Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2017;2017:19–20
Dossier / Fiche technique
Douleurs musculaires survenant sous un traitement par statines Myalgias in patients treated with statins B. Chanu
Service endocrinologie et maladies métaboliques, hôpital Jean-Verdier, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 84, bis rue Constant-Coquelin, 94400 Vitry-sur-Seine, France
B. Chanu
Disponible en ligne sur ScienceDirect le 14 septembre 2017
es effets musculaires sont de loin les plus fréquents des effets indésirables des traitements par les inhibiteurs de l'HMG-coenzyme A réductase ou statines et plus généralement d'ailleurs des traitements hypolipémiants. Toutefois, ni leur expression sémiologique, ni leur fréquence exacte ne sont précisément connues, sans doute en raison de leur caractère le plus souvent bénin. Le terme générique regroupant l'ensemble de cette symptomatologie est celui de myopathie. Il s'agit le plus souvent de myalgies (douleurs musculaires inexpliquées sans élévation des CK) ou de myosites (lorsque les CK sont augmentées), plus ou moins diffuses ou localisées, beaucoup plus rarement de rhabdomyolyse lorsque l'élévation des CK dépasse 10 fois la valeur normale et s'accompagne d'un retentissement rénal (Classification selon l'ACC/AHA/ NHLBI). L'intensité des douleurs musculaires est variable. Elles se localiseraient préférentiellement aux muscles proximaux des membres inférieurs, aux muscles pectoraux et abdominaux, au bas du dos et aux masséters. Elles s'accompagnent volontiers d'une sensibilité douloureuse à la palpation, d'une sensation de fatigue musculaire, de crampes. Ces douleurs sont aggravées tantôt par l'exercice, tantôt au contraire par le repos et surviennent le plus souvent précocement, une fois sur trois au cours du premier trimestre du traitement et pour un autre tiers au cours des trois mois suivants. Ces myalgies peuvent s'accompagner de douleurs tendineuses, mais les tendinopathies isolées sont exceptionnelles et doivent être distinguées des tendinites pouvant survenir au niveau de certains xanthomes tendineux (tendon achilléen) au cours de l'hypercholestérolémie monozygote. Cette symptomatologie peu spécifique doit conduire à la réalisation d'un dosage des
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CK, qui sont fréquemment augmentées à deux ou trois fois la valeur normale, sans corrélation entre cette augmentation et l'intensité des douleurs, et que l'on peut également constater en l'absence de phénomène douloureux. À l'inverse, des myalgies authentiquement liées aux statines peuvent survenir en l'absence d'augmentation des CK. Il conviendra d'arrêter le traitement lorsque l'élévation des CK est supérieure à cinq fois la valeur normale, mais aussi lorsque les douleurs sont invalidantes. Le plus souvent, une amélioration des signes cliniques et biologiques est constatée dans les semaines qui suivent l'arrêt, généralement au bout de deux à trois semaines, rarement après plus de deux mois. La persistance de manifestations musculaires au-delà doit faire rechercher une autre pathologie musculaire associée ou responsable ou une hypothyroïdie. Quelques cas de polymyosites ou de dermatomyosites révélées ou déclenchées par le traitement ont été rapportés. En présence de douleurs chroniques persistantes et non expliquées, le diagnostic de fibromyalgie ou un effet nocebo devra être envisagé, en particulier si les douleurs ont une localisation articulaire ou périarticulaire. Au cours des essais thérapeutiques contrôlés, le pourcentage de patients se plaignant de myalgies n'était pas significativement différent entre patients traités et patients sous placebo, entre 1,5 et 5%, mais ces chiffres sont probablement éloignés de la réalité clinique, en particulier du fait de la sélection des patients, excluant notamment les sujets ayant des antécédents de myopathie sous statines ou des anomalies biologiques. Les publications rapportent des prévalences diverses, entre 5 et 25%, mais même si leur pourcentage est faible — dans une étude observationnelle comparative réalisée durant 7 ans, portant
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http://dx.doi.org/10.1016/j.amcp.2017.07.008 © 2017 Publié par Elsevier Masson SAS. 19
B. Chanu
Dossier / Fiche technique sur plus de 32 000 patients diabétiques et non diabétiques, les sujets ayant initié un traitement par une statine ont eu 8 à 9% d'évènements musculaires, soit seulement deux fois la prévalence relevée chez les sujets non traités — les myopathies sont communes car les statines sont très largement prescrites chez nos patients. La rhabdomyolyse aiguë, heureusement rare (1 cas sur 105 patients-années selon l'ANSM), est la complication la plus grave du traitement par statine et peut survenir à n'importe quel moment après l'introduction du traitement. L'incidence de la rhabdomyolyse fatale a été estimée à 1,5 cas sur 10 millions de traitement, si l'on ne tient pas compte des graves complications survenues avec la cérivastatine en 2001 dans un essai utilisant des doses élevées ou en association avec le gemfibrozil. Les mécanismes responsables de la toxicité musculaire des statines sont multiples et incomplètement élucidés. Certains patients peuvent avoir une susceptibilité musculaire d'origine génétique et plusieurs facteurs peuvent éventuellement s'additionner. La diminution du coenzyme Q10 (Co Q10) ou ubiquinone par les statines a été impliquée dans la physiopathologie de cette myopathie. En effet, les statines inhibent la synthèse du mévalonate, précurseur de l'ubiquinone à partir de l'HMG CoA sous l'action de l'HMG CoA réductase. L'ubiquinone est une substance semblable à une vitamine liposoluble, présente dans les mitochondries où elle intervient dans la chaîne respiratoire au cours de la respiration aérobie. Une réduction du taux du Co Q10 sérique ou musculaire a été parfois observée chez certains patients et des anomalies mitochondriales retrouvées sur des biopsies musculaires chez des patients symptomatiques. S'il a été montré chez le sportif que son augmentation par supplémentation alimentaire accroît les capacités à l'exercice, sa diminution lors du traitement par statine ne semble pas cependant avoir d'effet défavorable. Par ailleurs, les études d'intervention réalisées avec des supplémentations en Co Q10 ont donné des résultats divergents et finalement peu concluants. De même, les rares travaux ayant comporté une analyse enzymatique de la chaîne respiratoire mitochondriale, n'ont pas mis en évidence de dysfonctionnement. D'autres hypothèses ont été proposées telles que la réduction du taux de cholestérol, responsable d'une diminution du pool du cholestérol libre, susceptible d'altérer la fluidité membranaire des cellules musculaires et de provoquer des altérations de leurs propriétés électriques et des nécroses. Il a été également retrouvé chez les patients ayant présenté une myopathie sous statine, une fréquence anormalement élevée de sujets porteurs d'une mutation à l'état hétérozygote de gènes dont le déficit est responsable de myopathie sévère. Plusieurs cas de polymyosite et de dermatomyosite ont été rapportés chez des patients traités par statine. Dans certains cas, les patients ont guéri complètement à l'arrêt du médicament, mais plus souvent après une corticothérapie et/ou un traitement immunosuppresseur.
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Deux facteurs sont déterminants dans la survenue des myopathies sous statines: la dose prescrite et les traitements associés. La toxicité musculaire est d'autant plus importante que la dose prescrite est élevée, mais tout facteur susceptible d'augmenter la concentration sérique de statine augmente le risque. C'est le cas chez les patients prenant déjà des médicaments inhibiteurs du cytochrome P450 3A4/5 (CYP3A4/5) comme la ciclosporine, le gemfibrozil et autres fibrates, l'acide nicotinique, les anti-protéases, l'érythromycine et les anti-fungiques, l'amiodarone, le diltiazem et le vérapamil, la warfarine, mais aussi chez les sujets consommant en excès pamplemousse, jus de canneberge, alcool ou chez ceux ayant une comorbidité: insuffisance rénale ou hépatique, hypothyroïdie non traitée. D'autres situations augmentent le risque: l'âge après 70 ans, le sexe féminin, un indice faible de masse corporelle, l'exercice physique intense, les grands traumatismes ou la chirurgie majeure. Toutes ces situations doivent conduire à réduire ou arrêter temporairement le traitement. Un polymorphisme génétique agissant sur un transporteur biliaire (OATPB1) a été identifié dans certaines populations, comme favorisant la toxicité de certaines statines. Il est possible que les statines lipophiles (simvastatine, atorvastatine) soient plus susceptibles de provoquer des myopathies que les statines hydrophiles (pravastatine, rosuvastatine, fluvastatine). En pratique, toute symptomatologie musculaire attribuable à une statine, doit conduire à un dosage des CK. Une élévation supérieure à cinq fois la normale, confirmée en l'absence d'activité physique intense, doit faire interrompre le traitement jusqu'à normalisation. De la même façon, si le retentissement fonctionnel est important pour le patient, un arrêt temporaire s'impose, ce qui permettra en cas d'amélioration d'affirmer la responsabilité du traitement. Si les myalgies sont modérées, le traitement peut être poursuivi si les CK sont normales ou peu augmentées, au besoin en réduisant la posologie, sous surveillance des CK et du cholestérol. Il conviendra dans tous les cas, d'évaluer le retentissement de cette symptomatologie sur la qualité de vie du patient, de réévaluer le rapport bénéfice/risque, de s'interroger sur la signification de la plainte du patient, ce qui impose au soignant de passer un temps suffisant pour en rechercher les raisons profondes et tenter de rétablir une bonne relation thérapeutique. Lorsqu'il est souhaitable de reprendre le traitement, en particulier en prévention secondaire, il faudra utiliser les doses les plus faibles, éventuellement un jour sur deux, ou une molécule moins puissante (fluvastatine), dont on augmentera très progressivement la posologie sous surveillance des CK et du cholestérol, en sachant se contenter d'une faible dose, éventuellement associée à l'ézétimibe ou à un chélateur des sels biliaires (colestyramine). Déclaration de liens d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.