Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 33 (2014) 693–695
Cas clinique
DRESS en re´animation : un diagnostic et un traitement difficile DRESS in intensive care unit: A challenging diagnosis and treatment V. Derlon a,*, G. Audibert a, A. Barbaud b, P.M. Mertes c a
De´partement d’anesthe´sie-re´animation, hoˆpital Central, CHU de Nancy, 29, avenue du Mare´chal-de-Lattre-de-Tassigny, 54000 Nancy, France Service de dermatologie, CHU de Nancy, rue du Morvan, 54511 Vandœuvre-le`s-Nancy cedex, France c Service d’anesthe´sie-re´animation chirurgicale, Nouvel hoˆpital civil, hoˆpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hoˆpital, BP 426, 67091 Strasbourg cedex, France b
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 24 octobre 2013 ˆ t 2014 Accepte´ le 26 aou Disponible sur Internet le 20 novembre 2014
Le drug reaction with eosiniphilia and systemic symptoms (DRESS) est une re´action adverse me´dicamenteuse pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient. Les signes cliniques sont polymorphes et les atteintes visce´rales varie´es. De plus, son de´lai d’apparition est long apre`s la prise me´dicamenteuse responsable ; le diagnostic est donc particulie`rement difficile en re´animation. Nous rapportons le cas d’une patiente atteinte de DRESS dans les suites ope´ratoires d’une chirurgie intracraˆnienne complique´e d’une infection nosocomiale. ß 2014 Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Mots cle´s : DRESS Diagnostic E´some´prazole Me´ningite Nosocomiale
Keywords: DRESS Diagnosis Esomeprazole Meningitis Nosocomial
A B S T R A C T
Drug reaction with eosinophilia ans systemic symptoms (DRESS) is a severe medication-induced adverse reaction, which can threaten patient’s life. Clinical symptoms and organ failures present wide variability. Furthermore, the latency period is long, so that diagnosis could be a real challenge in the intensive care unit. We report the case of a woman developing a DRESS after neurosurgery complicated by a nosocomial infection. ß 2014 Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction Le drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS) est une toxidermie grave pouvant mettre en jeu le pronostic vital [1]. Cette entite´, re´cemment caracte´rise´e, doit eˆtre connue du re´animateur qui est amene´ a` prendre en charge les formes les plus graves. Elle correspond a` une re´action d’hypersensibilite´ retarde´e d’origine me´dicamenteuse associant classiquement une e´ruption cutane´e, une hypere´osinophilie et des manifestations visce´rales diverses allant jusqu’a` un syndrome de de´faillance multivisce´rale. Des re´activations virales (HHV6, HHV7, EBV, CMV) sont e´galement implique´es dans la physiopathologie de ce syndrome [2]. Son de´lai d’apparition de trois a` six semaines
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (V. Derlon).
apre`s la prise du me´dicament responsable rend difficile l’identification du me´dicament implique´. 2. Observation Nous rapportons le cas d’une femme de 31 ans hospitalise´e pour prise en charge d’une tumeur ce´re´brale du troisie`me ventricule. Les ante´ce´dents comportaient une allergie aux beˆtalactamines, une allergie alimentaire au kiwi, un tabagisme actif, une algodystrophie, ainsi qu’une grossesse mene´e a` terme juste avant l’admission. L’intervention chirurgicale consistait en l’exe´re`se de la tumeur et la mise en place d’une de´rivation ventriculaire externe. Celle-ci se de´roulait sans incident perope´ratoire. Les suites e´taient marque´es par une me´ningite a` Enterococcus faecalis et une infection urinaire nosocomiale, traite´e par diffe´rentes se´quences d’antibiothe´rapie de´taille´es dans la Fig. 1. Ces multiples changements antibiothe´rapiques e´taient rendus ne´cessaires par le profil
http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2014.08.007 0750-7658/ß 2014 Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
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Fig. 1. Chronologie des diffe´rents traitements et e´ve`nements intercurrents.
de re´sistance des germes isole´s. De plus, la patiente e´tait traite´e par e´noxaparine, pantoprazole et parace´tamol. Elle avait rec¸u une cure de corticoı¨des a` vise´e anti-œde´mateuse avant l’intervention chirurgicale. Un scanner ce´re´bral avec injection de produit de contraste avait e´galement e´te´ re´alise´. Au cours de l’hospitalisation, un exanthe`me maculopapuleux peu intense apparaissait. La patiente ressentait une impression de « cuisson ». Cette symptomatologie e´voquait une toxidermie d’origine me´dicamenteuse conduisant a` contre-indiquer les traitements introduits durant les trois semaines pre´ce´dant l’e´ruption. Une nouvelle de´gradation clinique faisait de´couvrir un abce`s ce´re´bral a` E. faecalis, qui e´tait e´vacue´. Une nouvelle antibiothe´rapie par vancomycine et fosfomycine e´tait prescrite. Quelques minutes apre`s l’injection de vancomycine, la patiente e´tait victime d’un malaise avec e´rythe`me et hypotension arte´rielle, justifiant son transfert en re´animation. Elle e´tait alors fe´brile. Devant cette re´action syste´mique, l’antibiothe´rapie en cours e´tait imme´diatement arreˆte´e et un relais e´tait pris par de la daptomycine associe´e a` la rifampicine. On notait dans les jours suivants une majoration de l’exanthe`me ˆ lure persistante, en particulier au visage avec une sensation de bru l’apparition d’œde`me du dos des mains et des membres infe´rieurs, ainsi qu’une e´volution purpurique des zones atteintes. Une hypere´osinophilie a` 1790/mm3 et une discre`te cytolyse he´patique apparaissaient (ASAT 62 UI/L, ALAT 52 UI/L) quatre jours apre`s le ‘de´but des symptoˆmes. Cet aspect e´voquait un DRESS et la liste des me´dicaments potentiellement implique´s e´tait e´largie a` tous ceux prescrits dans les six semaines pre´ce´dant l’e´ruption initiale. Les se´rologies virales EBV et HHV6 e´taient positives. Le pic de l’hypere´osinophilie atteignait 6120 e´le´ments/mm3. L’e´volution e´tait progressivement favorable, mais une nouvelle me´ningite a` Serratia marcesens motivait une nouvelle adaptation
de l’antibiothe´rapie. La contre-indication de l’aztre´onam n’apparaissant pas clairement dans le dossier me´dical, la patiente e´tait re´expose´e a` cette mole´cule. Le lendemain apre`s la deuxie`me dose d’aztre´onam, une nouvelle pousse´e d’exanthe`me et de fie`vre survenait. L’administration d’aztre´onam e´tait imme´diatement suspendue. Cet e´pisode e´tait interpre´te´ comme une re´activation du DRESS et l’aztre´onam devenait la mole´cule la plus probablement implique´e. Une concertation pluridisciplinaire entre dermato-allergologues, infectiologues et re´animateurs proposait un traitement par ceftriaxone. En effet, cette mole´cule, bien qu’appartenant a` la classe des beˆtalactamines auxquelles la patiente e´tait allergique, comporte la structure mole´culaire la plus e´loigne´e de l’aztre´onam. De plus, la patiente avait de´ja` e´te´ traite´e par ceftriaxone sans re´action adverse. L’e´volution de la patiente e´tait favorable et une valve de de´rivation ventriculo-pe´ritone´ale e´tait mise en place quelques semaines apre`s l’e´pisode. Les tests allergologiques (patchs-tests) pratique´s a` distance de la phase aigue¨ du DRESS e´taient ne´gatifs pour tous les me´dicaments utilise´s a` l’exception du pantoprazole, conduisant a` une contreindication de´finitive de cette classe me´dicamenteuse. Ces tests e´taient comple´te´s par une intradermore´action a` l’aztre´onam qui s’ave´rait ne´gative. Des tests de re´introduction au iobitridol (Xenetix1), a` la gentamicine et a` la ciprofloxacine e´taient re´alise´s et s’ave´raient bien supporte´s. 3. Discussion Le syndrome d’hypersensibilite´ me´dicamenteuse ou DRESS a d’abord e´te´ de´crit avec les antie´pileptiques tels que l’hydantoı¨ne et ses de´rive´s, puis la carbamaze´pine, ce qui lui a valu d’eˆtre d’abord qualifie´ de syndrome d’hypersensibilite´ aux anticonvulsivants
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(anticonvulsant hypersensitivity syndrome) [1]. Par la suite, d’autres classes me´dicamenteuses ont e´te´ rendues responsables du meˆme syndrome et la de´nomination changeait pour drug-induced hypersensitivity syndrome (DIHS) ou hypersensitivity syndrome (HSS). A` partir de 1996, l’acronyme DRESS e´tait retenu. La physiopathologie du DRESS demeure imparfaitement comprise. Une re´activation virale concernant des virus du groupe Herpes : Human Herpesviridae (HHV-6), Epstein-Barr Virus (EBV) et cytome´galovirus (CMV), a e´te´ rapporte´e dans plusieurs e´tudes, et semble eˆtre au cœur de la physiopathologie du DRESS [2]. La mole´cule en cause favoriserait, en cre´ant une immunode´pression transitoire, la re´activation virale qui a` son tour entraıˆnerait une re´ponse immune responsable des manifestations syste´miques. Une sensibilisation transitoire a` certains me´dicaments est e´galement possible. Le polymorphisme clinique et le de´lai d’apparition du DRESS font toute la difficulte´ du diagnostic. Le de´lai d’apparition est classiquement d’au moins trois semaines. Le tableau initial comporte souvent de la fie`vre et une sensation de malaise. Dans un second temps, les manifestations cutane´es apparaissent : exanthe`me maculopapuleux le plus souvent, mais des le´sions purpuriques, ve´siculeuses, bulleuses ou encore une e´rythrodermie ont e´te´ rapporte´es. Des polyade´nopathies et un œde`me du visage sont fre´quemment associe´s. Les anomalies sanguines rencontre´es sont : une hyperleucocytose, une hypere´osinophilie ou un syndrome mononucle´osique. Les signes cutane´s, bien qu’extensifs, ne doivent pas faire oublier que la gravite´ est avant tout lie´e aux atteintes d’organes : une cytolyse he´patique, une atteinte re´nale, une atteinte pulmonaire, une atteinte ence´phalique et une atteinte cardiaque peuvent s’associer a` diffe´rents degre´s de gravite´, jusqu’a` la de´faillance multivisce´rale. Tous ces signes cliniques et biologiques, dont l’association est variable, sont aspe´cifiques et rendent le diagnostic particulie`rement difficile lorsque le DRESS survient au cours d’une hospitalisation en re´animation [3,4]. Le DRESS e´volue parfois sous la forme de pousse´es re´currentes. Celles-ci apparaissent a` l’occasion d’une re´introduction me´dicamenteuse, d’une diminution de la dose de corticoı¨des utilise´e pour le traitement curatif, de tests allergologiques ou de manie`re spontane´e. Elles peuvent faire e´voquer a` tort la responsabilite´ de certains me´dicaments. Il ne faut pas sous-estimer la gravite´ de ces re´currences dont certaines ont abouti au de´ce`s d’un patient [5]. Les me´dicaments les plus souvent responsables du DRESS sont les antie´pileptiques (phe´nobarbital, carbamaze´pine, valproate de sodium), l’allopurinol, la minocycline et les sulfamides. Dans notre cas, la mole´cule la plus imputable e´tait le pantoprazole [6]. Cependant, il semble qu’une fois le processus physiopathologique engage´, des re´actions croise´es et une multisensibilisation seraient possibles. Ainsi, un me´dicament pre´sent lors de l’apparition du
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DRESS peut ensuite en de´clencher une pousse´e, ce qui est le cas de l’aztre´onam dans notre observation. Le traitement du DRESS syndrome repose avant tout sur l’e´viction des me´dicaments incrimine´s. La surveillance doit eˆtre prolonge´e plusieurs semaines et le patient oriente´ vers une e´quipe re´fe´rente de`s que possible. Lorsqu’on ne note pas de signe de gravite´, un traitement par dermocorticoı¨des associe´s a` des antihistaminiques de type 1 est propose´. En cas d’atteinte visce´rale, une corticothe´rapie ge´ne´rale a` la dose de 1 mg/kg est instaure´e. En cas d’atteinte mettant en jeu le pronostic vital a` court terme, la corticothe´rapie ge´ne´rale est comple´te´e par des immunoglobulines intraveineuses a` la dose de 2 g/kg par cure, sur cinq jours [7]. Toutefois, l’inte´reˆt de ces traitements doit eˆtre discute´ dans le cas de malades atteints d’une infection potentiellement grave ou non controˆle´e, comme ce fut le cas chez notre patiente. Les me´dicaments imputables doivent eˆtre teste´s en milieu spe´cialise´, a` distance de l’e´pisode aigu. Ils font l’objet d’une contreindication jusqu’a` la re´alisation des tests. Toute tentative de re´introduction doit eˆtre effectue´e sous controˆle me´dical strict et apre`s accord de l’e´quipe re´fe´rente [8,9]. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Walsh SA, Creamer D. Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS): a clinical update and review of current thinking. Clin Exp Dermatol 2011;36:6–11. [2] Descamps V, Valance A, Edlinger C, Fillet AM, Grossin M, Lebrun-Vignes B, et al. Association of human herpes virus 6 infection with drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms. Arch Dermatol 2001;137:301–4. [3] Peyrie`re H, Dereure O, Breton H, Demoly P, Cociglio M, Blayac JP, et al. Variability in the clinical pattern of cutaneous side-effects of drugs with systemic symptoms: does a DRESS syndrome really exist? Br J Dermatol 2006; 155:422–8. [4] Shiohara T, Iijima M, Ikezawa Z, Hashimoto K. The diagnosis of a DRESS syndrome has been sufficiently established on the basis of typical clinical features and viral reactivations. Br J Dermatol 2007;156:1083–4. [5] Eshki M, Allanore L, Musette P, Milpied B, Grange A, Guillaume JC, et al. Twelveyear analysis of severe cases of drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms: a cause of unpredictable multiorgan failure. Arch Dermatol 2009;145: 67–72. [6] Caboni S, Gunera-Saad N, Ktiouet-Abassi S, Berard F, Nicolas JF. Esomeprazoleinduced DRESS syndrome. Studies of cross-reactivity among proton-pump inhibitor drugs. Allergy 2007;62:1342–3. [7] Descamps V, Ben Saı¨d B, Sassolas B, Truchetet F, Avenel-Audran M, Girardin P, et al. Prise en charge du drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms. Ann Dermatol Venereol 2010;137:703–8. [8] Barbaud A. Patch-tests me´dicamenteux dans l’exploration des toxidermies. Ann Dermatol Venereol 2009;136:635–44. [9] Elzagallaai AA, Knowles SR, Rieder MJ, Bend JR, Shear NH, Koren G. Patch testing for the diagnosis of anticonvulsant hypersensitivity syndrome: a systematic review. Drug Saf 2009;32:391–408.