Du lièvre au bioterrorisme, la tularémie

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Du lièvre au bioterrorisme, la tularémie La tularémie est une zoonose. Ses réservoirs sont les petits rongeurs terrestres et aquatiques, la famille des lapins et certains oiseaux. Francisella. tularensis provoquant une affection potentiellement grave à partir d’une petite quantité de germes, la tularémie peut être envisagée comme agent de guerre bactériologique, d’où son statut de maladie à déclaration obligatoire. La mise en évidence du bacille repose sur la culture et l’hémogramme du patient. 

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| Figure 1. Francisella tularensis.

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a tularémie est une zoonose due à une bactérie Francisella tularensis. Les premiers cas humains ont été décrits dès 1914. En 1924, la bactérie est retrouvée chez un lapin et chez une tique, Dermacentor andersoni, fixée sur ce lapin. Puis de 1920 à 1940, de nombreux cas sont identifiés en Europe et sur le continent américain, et à partir de 1946 en France.

Une bactérie encapsulée











   

 



      

   

       

            

          

  

   





| Figure 5. Histogramme des cas humains de tularémie déclarés de janvier 2007 à juin 2008 en France (InVS).

Lorraine. Ces dernières années, des petits foyers sont apparus en Aveyron (7 cas) et en région Midi-Pyrénées (6 cas) (figure 5). Les facteurs de risques retrouvés étaient le dépeçage d’un animal sauvage ou la morsure de tiques.

Un polymorpisme clinique Après une incubation de 3 à 8 jours, une fièvre apparaît brutalement, avec des céphalées, des arthralgies, des myalgies et une asthénie. La tularémie peut se manifester sous plusieurs formes : – la forme ulcéroganglionnaire, la plus fréquente (80 % des cas), apparaît dans la zone d’inoculation (main, doigt, membre inférieur) (figure 6) ; – la forme oculoganglionnaire survient lors d’éclaboussures de matériel infesté au niveau de la conjonctive, formant un petit nodule ou parfois une ulcération au niveau de la paupière inférieure ; – la forme oropharyngée, assez rare, suit l’ingestion de viande contaminée mal cuite ou de

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Francisella tularensis, bactérie intracellulaire encapsulée, à Gram négatif, mesure 0,2-0,5 x 0,7-1 microns (figure 1). En 1983, différentes sous-espèces sont identifiées : F. tularensis tularensis, en Amérique du Nord et en Europe est la plus virulente, F. tularensis holartica en Europe, aux États-Unis et au Canada, F. tularensis mediasiatica (Asie) et F. philomiragia. Cette bactérie a un tropisme vers le derme et le système réticulo-histiocytaire. En effet, les bacilles traversent la peau et les muqueuses, puis progressent vers les ganglions provoquant les adénites, puis par voie sanguine, gagnent le foie et la rate.

Les principaux réservoirs sont les petits rongeurs terrestres et aquatiques, ainsi que les lagomorphes (lapins, lièvre) (figure 2) et certains oiseaux (perdrix, grands-ducs, goélands). Les vecteurs sont des tiques (figure 3), qui, par transmission transovarienne, sont aussi réservoirs. Le cycle s’effectue entre les rongeurs et les grands animaux par l’intermédiaire des tiques, l’homme n’étant qu’un hôte accidentel, lors de contacts indirects avec les réservoirs (activités forestières, agricoles, loisirs). La transmission s’effectue de plusieurs façons : – contact direct avec les animaux infestés, ou les cadavres d’animaux morts, ou contact indirect par les urines, les excréments ou la peau d’animaux infestés. Les germes (10 à 103 bactéries) traversent une peau saine mais surtout pénètrent par des excoriations cutanées mêmes minimes ; – transmission par les tiques (Ixodes ricinus, Dermacentor andersoni, D. marginatus) ou certains moustiques (Culex) ; – ingestion de viande infestée mal cuite, mais cela nécessite une forte concentration de bactéries (environ 108) ; – inhalation de germes (10 à 102) lors de manipulations de gibier, ou encore utilisation de tondeuse à gazon dans des zones de gîtes de rongeurs. La tularémie est localisée en Amérique du Nord, en Europe, et en Asie (figure 4). En France, sont décelés chaque année 30 à 60 cas chez des lièvres atteints, et une vingtaine de cas humains (soit 0,03 pour 100 000 habitants) en PoitouCharentes, Touraine, Vendée, Sologne, Alsace-

   

Les animaux sauvages

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| Figure 2. Le lièvre, un des principaux réservoirs de F. tularensis. | Figure 3. Tique.

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OptionBio | Lundi 20 octobre 2008 | n° 407

| Figure 6. Lésion cutanée.

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végétaux infestés mal lavés (comme les 7 cas de l’Aveyron). Le patient présente une angine et une adénopathie cervicale ; – la forme pulmonaire, conséquence d’inhalation de bactéries, se manifeste par une toux sèche, une dyspnée et des douleurs thoraciques pouvant évoluer vers une détresse respiratoire ; – la forme digestive due à l’ingestion d’aliments contaminés provoque une gastroentérite, avec des ulcérations sur la muqueuse digestive. L’évolution varie de 3 à 5 semaines, avec une mortalité, sans traitement, de 1 à 10 %, selon la virulence faible (souche européenne et américaine B) ou élevée (souche américaine A).

Mise en évidence du bacille L’hémogramme révèle une hyperleucocytose modérée, une VS et une CRP modérément élevées. Dès la suspicion de tularémie, les mesures de précaution doivent être mises en place (bottes, blouse, gants, lunettes, masque). Les bactéries sont recherchées au niveau des lésions cutanées, des ganglions, dans l’expectoration ou encore dans l’hémoculture. F. tularensis ne se développe en aérobie stricte que sur des milieux enrichis en cystéine, et pousse en 10 jours à 37 °C (milieux en gélose chocolat, IsoVitaleX™, PolyViteX™) (figure 7). Le centre de référence de Francisella tularensis est le laboratoire de bactériologie (Pr M. Maurin) du CHU de Grenoble (38) .

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| Figure 4. Carte de répartition mondiale de la tularémie.

| Figure 7. F. tularensis en culture.

Un antibiogramme est réalisé sur une gélose chocolat enrichie et un E-test est utilisable. Le phénotype sauvage est d’emblée résistant à la pénicilline et aux céphalosporines, mais sensible aux aminosides. Une inoculation à la souris est possible par voie sous-cutanée, entraînant la mort de la souris en 5 à 10 jours. Un sérodiagnostic est possible par agglutination (avec une suspension formolée de F. tularensis) permettant la recherche d’IgM et d’IgG. La PCR est possible à partir des prélèvements de lésions. D’autres techniques sont utilisables : immunofluorescence, immunohistochimie, immunochromatographie ou Elisa.

nes pendant 10 à 14 jours, durée pouvant être prolongée jusqu’à 3 mois. Enfin, F. tularensis provoquant une affection potentiellement grave, la bactérie peut être envisagée comme agent de la guerre bactériologique, en sachant qu’il suffit d’une petite quantité de germes pour déclencher la maladie et que les relais naturels des animaux sauvages peuvent rapidement diffuser la bactérie. D’après les prévisions de l’OMS, 50 kg de F. tularensis répandus sur une agglomération de 5 millions d’habitants peuvent provoquer 250 000 cas et 20 000 décès ! Aussi, depuis 2002, la tularémie est-elle devenue une maladie à déclaration obligatoire. À défaut de vaccin, la prophylaxie est basée sur la décontamination et la désinsectisation. Enfin, des mesures de protection (gants, masque) sont indispensables dans la manipulation des lièvres, renards et petits mammifères. |

PATRICE BOURÉE Unité des maladies tropicales Hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre (94) [email protected]

Risque biologique Le traitement doit être entrepris le plus rapidement possible. F. tularensis est sensible aux fluoroquinolones, aux aminosides ou aux cycli-

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Source Communications de P. Sales (Toulouse) et A. Mailles (InVS). Journées nationales d’infectiologie, Marseille (13), juin 2008.

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