Douleurs des membres inférieurs et des extrémités

Douleurs des membres inférieurs et des extrémités

EMC-Cardiologie Angéiologie 1 (2004) 382–392 www.elsevier.com/locate/emcaa Douleurs des membres inférieurs et des extrémités Lower limb pain E. Hach...

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EMC-Cardiologie Angéiologie 1 (2004) 382–392

www.elsevier.com/locate/emcaa

Douleurs des membres inférieurs et des extrémités Lower limb pain E. Hachulla (Professeur des Universités) Service de médecine interne du professeur Pierre-Yves Hatron, hôpital Huriez, CHRU, 2, avenue Oscar-Lambret, 59037 Lille cedex, France

MOTS CLÉS Douleurs ; Membres inférieurs ; Ischémie digitale ; Myalgie ; Paresthésies

KEYWORDS Pain; Lower limbs; Digital ischemia; Myalgia; Paresthesia

Résumé Les douleurs des membres inférieurs ont des causes multiples et parfois intriquées. Lorsqu’une gangrène distale est installée, l’origine artérielle ne fait pas de doute. Le diagnostic est déjà plus difficile en cas d’ulcérations des membres inférieurs où l’origine peut être veineuse, artérielle ou microcirculatoire, parfois liée à une vascularite. Si l’amyotrophie guide vers une pathologie neurogène, si l’enraidissement articulaire oriente vers une cause ostéoarticulaire, les pièges sont nombreux et un œdème douloureux de cheville, dont on peut croire à l’origine veineuse, peut être dû à une algodystrophie. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Pains of the lower limbs may be of multiple origin, with sometimes intricate causes. When gangrene is present the arterial origin is beyond doubt. The diagnosis is more difficult when cutaneous ulceration appears. Venous or arterial disease, microcirculation abnormality must be ruled out. Even if amyotrophia suggests a neurological origin or if the joint stiffness suggests an osteoarticular origin, there is a lot of traps such as a painful oedema of the ankle that may be caused by an algodystrophia rather than by a venous insufficiency. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction Les douleurs des membres inférieurs sont une cause extrêmement fréquente de consultation. Parfois, la cause est évidente devant la découverte d’un ulcère évolutif, dans d’autres cas le diagnostic peut être hésitant entre une douleur d’origine musculaire ou d’origine veineuse ou bien artérielle. Cela peut être un mode d’expression, voire de révélation, de nombreuses maladies rares nécessitant une véritable stratégie dans la démarche diagnostique.1–3 Adresse e-mail : [email protected] (E. Hachulla).

Nous essaierons dans ce chapitre de progresser de manière très pragmatique vers le diagnostic plutôt que d’établir une longue liste étiologique. Il importe de déterminer tout d’abord si la marche est douloureuse (Fig. 1), s’il existe ou non une claudication. On peut classer en cinq grands cadres étiologiques l’origine d’une marche douloureuse (Tableau 1). Un interrogatoire minutieux peut bien souvent orienter vers une origine artérielle, veineuse, ostéoarticulaire, musculotendineuse ou nerveuse. La claudication intermittente douloureuse n’est pas caractéristique de l’artériopathie oblitérante

1762-6137/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcaa.2004.08.003

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383 claudication intermittente douloureuse avec crampe du mollet constitue le symptôme le plus classique, comme nous l’avons vu les pièges sont nombreux et les intrications possibles. Si l’on découvre une sténose artérielle à l’échodoppler, la douleur alléguée par le patient n’est pas nécessairement toujours en rapport avec l’image échographique observée. Encore faut-il que la sténose décrite soit hémodynamiquement significative. Lorsqu’il existe un doute, l’oxymétrie transcutanée dynamique4 (Fig. 2) fait la démonstration de l’ischémie d’effort à l’image du sous-décalage du segment ST qui peut survenir chez le coronarien à l’effort.

Figure 1 Arbre d’orientation selon le cadre étiologique des marches douloureuses. IRM : imagerie par résonance magnétique. EMG : électromyogramme. * Causes les plus fréquentes, par là où la démarche diagnostique doit commencer.

(Tableau 2). Une origine veineuse ou un canal lombaire étroit peuvent être des pièges amenant à des gestes de revascularisation parfois inutiles.

Douleurs des membres inférieurs d’origine artérielle L’origine artérielle d’une douleur des membres inférieurs n’est pas toujours facile à démontrer. Si la

La topographie de la douleur artérielle aux membres inférieurs varie selon le niveau de la sténose. On peut établir une certaine corrélation anatomoclinique qui souffre cependant de nombreuses exceptions : • en cas d’oblitération artérielle du carrefour aorto-iliaque, la douleur est uni- ou bilatérale et localisée à la fesse ; • en cas d’oblitération iliaque ou fémorale, la douleur est localisée à la cuisse ; • en cas d’oblitération fémorale ou fémoropoplitée, la douleur est localisée au mollet ; • en cas d’oblitération fémoropoplitée ou jambière, la douleur est localisée à la plante du pied. Au stade de la douleur de décubitus (stade III de Leriche et Fontaine), la douleur survient le plus souvent en deuxième partie de la nuit, et est calmée par la position déclive jambes hors du lit. Il s’agit d’une ischémie tissulaire de repos. Il faut distinguer les douleurs de primodécubitus qui

Tableau 1 Particularités sémiologiques de la marche douloureuse selon le cadre étiologique. Douleur : – mécanique – inflammatoire – facteurs de majoration

– facteurs de soulagement

– persiste au repos

Boiterie

Artérielle

Veineuse

Ostéoarticulaire

++ 0 marche rapide sur plan incliné

+ 0 station debout prolongée, chaleur

++ parfois terrain accidenté, certaines mobilités articulaires

++ rarement pression, certains mouvements d’étirement ou contre résistance, certaines positions immobilisation, articulaires, immo- AINS, infiltration bilisation, AINS, infiltration 0 0 (sauf arthrite)

arrêt de la marche, surélévation du vasodilatateurs membre, tonique veineux, contention 0 0 (sauf stade III ou IV) (sauf troubles trophiques) 0 0 ++

AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens.

Musculotendineuse Nerveuse

+

++ 0 certains mouvements (Lassègue, Léri) repos, AINS

0

+

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Tableau 2 Principales causes des claudications intermittentes douloureuses et particularités cliniques. Artériopathie oblitérante

Au stade de la claudication intermittente (stade II de Leriche et Fontaine), le malade va ressentir une douleur typiquement au mollet mais parfois au pied ou à la cuisse. Celle-ci survient uniquement à la marche d’autant plus que la marche est rapide ou le terrain en côte l’obligeant alors à s’arrêter. La douleur disparaît en quelques minutes après l’arrêt (signe de la boutique). Il s’agit d’une douleur à type de striction ou de brûlure, elle survient habituellement pour une distance identique appelée périmètre de marche. Le siège de la douleur de la claudication intermittente, habituellement unilatérale, peut être fessier, localisé à la cuisse, au mollet ou à la plante du pied selon le niveau de l’atteinte artérielle. Insuffisance veineuse L’insuffisance veineuse profonde primitive ou post-thrombotique peut être à l’origine d’une claudication intermittente douloureuse du membre inférieur débutant typiquement au mollet, irradiant vers la cuisse, voire la hanche mais ne cédant pas immédiatement après l’arrêt de la marche. La surélévation du membre accélère la disparition des symptômes. Canal lombaire étroit Il s’agit d’une authentique claudication, les douleurs ont une topographie radiculaire, voire pluriradiculaire et s’accompagnent de paresthésies, de dysesthésies ou de crampes. Les symptômes surviennent en station debout, sont plus importants à la descente des escaliers qu’à la montée. La flexion lombaire soulage les signes plus que l’arrêt de la marche. Les déplacements en bicyclette ne provoquent aucun symptôme du fait de la lordose qui élargit le canal lombaire et limite la compression radiculaire. Coxarthrose et gonarthrose La douleur est spontanée, discrète, progressivement croissante, accentuée par la marche et certains mouvements, calmée par le repos et s’accompagne d’un enraidissement progressif de la mobilité articulaire. La topographie de la douleur de hanche peut être trompeuse : aine, fesse et face postérieure de la cuisse, face antérieure de la cuisse, face externe de la cuisse ou face interne de la cuisse dans sa partie haute. La gonarthrose entraîne plutôt une douleur déclenchée par la montée et la descente des escaliers, parfois la position assise prolongée. Le signe du rabot et le toucher rotulien postérieur douloureux orientent vers une origine fémoropatellaire.

Douleurs des membres inférieurs d’origine veineuse

Figure 2 Chute de la courbe d’oxymétrie à l’effort et surtout en phase de récupération ; la surface hachurée correspond à la dette en oxygène.

surviennent quelques minutes après le coucher et témoignent d’un déficit circulatoire important, le malade finissant par dormir jambes pendantes. À côté de l’athérome le plus souvent en cause, on décrit de nombreux mécanismes différents d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs.

Outre l’insuffisance veineuse profonde qui peut être à l’origine d’une authentique claudication intermittente douloureuse (Tableau 2), une thrombose veineuse profonde peut se révéler par une douleur isolée de la jambe, une crampe ou une simple gêne du mollet. L’insuffisance veineuse superficielle occasionne des douleurs et des lourdeurs de jambe lors de la station debout, au fur et à mesure de la journée, parfois dès le matin. Ces douleurs sont majorées par le piétinement, augmentent en période estivale ou lors du syndrome prémenstruel ou des grossesses. Elles régressent lors de la marche ou du décubitus mais peuvent laisser place à des crampes ou à un syndrome des jambes sans repos. L’examen clinique complété de l’échodoppler veineux conduit habituellement facilement au diagnostic.

Douleurs des membres inférieurs d’origine neurogène Sciatique La douleur est spontanée, siège à la face postérieure de la cuisse et descend dans le creux poplité,

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la jambe et le pied avec une intensité variable, du simple élancement à la douleur atroce. Elle est exagérée par la toux ou l’éternuement (origine discale), lorsque le patient se lève ou se retourne dans son lit. L’appui antalgique porte sur le côté sain, l’autre côté étant demi-fléchi. Il existe souvent une raideur rachidienne, une douleur provoquée par la pression du sciatique lui-même, par élongation du nerf au cours de la manœuvre de Lasègue ou par pression latérovertébrale. Une hypoesthésie dans le territoire cutané correspondant, mais surtout la diminution du réflexe achilléen sont autant de signes objectifs. Les deux types principaux de lombosciatique intéressent les racines L5 et S1 avec leur topographie respective : fesse, cuisse, face externe de jambe, dos du pied et gros orteil pour L5 ; face postérieure de la cuisse et de la jambe, talon et plante du pied pour S1. Le diagnostic de sciatique discale est d’abord clinique. Dans les formes typiques et d’évolution rapidement favorable, aucun autre examen n’est nécessaire. Dans les formes atypiques ou si la symptomatologie est traînante, alors l’imagerie permet un diagnostic morphologique :

• rachis lombaire face + profil et cliché L5-S1 centré de face ; • électromyogramme (EMG) ; • scanner rachidien.

Canal lombaire étroit Les symptômes cliniques ont été rapportés dans le Tableau 2. La douleur est liée à une atteinte monoou plus souvent pluriradiculaire. Rarement constitutionnel, le canal lombaire rétréci est surtout la résultante d’un conflit entre une protrusion discale ou le développement d’une arthrose interarticulaire postérieure et l’étui dure-mérien. Ce conflit étant dynamique et la taille du canal variant avec la position de la colonne lombaire, le diagnostic de canal lombaire étroit peut être difficile. L’EMG montre de façon habituelle une souffrance pluriradiculaire. Les radiographies standards du rachis lombaire peuvent visualiser une arthrose interapophysaire postérieure volumineuse, un trouble de la statique ou une cyphose. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) et le scanner sont très utiles pour apprécier la taille du canal mais ces examens sont réalisés couché et parfois seule la saccoradiculo-

Figure 3 Distribution métamérique des racines nerveuses et systématisation des territoires nerveux aux membres inférieurs.

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Tableau 3 Diagnostic différentiel des polyneuropathies : syndrome des jambes sans repos.5 Manifestations cliniques Asthénie paresthésiante avec sensations anormales désagréables des membres inférieurs survenant exclusivement au repos et dans les positions assise ou couchée immobiles. La marche, les flexions-extensions des jambes, les massages ou n’importe quel mouvement soulagent rapidement. Le besoin de mobiliser les jambes peut être réfréné durant un laps de temps limité mais finalement devient irrésistible. Les sensations d’agacement profondes, rampantes, picotantes ou grouillantes naissent au niveau des genoux et descendent vers les jambes puis les chevilles. La station assise prolongée est difficile au-delà de quelques dizaines de minutes. La symptomatologie apparaît parfois dès la mise au repos en fin de journée mais le plus souvent les signes s’accentuent durant la soirée puis la nuit, entraînant des insomnies. Le syndrome des jambes sans repos s’accompagne habituellement de mouvements semi-rythmiques au cours du sommeil (mouvements périodiques des jambes). Tous les sujets atteints de syndrome des jambes sans repos n’ont pas de syndrome des mouvements périodiques nocturnes des jambes et réciproquement. Il peut exister des crampes à l’effort. Étiologies Insuffisance veinolymphatique : amélioration des symptômes après port de bas de contention et toniques veineux (il s’agit typiquement du premier stade de la maladie veineuse, les signes tendent à diminuer, voire à disparaître lorsque apparaissent les varices). Carence martiale : la symptomatologie peut disparaître après correction de la carence en fer ; une ferritinémie < 50 lg/l est un facteur aggravant des jambes sans repos ; lorsque la ferritinémie est < 18 lg/l, le traitement martial peut permettre une résolution complète des symptômes. Divers : carence en folates, bronchopneumopathie obstructive, gastrectomie, abus de caféine, insuffisance rénale chronique (avant l’apparition de la neuropathie urémique), certains médicaments (neuroleptiques, antidépresseurs, éthosuximide, phénytoïne). Traitement Traitement étiologique Médicaments ayant montré leur efficacité dans des études randomisées : lévodopa, bromocriptine, pergolide, pramipexole ; ces médicaments sont efficaces dans 90 à 100 % des cas et peuvent dans 70 à 100 % des cas améliorer le syndrome des mouvements périodiques nocturnes des jambes souvent associé. D’autres médicaments comme la méthadone, certaines benzodiazépines (clonazépam), certains médicaments anticonvulsivants (carbamazépine) peuvent apporter un bénéfice, mais ces molécules n’ont pas été validées par des études randomisées. Neurostimulation transcutanée

graphie réalisée debout peut révéler le site exact du rétrécissement lombaire.

Autres radiculalgies La douleur du membre inférieur est traçante et descendante, il peut exister des paresthésies, des élancements, des troubles de la sensibilité. La distribution métamérique de la douleur (Fig. 3) reflète l’atteinte radiculaire ou tronculaire. L’EMG guide le diagnostic. Les radiographies de rachis, la scintigraphie, le scanner rachidien, voire le scanner ou l’échographie pelvienne, permettent la plupart du temps un diagnostic étiologique rapide : neurinome, métastases osseuses, tumeur pelvienne, etc.

Neuropathie périphérique Les caractéristiques cliniques de la douleur sont assez spécifiques. Il existe des paresthésies des extrémités à type de picotements, de brûlures diurnes ou nocturnes. Les symptômes surviennent plus souvent au repos et sont soulagés par la marche. Il peut s’agir de crampes, de simples engourdissements, d’impression d’étau donnant parfois un ta-

bleau identique au syndrome des jambes sans repos (Tableau 3). D’abord symétriques et distaux, ces symptômes peuvent progresser vers le haut du corps (membres supérieurs et thorax). L’EMG est l’outil diagnostique de choix. Parfois, seule l’étude des petites fibres peut confirmer une atteinte neurogène périphérique chronique.

Maladie de Parkinson Environ 50 % des parkinsoniens souffrent de douleurs à un stade ou à un autre de leur maladie. Dans environ un cas sur 10, les phénomènes sont inauguraux. Les symptômes peuvent être divers (Tableau 4). Il peut s’agir de douleurs articulaires, de crampes ou de paresthésies douloureuses. Les symptômes restent d’horaire mécanique et sont peu sensibles aux antalgiques ou aux antiinflammatoires, en revanche ils répondent rapidement à la dopathérapie.

Syndrome sensitif profond Lorsqu’il existe une lésion sur les voies anatomiques de la douleur (pariétale, thalamique, bulbaire, médullaire) - qu’elle soit d’origine vasculaire

Douleurs des membres inférieurs et des extrémités Tableau 4 Douleurs des membres chez le parkinsonien. Douleurs articulaires Crampes Dystonies douloureuses

Paresthésies douloureuses

– – – – – – – – –

d’effort nocturnes claudications dystoniques dystonies matinales dystonies de fin de dose brûlures engourdissements impression d’étau syndrome des jambes sans repos

ou tumorale - on peut observer des douleurs fulgurantes des membres liées à une atteinte des différentes sensibilités (musculaire, articulaire ou osseuse). Les douleurs sont très vives, passent à travers les membres et le tronc avec la rapidité de l’éclair, surviennent par crises de quelques minutes à plusieurs heures. Quelquefois, la douleur a un caractère fixe à type de morsure ou de clou pénétrant, dans d’autres cas il s’agit d’une sensation de serrement, de broiement ou des paresthésies à type de courant d’eau chaude ou froide. Dans ces situations, c’est l’IRM encéphalique ou médullaire qui aide au diagnostic étiologique.

Névralgies paresthésiques de Bernhardt et Roth Ce syndrome canalaire est lié à l’irritation du nerf fémorocutané. Il s’agit d’une atteinte sensitive pure donnant des paresthésies ou un engourdissement dans la région antéroexterne de la cuisse avec hypoesthésie en raquette. La pression du nerf au niveau de son passage juste sous le ligament inguinal, immédiatement sous l’épine iliaque antérosupérieure, peut déclencher des paresthésies. L’infiltration locale est un test diagnostique.

Douleurs des membres inférieurs d’origine musculaire L’origine musculaire de douleurs des membres inférieurs est habituellement bien rapportée par le

387 malade lui-même. Les myalgies peuvent être spontanées ou ne survenir qu’à l’effort. Le plus complexe est de rattacher le tableau clinique à sa cause. L’EMG peut guider vers un syndrome myositique ou myopathique mais est assez régulièrement en défaut. L’élévation des enzymes musculaires (créatine phosphokinase [CPK] et aldolase) peut confirmer l’origine musculaire d’une douleur atypique mais cette élévation est inconstante quelle que soit l’origine de la souffrance musculaire. Toutes les situations envisagées ci-dessous ne sont pas nécessairement localisées électivement aux membres inférieurs mais peuvent y être prédominantes. Outre les douleurs musculaires du sportif liées à un entraînement excessif ou mal adapté, les principales causes toxiques ou métaboliques sont rassemblées dans le Tableau 5. Les causes médicamenteuses et l’hypothyroïdie sont les deux situations les plus fréquentes. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’une myosite inflammatoire (Tableau 6). La faiblesse musculaire est ici plus fréquente que la douleur. Les myalgies ont parfois une origine systémique (Tableau 7). Dans d’autres cas, les myalgies ont une origine infectieuse : • toutes les infections virales peuvent être en cause donnant des myalgies fébriles : grippe, infections à coxsackie, parvovirus B19, cytomégalovirus, virus d’Epstein-Barr, etc... ; • la toxoplasmose peut être à l’origine de myalgies parfois diffuses et s’accompagnant d’adénopathies superficielles cervicales qui persistent quelques semaines ou parfois quelques mois ; • la trichinose entraîne des myalgies diffuses persistant parfois plusieurs mois, s’accompagne d’un œdème périorbitaire avec conjonctivite, d’une fièvre à 40 °C, l’ensemble survient 8 à 15 jours après l’ingestion de porc mal cuit et s’accompagne de troubles digestifs avec céphalées. La sérologie permet souvent le diagnostic. L’apparition de myalgies à l’effort évoque certains diagnostics plus rares liés à un déficit enzymatique de la glycogénolyse ou mitochondriale (Tableau 8).

Tableau 5 Douleurs musculaires d’origine toxique et métabolique. – Myopathie hypothyroïdienne – Myopathie médicamenteuse : statines et fibrates +++, quinolones +++, antipaludéens de synthèse, D-pénicillamine, corticoïdes, Aldomet®, cimétidine, ranitidine, lithium, Bactrim®, danazol, substances hypokaliémiantes (diurétiques, laxatifs, réglisse, amphotéricine B), vincristine, acide aminocaproïque – Myopathie alcoolique aiguë, déficit en enzymes de la glycogénolyse ou mitochondriales, ostéomalacie, hypophosphorémie, hypokaliémie, nutrition parentérale (déficit en acides gras essentiels)

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Tableau 6 Principales caractéristiques des myosites inflammatoires.6 Caractéristiques Origine infectieuse

Dermatomyosite non démontrée

Polymyosite Parfois virus : VIH, HTLV1, coxsackie Certaines bactéries : staphylocoque, Yersinia, streptocoque, légionelle, borrelia burgdorferi Médicament inducteur possible D-pénicillamine D-pénicillamine, zidovudine Cancer associé ++ + Atteinte musculaire Faiblesse musculaire à prédo- Faiblesse musculaire à prédominance proximale minance proximale CPK Élevées jusqu’à 50 fois la nor- Élevées de 10 à 50 fois la normale male, parfois normales EMG Atteinte myogène (parfois non Atteinte myogène spécifique)

Myosite à inclusions non démontrée

Non 0 Faiblesse musculaire proximale avec rapide atteinte distale Élevées jusqu’à 10 fois la normale, parfois normales Atteinte myogène souvent signes non spécifiques : potentiels polyphasiques, potentiels de fibrillation

VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; HTLV1 : Human T-cell lymphoma virus 1 ; CPK : créatine phosphokinase ;EMG : électromyogramme.

Tableau 7 Principales étiologies des myalgies d’origine systémique. Pseudopolyarthrite rhizomélique – Adulte 50-55 ans. – Association dans 20 à 30 % des cas de signes de maladie de Horton. – Douleurs musculaires à prédominance proximale. – Syndrome inflammatoire dans plus de 95 % des cas. – Efficacité spectaculaire en quelques jours de la corticothérapie. Périartérite noueuse – Myalgies intenses et diffuses présentes dans 50 % des cas ; amyotrophie intense et rapide ; faiblesse musculaire. – Altération de l’état général, fièvre, arthralgies ou arthrites. – Multinévrites fréquentes. Lupus érythémateux systémique – Myalgies diffuses (50 % des cas) et faiblesse musculaire proximale accompagnent les arthralgies ou arthrites présentes dans 80 % des cas. – Les douleurs musculaires sont parfois favorisées par un traitement associé : myopathie cortisonique, antipaludéens de synthèse. Sarcoïdose – Formes musculaires avec amyotrophie, formes pseudopolymyositiques exceptionnelles mais la biopsie de quadriceps est d’une grande rentabilité diagnostique. Mixed Connective Tissue Disease – Myalgies (80 % des cas) : dans 10 à 20 % des cas, le tableau clinique peut évoquer une (syndrome de Sharp) polymyosite avec élévation des enzymes musculaires et syndrome myogène à l’EMG. Syndrome myalgies-éosinophilie – Début quelques semaines à 2 ans après le début d’un traitement à base de L-tryptophane (interdit de vente depuis 1990 mais encore présent dans certaines préparations diététiques) ; éosinophilie 2 000/mm3 – Myalgies (100 % des cas) diffuses, en quelques jours, prédominent sur les avant-bras mais aussi les muscles des épaules, des cuisses et paravertébraux ; consistance œdémateuse ou indurée du muscle à la palpation. EMG : électromyogramme.

Douleurs des membres inférieurs d’origine ostéoarticulaire L’atteinte de l’appareil locomoteur est une cause fréquente de douleurs des membres inférieurs. La marche est souvent anormale et s’accompagne de boiterie, caractère qui n’existe pas chez l’artériopathe en dehors de troubles trophiques associés. La cause la plus fréquente est l’arthrose.

Pathologie de la hanche et du genou La topographie variable des douleurs de hanche ou du genou fait qu’il n’est pas toujours facile de rapporter une douleur de la jambe à son origine articulaire. La hanche peut donner des douleurs de topographie variable : aine, fesse et face postérieure de la cuisse, face antérieure de la cuisse, face externe de la cuisse ou face interne dans sa partie haute. Le

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Tableau 8 Myalgies survenant après l’effort.7 Déficit en enzymes de la glycogénolyse

Type d’atteinte musculaire Déficit en phosphorylase = glycogénose de type V ou maladie de McArdle = maladie héréditaire à transmission autosomique récessive

Déficit en phosphofructokinase = glycogénose de type VII ou maladie de Tarui = maladie héréditaire à transmission autosomique récessive

Déficit en enzymes de la lipo- Déficit en carnitine-palmityllyse transférase = maladie héréditaire à transmission autosomique récessive à prédominance masculine

Déficit mitochondrial

Déficits en complexes de la chaîne respiratoire

Clinique Douleurs musculaires survenant après un exercice violent ou suite à un exercice soutenu d’intensité moyenne. Début dans l’enfance, sexe masculin plus souvent atteint.

Diagnostic Taux de CPK souvent élevé même au repos.

Sous ischémie, l’exercice s’accompagne d’une crampe et la lactacidémie ne s’élève pas dans le sang veineux. Les crampes douloureuses sur- L’EMG est silencieux pendant la venant à l’effort persistent crampe. pendant plusieurs heures et s’accompagnent parfois Biopsie musculaire avec étude d’urine foncée témoin d’une enzymatique. myoglobinurie. Maladie plus fréquente chez Élévation du taux de CPK l’homme, l’intolérance à l’exercice débute dans l’enfance, devient gênante à l’adolescence et se manifeste par des myalgies et des crampes des membres inférieurs avec fatigue importante et parfois nausées, vomissements. La myoglobinurie est incons- Absence d’élévation de la lactante. tacidémie à l’effort qui fait apparaître une crampe. EMG : silencieux au moment de la crampe, parfois tracé myogène. Biopsie musculaire avec étude enzymatique. Les accès douloureux sont par- Élévation des CPK à l’effort ou ticulièrement déclenchés par après plusieurs jours de jeûne. l’exercice violent et par le régime riche en acides gras. Les myalgies et les crampes Augmentation importante de la s’accompagnent de myoglobi- lactacidémie à l’effort. nurie. La gêne est faible en cas Élévation du taux de cholestéd’exercice modéré ou en ré- rol et des triglycérides. gime normal. Histologie musculaire avec étude enzymatique. Myalgies survenant à l’exer- Augmentation importante de la cice lactacidémie à l’effort. Possible rétinite pigmentaire, Biopsie musculaire avec étude surdité, diabète, atteinte car- biochimique : déficit en comdiaque, pseudo-infarctus céré- plexe I de la chaîne respirabral. toire, plus rarement en complexe III.

CPK : créatine phosphokinase ; EMG : électromyogramme.

genou peut aussi donner des douleurs de topographie variable : face antérieure ou postérieure du genou, face latérale du genou, voire face antérieure de la cuisse. La Figure 4 permet d’orienter le diagnostic étiologique d’une douleur de la hanche ou du genou.

Les radiographies standards, voire la scintigraphie ou l’IRM, constituent les examens clés du diagnostic.

Pathologie de la cheville L’arthrose de la cheville est rare et souvent posttraumatique. L’arthrite de la cheville peut être

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Figure 4 Arbre d’orientation diagnostique d’une douleur du membre inférieur rapportée à une pathologie de la hanche ou du genou. IRM : imagerie par résonance magnétique.

isolée et révéler une sarcoïdose ou un rhumatisme inflammatoire chronique. L’algodystrophie est un piège car elle peut être secondaire à un traumatisme minime parfois oublié. En phase de début pseudo-inflammatoire, l’œdème, la rougeur cutanée, la douleur et la limitation articulaire sont classiques. Plus tardivement, la rougeur fait place à une pâleur cutanée avec cyanose, la douleur reste présente avec l’œdème et une limitation de la mobilité articulaire. Plus tardivement encore, la douleur peut avoir disparu mais l’œdème peut persister. L’articulation garde souvent une mobilité limitée. C’est à ce stade que le diagnostic différentiel avec un œdème veineux ou lymphatique peut être difficile. Les radiographies standards et la scintigraphie rectifient le diagnostic.

Pathologie articulaire du pied Les douleurs traumatiques du pied sont fréquentes. Plus difficile de diagnostic est la fracture de fatigue qui survient volontiers sur les métatarsiens après un effort de marche soutenu bien que chez le sujet âgé un petit effort puisse être suffisant. Il existe initialement un œdème douloureux du dos du pied. La radiographie est, à ce stade, normale mais la scintigraphie permet de confirmer le diagnostic en visualisant un foyer d’hyperfixation. Plus tardivement, se constitue un cal visible sur la radiographie standard.

Le pied creux est une source fréquente de douleur plantaire. La décompensation d’un pied creux traduit un raccourcissement excessif du système suro-achilléo-calcanéo-plantaire. À la marche, le pied se met en varus et va favoriser les entorses de cheville ou l’inconfort à porter certaines chaussures plates (la marche sur la pointe des pieds soulage souvent les symptômes). Il peut survenir des crampes dans les mollets ou dans la plante des pieds.

Aspects particuliers des douleurs des extrémités Une douleur des extrémités peut avoir une origine très diversifiée (Fig. 5). L’atteinte peut être ostéoarticulaire, vasculaire, tendineuse, synoviale ou neurogène. La pathomimie n’est pas nécessairement un diagnostic d’exclusion. La tumeur glomique se définit comme une hyperplasie du glomus neuro-myo-artériel. La localisation sous-unguéale est plus fréquente, les douleurs sont souvent très intenses, insomniantes et irradiantes. La pression peut déclencher la crise douloureuse ainsi que les variations de température. On peut observer parfois une tuméfaction violacée sous-unguéale. Le diagnostic est confirmé par l’artériographie. L’origine ischémique d’une douleur des extrémités (Tableau 9) est évoquée lorsqu’il existe un

Douleurs des membres inférieurs et des extrémités

Figure 5 Orientation diagnostique d’une douleur des extrémités. * Causes les plus fréquemment observées, par là où la démarche diagnostique doit commencer.

refroidissement d’un ou plusieurs doigts ou orteils s’accompagnant de pâleur. Parfois, il s’agit d’un aspect bleuté livédoïde. La chaleur soulage souvent les symptômes. Quelle qu’en soit la cause, le phénomène de Raynaud est inconstant. Sa présence

391 argumente l’origine vasculaire. L’échodoppler permet l’étude des artères proximales des membres. Lorsqu’il y a une obstruction isolée des artères digitales, l’échodoppler est normal, seule la manœuvre d’Allen et la mesure des pressions systoliques digitales, voire l’artériographie peuvent confirmer l’obstruction des collatérales des doigts. L’érythermalgie est un acrosyndrome paroxystique survenant à la chaleur, caractérisé par des crises vasomotrices donnant parfois d’atroces brûlures pulsatiles avec une rougeur cutanée des doigts qui sont infiltrés et chauds. On peut observer un battement artériel. L’aspirine constitue un véritable test diagnostique. Les origines ostéoarticulaires peuvent être repérées par les radiographies standards, voire la scintigraphie. Aux mains, l’arthrose digitale et la rhizarthrose sont des diagnostics faciles. La polyarthrite se caractérise par une tuméfaction des articulations, une augmentation de la chaleur locale, un enraidissement des mobilités articulaires et surtout un réveil nocturne plus volontiers en deuxième partie de nuit, un dérouillage matinal qui dépasse 30 minutes et peut durer parfois plusieurs heures. Les spondylarthropathies peuvent donner des douleurs des pieds à type de talalgies en couronne. Une arthrite d’orteil s’accompagnant d’un aspect d’orteil en saucisse évoque particulière-

Tableau 9 Principales causes des ischémies des extrémités. Artérites distales juvénilesc Causes emboligènesc Troubles de l’hémostasec

Causes médicamenteusesc

Connectivitesc Vascularites

Artériopathies non athéromateuses

Causes professionnellesc

a

– artériopathie athéromateuse précoce - maladie de Buerger – cardiopathie emboligène : valvulopathie, thrombus, troubles du rythme - aortite ulcérée, anévrisme de l’aorte – syndrome myéloprolifératif – antiphospholipides – déficit en protéines C, S, déficit en antithrombine III – cryoglobulinémie – hyperhomocystinémie – dérivés de l’ergot de seigle – chimiothérapie : bléomycine, cisplatine, vinblastine – interféron – sclérodermie – lupus érythémateux systémique avec ou sans antiphospholipides – maladie de Takayasu – maladie de Horton – périartérite noueuse c – cryoglobulinémies primitives ou associées c – artérite radique – pseudoxanthome élastique – syndrome de la traversée thoracobrachiale a – poplitée piégée b – syndrome du marteau hypothénar a – maladies des vibrations a (si autre facteur associé, tabac par exemple) – sclérodermie induite : exposition à la silice, aux solvants

atteinte exclusive des membres supérieurs atteinte exclusive des membres inférieurs c atteinte parfois isolée des collatérales digitales

b

392

E. Hachulla

Tableau 10 Principaux syndromes canalaires avec douleurs des extrémités. Nerf médian (syndrome du canal carpien)

Nerf cubital (syndrome du canal de Guyon)

Nerf sciatique poplité externe Nerf tibial postérieur Nerf interdigital des pieds (maladie de Morton)

Main – Fréquent ++ – Paresthésies ou engourdissements de la main qui entraînent un réveil nocturne – Systématisation aux 3 premiers doigts inconstante – Possible hypoesthésie de la palmaire des 3 premiers doigts ou déficit moteur du court abducteur du pouce – Éliminer une amylose, une hypothyroïdie, une acromégalie – Paresthésies des 4e et 5e doigts de la main avec parfois hypoesthésie et déficit des interosseux – La compression du nerf peut être dans la gouttière épitrochléo-olécranienne ou au poignet Pied – Steppage accompagné plus ou moins de paresthésies du pied après une posture prolongée – Compression du nerf au col du péroné – Douleurs plantaires mécaniques à type de brûlure – Hypoesthésie de la branche plantaire interne – Provoque une claudication intermittente du pied. La douleur ne survient que lorsque le patient est chaussé, le pied un peu serré, en revanche elle n’apparaît jamais pieds nus Cette douleur est souvent fulgurante, siège précisément entre la 3e et la 4e tête métatarsienne, s’accompagne d’une irradiation électrique vers les orteils, soit vers la pulpe soit de façon plus caractéristique sous l’ongle. – La pression de l’interligne entre le 3e et 4e métatarsien entraîne une vive douleur qui est liée à la présence d’un fibronévrome du 3e nerf interdigital plantaire. La compression latérale du pied fait remonter ce petit fibronévrome entre les têtes des métatarses et l’expulse comme un noyau de cerise (signe de Mulder). – Le diagnostic est surtout clinique, l’IRM de l’avant-pied peut montrer le fibronévrome en cause. – Les microtraumatismes répétés (sport sur sol dur, hauts talons, trouble de la statique du pied) favorisent la constitution du névrome.

IRM : imagerie par résonance magnétique

ment soit une arthrite réactionnelle, soit un rhumatisme psoriasique. Les neuropathies périphériques peuvent entraîner des douleurs distales qui débutent aux pieds ou aux mains, source de paresthésie, de picotements, de brûlures diurnes ou nocturnes (cf. supra). Les syndromes canalaires sont la conséquence d’une compression localisée sur un trajet nerveux (Tableau 10). Le syndrome du canal carpien se caractérise par sa fréquence. Il est parfois intriqué avec un syndrome du défilé thoracobrachial. Le diagnostic de pathomimie est souvent difficile. Il peut s’agir de microtraumatismes provoqués des extrémités, d’œdème lié à une position déclive prolongée d’un membre, ou lié à l’utilisation d’un garrot. La conséquence peut être une authentique algodystrophie confortant le quidam dans sa pathologie.

Références 1.

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