurgie 58 (2012) 372–375
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Cas clinique
Double lésion traumatique du rachis cervical (fracture de l’odontoïde et contusion médullaire C5–C6) et syndrome de Klippel-Feil Double traumatic cervical spine lesion (odontoid fracture and spinal cord injury) and Klippel-Feil syndrome T. Graillon , G. Pech-Gourg , T. Adetchessi , P. Metellus , H. Dufour , S. Fuentes ∗ Département de neurochirurgie, hôpital La Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 20 octobre 2010 ´ Accepté le 8 fevrier 2012 Keywords: Klippel-Feil syndrome Instability Cervical disc herniation Spinal cord injury Odontoid fracture
a b s t r a c t Klippel-Feil syndrome (KFS) is defined as a congenital fusion of at least two cervical vertebrae. Patients with KFS are known to be at high risk for spinal cord injury in case of cervical trauma even with weak kinetic. We report the case of a patient with C4–C5 and C6–C7 congenital fusion, harbouring C5–C6 post-traumatic spinal cord injury, associated with an odontoid fracture type 2 of Anderson and D’Alonzo classification following a motorbike accident. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
r é s u m é Mots clés : Syndrome de Klippel-Feil Instabilité Hernie discale cervicale Contusion médullaire Fracture de l’odontoïde
Le syndrome de Klippel-Feil (KFS) est défini comme un bloc congénital d’au moins deux vertèbres. Le KFS est connu pour prédisposer à des atteintes médullaires en cas de traumatisme cervical, même mineur. Nous rapportons le cas d’un patient présentant, dans les suites d’un accident de la voie publique, une contusion médullaire en regard du disque C5–C6, ainsi qu’une fracture de l’apophyse odontoïde oblique en bas en arrière de type 2 de la classification d’Anderson et D’Alonzo dans le cadre d’un KFS avec fusion congénitale des vertèbres C4–C5 et C6–C7. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
1. Introduction Décrit initialement en 1912 par Maurice Klippel et André Feil, le syndrome de Klippel-Feil (KFS) est défini comme un bloc congénital d’au moins deux vertèbres (Klippel et Feil, 1912). D’un point de vue embryologique, le KFS correspond à une anomalie de segmentation vertébrale survenant entre la troisième et la huitième semaine d’aménorrhée. Il peut être associé à de multiples autres malformations, à la fois rachidiennes (scoliose, cyphose, hémivertèbre. . .) et d’ordre plus général (malformation cardiovasculaire, génitourinaire. . .), expliquant l’importante diversité des KFS (Hensinger et al., 1974).
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Fuentes). 0028-3770/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neuchi.2012.02.029
En 2006, Samartzis a décrit trois types de KFS : le type I correspondant à un bloc de deux vertèbres, le type II à plusieurs blocs de deux vertèbres et le type III à au moins un bloc de plus de deux vertèbres (Samartzis et al., 2006a,b). Initialement, Nagib avait proposé une classification légèrement différente : le type I correspondant à un profil de fusion instable ou potentiellement instable, le type II à la présence d’une malformation de la charnière cervico-occipitale et enfin, le type III à l’association avec une sténose canalaire rachidienne (Nagib et al., 1984). Les blocs vertébraux congénitaux sont le plus souvent asymptomatiques mais peuvent, dans certains cas, se révéler par des cervicalgies, voire par une hernie discale cervicale en rapport avec une sollicitation excessive du disque mobile adjacent aux vertèbres fusionnées. En revanche, bien que connu comme prédisposant aux atteintes médullaires et radiculaires pour des traumatismes cervicaux même mineurs, le KFS est exceptionnellement révélé par
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une atteinte neurologique post-traumatique (Nagib et al., 1984 ; Samartzis et al., 2006a,b). Les auteurs rapportent le cas d’un homme de 42 ans, victime d’un accident de la voie publique, présentant un traumatisme médullaire en regard du disque C5–C6, ainsi qu’une fracture de l’apophyse odontoïde, révélant un KFS avec fusion congénitale des vertèbres C4–C5 et C6–C7. 2. Observation Il s’agit d’un motard de 42 ans, transféré en urgence dans le département de neurochirurgie pour prise en charge d’un traumatisme médullaire cervical lors d’une chute de moto avec traumatisme cervical en hyperextension. En effet, le motard, casqué, présentait un impact crânien frontal. À l’admission, l’examen neurologique mettait en évidence une diplégie brachiale avec atteinte motrice bilatérale des territoires C6, C7, C8, T1, évaluée à 3/5. Au niveau des membres supérieurs, on ne constatait pas de déficit sensitif ; en revanche, le patient signalait des douleurs neuropathiques mal systématisées. Les réflexes ostéotendineux étaient abolis au niveau des membres supérieurs et restaient vifs au niveau des membres inférieurs. Il n’y avait pas d’atteinte motrice des membres inférieurs ; néanmoins, on observait des troubles sensitifs à type d’hypoesthésie et de paresthésies mal systématisées au niveau des membres inférieurs. Les réflexes cutanés plantaires étaient en flexion bilatérale. On ne mettait pas en évidence de trouble sphinctérien. À noter par ailleurs, qu’avant l’accident, le patient était tout à fait asymptomatique, ne présentant, ni douleur cervicale, ni signe neurologique. Les radiographies du rachis cervical réalisées de face et de profil retrouvaient une fracture de l’odontoïde OBAR de type 2 de la classification d’Anderson et D’Alonzo (Anderson et D’Alonzo, 1974), ainsi que deux blocs congénitaux des vertèbres C4–C5 et C6–C7 (respectivement type II et type I des classifications de Samartzis et Nagib) (Nagib et al., 1984 ; Samartzis et al., 2006a,b). La tomodensitométrie du rachis cervical permettait, outre de préciser la fracture de l’odontoïde, de mettre en évidence un rétrécissement du canal cervical en regard du disque C5–C6 avec fracture de l’apophyse épineuse de C5 (Fig. 1).
Fig. 1. Scanner préopératoire en fenêtre osseuse et reconstruction sagittale montrant une fracture de l’odontoïde et deux blocs vertébraux C4–C5 et C6–C7. Preoperative sagittal reformatted CT-scan showing odontoid fracture and two congenital C4–C5 and C6–C7 cervical fusion.
Fig. 2. IRM sagittale en pondération T2, mettant en évidence une lésion médullaire en regard du disque C5–C6. Preoperative T2 weighted sagittal MRI demonstrated spinal cord contusion at C5–C6 level.
À l’arrivée du patient, le bilan était complété par une IRM médullaire (Fig. 2), permettant d’observer un hypersignal médullaire T2 en regard du disque C5–C6 avec, à ce niveau, une réduction significative du diamètre du canal cervical. Le signal du disque C5–C6 était altéré. Par ailleurs, on constatait la présence d’un hématome du système ligamentaire postérieur, plus particulièrement au niveau du ligament interépineux C5–C6. On concluait au diagnostic de contusion médullaire permettant d’émettre l’hypothèse d’une instabilité C5–C6, mais celle-ci n’a pu être confirmée, des clichés dynamiques du rachis cervical ne pouvant être réalisés du fait de la fracture instable de l’odontoïde. Nous avons donc décidé, devant la double atteinte traumatique du rachis cervical — fracture instable de l’odontoïde de type 2 et contusion médullaire post-traumatique C5–C6 — de réaliser une intervention chirurgicale à type de double fixation–stabilisation du rachis cervical : par une même incision de cervicotomie antérolatérale, il a été réalisé un vissage de l’odontoïde sous double repérage scopique face/profil par une vis de 38 mm de long, puis une arthrodèse C5–C6 par cage/plaque. En effet, dans un premier temps, on effectuait à l’aide d’un double repérage scopique un vissage de l’odontoïde par voie antérieure avec mise en place d’une vis de 38 mm. Puis, dans un second temps, usant de la même incision, on réalisait, par un abord cervical antérolatéral droit, une discectomie C5–C6 avec exérèse de la hernie, ouverture du ligament corpovertébral postérieur, et mise en place d’une cage intersomatique de 6 mm de hauteur et 20 mm de largeur contenant un substitut osseux à type d’hydroxy-apatite ; enfin, on complétait l’arthrodèse C5–C6 par la pose d’une plaque vissée (Fig. 3). En postopératoire, on constatait une diminution significative des douleurs radiculaires ainsi qu’une nette amélioration des troubles moteurs des membres supérieurs avec, néanmoins, persistance des troubles sensitifs des membres inférieurs. Cinq jours après l’intervention, le patient était transféré en centre de rééducation.À trois mois, on constatait une régression complète de la symptomatologie neurologique. 3. Discussion La prédisposition à des lésions ligamentaires, discales et neurologiques, le plus souvent d’origine dégénérative, chez des patients
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Fig. 3. Scanner en reconstruction sagittale, réalisé en postopératoire et permettant de visualiser l’ostéosynthèse par vissage de l’odontoïde ainsi que l’arthrodèse C5–C6. Postoperative sagittal reformatted CT-Scan showing anterior C2 osteosynthesis and C5–C6 anterior fixation.
porteurs d’un KFS s’explique par le report des contraintes mécaniques, que ce soit lors de mouvements en hyperflexion ou, surtout, en hyperextension, sur les disques mobiles adjacents au niveau fusionné (Nagib et al., 1984 ; Samartzis et al., 2006a,b). En effet, de la diminution de mobilité du rachis cervical causée par un ou plusieurs blocs vertébraux, il résulte un mobilité excessive des disques adjacents non fusionnés, permettant d’expliquer la présence fréquente — bien que le plus souvent asymptomatique — de lésions discales dégénératives à type de discopathie ou de hernie discale cervicale en rapport avec une hyper-sollicitation de ce disque mobile (Agrawal et al., 2009 ; Samartzis et al., 2006a,b). La limite entre hypermobilité et instabilité semble parfois difficile à déterminer. Cela explique le risque majoré de lésion neurologique en cas de traumatisme cervical, même minime, chez des patients porteurs d’un KFS (Nagib et al., 1984). De même, l’augmentation des contraintes mécaniques en hyperflexion et en hyperextension, exercées au niveau de l’apophyse odontoïde et de son système ligamentaire atlanto-axoïdien du fait d’un bloc vertébral typiquement haut (C2–C3 ou C3–C4), peut également être responsable d’une fracture de l’apophyse odontoïde, le plus souvent oblique en bas en arrière, lors d’un mouvement d’hyperextension forcée (Nagib et al., 1984). Des lésions discales instables ainsi que des fractures de l’odontoïde sont communément décrites dans le cadre du KFS, en particulier dans les grades 2 et 3 de la classification de Samartzis (Samartzis et al., 2006a,b) ; néanmoins, leur association chez un même patient est exceptionnelle, soulignant l’intérêt pédagogique de ce cas. D’un point de vue plus pratique, il semble donc indispensable de réaliser un examen clinique extrêmement soigneux chez des patients dont le bilan radiologique met en évidence un KFS, et ce, même en cas de traumatisme cervical minime. En effet, un traumatisme cervical de faible cinétique, presque anodin chez un sujet sain, pourrait avoir des conséquences graves chez un patient porteur d’un KFS en premier lieu desquelles on retiendra une instabilité rachidienne segmentaire. Ainsi, on recommande la réalisation systématique de clichés radiographiques du rachis cervical en cas de traumatisme cervical associé à des cervicalgies. La découverte radiographique après un traumatisme cervical d’un KFS doit faire évoquer l’éventualité d’une lésion rachidienne instable pour
laquelle des clichés dynamiques du rachis cervical devront être réalisés sept à dix jours plus tard. En cas d’atteinte neurologique, la réalisation d’une IRM médullaire est indiquée. Dans le cas de ce patient, seule la fracture de l’odontoïde avait été initialement diagnostiquée sur les radiographies et lors du scanner du rachis cervical, le patient étant adressé pour fracture de C2 et troubles neurologiques discordants. Lors de l’admission dans l’unité, la découverte de ces deux blocs congénitaux C4–C5 et C6–C7, encadrant le disque mobile C5–C6, associée à des douleurs de névralgie cervicobrachiale C5 et C6, non expliquées par la fracture de l’odontoïde, nous ont fait d’emblée évoquer l’hypothèse d’une lésion instable en regard du disque C5–C6, seul disque mobile entre deux blocs. L’IRM réalisée en urgence a confirmé la présence d’une contusion médullaire en regard du disque C5–C6, témoin de l’instabilité probable de la lésion. Ainsi, compte tenu de l’existence d’une contusion médullaire C5–C6 ainsi que d’une fracture instable de l’apophyse odontoïde de type 2, nous avons retenu l’indication d’une double intervention chirurgicale. Nous avons réalisé une arthrodèse C5–C6 par abord antérolatéral classique avec mise en place d’une cage intersomatique contenant un substitut osseux à type d’hydroxy-apatite associée à une plaque vissée. La pose d’une prothèse discale est très intéressante dans le cadre d’un KFS en cas de pathologie dégénérative, permettant ainsi de maintenir une mobilité discale et d’épargner les disques mobiles sus- et sous-jacents (Yi et al., 2007). En revanche, elle n’est absolument pas recommandée en traumatologie du fait d’un problème de stabilité non résolu. Par ailleurs, et ce malgré un taux de fusion sans doute légèrement inférieur, nous avons opté pour la pose d’une cage intersomatique afin d’éviter les désagréments engendrés par une prise de greffe osseuse iliaque : douleurs postopératoires retardant la reprise de la marche et allongeant potentiellement la durée d’hospitalisation, méralgie paresthésique séquellaire, hématome et infection postopératoires et fracture de l’aile iliaque (Glassman et al., 2010). Enfin, en cas de fracture de type 2 oblique en bas en arrière de l’odontoïde, nous préférons réaliser un vissage de l’odontoïde. En effet, outre le fait que le vissage soit considéré comme le traitement de référence de ce type de fracture, cela permet d’éviter au patient le port d’une minerve indienne à appui occipitomentonnier pendant trois mois, facilitant ainsi la mise en œuvre d’une rééducation ainsi que la récupération de son autonomie, et diminue nettement le risque de pseudarthrose et de déplacement secondaire (Hsu et Anderson, 2010 ; Nourbakhsh et al., 2009). Enfin, ce cas clinique rappelle la nécessité de déconseiller fortement au patient la pratique d’activité à risque ou du moins d’apporter une information claire et précise sur les risques encourus, en particulier pour les KFS de grades 2 et 3 de la classification de Samartzis. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références Agrawal, A., Badve, A.M., Swarnkar, N., Sarda, K., 2009. Disc prolapse and cord contusion in a case of Klippel-Feil syndrome following minor trauma. Indian J Orthop 43 (2), 210–212. Anderson, L.D., D’Alonzo, R.T., 1974. Fractures of the odontoid process of the axis. J Bone Joint Surg Am 56 (8), 1663–1674. Glassman, S.D., Howard, J.M., Sweet, A., Carreon, L.Y., 2010. Complications and concerns with osteobiologics for spine fusion in clinical practice. Spine (Phila Pa 1976) 35 (17), 1621–1628. Hensinger, R.N., Lang, J.E., MacEwen, G.D., 1974. Klippel–Feil syndrome: a constellation of associated anomalies. J Bone Joint Surg Am 56, 1246–1253.
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